Dans le cadre d’aide documentaire fixé par les RIM dès 2010, nous publions ci-dessous l’appareil de présentation proposé par Hubert Carrier dans les deux tomes formant La Fronde… 52 mazarinades qu’il avait publiés en 1982, soit la préface de l’ensemble, l’introduction du tome 1 et celle du tome 2. (P. Rebollar, décembre 2022.)
La Fronde, contestation démocratique et misère paysanne.
52 Mazarinades
présentées par Hubert Carrier (Sorbonne),
Paris, EDHIS, [1982], 2 tomes.
[p. I] PRÉFACE
En publiant ce recueil de Mazarinades, on a essentiellement cherché à faciliter une nouvelle approche de la plus grave crise politique, morale et sociale qu’ait connue la France au XVIIe siècle et qui nous reste encore mystérieuse à tant d’égards : la Fronde.
Si, de tous les documents – très nombreux – qui nous sont parvenus de cette période tourmentée, les Mazarinades ont été les moins utilisées par les historiens, cela tient surtout, à deux raisons essentielles.
La première réside dans les innombrables obstacles matériels ou externes auquels se heurte le chercheur : formidable quantité des libelles – plus de cinq mille pamphlets imprimés entre l’arrêt d’union des cours souvenaires (13 mai 1648) et la paix de Bordeaux (31 juillet 1653) –; leur relative rareté et leur décourageante difficulté d’accès, faute de catalogues bien faits dans la plupart des bibliothèques qui en possèdent ; enfin les redoutables problèmes d’attribution et de datation que soulèvent la plupart d’entre eux.
La seconde raison est d’ordre interne : elle tient au fait que les Mazarinades sont de nature à susciter la méfiance légitime, voire la suspicion de l’historien. Quel crédit, en effet, accorder à des libelles tendancieux, sinon franchement mensongers, à des textes polémiques cherchant à imposer une interprétation personnelle ou orientée des faits plutôt qu’à en rendre compte objectivement, [p. II] à des « pièces volantes » écrites à la hâte dans le feu de l’action et le tourbillon des événements, répandant pêle-mêle ragots et informations sérieuses, rumeurs et nouvelles authentiques, visant à susciter, à nourrir, à exploiter toutes les passions ? Comment, pour écrire une histoire impartiale de la Fronde, ne pas préférer à des textes aussi douteux et dangereux les irrécusables documents d’archives et les pièces officielles ? Comment ne pas réserver sa confiance aux témoignages des « journaux » contemporains tels que ceux de Dubuisson-Aubenay, de Jean Vallier, d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, et même à ces nombreux Mémoires que nous ont laissés non seulement les acteurs de premier plan comme Retz et La Rochefoucauld, Mademoiselle et Turenne, Molé et Talon, mais aussi les comparses, les secrétaires et les confidents, Guy Joly et Gourville, Lénet et Goulas, Conrart et Mme de Motteville ?
Et pourtant, à condition de prendre avec elles les indispensables précautions qu’exige leur nature particulière, les Mazarinades apportent à l’historien de la Fronde quelque chose d’irremplaçable : elles lui permettent de suivre au plus près, jour après jour, l’évolution de l’opinion publique.
Ce que nous appelons pour simplifier « la Fronde » – et que les contemporains, en employant significativement un pluriel, nommaient des « mouvements » – a été en réalité une suite quasi ininterrompue de guerres civiles se greffant les unes sur les autres : d’abord la « guerre de Paris » de janvier à mars 1649, avec ses prémices de 1648 et le lent apaisement des esprits entre la paix de Saint-Germain qui mit fin au blocus de la capitale par l’armée royale (1er avril 1649) et le retour de la Cour à Paris (18 août) ; puis les divers soulèvements dans les provinces agitées par les grands après l’emprisonnement des Princes (18 janvier 1650), qui obligèrent la Cour à plusieurs expéditions de pacification en Normandie (février), en Bourgogne (mars-avril) et surtout en Guyenne, où la « guerre de Bordeaux », commencée en mai, ne s’achèvera que fin septembre ; enfin, de loin la plus longue, la plus acharnée, celle qui accumula le plus de ruines et engendra les pires misères, la guerre qui opposa les Princes au gouvernement royal depuis la proclamation de la majorité de Louis XIV (7 septembre 1651) jusqu’à la paix de Bordeaux (31 juillet 1653). Donc, en l’espace de cinq ans, trois grands confilts ouverts, séparés par des intervalles [p. III] que les contemporains eux-mêmes regardaient plutôt comme des trêves que comme de véritables périodes de paix, tant les esprits restaient échauffés, les partis divisés, les individus et les corps prompts à la révolte et à la sédition.
Or qu’est-ce qui emporte la décision et finit par donner la victoire à un parti dans une guerre civile ? Tous les exemples de l’histoire, y compris de l’histoire récente, le montrent : ce n’est ni le nombre ou la qualité des combattants, ni le poids de l’appareil d’État, ni la puissance de l’argent, ni même l’étendue des clientèles ou la valeur personnelle des chefs : c’est l’opinion publique. Pour ne prendre que cet exemple, l’échec final de la Ligue et la victoire des « Politiques » à la fin du XVIe siècle s’expliquent moins par les victoires d’Henri IV en elles-mêmes que par leur retentissement dans l’opinion française, c’est-à-dire par un progressif revirement et une lassitude croissante du public devant des troubles qui s’éternisent au seul profit de l’étranger et au détriment de toutes les couches de la société. On ne comprends pas vraiment une guerre civile tant qu’on ne l’étudie pas pour ainsi dire de l’intérieur, tant qu’on n’accorde pas la plus grande attention aux doctrines, aux idées et aux formes de sensibilité qui se sont librement exprimées, en particulier dans la presse ; car pour qui veut ausculter l’opinion publique, en suivre les mouvements, en percevoir l’évolution et mesurer exactement les forces et les courants qui la travaillent, rien n’égale les libelles, puisque ce sont eux qui la traduisent et souvent même la façonnent. Pour l’historien qui cherche à savoir quels problèmes ont le plus préoccupé les contemporains de la Fronde, dans quels termes ils les formulaient, entre quelles solutions ils se partageaient, pour celui qui s’interroge sur la manière dont ils ont perçu et vécu les événements, jugé les hommes et critiqué la société de leur temps, les Mazarinades constituent à l’évidence, autant et peut-être plus que les Mémoires et les correspondances, une source de premier plan.
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Devant ce déluge de libelles, le chercheur d’aujourd’hui ne se trouve pas totalement démuni. Grâce aux travaux d’un archiviste du siècle dernier, il dispose d’abord d’un guide sans lequel il ne [p. IV] pourrait pas seulement plonger à s’aventurer dans le maquis des pamphlets de la Fronde : la Bibliographie des Mazarinades publiée en trois volumes par C. Moreau pour la Société de l’Histoire de France en 1850-1851, et réimprimée à New York en 1967 aux Editions Johnson Reprints. Certes, ses étroitesses de goût, ses partis pris politiques, qui portent la marque de l’époque, et surtout ses nombreuses erreurs matérielles et ses graves lacunes (qui n’ont été que partiellement comblées dans les divers Suppléments parus plus tard) ont rendu nécessaire le remplacement de ce livre : c’est pourquoi, parallèlement à ma thèse en voie d’achèvement sur les libelles de la Fronde, je travaille à une Bibliographie historique et critique des Mazarinades ; mais il n’en demeure pas moins, à ce jour, l’unique et indispensable ouvrage de référence en la matière.
