Le pamphlet présenté ci-dessous (s. l. n. d., 12 p.), issu d’un recueil de Jeux floraux, nous a récemment été communiqué par la médiathèque de Clermont-Ferrand (réf. : Clermont Auvergne Métropole, Bibliothèque du patrimoine, cote Ep 0081 1, CC by SA).
Après consultation de force catalogues, bibliographies et travaux de recherche, nous n’avons trouvé aucune trace de l’existence de cette… mazarinade, catégorisation pour laquelle ce pamphlet burlesque imprimé présente toutes les caractéristiques, y compris sa datation approximative (voir ci-bas). Qu’il soit resté inconnu des bibliographes près de quatre siècles – bien qu’imprimé – reste un mystère. Toute information le concernant est la bienvenue.
(P. Rebollar, le 28 juin 2025)

L’Adieu de la Fronde à Monseigneur le cardinal Mazarin
[p. 3] Que direz-vous, si ie m’engage
A vous faire mon Compliment.
Moy Fronde, qui suis l’instrument
Du trouble & du dernier orage.
IVLE, quoy que l’on puisse croire
De ma haute temerité,
Ie veux publier vostre gloire,
Et dire auec sincerité.
Grand IVLE plus grand que la Fronde,
C’est tout ce qu’on peut dire au monde,
Rien de plus grand on ne dira,
Tant que l’vniuers durera,
Certes, vous me forcez d’écrire,
Qu’il faut estre vn merueilleux Sire,
Pour auoir, en si peu de temps
Pris la Lune auecque les dents,
[p. 4] Cet auguste port de la Lune.
Où regnoient, & Mars, & Neptune,
Bourdeaux conduit par vn Renard,
Qui joint la valeur auec l’Art ;
Deffendu par vne Amazonne
Plus generevse que Bellonne ;
Gardé par vn peuple guerrier,
Que maint succez a rendu fier,
Peuple à qui deux ans de rauage
Dans le cœur auoient mis la rage ;
Peuple, qui fort apparemment
Deuoit causer grand pensement :
Mais c’étoit apparence humaine :
Qu’vn Grand Iule a sçeu rendre vaine,
Agissant par des mouuemens
Méme inconnus aux Parlemens.
Mouuemens d’vne intelligence,
Qui n’a jamais craint d’influence ;
Et sur qui l’Astre le plus noir,
Ny la fronde n’eurent pouuoir :
Car Iule fait sa destinée ;
Que si parfois quelque menée
A fait semblant de l’abbaisser,
Ce n’est que pour le rehausser,
Et faire éclatter cette Gloire,
Qui doit surpasser dans l’histoire
Le renom des anciens Heros,
Qui se sont acquis si grand los :
[p. 5] Mais qui n’ont porté dans le monde
Le haut titre de Chasse-fronde,
Tel que vous portez en cés jours.
N’est-ce pas vn fortuné cours
Que celuy de vostre Eminence ?
Vous diriez que la Prouidence
Concerte auec vous ses desseins,
Sur la fortune des humains ;
Qu’elle s’ajuste à vostre adresse,
Et consulte vostre sagesse,
Pour executer ses decrets,
A vous connus, à nous secrets.
Ma foy, cecy tient du miracle !
Ce qui semble vous faire obstacle
Vous meine droit à vostre but.
Le trouble fait nostre salut,
A vostre souhait tout succede,
Du mal vous tirez le remede.
Le bien nous vient d’vne façon
Qui surprend l’humaine raison,
Nos ennemis, vos aduersaires,
En vous choquant font nos affaires.
C’est ce que ie ne sçauois pas,
C’étoit pour moy reserué cas,
Cas trop difficile à comprendre :
Aussi ie n’ay peu me deffendre,
Ny sçeu conseruer mon honneur,
Ny méme éuiter le malheur,
[p. 6] Qui m’oblige (dont n’est dommage)
De plier au plutost bagage,
Mais quoy ? c’est l’ordre du decret,
Qui sangle la fronde tout net.
Ne serois-je pas ridicule
De m’opposer au sort de Iule ?
Il n’est plus temps de marchander,
A son adresse il faut ceder.
