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Mazarinade n° D_2_38

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M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.


Vous sçauez ce que disoit Phocion de celuy d’Athenes qu’il
luy auoit souuent conseillé de bonnes choses & que iamais
il n’en auoit voulu rien faire : vous vous imaginez que puis
qu’il ne suit pas les bons conseils, les mauuais auront plus de
force, & qu’au pis aller vn peu de sucre luy fera aualer ce
venin.
 
A vous dire ce que i’en pense, le peuple n’est pas inuincible,
ces vertus ne sont pas heroïques, & il ne pourroit pas
tousiours se defendre des adresses d’vn bon esprit : quoy
qu’il ait esuité ou qu’il ait souffert, il n’est pas fort dans ses
experiences ; & comme sa teste & son courage sont composez
d’vne infinité de differens courages & de differentes testes,
cette multitude l’affoiblist. A force de contraires sentimens
ses resolutions sont tousiours branlantes, & quant
quelque genie vigoureux entre dans la foule de ces esprits
foibles il en entraisne beaucoup apres luy.
Il y a encores vn autre defaut dans le peuple qui le rend
facile a desbaucher. C’est son inconstance naturelle, ce vice
detestable & dangereux tout ensemble, qui le precipite aux
nouueautez auec si peu de peine, & qui luy fait changer de
party sans repugnance. Ie ne doute point qu’il ne puisse
faire tout, quant il est sur la pente de ce vice, il n’a peur ny
respect de iustice ny de puissance, il va sans conscience ny
sans honte où tendent ces legers desirs. Aussi les sages gouuerneurs
n’ignorans pas sont libertinage, ny le danger de le
luy souffrir, ont fait ce qu’ils ont peu pour l’arrester. Les Roys
d’Egypte dans la paix craignans l’oisiueté de leurs peuples,
& pour diuertir leurs nouueaux desirs qu’elle eust peu
enfin engendrer, les employoient aux pyramides & à bastir
ces grands ouurages qui nous ont descouuert en se cachans
dedans les nuës iusques où l’architecture pouuoit monter.
Numa Pompilius amusa ses nouueaux Romains à de continuelles
ceremonies, & l’excellent legislateur Licurgue, apres
auoir sousmis les Spartiates à des loix austeres craignant que
leur changement ne les abolist, leur fit faire d’horribles sermens,
que s’ils y vouloient changer quelque chose ils attendissent