L’historien dispose aussi d’un certain nombre de reproductions modernes de ces pamphlets. La sélection de loin la plus abondante et la plus représentative est le Choix de Mazarinades, en deux volumes, dont Moreau fit suivre sa Bibliographie (Société de l’Histoire de France, 1853 ; réimpression en 1965 aux Editions Johnson Reprints) : près de cent libelles, incontestablement parmi les meilleurs ou les plus importants, réalisant un juste équilibre entre les divers partis, les courants de pensée et les genres littéraires, entre pièces sérieuses et pièces burlesques, entre prose et poésie, reflétant à peu près le rythme de la production réelle avec un volume pour la première Fronde (1648-1649) et un autre pour la Fronde des Princes ; bref, une sélection remarquable, faite avec esprit critique, goût et discernement, et dont on peut se féliciter que, grâce à sa récente réimpression américaine, elle demeure aujourd’hui encore accessible. Car la plupart de celles qui la suivirent dans la seconde moitié du XIXe siècle pour la compléter – Moreau ayant paru à certains excessivement pudique et sérieux – ne connurent qu’un tirage tout à fait confidentiel qui les a depuis longtemps rendues aussi introuvables que les originaux : le volume de Pièces désopilantes qui réunit en 1866 les quinze mazarinades les plus obscènes ne fut tiré qu’à 150 exemplaires, et le recueil de dix-neuf libelles publié par Gustave Brunet l’année suivante sous le titre de La Pure vérité cachée et autres mazarinades rares et curieuses à 106 exemplaires seulement.
Mais si judicieux que puisse paraître le choix opéré par Moreau, [p. V] il est vrai qu’il reflète les opinions conservatrices de son auteur et que ce dernier n’a pas cru devoir reproduire, en ces lendemains troublés de la révolution de 1848, les mazarinades les plus hardies, les plus violentes, les plus insolentes ; vrai aussi que les curiosités et la sensibilité historique d’un homme du Second Empire ne sont plus exactement les nôtres et qu’on peut l’accuser d’avoir négligé tout un côté des Mazarinades qui retient naturellement l’attention d’un homme de notre époque : ainsi, les libelles exprimant la contestation politique la plus radicale ou laissant transparaître des aspirations ouvertement démocratiques, ceux qui touchent aux problèmes de société, qui dénoncent les exactions fiscales, montrent la misère paysanne, la désolation des campagnes et la ruine du commerce, enfin ceux qui s’attaquent à l’organisation sociale elle-même.
Certes, bien loin de refléter fidèlement l’opinion générale, ces mazarinades-là en représentent plutôt une limite, et l’on commettrait le pire des contresens en confondant les prises de position extrêmes de folliculaires illuminés comme Davant ou intéressés comme Dubosc-Montandré, le pamphlétaire de Condé, avec le sentiment commun du public. Car privilégier comme l’ont fait certains historiens ces mazarinades « radicales » en les tenant pour de fidèles miroirs de l’opinion de la foule bâillonnée par la censure et monter en épingle les libelles les plus hostiles au régime monarchique sous prétexte qu’ils seraient les seuls à laisser entrevoir les sentiments encore plus hardis du peuple, c’est une extrapolation arbitraire, tendancieuse et dangereuse. En effet, la censure et la répression, très difficiles dans la pratique et le plus souvent impuissantes, n’ont pu s’exercer que de façon tout à fait épisodique ; et pendant les périodes de plus grande effervescence comme le blocus de 1649 et presque toute l’année 1652, la presse a joui de la plus totale liberté effective. Les positions et les attitudes qu’une exploration systématique et exhaustive des Mazarinades révèle isolées et exceptionnelles ne le sont donc pas pour des raisons accidentelles, mais bien parce que ce n’était pas celles de l’immense majorité de l’opinion.
Elles n’en demeurent pas moins intéressantes, et importantes à plus d’un titre : il était donc utile de les rendre enfin, à condition qu’il n’en tire pas de conclusions indues, accessibles à l’historien [p. VI] des idées politiques, des institutions, des mœurs ou des mentalités.
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On ne s’étonnera pas qu’ait été délibérément écartée d’un recueil exclusivement consacré aux idées politiques, économiques et sociales toute mazarinade offrant un intérêt uniquement ou spécifiquement littéraire, comme les excellentes pièces satiriques de Scarron et de Blot, de Marigny et de Saint-Évremond, de Retz et de Sarasin : Cyrano lui-même n’y trouve place avec son Ministre d’État flambé que parce que c’est l’un des pamphlets qui illustrent le mieux le marasme des affaires et la cessation du commerce à Paris pendant le blocus. Qu’on n’y cherche pas non plus de pièces gouvernementales. Non qu’il n’y en ait pas eu : en y comprenant les lettres et déclarations royales, les brochures favorables à la Cour ou émanant d’elle atteignent le chiffre de six cents, soit 11,5 % de l’ensemble des publications de la Fronde, ce qui peut paraître faible, mais enfin n’est pas nul. Ni que cette propagande officielle soit mal faite ou dénuée d’intérêt : on y trouve au contraire nombre des meilleurs pamphlets, des plus habiles et des mieux écrits. Mais d’une part il ne pouvaient entrer dans la perspective d’un recueil axé sur la contestation démocratique ; et de plus, en raison même de la qualité de beaucoup d’entre eux, Moreau leur avait déjà, plus largement que n’exigeait leur importance numérique, ouvert l’accès de son Choix.
Même dans un recueil aussi orienté que celui-ci, le problème principal, on s’en doute, consistait à choisir, c’est-à-dire, au prix d’éliminations successives, à faire coïncider le moins mal possible le souhaitable et le raisonnable, à concilier le désir de reproduire la plus grande quantité de ces textes rares et curieux avec les limites imposées par les contraintes de l’édition. C’est la raison pour laquelle je me suis finalement arrêté à cinquante-deux mazarinades. Quantité appréciable : aucun recueil postérieur à celui de Moreau n’allait jusqu’à vingt, et avec quelque neuf cents pages d’une typographie plus serrée, ces cinquante-deux mazarinades constituent un ensemble de textes plus étendu que n’en proposait Moreau. D’autre part, une longue pratique de ces libelles me permet de [p. VII] donner au lecteur l’assurance formelle qu’aucune pièce d’importance vraiment capitale pour ce corpus n’en a été écartée, à la seule réserve de celles qui se trouvaient exclues par leur dimension. Car il reste que, même en se limitant à un domaine précis, il a fallu sacrifier, en raison de leur volume, quelques mazarinades essentielles : pour comprendre l’opposition des milieux parlementaires et de l’ensemble de la bourgeoisie d’offices aux progrès de l’absolutisme et à la politique de Mazarin, peu de pamphlets sont aussi éclairants, aussi complets, aussi convaincants que le Recueil de maximes de Claude Joly ; mais quel que soit son intérêt pour une bonne intelligence de la Fronde et son importance dans l’histoire des idées politiques au XVIIe siècle, ses 508 pages lui ôtent toute chance de pouvoir jamais figurer dans une anthologie ; Le Politique universel, qui résume très clairement, dans les dernières semaines des troubles, l’essentiel des thèses frondeuses, a dû lui aussi être écarté à cause de ses quelque deux cents pages ; et de même encore, je ne connais guère de textes contemporains qui jettent une lumière aussi vive sur la nature, la portée et l’esprit même de la seconde Fronde que la fameuse Apologie pour Messieurs les Princes écrite par Sarasin en collaboration étroite avec Mme de Longueville réfugiée à Stenay en 1650 ; mais pour pouvoir reproduire ce pamphlet d’une centaine de pages, combien d’autres aurait-il fallu éliminer ? Dans ce dernier cas au moins, on se consolera à l’idée que le lecteur peut en trouver le texte dans l’édition complète des Œuvres de Sarasin procurée en 1926 par Paul Festugière ; mais pour Claude Joly, force est de renvoyer aux éditions du XVIIe siècle (1652, 1653, 1663), qui toutes les trois sont rarissimes.
À l’égard du Choix de Moreau, j’ai tenu à conserver la plus grande liberté et n’ai pas cru devoir m’interdire la reproduction de libelles qu’il avait déjà accueillis dans son recueil ; d’abord parce que celui-ci, même après sa récente réimpression, reste encore relativement peu répandu ; et surtout parce que les spécialistes n’auraient pas compris, et avec raison, qu’un corpus de mazarinades choisies pour la virulence ou la pertinence de leur contestation ne contienne pas, par exemple, la célèbre Lettre d’avis de 1649 ou La Vérité toute nue publiée par Arnaud d’Andilly en 1652 ; mais bien entendu, une certaine prudence s’imposait dans [p. VIII] ces recoupements, et je les ai volontairement limités à neuf pièces, soit moins d’un cinquième de ce recueil.
