La Mère de Dieu, Pierre de (dit Bertius, Abraham) [1647], LES VERTVS ROYALES D’VN IEVNE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_1_1.
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Qu’vn ieune Prince est Mal-heureux, s’il
n’est aimé de ses subiects.

CHAPITRE XXIII.

LA Felicité des Estats, depend absolument
de l’estroitte vnion des Superieurs, & des
inferieurs, des Souuerains, & des peuples ; vnion
amoureuse, qui tire apres soy la bonne intelligence
des principales parties des Monarchies.
Comme vn corps separé de la Teste, est vn cadavre,
priué de vigueur, & de sentiment, comme
vne branche d’arbre couppée de son tronc, est
inutile, & incapable de fructifier ; de mesme les
subiects separés de l’amour de leur Prince, sont
des membres qui ne reçoiuent aucune bonne influence
de leur Chef, sont des branches infructueuses
à l’Estat, & qui n’estendront iamais
l’honneur de leur Nation.

En quoy
consiste le
bonheur,
& la felicité
des
Estats.

Quelle satisfaction peut auoir vn ieune Prince,
qui connoit que son peuple n’obeїt que pat
contrainte ? que ses commandemens l’irritent,

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que la subiettion luy est vne longue seruitude, sa
personne desagreable, & qu’il chercheroit volontiers
les occasions de se deliurer de son esclauage ?
Ce qui se void dans les Royaumes, où les
Monarques ne regnent point dans les esprits des
peuples : Ce ne sont que murmures, que Reuoltes,
Seditions, Rebellions, Guerres Ciuiles, & la
personne Sacrée du Prince, n’est pas en asseurance ;
c’est vn furieux monstre qu’vn peuple mécontant,
qui ne s’appaise pas quand on veut, &
dont il est impossible de retirer aucun bon seruice.
L’Amour adoucit la rigueur de la subiettion,
que la hayne rend insupportable : autant qu’on a
d’inclination d’obeїr à ceux qu’on cherit, autant
& dauantage y a t’il de difficulté à dépendre de
ceux qu’on abhorre.

 

Si les peuples releuent de leur Prince, il faut
aussi qu’vn Souuerain se persuade, qu’il ne se peut
passer de ses subiects : Si les peuples ont besoin du
Gouuernement de leur Monarque, celuy-cy reciproquement
ne peut executer ses desseins, que par
leur ministere : comment voulés vous qu’vn ieune
Prince terrasse ses ennemis, s’il n’a point d’hommes
pour combattre ; ou s’ils combattent sans
courage ? comment pourroit-il gaigner des villes
sur les estrangers, si son peuple l’abandonne, ou
s’il refuse de le suiure ? comment reüssiroit-il
dans ses entreprises, s’il n’a pas moyen de les effectuer ?
ou comment se confieroit-il à des gens,

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qui ne cherchent que sa ruine ? N’est-ce pas estre
bien mal-heureux, de se voir gourmandé par des
subiects, qui doiuent toute sorte de respect, &
de reuerence à leur Monarque ? ie ne trouue pas
beaucoup de difference entre la misere d’vn Tyran,
& l’infortune d’vn ieune Prince, qui n’est
pas aymé de son peuple. Si celuy-là est l’obiect de
la haine publique, celuy-cy est dans la disgrace
de ses propres vassaux : si celuy-là occupe indignement
le Thrône, celuy-cy est traitté comme
s’il ne meritoit pas de manier le Sceptre. Si celuy-là
est insupportable à ceux de sa nation ; celuy-cy
leur est vn tourment perpetuel. Si celuy-là n’est
pas trop asseuré de sa vie ; celuy-cy prefereroit la
sienne à vne mort honneste : bref, ils sont tous
deux odieux aux hommes, l’opprobre, & la malediction
du monde : C’est estre mal-heureux en
toutes les façons imaginables.

 

Vn Ieune
Prince a
besoin de
l’affection
de ses subiects.

Quand l’auersion s’est glissée dans les esprits
des peuples, il est bien difficile de leur faire déposer,
ou de les porter à changer d’inclination. Ioint
qu’il y a moins d’apparence qu’vn Souuerain cassé
de vieillesse, captiue les bonnes graces de ses
subiects, qu’vn ieune Prince aduantagé de plusieurs
perfections, propre à donner de l’amour
aux Peuples. D’où vient que les premieres estudes
des Roys, ne peuuent estre mieux employés
qu’à posseder l’amitié de leurs subiects, puis que
de là dépend tout le bon-heur de leur gouuernement,

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la prosperité de leur armes, la paix de leurs
Estats, la seureté de leurs personnes, & l’honneur
de leur memoire.

 

Il faut que ie face connoistre au public l’extreme
malice de certains esprits noirs, broüillons,
& inquiets, qui se plaisent à détacher l’affection
des peuples, de la Sacrée personne de leurs Monarques :
Si le Sainct Esprit déteste ceux qui sement
des discordes entre les Freres, quelles vengeances
prendra-t’il des ames qui bouleuersent les
Royaumes, ruinent les Estats, & desertent les
Prouinces ? ie crois que les Démons reuestus de
chair humaine, ne seroient pas si dangereux à l’Estat,
que certaines gens ennemis de la mutuelle
intelligence des Princes, & des subiects : comme
il n’est besoin que d’vne estincelle, pour embraser
vne ville ; ainsi, ne faut-il que deux ou trois
mauuais esprits pour infecter toute vne Prouince,
& pour donner aux peuples de mauuaises impressions
de leur Prince legitime.

Henry Troisiesme fust si mal-heureux sur la
fin de son Regne, que plusieurs de ses subiects,
persuadés (par ie ne sçay quels monstres
d’Enfer) conceurent des opinions tres-pernicieuses
de sa Maiesté, qui refroidirent grandement
leurs affections. On leur faisoit entendre
en public, & en secret, que ce genereux Monarque
fauorisoit le party des Heretiques, qu’il
n’auoit pas assés de pieté pour la Saincte Eglise

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Catholique, Apostolique & Romaine, quoy que
ses domestiques, & ses plus familiers sceussent
le contraire, & que de long temps, on n’eut veu
vn Prince si Religieux occuper le Thrône des
Enfans Ainés de l’Eglise : ioint que ses actions
publiques, & solemnelles de deuotion, témoignoient
suffisamment à ceux qui n’estoient
pas preuenus de passion, la sincere Pieté de ce
Monarque. Les faux bruits altererent pourtant
les affections de ses subiects, & son peuple se refroidit
grandement dans les inclinations, qu’il
auoit tousiours porté à son Prince ; Ce qui fit
naistre vne infinité de desordres, & produisit vne
confusion horrible dans le Royaume. Ce n’est
pas mon dessein de iustifier l’innocence de ce
braue Prince, ie me contente d’auoir montré
succinctement en sa personne, combien vn Souuerain
est malheureux, quand il n’est pas aymé
de son peuple, auec quoy, ie finis ce discours pour
entamer quelque autre matiere.

 

Mal heur
de Henry
III. de qui
on aliena
les volontés,
& les
affections
des subiects,
par
de faux bruits.

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