Pourtant, auec sa politique,
Ie pensay luy faire la nique,
Lors que ie tenois le haut bout,
Dans Paris où ie reglois tout,
Où l’on me traittoit d’Excellence,
D’altesse, mais non d’Eminence :
Commandant selon mon désir,
Mettant, Tel est nostre plaisir,
Dans les Ordonnances publiques
Et dans les Actes authentiques.
I’y faisois obseruer mes Loix
Auec le pouuoir de nos Roys,
Tant ie regnois en Souueraine.
I’ordonnois du prix, de la peine
Dûs au crime, & à la vertu.
Aussi rien n’étoit debatu,
A l’Hostel de Ville, à la Hale
Où Fronde ne fut capitale.
A la fronde tout fut soumis,
Depuis qu’en ma faueur Themis
[p. 7] Eut declaré par Ordonnance,
Qu’au Parlement i’aurois seance.
Dés-lors i’acquis si grand renom,
Qu’on ne juroit que par mon nom.
Enfin, tout se metamorphose,
Ie donne vogue à toute chose
La Fronde fait tout le debit,
A la Fronde, on parle, on écrit.
Méme on dit que l’Academie,
Des mauuais termes ennemie,
Fait grand’ rumeur dessus mon nom,
Disant qu’il n’est nullement bon,
Qu’aux liures on trouue la Fonde,
Que nul Autheur n’a dit la Fronde.
Qu’on lit au Calepin Funda ;
Qu’on n’y lira iamais Frunda,
En cecy la Cour ne veut mie,
Le ceder à l’Academie :
Mais n’aymant pas à contester,
Elle pretend sans disputer,
Qu’en pareil different, l’vsage,
Le seul arbitre du langage,
Decide l’affaire tout plat,
Et termine tout le debat.
Sur ce, la Sorbonne fondée
Dit que la fronde est mal fondée ;
Qu’on ayme trop la nouveauté ;
Qu’on fait tort à l’antiquité.
[p. 8] Tout ce bruit se tourne en fumée,
La f[r]onde perd sa renommée,
Elle se fond en vn moment,
Par vn étrange changement ;
Elle éprouve en moins d’vne année,
La rigueur de la destinée ;
Et trouue par un fascheux sort
Sa naissance jointe à sa mort.
Il n’est homme qui n’en murmure,
Considerant telle auenture,
Et qui ne die entre ses dents
Quoy, la f[r]onde en si peu de temps
Tombe-t’elle dans la disgrace ?
Quoy, le méme destin menace
D’abbatre la fronde à son tour ?
Ouy, ie sens que mon dernier jour
Me force à faire bien-tot gil[l]e,
Dieux ! que ma fortune est fragile.
Mon regne n’est plus dans Paris,
Il n’est plus que dans les écrits,
Il n’est qu’en vers, il n’est qu’en Prose,
Enfin la fronde est peu de chose.
Il me faut retirer de Caen,
Du Pont de l’arche, de Roüen,
Sans penser au Havre de grace.
Ah ! si i’eusse pris cette place,
Quel desordre n’aurois-je fait ?
Vous empéchastes cét effet,
[p. 9] Et vostre prompte diligence
Tout à coup fit tourner ma chance :
Diep[p]e ne vous fit pas grand-peur,
Dont il m’est restè mal au cœur,
Si grand que i’ay receu nazarde
En tous lieux méme à Bellegarde,
D’où ie sortis à petit bruit ;
Et faisant chemin iour & nuict
Par le Poitou, par la Turenne.
Ie suis arriuée à grand’ peine,
En lieu qui ne souffre le nom,
Ny son Altesse d’Espernon,
Lieu satisfait de ma presence,
Mais plus content de vostre absence.
Lieu, qui promet pour mon support
De mettre en armes tout le Nort :
Et d’employer l’Espagne méme.
Cette ardeur qui va dans l’extreme,
Me pousse à mépriser l’effort
Du feu, du fer, & de la mort.
Ie cours aueuglement aux armes,
Des Bourgeois j’en fais des gendarmes,
Ie couure de fer l’artisan,
Et j’engage le Courtisan
A delaisser sa bien-aymée.
Le president est chef d’armée,
Le conseiller monte a cheual,
L’Aduocat se fait Caporal,
[p. 10] Le procureur n’a plus memoire
Du papier ny de l’écritoire,
Le Notaire deuient Sergent
Les Clercs mettent la plume au vent ;
Saison miserable & funeste
Pour le Code & pour le Digeste !