En revanche, j’ai estimé nécessaire de donner beaucoup plus largement que n’avait fait mon prédécesseur la parole aux pamphlétaires les plus marquants ou les plus féconds, à ceux qui ont réellement influencé l’opinion publique : alors qu’il n’avait proposé à ses lecteurs aucune mazarinade de François Davant, ce singulier autodidacte « monté » à Paris de son Armagnac natal quelques années avant la Fronde, qui composa une vingtaine de libelles en 1650-1651, ni de Louis Machon, l’ancien pensionnaire de Séguier, apologiste de Machiavel, et une seule des quelque cinquante pièces que publia Dubosc-Montandré pour le parti des Princes pendant la seconde Fronde – encore est-ce par hasard et ne l’eût-il peut-être pas fait s’il avait identifié La Vérité prononçant ses oracles sans flatterie comme l’œuvre d’un pamphlétaire de Condé, qu’il tenait pour un piètre théoricien et un méchant écrivain –, je n’ai pas hésité pour ma part à reproduire les deux mazarinades les plus hardies du premier, les deux plus importantes du second par les thèses développées et leur retentissement considérable dans le public, les deux plus violentes du dernier (les seuls libelles de 1652 à avoir été condamnés au feu par arrêt du Parlement), ainsi qu’une troisième pièce antérieure d’un an dans laquelle Montandré propose une réflexion originale sur la stratification sociale de son temps.
Enfin je n’ai pas cru pouvoir former un recueil des mazarinades les plus contestataires sans y faire entendre la voix du plus « radical » des courants politiques de la Fronde, l’Ormée. Dans la perspective beaucoup plus large et globale qui était celle de Moreau, ce n’était nullement nécessaire, parce que l’Ormée n’a pas produit une seule pièce vraiment bonne : autrement plus violentes et vigoureuses que les siennes sont les mazarinades parisiennes du printemps et du début de l’été 1652 qui s’inspirent ouvertement de son exemple, comme La Mercuriale ou Le Guide au chemin de la liberté. Mais enfin il n’eût pas été juste de ne citer aucun libelle bordelais dans une anthologie telle que celle-ci, et les deux courts pamphlets ormistes reproduits donneront au lecteur une idée du processus révolutionnaire qui s’est développé en 1652 dans la capitale de la Guyenne et des réformes de structure exigées par la petite bourgeoisie [p. IX] et le peuple de Bordeaux. Aucune mazarinade provençale, en revanche, ne m’a paru assez significative ou originale pour figurer dans ce recueil : le débat opposant le parlement d’Aix au comte d’Alais, gouverneur de la province, ne s’est jamais élevé au-dessus d’une lutte d’influence strictement locale et n’a revêtu à aucun moment une importance vraiment nationale.
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Pour rendre plus aisée la consultation de ce recueil, il a paru souhaitable de distinguer la contestation proprement politique et l’expression des idées démocratiques, auxquelles est consacré le premier volume, des réflexions critiques concernant les problèmes économiques et l’organisation sociale, qui seront réservées au second. Naturellement, cette distinction ne pouvait avoir une rigueur absolue : il va de soi que les pamphlétaires qui expriment une opposition de caractère politique ne se sont pas pour autant interdit toute incursion dans le domaine économique et social, et vice versa. Cependant cette répartition n’est pas aussi arbitraire qu’il pourrait paraître, et l’on verra qu’elle correspond dans l’ensemble à une réalité ; de plus, j’ai pris soin d’éviter les inconvénients qui pourraient en résulter pour le lecteur pressé en proposant à la fin du second volume un index des principaux thèmes abordés : ainsi, nul risque de laisser échapper une page, voire un paragraphe de caractère économique ou social isolés dans une argumentation d’ordre politique, ou inversement.
De plus, pour faciliter les rapprochements souhaitables et donner à ce recueil plus d’ordre et de clarté, j’ai distribué les mazarinades en plusieurs sections à l’intérieur de chaque volume. Deux sections se partagent le premier : le refus de l’absolutisme monarchique et les thèses libérales de la Fronde parlementaire d’une part ; aspirations démocratiques, violence et révolution d’autre part. Le second volume, plus divers dans son objet et d’une matière plus complexe, se divise en quatre grandes masses : d’abord les mazarinades illustrant « la foule du peuple » et les exactions fiscales ; puis celles qui dénoncent la misère paysanne et la ruine des campagnes ; en troisième lieu, les libelles traitant des difficultés du petit et du grand commerce ; enfin ceux qui décrivent ou critiquent les structures [p. X] sociales et proposent des réformes dans ce domaine. À l’intérieur de chacune de ces grandes sections, c’est l’ordre chronologique qui a été adopté ; il obligeait certes à dater le plus précisément chacune des mazarinades reproduites, féconde et redoutable exigence ; mais c’était le seul ordre qui ne fût pas arbitraire, le seul aussi qui permît parfois d’appréhender une évolution des esprits au cours de la Fronde même.
Une dernière difficulté tenait à la reproduction photographique des éditions originales. S’il offre l’incontestable avantage de remettre sous les yeux du lecteur moderne sans aucune altération ou transformation le texte même que pouvaient lire jadis les hommes du XVIIe siècle, ce procédé présente dans le cas particulier des Mazarinades l’inconvénient d’en reproduire toutes les coquilles. Or ces libelles ont été souvent imprimés à la hâte et de nuit pour tromper plus aisément la vigilance de la police et permettre la diffusion dans les rues par les colporteurs dès le lever du jour. On imagine aisément le résultat que devaient entraîner de telles conditions de travail, à la chandelle, sans corrections ni de l’auteur ni de l’imprimeur ; et de fait, certaines mazarinades fourmillent de coquilles grossières, de fautes élémentaires de lecture, de noms propres estropiés, de vers défigurés, de ponctuations aberrantes rendant parfois des phrases entières inintelligibles. C’est pourquoi, ne pouvant intervenir sur le texte original, j’ai jugé indispensable de faire suivre les mazarinades d’un appareil de notes réduit à l’essentiel, c’est-à-dire destiné à rétablir le sens chaque fois que le lecteur pourrait s’y tromper, à restituer les noms propres et à identifier les personnages cités, enfin à éclairer toutes les allusions à des faits précis ou à des bruits présents à l’esprit des contemporains, mais que même un excellent connaisseur de la Fronde pourrait parfaitement ignorer aujourd’hui.
Cet appareil de notes se placera à la fin de chaque volume ; on trouvera en outre, en appendice au tome second, une rapide chronologie de la Fronde, destinée à rappeler les points de repère essentiels, et des index des noms de personnes, de lieux, et des principaux thèmes et des matières traitées.
[p. 1] INTRODUCTION [du tome 1]
Ce premier volume est consacré à l’opposition spécifiquement politique et à l’expression d’idées que l’on pourrait appeler « démocratiques », bien que le mot ne soit guère employé par les contemporains. Il propose au lecteur trente mazarinades d’esprit et de style assez différents, mais qui ont en commun le refus d’une politique jugée tyrannique, surtout venant d’un ministre étranger et pendant la minorité du Roi, dangereuse pour l’équilibre des institutions de la monarchie, ruineuse pour les particuliers, accablante pour un peuple écrasé d’impôts et livré sans défense aux exactions des partisans.
un premier groupe de cinq libelles publiés pendant ou immédiatement après le blocus de Paris offre une synthèse des principaux arguments opposés par les Frondeurs à l’absolutisme monarchique et à la pratique du « ministériat ».
