[retour à un affichage normal]

Mazarinade n° A_5_12

Image de la page

Provence, Pierre de [signé] [1649], LETTRE DE PIERRE DE PROVENCE A LA REYNE. En forme d’auis, sur ce qui s’est passé en son Pays. , françaisRéférence RIM : M0_2043. Cote locale : A_5_12.

on porte vn veau dans vne bonne ville, il semble que c’est vn Phœnix,
les petits enfans n’y cognoissent pas la boüillie, parce qu’il n’y
a point de laict : ils n’y sont nourris que de pain cuit auec vn peu
de miel.
 
Comme il y a peu de terre & beaucoup de peuple, la plus part
sont obligez d’aller chercher leur vie aux Voyages d’outre mer, ausquels
ils profitoient quelque chose, quand le commerce estoit libre :
mais depuis qu’il est perdu par les guerres, vne partie a esté forcée
d’abandonner le pays, & se retirer hors du Royaume.
Voila l’estat d’vne Prouince qu’on a chargée d’imposts & de toute
sorte de mauuaise denrée, à laquelle on a donnée vne Compagnie
d’vn Parlement Semestre, composée d’autant d’Officiers comme le
vieux Corps, & c’est à ce qu’on dit, pour le soulagement du peuple.
Le Mareschal de Vitry ayant dit ces veritez, fut l’ennemy du
Roy, parce qu’il ne seruoit pas bien le Ministre dans son déreglement,
il est mandé & mis dans la Bastille.
Monsieur de Sainct Chaumont prend sa place : d’autant que tous
les hommes raisonnables sont ennemis du desordre, il est bien-tost
chassé pour estre de ce party.
Le Cardinal de Richelieu iette les yeux sur Monsieur le Comte
d’Alais, homme de naissance & de vertu, d’vn naturel froid & pesant,
plus propre pour le cabinet que pour la campagne : ce qui luy fit
croire que n’ayant pas beaucoup de communication auec les gens de
bien & de condition, il ne cognoistroit pas bien aisément la foiblesse
de la Prouince. Sa Politique reüssit : le Comte d’Alais fit de son Cabinet
vn Sanctuaire : les gens d’Eglise, la Noblesse, ny le Bourgeois ne
peuuent l’approcher : il n’agit que par des domestiques affamez, &
de ces gueux qui suiuent les Gouuerneurs dans les Prouinces pour se
refaire, & pour s’engraisser aux despens des miserables : Il n’a cogneu
des gens du pays, que ceux que ces personnes ont introduits, qui ne
pouuoient estre que leurs semblables : & ainsi ne sçachant que par
rapport du costé de la Prouince, & ne voyant que par les yeux de
ceux qui n’auoient d’objet que la desolation du pays pour establir
leur fortune, suiuant aueuglement les mouuemens du Ministre, il a
tout bouleuersé, sans considerer son honneur, sa conscience, & le
seruice du Roy.
La mort prit au colet le Cardinal, elle auoit soulagé la France d’vn
fardeau insuportable, si le Roy eust esté en estat de suiure le conseil