La Mère de Dieu, Pierre de (dit Bertius, Abraham) [1647], LES VERTVS ROYALES D’VN IEVNE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_1_1.
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Qu’il vaut mieux à vn ieune Prince, de se
faire plus aimer, que craindre
de ses subiects.

CHAPITRE XXIV.

IL est asses facile à ceux qui ont l’authorité en
main, d’imprimer le respect, & la crainte,

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dans les esprits des peuples, & de se rendre redoutables
à leurs subiects, par la violence des
Armes, & le massacre des humains. Il est beaucoup
plus difficile aux Monarques, assis dans le
Thrône Royal, couuerts d’vn diademe, d’estre aimés
des peuples, & de gaigner les affections de
leurs subiects, qui ne s’attachent pas aisément
aux Souuerains : c’est en cela pourtant que consiste
le secret du Gouuernement, quoy qu’il soit à
propos que les ieunes Princes se facent craindre,
toutefois ils doiuent prendre garde que la crainte
n’estouffe les sentimens d’amour, par vne conduitte
trop austere ; il faut que les affections des
peuples, soient placées dans leurs personnes, &
que la crainte cede à l’amour, le lieu le plus honorable
de l’Estat, & les actions plus importantes
de la Monarchie.

 

Quel est le
secret du
bon Gouuernemẽt

Le Gouuernement amoureux, est propre aux
Raisonnables, & aux ames bien-faites ; il n’appartient
qu’aux sauuages, aux esclaues, & aux
Taupinambous d’estre conduits par la crainte, &
de ne rien faire que par menaces, & par la rigueur
des supplices. Et comme les peuples detestent
l’esclauage, & n’abhorrent pas moins la seruitude,
que la Tyrannie, vn ieune Prince ne reüssira
pas en son Gouuernement, si l’amoureuse douceur
n’éclatte dauantage en ses paroles, & en ses
œuures, que la trop grande rigueur qui épouuante
les esprits. Et puis ne sçait-on pas que la crainte

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seruile, est suiette aux auortemens, ie veux dire
que ses productions estans forcées, ne peuuent
estre de longue durée ; comme au contraire, l’amour
n’entreprend rien qui ne soit agreable, il
change les espines en roses, & trouue de la douceur
dans les amertumes : tellement que si on vouloit
fonder vn Gouuernement eternel sur la terre,
il ne pourroit pas estre mieux assis, que sur l’amour,
le veritable aimant de nos volontés.

 

Nous voyons que Dieu mesme ayant commandé
de craindre ses iustes Iugemens, nous a declaré,
que la perfection de la loy consiste en l’amour,
& en la charité ; Si nous haussons les yeux
au Ciel, nous trouuerons que la Triomphante Ierusalem
ne subsiste que par l’amour, & que la
crainte Filiale des Bien-heureux, n’est pas la derniere
perfection de leur Estat. Vn ieune Prince
doit mouler son Gouuernement, sur celuy de la
Diuinité, & s’asseurer qu’il sera d’autant plus
parfait, qu’il s’approchera de plus prés de celuy
du Souuerain : & s’il auoit à faire vn commandement
à ses subiects, dés l’entrée de sa Regence ; ie
luy conseillerois d’obliger vn chacun à l’aymer,
& s’il disposoit absolument des inclinations de
son peuple, ie luy persuaderois de les enflammer
de son amour.

Il peut y auoir du danger à se rendre trop redoutable
par les supplices, & par l’apprehension
des chastimens ; mais vn ieune Prince ne peut

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assés posseder les volontés de ses subiects : nous
lisons bien dans les Histoires de plusieurs Monarques,
qui pour auoir vsé de trop de violence
pour se faire craindre, se sont rendus miserables,
& ont finy leurs vies, d’vne façon toute tragique ;
Mais nous ne remarquons pas que ceux qui
ont Regné auec plus d’amour que de crainte,
ayent mal reussi dans leur Gouuernement, ny que
leur memoire ait esté odieuse à la Posterité ; au
contraire, leur souuenir est plus agreable que le
doux concert d’vne Musique, la varieté des couleurs,
ou le diuertissement des compagnies. Tels
ont esté les LOVIS, les HENRYS, les PHILIPPES,
les HVGVES CAPETS, les CHARLEMAGNES,
& vne infinité d’autres grands
Heros, qui ont occupé le Thrône de la France,
& ont Regné dans les cœurs de leurs subiects,
auec beaucoup plus d’auantage, que sur leurs vies,
ou les biens de fortune ; d’où vient que les Siecles
ne terniront iamais l’éclat de leur memoire.

 

Iamais
Prince aimé
de son
peuple, n’a
mal reussi
dans son
Gouuernement.

On a remarqué par la decadence des Monarchies,
que la crainte n’est pas si fauorable aux
Souuerains, que l’amour, & que les subiects ont
tasché de secouër l’obeїssance des Princes, au
mesme temps qu’ils ont voulu renoncer à l’affection
des peuples, par la seuerité de leur Gouuernement.
N’allons pas chercher des exemples,
dans les Siecles passés, puis que celuy cy nous en
fournit de tres-authentiques : i’attribuë les desordres,

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où ie vois tomber la Florissante Maison
d’Austriche, à la seruitude, en laquelle ces Princes
éleuent auiourd’huy leurs subiects, imprimants
par la seuerité de leur domination, vne telle
crainte dans les esprits des peuples, qu’elle ne
differe pas beaucoup de l’esclauage.

 

Exemples
de quelques
Monarchies,
tõbées en
decadence
par le gouuernement
trop seuere.

N’est-ce pas la raison, pourquoy les Catelans
ont cherché, & trouué les moyens de changer de
Gouuernement ; Ne se sont-ils pas mis sous la
Protection de France, dans la creance de rencontrer
l’amoureuse liberté, dont ils estoient priués,
depuis plusieurs années ? Les Portuguais voyans
l’heureux succés des entreprises de leurs voisins,
ne les ont ils pas imités ? ne sommes nous pas à la
veille de voir toute la Flandre destachée de l’Espagne,
afin de ne plus dépendre des Gouuerneurs
estrangers, que les peuples des Paїs-Bas ne
peuuent aymer ? ils ne leur en donnent pas aussi
beaucoup de suiet. I’apprehende fort qu’il
n’arriue encore en Italie quelque disgrace à la
Couronne d’Espagne, à cause qu’il y a trop longtemps,
que ce peuple vit dans la crainte seruile, &
qu’il se voit oppressé de Garnisons, de Chasteaux,
de Canons, & de Citadelles. Les violens
efforts ne sont iamais de longue durée.

La France ne craind point ces desordres, elle experimente
la douceur du Regne de ses Princes ;
& sent les benignes influences de leur amour ;
d’où vient que la Monarchie s’etend tous les

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iours auec des auantages incroyables, & les peuples
sont rauis de viure sous vn Empire plein de
douceur, & de dépendre des Souuerains, qui ne
cherchent que l’amitié de leurs subiects, & s’estiment
mal-heureux, s’ils ne possedent les volontés
des peuples. Coupons icy le fil du discours,
pour reprendre ce mesme suiet au Chapitre
suiuant.

 

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