Le Contrat de mariage, paru en février 1649, présente sous la forme originale d’un contrat en cinquante-quatre articles, sorte de plateforme revendicative commune au Parlement et à l’Hôtel de Ville, le programme politique de la Fronde parlementaire. C’est donc une pièce d’une importance capitale, qui fut d’ailleurs largement diffusée jusque dans les provinces les plus éloignées et connut un grand retentissement.
La Lettre d’avis à Messieurs du Parlement de Paris a été écrite par Jean Beaudeau, marquis de Clanleu, gouverneur de Château-Chinon, pendant la première quinzaine de mars, c’est-à-dire au [p. 2] moment précis où une délégation parlementaire était en train de mener à Rueil de difficiles négociations avec la Cour. C’est précisément contre ces négociations que s’élève la Lettre d’avis, qui exprime le point de vue des Frondeurs les plus engagés, de ceux qui refusaient tout compromis avec le Mazarin et préféraient à un mauvais accommodement la poursuite de la guerre civile. La Lettre d’avis est le modèle de ces pamphlets sérieux et documentés que le bibliothécaire de Mazarin, Gabriel Naudé, qui les collectionnait pour les réfuter ensuite dans son Mascurat, appelle des « pièces soutenues et raisonnées ». L’auteur développe avec beaucoup de rigueur dans la pensée et de fermeté dans le style les thèses des pamphlétaires calvinistes du siècle précédent et des théoriciens libéraux du premier quart du XVIIe siècle (notamment Loyseau) contre l’absolutisme monarchique : que le pouvoir des rois est limité par les anciens usages du pays et que l’origine de toute souveraineté réside dans le peuple ; que le Roi n’est le maître absolu ni de la vie ni des biens de ses sujets et que les Français ne sont pas taillables et corvéables à merci ; enfin qu’un simple ministre n’a aucun droit, surtout dans une minorité, à exercer dans sa plus grande rigueur la plénitude de l’autorité royale. Il élève la plus ferme protestation contre « l’esclavage » où la tyrannie de Richelieu et surtout de Mazarin a réduit la France, contre la pression fiscale devenue insupportable à un peuple misérable, contre les exactions des intendants et des partisans, contre la vénalité des offices. Dernier rempart de la liberté française contre le despotisme, le Parlement ne peut pas traiter avec un ministre discrédité, un voleur, un homme sans foi qu’il a lui-même déclaré par arrêt perturbateur du repos public. Cette vigoureuse mazarinade, qui connut un vif succès et fut le point de départ d’une ardente polémique entre pamphlétaires, est l’un des textes les plus importants de la Fronde, un de ceux qui ont assuré le relais entre la pensée politique du temps d’Henri IV et les écrivains libéraux contemporains de la « crise de la conscience européenne » – un Jurieu, un Fénelon, un Vauban, un Boulainvilliers – dont la réflexion servira à son tour de tremplin aux Lettres Anglaises, à L’Esprit des Lois et au Contrat social.
L’Épilogue, ou le dernier appareil du bon citoyen sur les misères publiques est la suite du Manuel du bon citoyen, autre bonne pièce [p. 3] parue en mars, pendant la conférence de Saint-Germain. L’Épilogue est des derniers jours du mois : la paix était pratiquement acquise. C’est un résumé très clair et très éloquent des thèses les plus avancées de la Fronde parlementaire sur la souveraineté populaire et l’idée de contrat. L’auteur anonyme s’inspire visiblement des meilleurs libelles calvinistes des guerres de religion, notamment de la France-Gaule de François Hotman et des Vindiciae contra tyrannos de Duplessis-Mornay.
Le libelle reproduit ensuite, Que la voix du peuple est la voix de Dieu, a été composé au début de mai, après le départ de la Cour pour le théâtre d’opération des Flandres, en réponse à une autre mazarinade intitulée Question : Si la voix du peuple est la voix de Dieu. La position adoptée par l’auteur dans cette sorte de remontrance à la Reine est plus nuancée que ne le laisse entendre son titre : à ses yeux, c’est lorsque le peuple appelle de ses vœux le retour du Roi que sa voix est celle de Dieu lui-même et qu’il devient par conséquent téméraire et presque sacrilège d’y résister.
Enfin le Discours chrétien et politique de la puissance des rois met en évidence les bases théologiques et scripturaires de beaucoup de pamphlets libéraux de la première Fronde. Raymond Céleste a cru jadis pouvoir donner ce libelle à Machon, l’ancien pensionnaire de Séguier (Louis Machon, Nouvelles recherches, Bordeaux, 1883, pp. 48-49) ; mais cette attribution ne repose sur aucun fondement, et la condamnation formelle de Machiavel et du machiavélisme par laquelle se termine ce Discours interdit absolument de le donner à l’auteur de l’Apologie pour Machiavelle.
Les six mazarinades suivantes forment un second groupe homogène : elles appartiennent toutes à la phase finale de la Fronde des Princes et s’échelonnent des derniers jours de 1651 à l’été 1652. Ce n’est pas, bien entendu, que cet affrontement entre la Cour et les Princes, latent depuis l’été 1649, et devenu conflit ouvert avec l’arrestation de Condé, de son frère Conti et de son beau-frère Longueville le 18 janvier 1650, n’ait pas suscité de bonnes pièces et pendant leur détention en 1650 et après leur libération et l’exil de Mazarin en février 1651. Mais il faut attendre la proclamation de la majorité de Louis XIV, le 7 septembre, la rébellion ouverte de Condé et la nouvelle guerre civile qu’elle provoque, à partir [p. 4] du mois d’octobre, pour voir les pamphlétaires reposer les problèmes essentiels de la nature et des limites de la puissance royale et exprimer des réflexions originales sur le fonctionnement des institutions de la monarchie.
Seule la première de ces six mazarinades reflète fidèlement le point de vue du parti des Princes sur la question essentielle de la participation des princes du sang au gouvernement tant que le Roi, même majeur, n’est pas encore en âge de prendre lui-même en main les rênes du pouvoir : car il est clair qu’un souverain de quatorze ans ne saurait exercer seul la plénitude de l’autorité monarchique, et que par conséquent la puissance royale devient alors en quelque sorte collégiale et que sa légitimité se fonde sur le consensus des princes de sa famille et des parlements. C’est la thèse brillamment défendue par la Défense de Monsieur le Prince. Cette mazarinade rarissime, qui a échappé jusqu’ici à tous les bibliographes et dont on ne connaît que deux exemplaires, est une riposte à l’enregistrement par le Parlement, le 4 décembre 1651, de la déclaration royale du 8 octobre contre les Princes. Elle a le mérite de mettre en pleine lumière les véritables griefs de Condé contre la Cour, qui n’ont pas toujours été bien compris ni exactement appréciés par les historiens de la Fronde. Elle porte un achevé d’imprimer – fait tout à fait exceptionnel pour une mazarinade – en date du 26 décembre et le chiffre de Gilbert Vernoy, imprimeur à Bergerac : ce qui veut dire qu’elle a dû être composée dans l’entourage même de Condé, alors en Périgord, ou du moins imprimée par ses soins.
Peu de temps après a paru, dans les premières semaines de 1652, d’abord à Bordeaux, puis dans une édition parisienne, le Discours politique sur le tort que le Roi fait à son autorité en ne faisant point exécuter les déclarations contre le cardinal Mazarin. Ce remarquable pamphlet, habile et bien écrit, a été composé au moment où Mazarin rentrait en France avec une petite armée, commandée par le maréchal d’Hocquincourt, malgré les déclarations royales et les arrêts du Parlement, et traversait tout le pays pour rejoindre la Cour, alors à Poitiers. Bien entendu, le cardinal ne revenait pas sans avoir été rappelé par Anne d’Autriche et Louis XIV : mais on pouvait l’ignorer – ou feindre de l’ignorer –, puisque ce rappel n’avait eu aucun caractère officiel et que les [p. 5] déclarations et arrêts antérieurement publiés contre lui, n’ayant pas été rapportés, conservaient juridiquement toute leur vigueur. Louis XIV n’avait-il pas inauguré sa majorité, quatre mois plus tôt, en renouvelant solennellement les déclarations précédentes contre son ministre ? En le rappelant maintenant, le Roi devient en quelque sorte parjure devant la nation et à la face de toute l’Europe, il ruine cette confiance réciproque entre le souverain et ses sujets qui est le ciment de la monarchie et légitime a posteriori la rébellion armée des Princes.