Tunc non cedunt arma Togæ,
Il n’est pas jusques au Clergé
Qui ne soit de cette partie,
L’aumusse en sabre est conuertie,
Le breuiaire se pend au croc,
Et le moine quitte le froc :
La Ville d’ardeur animée
Fait montre d’vne affreuse armée ;
Car quand il s’agit du foyer
Mars fait fronder tout le quartier.
Moy, de commune intelligence
A son bras ie joins ma vaillance.
Illa ego, quæ Goliat
D’vn seul coup renuersay tout plat,
Moy, qui jadis à coup de pierre
Fis grand’ peur au Lance-tonnerre,
Quand ie mis les armes en main,
A ces monstres du genre humain,
A cette race Gigantique,
Qui voulut aux Dieux faire nique :
Moy, qui seruis dans Ilion
D’engin funeste à maint pion,
[p. 11] Fracassant bras, jambes, & teste
Auec la cousine Arbaleste.
Auec mon secours les Romains
Ont subjugué Gaulois, Germains
Espagne, Sicile, Libye,
L’Europe, l’Afrique, l’Asie.
C’est moy, qui bien mieux que le fer
Tant de fois les fis triompher.
C’est moy, qui partageois la Gloire,
C’est moy, qui donnois la Victoire,
C’est moy, qui viens auecque Mars
Aujourd’huy garder vos remparts :
Icy i’exerce les communes :
Là ie fais dresser demy-lunes,
Bâtir des forts, creuser fossez,
Traîner canon de tous costez.
Tantôt j’entre en l’Isle saint George
Où ie coupe à maints preux la gorge,
En tous lieux combat est rendu,
Bien attaqué, bien deffendu,
Ie fais le diable sur la bréche,
Mes soldats font de tout bois fleche,
Ie fais la peste à saint Surin,
Ie deffends mes murs : mais enfin,
Apres auoir fait la fadaise,
Ie suis en verité bien-aise
D’entrer en composition ;
Car déja l’apprehension,
[p. 12] Que le Bourgeois a du pillage
Abbat de beaucoup son courage ;
Et le desir de vendanger
L’oblige a fuïr le danger.
D’vne voix que l’on quiert l’Amnistie,
Et tous demandent ma sortie :
Aussi tôt dit, aussi tôt fait,
Adieu, la Fronde est sans effet.
A Bourdeaux d’Octobre le quatre [4/10/1650],
L’An que l’on batit comme plâtre,
Le pauure Faubourg saint Surin,
Dont il ne reste pas un brin.
Et l’an que LOVIS quatorziéme,
Digne fils de LOVIS treiziéme,
Malgré Mars & le Dieu des eaux
Demeura dix jours dans Bourdeaux,
L’an qu’on vit promener la Reyne,
Sur Garonne, comme sur Seine :
L’an que le Duc d’Anguien fronda,
Pour faire sortir son Papa ;
Et qu’il fit voir que le courage
De Condé n’étoit tout en cage :
L’an qu’est né le Duc de Valois [1650-1652?],
Qui sera l’honneur des Gaulois ;
L’an qu’au bien de toute la France,
On voit fleurir vostre Eminence ;
Et qu’elle donrra pour jamais
Vne longue & heureuse paix.
♦
Commentaire :
S’il avait eu connaissance de cette pièce mazarine, Célestin Moreau l’aurait peut-être lapidairement commentée d’un : aussi mauvais que rare. En effet, même si nous pouvons aujourd’hui leur trouver des qualités et un intérêt historique, ces vers ne se distinguent ni par leur style poétique ni par le piquant de leur sujet.
Le narrateur de L’Adieu… est une personnification de la Fronde qui se remémore quelques bons moments, quelques-unes des raisons de sa naissance mais s’autocritique avant de tirer son chapeau devant le cardinal…
Le dernier paragraphe, celui de la date à apposer avec la signature, fait mine d’en faire mystère. Il oblige les contemporains à se souvenir de quelques événements de leur actualité récente et il propose aux historiens de croiser quelques données issues des parcours du roi, de la reine, du Grand Condé et de son fils ainsi que de Mazarin lui-même – dont l’auteur ignore la fuite prochaine… Ce sont ces bornes en amont et en aval qui permettent de proposer la date de 1650 : pendant la prison des Princes (janvier 1650) et avant leur libération (février 1651).