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Mazarinade n° A_2_3

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Anonyme [1649], APOLOGIE POVR MONSEIGNEVR LE CARDINAL MAZARIN, TIREE D'VNE CONFERENCE ENTRE SON EMINENCE ET Monsieur ****** homme de probité & excellent Casuiste. , françaisRéférence RIM : M0_127. Cote locale : A_2_3.



Le Casuiste. Vn homme qui seroit deuin sauueroit tout cét argent-là.
Le Card. L’on sauue bien l’argent, & si l’on n’est pas deuin.
Le Casuiste. Mais, Monseigneur, la paix de Hollan de a bien augmenté les
forces d’Espagne, & arresté le courant de nos victoires de Flandre. Outre
que la paix auroit esté bien plus auantageuse pour nous, si nous l’eussions
faite conjoinctement auec les Hollandois.
Le Card. La Flandre estoit perduë, si les Hollandois eussent continué à la
battre auecque nous. Mais ils ont fait leurs affaires & moy les miennes. Pour
ce qui est de la paix, ie vous ay desia monstré, que c’est l’escueil où doit eschoüer
la grandeur de la France, & de ses colomnes qui soustiennent les Ministres
comme moy.
Le Casuiste. L’on vous accuse, Monseigneur, d’auoir tiré de l’argent de
l’Espagne & de la Hollande, pour consentir à cette paix-là.
Le Card. Les faut laisser dire, Dieu sçait la verité. Ie serois furieusement
riche à leur compte.
Le Casuiste. Ils disent bien dauantage, ils soustiennent que vous auez touché
de l’argent de la Suisse, & de la Franche-Comté, pour ne point attaquer
Dole, & les autres places de cette Prouince-là.
Le Card. Pourquoy les Suisses ?
Le Casuiste. C’est qu’ils craignoient, disoient-ils, d’estre nos voisins, parce
que vous voulez battre tout le monde si on ne vous donne de l’argent ; &
qu’ils voyent combien vostre amitié couste cher aux Fran-Comtois. Mais
pourquoy espargner la Franche-Comté, qui est vne Prouince d’Espagne ?
Le Card. Pour obliger les Suisses.
Le Casuiste. Mais pourquoy tant obliger les Suisses ?
Le Card. Pour m’en seruir au besoin. Ne voyez vous pas que sans les
Estrangers ie serois perdu ? Les François sont si accoquinez à ce chien de Paris,
qu’ils ne voudroient pas y auoir fait le moindre tort.
Le Casuiste. Les blasmez-vous de cela, Monseigneur ? Ils sont de mesme
Patrie, de mesme Religion, & ont le mesme interest.
Le Card. Et moy j’ay ma Patrie, ma Religion & mon interest.
Le Casuiste. Mais l’on tient qu’ils vous veulent abandonner.
Le Card. Oüy, ce sont des gens à l’argent aussi bien que moy, point d’argent
point de Suisse, & moy ie dis point de Suisse, plustost de l’argent.
Le Casuiste. Cela seroit bien preiudiciable à la France, car ie crois qu’il y a
plus de vingt-mille Suisses sous les armes en France, tant en campagne que
dans les garnisons ; & ils ne manqueront pas d’aller prendre party en Espagne.
C’est vne querelle d’Allemand, qu’ils nous ont là faite pour nous quitter,
ou bien c’est pour seruir les Parisiens.
Le Card. Il n’y a non plus de raison à ces gens-là, qu’à des Suisses.
Le Casuiste. Vous condamnez en eux ce que vous estimez en vous mesme.
Vous les appellez bestes, parce qu’ils aiment l’argent. Pourquoy voulez-vous
que la mesme passion vous donne la qualité de Sage ?
Le Card. Ces brutaux-là, ne meritent pas d’auoir de l’argent, ils ne sçauroient
pas bien l’employer.