Les Véritables maximes du gouvernement de la France furent publiées en mars et connurent aussitôt un immense retentissement. Elles sont l’œuvre de Louis Machon, archidiacre de Toul, qui était une créature de Séguier et avait été employé aux sceaux [Note 1 : En revanche, on a tout lieu de croire que la Suite des Véritables maximes, pièce très médiocre et d’un tout autre style, n’est pas du même auteur : elle n’avait donc aucun titre à figurer dans ce volume.]. Accusé de prévarication dans l’exercice de ses fonctions, il avait été incarcéré en novembre 1648 au Fort-l’Évêque, tandis que Charpy de Sainte-Croix était également condamné pour le même motif. Machon, qui ne cessa de protester de son innocence, fut finalement blanchi par arrêt du Parlement le 17 septembre 1652. L’erreur judiciaire dont il semble bien avoir été victime et la saisie de ses bénéfices ecclésiastiques, qui le laissait sans ressources, le jetèrent dans la Fronde : anonymement ou sous le pseudonyme de Souil de Cinq-Cieux, il publia dix mazarinades de 1650 à 1652, toutes très hostiles au pouvoir et favorables surtout au Parlement, à la vieille Fronde et à Gaston d’Orléans, à qui celle-ci est dédiée. Machon y démontre que le Conseil d’État a outrepassé ses droits en cassant par son arrêt du 18 janvier le fameux arrêt du Parlement du 29 décembre précédent qui mettait à prix la tête de Mazarin. La dénonciation de cet abus de pouvoir donne lieu à d’intéressants développements sur l’origine, l’évolution et les attributions respectives de ces deux assemblées ; aux yeux de Machon, le Parlement, abrégé des trois États du royaume, est de toute antiquité le véritable dépositaire de l’autorité royale et son consentement est nécessaire pour donner force de loi, par leur enregistrement, aux décisions du souverain, alors que le Conseil d’État, ou Conseil privé, ou Conseil d’en haut, n’est qu’une assemblée [p. 6] de particuliers, de conseillers personnels du Prince, qui ne forment pas un corps.
Les deux mazarinades suivantes, parues à quelques semaines d’intervalles, montrent bien comment la Fronde des Princes a fait rebondir le problème essentiel, déjà soulevé en 1649, des limites de l’autorité royale et de la puissance du peuple en face de celle du souverain, et de quelle façon des thèmes politiques caractéristiques de la Fronde parlementaire ont été « récupérés » et utilisés par la propagande du parti des Princes.
La première s’intitule Motifs des arrêts des parlements de France contre le cardinal Mazarin ; d’après l’édition hollandaise qui en fut faite à La Haye à la fin de la Fronde, elle parut le 13 avril 1652, au lendemain de l’arrivée triomphale de Condé à Paris, encore tout auréolé de sa victoire de Bléneau. Sous la forme d’une remontrance au Roi, elle rappelle les principaux griefs de l’opinion publique, qu’elle soit « parlementaire » ou « prince », contre le ministre : son incompétence et son incapacité, qui se sont traduites par une succession de négligences, de maladresses, d’erreurs et de fautes et ont poussé à bout le peuple, les princes et les parlements ; sa fourberie et sa duplicité ; le trafic honteux auquel il se livre de toutes les charges de l’État ; son ignorance du caractère français, des mœurs et des coutumes nationales ; et le pamphlet se termine par un vibrant appel à la suppression du « ministériat » et au gouvernement personnel du Roi. On sait comment Louis XIV y répondra à la mort de Mazarin.
La seconde, intitulée La Discussion des quatre controverses politiques et publiée en mai, n’est pas, comme l’avait cru le P. Lelong dans sa Bibliothèque historique de la France, l’œuvre du pamphlétaire en titre de Condé, Dubosc-Montandré, qui s’en défend expressément dans l’Avertissement au lecteur d’un de ses libelles, Le Coup de partie ; l’auteur est d’ailleurs, de son propre aveu, un régent de collège. Les quatre « controverses » qu’il traite sont de nature et de portée différentes. Les trois premières regardent les limites de la puissance royale : est-elle absolue ? le Roi est-il supérieur à la loi, autrement dit peut-il transgresser à sa guise les lois qu’il a lui-même édictées ? les États généraux ont-ils le pouvoir de régler l’autorité royale ? Ce n’étaient pas là questions purement rhétoriques au moment où Louis XIV venait de rappeler [p. 7] Mazarin malgré les arrêts donnés contre lui, et où une bonne partie de la noblesse recommençait à tenir des assemblées et à s’agiter pour arracher au gouvernement la réunion des États généraux tant de fois promis et toujours ajournés. La dernière question posée par ce libelle – à savoir si, dans la situation de confusion et de guerre civile qui est alors celle de la France, on peut, quoique le Roi soit majeur, nommer un Régent ou un Lieutenant général de l’État – est encore plus d’actualité : le but de l’auteur est de justifier en quelque sorte Gaston d’Orléans d’avoir pris en mains, le 14 mai, la « police » de la capitale ; et pour l’avenir, c’est un libelle qui prépare l’opinion à l’éventualité chaque jour plus probable d’un transfert légal de l’autorité royale au duc d’Orléans, qui se réalisera deux mois plus tard avec l’arrêt de Parlement du 20 juillet lui donnant la lieutenance générale du royaume.
Cette première section consacrée au refus de l’absolutisme monarchique se termine par celui de tous les libelles de la Fronde qui mérite peut-être le plus d’incarner ce refus : La Vérité toute nue. J’ai déjà eu l’occasion de montrer que cette remarquable mazarinade était d’Arnaud d’Andilly, alors le plus célèbres des « solitaires » de Port-Royal, qui était entré une première fois dans l’arène politique en faveur du Parlement pendant le blocus avec son Avis d’État à la Reine sur le gouvernement de sa régence (« Port-Royal et la Fronde : deux mazarinades inconnues d’Arnaud d’Andilly », Revue d’histoire littéraire de la France, 75e année, n° 1, janv.-fév. 1975). Composée à la fin de juin 1652, La Vérité toute nue ne fut publiée qu’au début d’août, après un mois de circulation en manuscrit sous le manteau. Un des premiers historiens de la Fronde, Mailly, l’a jugée « l’ouvrage le plus satisfaisant, le plus raisonnable qui soit sorti de la presse de ces temps d’extravagances » ; et Moreau déclare de son côté que c’est une pièce écrite « de bonne foi, sans passion et dans un véritable sentiment de patriotisme. » Sans passion partisane du moins, car Robert Arnaud est aussi sévère envers Condé qu’il l’est pour Mazarin, pour le Parlement ou le cardinal de Retz ; mais de la passion dans le meilleur sens du mot, c’est-à-dire un véritable accent de sincérité, une authentique ardeur patriotique, et même de la colère, de la véhémence, de l’indignation devant la somme d’erreurs politiques, de sordides calculs d’intérêts, de perversions morales, qui a causé la Fronde, [p. 8] La Vérité toute nue en regorge. C’est l’alliance de cette exceptionnelle chaleur de conviction, d’une grande perspicacité dans les analyses politiques et d’un style remarquable par sa puissance oratoire et son ironie cinglante, qui égale La Vérité toute nue aux meilleurs passages de la Satire Ménippée.
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La seconde section de ce volume, orientée vers les aspirations démocratiques, la tentation de la violence et l’idée de révolution s’ouvre sur un placard illustré à la gloire de Broussel. On sait que c’est l’arrestation de ce vieux conseiller, symbole de l’opposition parlementaire à la politique de Mazarin, qui a déclenché la fameuse « journée des barricades » (26-27 août 1648) et que sa libération sous la pression de la rue fut accueillie comme une grande victoire populaire. Aussi est-ce à destination du public populaire qu’un petit imprimeur de la montagne Sainte-Geneviève, Claude Morlot, mit sous la presse ce portrait gravé sur bois, dont Montglat nous apprend dans ses Mémoires qu’une première édition, intitulée Le Portrait de M. de Broussel, fut vendue dès son retour triomphal à Paris, le 28 août. Cette réédition au titre révélateur, Le Vrai portrait du père du peuple, datée du 15 octobre, atteste le durable succès de cette gravure de circonstance. On a reproduit en regard un autre bois populaire du début de 1649, la page de titre du Portrait du méchant ministre d’État (le titre seul, car la pièce elle-même n’offre pas d’intérêt) pour montrer le bénéfice que tira la propagande frondeuse de ces illustrations bon marché ; celle-ci, grossièrement imitée de la gravure sur cuivre de Balthazar Moncornet, prête au cardinal un air fourbe et dissimulé bien conformé à l’image qu’en donnent au même moment les mazarinades du blocus.
L’une des aspirations populaires qui se sont exprimées avec le plus de force pendant cette période du blocus, c’est que la France soit gouvernée par son Roi, ou par les princes de sa famille lorsqu’il ne peut le faire lui-même, et non par des « favoris ». Cette horreur du ministériat éclate dans un pamphlet particulièrement insolent et hardi, La France ruinée par les favoris, qui rappelle toutes les catastrophes, étrangères et domestiques, dont ils ont [p. 9] été directement ou indirectement la cause depuis l’époque mérovingienne jusqu’à Concini et Strafford.
Le Dialogue de Jodelet et de l’Orviétan, postérieur à la paix de Saint-Germain, est parfaitement représentatif de l’état des esprits à Paris au printemps 1649 : il montre combien, malgré la cessation des hostilités, l’opinion populaire restait dressée contre Mazarin. On y voit en effet le célèbre charlatan qui débitait sa drogue sur le Pont-Neuf et le grand farceur du théâtre du Marais s’entretenir fort librement sur les affaires publiques, accablant de traits piquants et irrévérencieux la Reine et le Cardinal. Jodelet surtout se montre violent et agressif, et il est notable que toutes les mazarinades qui l’ont mis en scène l’ont représenté comme un enragé frondeur.
Les deux pièces suivantes sont l’œuvre du plus singulier des pamphlétaires de la Fronde, François Davant, un curieux gascon sur lequel Mme Élisabeth Labrousse a récemment attiré l’attention (« François Davant : l’autobiographie d’un autodidacte », XVIIe siècle, n° 113, 1976). Venu à Paris vers 1641, cet illuminé avait été en rapports avec saint Vincent de Paul et la mère Mectilde du Saint-Sacrement, ainsi qu’avec Simon Morin. D’une redoutable fécondité, il publia en quelques mois, de janvier 1650 à son arrestation en mars 1651, une vingtaine de mazarinades, dont certaines tout à fait étranges. Dans le premier des deux libelles reproduits ici, qu’il intitule, en plagiant le titre de la traduction française des Vindiciae contre tyrannos de Duplessis-Mornay parue en 1581, De la puissance qu’ont les rois sur les peuples et du pouvoir des peuples sur les rois, il défend jusque dans leurs plus extrêmes conséquences les idées de souveraineté populaire et de contrat, reconnaissant expressément au peuple le droit de déposer le monarque qui romprait le contrat original en abusant de son autorité. Le second, l’Avis à la reine d’Angleterre et à la France, a été écrit en réponse à la première partie de L’Aveuglement de la France de Dubosc-Montandré ; il se signale par une apologie des Niveleurs et de la Révolution puritaine anglaise qui va jusqu’à l’approbation du régicide. C’est là une attitude tout à fait exceptionnelle parmi les pamphlétaires, qui ont presque unanimement exprimé leur indignation de l’exécution de Charles Ier.
Les deux placards que l’on propose ensuite, l’un et l’autre [p. 10] rarissimes, montrent un nouvel aspect de la presse illustrée de la Fronde. Le premier, portant simplement le nom du criminel, Jules Mazarin, et le texte de la sentence le condamnant à mort, fut affiché le 3 novembre 1650 au-dessous de tableaux représentant le ministre pendu en effigie. « Ces portraits, écrit Jean Vallier dans son Journal, étoient au naturel, peints en huile et bien enchâssés, et avoient au moins coûté deux pistoles chacun. L’on leur avoit fait deux trous à l’endroit du col, à travers lesquels l’on avoit passé une corde, grosse comme le petit doigt, où les avoit-on attachés et pendus au haut de ces grands poteaux de bois qui sont au milieu des rues et servent à tendre les chaînes de la ville lorsqu’on les veut tendre. » D’après Guy Joly, qui impute cette invention aux partisans des Princes, ce ne fut pas une petite affaire d’enlever ces portraits qui faisaient la joie du peuple, et « un exempt, qui alla ôter un de ces tableaux, pensa être assommé. » Le second placard, intitulé Récit de ce qui s’est fait et passé à la marche mazarine, est une sorte de « bande dessinée » illustrant pour un public populaire le premier départ de Mazarin en exil après l’éphémère union des deux Frondes en février-mars 1651.
Avec la Croisade pour la conservation du Roi et du royaume, parue à la fin de janvier 1652, le lecteur entre dans la phase finale – la plus aiguë – de la Fronde parisienne. C’est une pièce très curieuse, qu’il ne faut pas prendre à la légère. Elle montre qu’il y avait à Paris, parmi les compagnies dévotes, des gens prêts à tout pour se débarrasser de Mazarin, même à payer son assassin : permanence remarquable, en plein XVIIe siècle, de la tradition du tyrannicide. La Croisade est de Nicolas Johannès du Portail, avocat au Parlement, qui s’était illustré dès le début de la Fronde par sa remarquable Histoire du temps, avait été élu syndic des rentiers en 1649, et était devenu l’un des pamphlétaires les plus en vue de l’équipe de presse du Coadjuteur. C’était, au jugement de Jean Vallier, un Frondeur très hardi, et même dangereux.
Le Point de l’ovale et La Franche Marguerite ont été publiés quasi simultanément par Claude Dubosc-Montandré, le pamphlétaire en titre du prince de Condé, qui fut avec une cinquantaine de mazarinades le plus fécond de tous les libellistes de la Fronde. Ces deux pièces donnent toute la mesure de la violence qui commence à s’emparer de la capitale : ce sont des appels directs à la [p. 11] révolution populaire et au massacre des « Mazarins » et l’on pourrait les résumer toutes les deux par cette réflexion du Point de l’ovale : « En matière de soulèvement, on n’est coupable que d’avoir eu trop de modération ». Aussi le Parlement les condamna-t-il au feu par arrêt du 27 mars. Mais Montandré, qui disposait d’une imprimerie clandestine à l’intérieur même de l’Hôtel de Condé, jouissait d’une totale impunité et se moquait bien des arrêts du Parlement.
Les deux mazarinades qui suivent, Les Cautèles de la paix et Le Caton français, ne sont pas de Montandré ; mais elles sont bien dans son style. Elles ont paru en mai, au moment où couraient toutes sortes de bruits d’un prochain accommodement des Princes avec Mazarin. Leur violence fait écho aux désordres et aux émeutes dont la rue était alors quotidiennement le théâtre.
Dans l’Avis des bourgeois de Paris… pour chasser tous les mazarins hors de la ville, paru à la fin de juin, la violence devient menace directe, pressante, imminente. De tels appels à la proscription pure et simple des adversaires politiques du parti des Princes – celui-ci n’était pas le premier – montrent bien le climat de passion et d’intolérance qui règne alors à Paris. Ils permettent de mieux comprendre comment a pu se produire quelques jours plus tard le massacre de l’Hôtel de Ville (4 juillet), après lequel tous ceux qui s’étaient signalés au cours de la Fronde par leur dévouement à la cause royale n’eurent plus en effet qu’à fuir la capitale, désormais livrée sans contrepoids ni retenue à la sédition.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que l’on voie apparaître à ce moment précis de la Fronde quelques libelles carrément et violemment antimonarchistes. Il n’en a pas été publié beaucoup plus que les quatre qui sont reproduits ici. Dans le premier, Le Caractère de la royauté et de la tyrannie, l’auteur entend démontrer, exemples historiques à l’appui, qu’il n’est pas de monarchie qui n’ait une origine illégitime et n’ait relevé initialement d’une usurpation violente ; mais aussi, ce qui est encore plus grave, que la monarchie est de tous les régimes le moins capable d’atteindre la fin que les philosophes assignent ordinairement à la politique, qui est de créer les conditions du bonheur pour les sociétés humaines. Les deux suivants, La Mercuriale et Le Guide au chemin de la liberté, sont des textes authentiquement révolutionnaires. [p. 12] Du même auteur, qui n’a malheureusement pu être identifié, ils ont été publiés à quelques jours d’intervalle pendant la seconde décade de juillet, après le combat du faubourg Saint-Antoine et l’incendie de l’Hôtel de Ville. Le pamphlétaire n’y regarde une éventuelle victoire de Condé sur Mazarin que comme une étape transitoire vers un nouvel état politique et social ; la Fronde ne trouvera à ses yeux son achèvement que dans une profonde mutation du pays, dans un véritable changement de régime et de société. C’est pourquoi il appelle le peuple de Paris à former un « tiers parti » à la fois contre la Cour et contre les Princes, sur le modèle de l’Ormée de Bordeaux, et l’exhorte à un soulèvement général et à la lutte armée pour sa propre libération et l’instauration d’une sorte de démocratie populaire. Enfin, L’esprit du feu roi Louis le Juste à la Reine, paru en même temps que Le Guide au chemin de la liberté, s’en prend plus spécialement à Anne d’Autriche : on y voit l’ombre de Louis XIII se déchaîner en reproches contre sa veuve. Il n’est peut-être pas de mazarinade où la Reine ait été insultée avec tant d’insolence, la famille royale et la monarchie elle-même attaquées de façon plus corrosive.
L’influence de l’Ormée, si nettement perceptible dans ces quatre dernières mazarinades, invitait à donner pour finir quelques pièces émanées de cette faction extrémiste de la Fronde bordelaise, essentiellement composée de petits bourgeois, de boutiquiers, d’artisans et d’ouvriers : nous en proposons deux. Le Manifeste des Bordelais contient à l’intention du public parisien un compte rendu succinct, mais qui prend valeur d’exemple, des deux journées d’émeute qui suivirent à Bordeaux, les 13 et 14 mai, la publication de l’arrêt du parlement du 10 contre l’Ormée et assurèrent le triomphe de l’organisation populaire sur les officiers ; et les Articles de l’union de l’Ormée constituent en quelque sorte la charte du mouvement, plus intéressante et originale par l’ébauche qu’on y trouve d’un système d’entraide sociale d’esprit mutualiste que par ses revendications proprement politiques.
[p. 1] INTRODUCTION [du tome 2]
Vingt-deux mazarinades constituent ce second volume : celles qui ont paru les plus éclairantes sur les problèmes économiques et financiers et les plus révélatrices de l’évolution de la société française au milieu du XVIIe siècle et des tensions qu’engendrait cette évolution.
Nul n’ignore que le point de départ de la Fronde a été la résistance des officiers, et singulièrement des compagnies souveraines, à la politique financière de Mazarin et aux mesures fiscales prises par le surintendant d’Émery. Aussi la première section de ce volume illustre-t-elle « la foule du peuple » en regroupant cinq libelles, tous contemporains du blocus, qui dénoncent le poids insupportable des impôts et la scandaleuse dilapidation des deniers publics.
Le Catéchisme des partisans est l’œuvre d’un feuillant, Dom Pierre de Saint-Joseph. Son libelle a le mérite d’exprimer avec une très grande clarté les thèses frondeuses sur les limites de l’absolutisme royal dans le domaine fiscal, d’en indiquer les fondements théologiques et moraux, et d’analyser avec précision les divers moyens que mettaient en œuvre partisans et traitants pour détourner à leur profit une partie substantielle du produit de l’impôt.
Le Dialogue entre le roi Louis XI et Louis XII – pris comme symboles respectifs de l’absolutisme royal et d’une monarchie tempérée et libérale – constitue un exposé très vivant des thèses en présence à la fois sur le plan politique et dans le domaine économique. Mais cette vulgarisation habile, qui répond à un souci [p. 2] pédagogique évident, n’est pas impartiale : le meneur de jeu ne cache pas ses sympathies frondeuses.
La Décision de la question du temps est l’un des meilleurs libelles de la première Fronde, en tout cas l’un des plus éloquents et des mieux écrits. Elle est de Jean Rousse, curé de Saint-Roch, connu pour ses sympathies jansénistes, qui a publié pendant le blocus plusieurs mazarinades frondeuses, toutes remarquables. Celle-ci fait apparaître les raisons essentielles de l’engagement de la grande majorité du clergé séculier aux côtés du Parlement et des Frondeurs : c’est au nom de l’humanisme chrétien et par respect de la dignité humaine que nombre de pamphlétaires de la Fronde parlementaire se sont opposés aux excès de l’absolutisme, qu’ils ont dénoncé les impôts excessifs dont le peuple était accablé et élevé une protestation indignée contre la brutalité des méthodes de recouvrement. La Plainte du poète champêtre qui suit le libelle de Rousse apporte justement un témoignage vécu sur la misère populaire entraînée par la lourdeur de la fiscalité, tandis que La Gueuserie de la Cour montre que l’appauvrissement général de la population rurale, qui n’avait cessé de s’accentuer depuis l’accession de Richelieu au ministère, frappait durement par contrecoup tous ceux des gentilshommes, et c’était la majorité, qui n’avaient d’autres revenus que ceux de leurs terres.
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Aussi bien est-ce une description détaillée et précise de cette misère paysanne et des horribles dégâts commis par les armées dans les provinces que se livrent, avec des intentions diverses, de nombreuses publications de la Fronde.
Intentions d’abord politiques, naturellement, les libelles s’empressant de faire retomber sur Mazarin les odieux excès commis par la soldatesque : c’est dans cet esprit que la fameuse Lettre du Père Michel, de l’ordre des Camaldules de Grosbois, retrace avec force détails « les cruautés des Mazarinistes en Brie » pendant le blocus, tandis que La Champagne désolée par l’armée d’Erlach apporte un témoignage direct, précis, accablant, sur la dévastation de toute une province par des troupes mercenaires laissées sans [p. 3] solde et contraintes de vivre sur l’habitant : cultures saccagées, bestiaux enlevés, villages incendiés, paysans torturés et massacrés, populations terrorisées par les reîtres, ce sont en France même toutes les horreurs de la guerre de Trente Ans telles que venait de les représenter Callot.
Intentions charitables d’autre part : un groupe de pieux laïcs ayant fondé, en liaison avec le clergé diocésain et les Lazaristes de saint Vincent de Paul, une œuvre d’assistance aux pauvres des provinces dévastées par le séjour et les mouvements des armées, la Picardie, la Champagne en 1650-1651 et la région parisienne en 1652, l’un des organisateurs du mouvement, le janséniste Charles Maignart de Bernières, publia à partir de 1650 un bulletin périodique destiné à informer le public de l’utilisation des fonds collectés et à stimuler la générosité des fidèles. Les quatre numéros de ce bulletin que nous avons retenus s’échelonnent de septembre 1650 à juillet 1652 ; ils donnent les renseignements les plus précis, émanant le plus souvent du clergé local ou des missionnaires envoyés de Paris, sur la misère paysanne dans ces provinces de la frontière du Nord-Est et dans les faubourgs de la capitale elle-même, submergée en mai-juin 1652 par un flot de réfugiés faméliques. Enfin, le Mémoire des besoins de la campagne daté du 20 novembre, qui n’est pas une publication de Bernières, mais a été dressé à l’instigation de l’autorité diocésaine et publié par la Compagnie du Saint-Sacrement, établit l’effroyable bilan de six mois de présence des diverses armées dans la campagne autour de Paris.
Par leur nature même soit de pamphlets politiques, soit d’appels à la générosité publique et à un vaste mouvement de solidarité avec les régions dévastées, ces pièces ne sont pas à l’abri de tout soupçon, et Naudé a carrément accusé de propagande et de mensonge la Lettre du Père Michel. Mais il faut dire que beaucoup d’autres sources de l’histoire de la Fronde confirment, sinon chaque détail des faits rapportés, du moins leur exactitude d’ensemble, notamment la correspondance de saint Vincent de Paul, celle de la Mère Angélique et les Mémoires d’un bourgeois de Reims, Oudard Coquault.
* [p. 4]
À Paris même, la crise politique s’est naturellement doublée d’une crise économique. D’abord parce que l’activité commerciale de la capitale, traditionnellement tournée vers les produits de luxe, était largement tributaire de la présence de la riche clientèle constituée par la Cour. Aussi nombre de libelles du blocus, comme Le Ministre d’État flambé de Cyrano de Bergerac, retenu ici pour sa verve et son entrain, déplorent-ils la ruine du commerce, le marasme des affaires et le chômage des petits métiers dans une ville désertée par les notables et les seigneurs qui ont suivi le Roi à Saint-Germain. Bien entendu, comme en n’importe quelle période de crise, tous les secteurs d’activité n’étaient pas également touchés, certains même tiraient profit des troubles et le malheur des uns faisait le bonheur des autres : un libelle intitulé Les Contents et mécontents sur le sujet du temps dresse en quelque sorte le bilan économique du blocus en précisant les métiers qui ont souffert de la guerre civile et ceux qui en ont profité.
Le grand commerce international n’était pas, on l’imagine, de nature à retenir l’attention des pamphlétaires. On trouve pourtant parmi les Mazarinades un libelle libre-échangiste, la Plainte publique sur l’interruption du commerce, qui donne des indications intéressantes sur les difficultés rencontrées par les armateurs et les négociants du fait de la guerre de course encouragée par Mazarin et des entraves qu’elle apportait au trafic maritime ; or c’était presque uniquement par mer que se faisaient à cette époque les échanges avec l’étranger.
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Un dernier groupe de pamphlets montre quelles étaient, aux yeux des contemporains, les implications sociales de la crise politique, comment ils appréciaient les structures existantes, combien ils étaient attachés à une hiérarchie qu’ils regardaient comme naturelle, bienfaisante et raisonnable.
La Fronde ayant été, dans plusieurs de ses manifestations les plus importantes, une explosion populaire, il a paru indispensable de faire d’abord une place à ce petit peuple de Paris qui prit soudain conscience, le jour des barricades, de la puissance qu’il représentait, [p. 5] ce peuple vif, hardi, émotif, aux réactions brutales et violentes, sans l’appui duquel aucun parti n’aurait pu se maintenir et qui fit la force des Frondeurs en 1648-1649 comme celle du parti des Princes en 1652. Aucune mazarinade ne le représente mieux, dans sa diversité infinie, son langage pittoresque, son ardeur frondeuse et son agitation vociférante, que l’Agréable récit de ce qui s’est passé aux dernières barricades composé en vers burlesques par le baron de Verderonne, gentilhomme ordinaire de Monsieur.
Les deux mazarinades suivantes, L’Échelle des partisans et La Justice triomphante, illustrent combien, en matière sociale, l’opinion publique du XVIIe siècle pouvait être conservatrice et fixiste, combien elle était naturellement hostile aux parvenus, surtout lorsque l’unique moteur de l’ascension sociale était l’argent. En décrivant le mécanisme ordinaire et les diverses étapes de ces prodigieuses fortunes, elles traduisent le sentiment commun, exprimé dans vingt autres libelles, qu’il ne peut y avoir de promotion légitime que très progressive, étalée sur plusieurs générations et liée au service de l’État, que ces fulgurantes ascensions de financiers qui se sont multipliées sous Richelieu et Mazarin sont un des scandales de leurs ministères, qu’elles n’auraient pu se faire sans leur appui et leur complaisance, et qu’elles ne sauraient s’expliquer sans d’immenses détournements de fonds publics.
Cette réaction hostile aux traits les plus marquants de l’évolution sociale sous Louis XIII et la Régence devient franchement rétrograde dans le vigoureux libelle que Dubosc-Montandré intitule de façon significative, en 1651, Le Dérèglement de l’État. Ce dérèglement tient essentiellement, selon le pamphlétaire de Monsieur le Prince, au fait que chacun des ordres manque aux devoirs de son état et ne se tient plus à la place que lui assignent à la fois la raison et la tradition : le Clergé, divisé par la querelle janséniste, est détourné de sa vocation religieuse par l’ambition politique de ses plus hauts représentants et corrompu par l’excès d’une richesse d’autant plus scandaleuse qu’elle contraste avec l’effroyable misère du plus grand nombre ; la Noblesse s’abâtardit et dégénère de la vertu de ses aïeux ; la frange supérieure du Tiers-État affiche le luxe provocant d’une ascension imméritée ou trop rapide. Naturellement, à l’époque de sa publication (1651), ce libelle dénonçant violemment l’immixion des prélats dans les affaires publiques [p. 6] visait au moins autant le Coadjuteur, futur cardinal de Retz, que Mazarin, alors en exil.
Cette idée qu’un luxe excessif est préjudiciable à l’État, qu’il porte les particuliers à une ambition effrénée, qu’il ruine la stabilité de l’édifice social et entraîne la dépravation des mœurs se retrouve l’année suivante, avec davantage de considérations morales et moins de violence politique, dans Le Français désabusé, qui insiste à son tour sur la nécessité pour chaque catégorie sociale de se consacrer exclusivement aux fonctions et occupations qui lui appartiennent en propre. On trouve encore dans cette mazarinade originale des développements remarquables en faveur de la tolérance religieuse et sur les services que la noblesse peut rendre à l’État, soit en embrassant la carrière des armes, soit en se consacrant à la gestion de ses domaines et à l’amélioration de l’agriculture. Ce sont des thèses très proches de celles que développera Fortin de la Hoguette dans ses Éléments de la Politique en 1663.
Les deux dernières mazarinades reproduites s’intéressent plus précisément au rôle et à la place du Clergé dans la nation. La première, les Plaintes et réflexions politiques de Louis Machon, a été composée à l’occasion de la harangue faite au Roi à Tours, en mars 1652, par l’archevêque de Rouen, porte-parole du Clergé, dans laquelle le prélat protestait au nom de son corps contre l’arrêt du Parlement du 29 décembre précédent qui mettait à prix la tête d’un cardinal. Non content de démontrer que le Parlement n’a commis en cela aucun abus de juridiction, Machon y multiplie les critiques contre le haut clergé : non résidence des évêques, plus courtisans que pasteurs, cumul scandaleux des bénéfices ecclésiastiques entre les mains des prélats les plus serviles envers le pouvoir, richesse excessive et égoïsme social des hommes que leur position aurait dû le plus inciter à la charité en ces temps de détresse générale.
La seconde, intitulée L’Évangéliste du salut public, propose en juillet, c’est-à-dire au moment où la Fronde des Princes atteint à Paris son paroxysme, toute une série de mesures de « salut public » : réunion des États généraux, auxquels il convient d’avoir recours dans toutes les crises majeures de la monarchie, convocation d’une chambre de justice pour faire rendre gorge aux financiers et partisans, adjudication publique des cinq grosses fermes, enfin création [p. 7] d’un impôt nouveau, proportionnel et progressif, sur les revenus ecclésiastiques. L’auteur va même jusqu’à envisager, en cas de besoin, l’expropriation des biens immenses des réguliers et la saisie du temporel du Clergé : programme d’une audace vraiment révolutionnaire et tout à fait exceptionnel dans les Mazarinades.