Anonyme [1652 [?]], QVATRIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les Questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XVIII. Si les Tyrans du peuple & de l’Authorité Royale; auec leurs Partizans peuuent estre sauuez. XIX. Si les heritiers de ces sangsuës publiques peuuent estre sauuez, sans restituer les voleries que leurs predecesseurs leur ont laissées. XX. Si la restitution peut estre bonne, n’estant pas faire à ceux à qui la chose appartient. XXI. Si l’on doit souffrir des Partizans dans vn Estat. XXII. Si les trois Estats ont droit de se mesler des affaires du Prince. XXIII. Si les trois Estats ont droict de remedier aux desordres du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_33.
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QVESTION XXI.

Sçauoir si l’on doit souffrir des Partisans
dans vn Estat.

LA peste n’est pas si funeste à l’Estat, que les
Partizans le sont & au Prince & au peuple ;
parce qu’elle ne s’attache ordinairement qu’à
des miserables necessiteux qui luy tendent les
bras, tant ils sont las de viure, & parce qu’il n’y a
personne au monde qui ne puisse éuiter ses mortelles
fureurs, en prenant le soin de changer de
Prouince. Mais les Partisans sont si pernicieux
à toute sorte de personnes, qu’il est impossible
aux grands & aux petits, aux riches & aux pauures,
aux Ecclesiastiques & aux Laïcs, aux Roturiers
& aux Nobles, aux Bourgeois & aux Artisans,
aux Laboureurs & au Monarque mesme de
se pouuoir mettre à couuert de leur tyrannie. Il
faut que tout le monde tasche de satisfaire aux
cupiditez de ces sangsuës publiques. Il faut que
la plus pure substance des peuples soit consacrée
à leur demesurée ambition. Il faut que les thresors

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de l’Estat soient diuertis à leur profit. Et il
faut que le Roy & les subjets soient ruinez, pour
enrichir ces poux affamez & ces monstrueuses
harpies. Ie vous laisse à penser apres cela si l’on
doit souffrir qu’il y ait des Partisans dans vn
Estat, puis qu’ils ne font que l’accabler de toute
sorte de miseres.

 

Ce sont de ces Antropophages de la Scytie
qui ne viuent que de chair humaine. Ce sont des
Canibales des isles du nouueau monde qui mangent
leurs freres. Ce sont des Taupinambous de
l’Amerique, qui ne cherchent qu’à deuorer leurs
semblables. Ce sont des esprits plus esclaues du
bien d’autruy, que de la vertu des hommes. Les
gens de bien ne se portent iamais à des actions
de cette nature, au contraire ils ont l’honneur de
Dieu, le seruice du Souuerain & le bien de leur
prochain en plus haute recommendation que
leur propre vie. Ce sont des sangsuës publiques
qui ne font qu’instruire les Roys des moyens
qu’ils doiuent tenir pour establir vne estrange
tyrannie parmy leurs peuples. Ce sont des furies
infernales, qui auec les flambeaux de leur cupidité
ne cherchent qu’à mettre la diuision dans
l’Estat, & qu’à reduire toute cette pauure Monarchie
en cendre. C’est vne vermine qui ne s’engraisse
que de la plus pure substãce des peuples.
Ce sont ceux dont parle le Prophete, quand il
dit, qu’ils mettent l’oreiller sous la teste, & le carreau

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sous le coude, afin qu’estans endormis dans
l’obstination de leur peché, ils demeurent enseuelis
dans leur vice. Ce sont des loups tousiours
affamez, qui par vn éternel mépris qu’ils font de
ceux qu’ils ont reduits à la besace, ne se trouuent
iamais qu’aux Palais des Princes & des Roys, afin
d’infecter ces esprits de leur contagieuse tyrannie.
Ce sont ces bourreaux qui mirent vne desolation
vniuerselle par toute la Sicile, du temps
de Denys, & du temps de Phalaris. Ce sont ces
pestes du genre humain, qui infecterent toute
l’Egypte en faueur de Ptolomée. Et finalement
ce sont ces souffles de diuision, qui mirent autrefois
tout l’Empire Romain dans vne entiere
ruine.

 

Et pour se vanger d’vne engeance si abominable,
il faudroit que les Roys fussent incessamment
enuironnez d’vne douzaine d’hommes
d’Estat, semblables à celuy qu’Apollonius donna
à Titus Empereur de Rome, surnommé pour
sa bonté les delices du genre humain, afin de
leur dire tousiours la verité sans aucune espece de
crainte, criant mesme hautement contre ces
Souuerains, quand ils se voudroient porter à faire
quelque sorte d’iniustice ; & mesme afin de ne
pas souffrir qu’il y eut iamais vn Partisan en toute
la Monarchie. Enfin des seruiteurs qui eussent
vn front d’airain, & vn cœur de diamant, comme
dit la parolle éternelle pour dire ce qu’il faudroit

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dire au Monarque en secret iusques dans ses
oreilles.

 

C’est vne race maudite, qui tousiours saisie
d’vne rage insatiable, & d’vne furie tout à fait desordonnée,
fait bien voir qu’elle a l’ame toute
cauterisée d’vn mal incurable : car pour vne ambition
transitoire, & qui s’esuanoüit comme de
la fumée, elle ne craint pas d’accabler tout le
monde d’vne éternelle misere, pour s’enrichir
elle seulle de sa dépoüille. C’est vne race qui n’a
pas honte, pour se rendre semblable à des Cirus,
de perdre vn nombre infini de pauures innocẽs,
pour se baigner dans la pourpre de leur substance
plus spirituelle. Mais que vous sert-il ames venales
de vous aproprier iniustement le bien d’autruy,
puisque vous n’en ioüirez pas long-temps,
& que vous deuez mourir cõme les autres hommes.
Si vous pouuiez heriter de leur vie comme
de leurs tresors, vous auriez quelque espece de
raison d’en amasser pour subuenir aux necessitez
de l’homme : mais le malheur est que bien souuent
vous n’en auez pas encore gouté le plaisir
qu’il y a d’en auoir, qu’il vous faut aualer le calice
de vostre damnation éternelle.

Ma heur sur vous, dit le Prophete Esaie, qui
conioignez la maison auec la maison, par vne
voye tres inique. Il ne faut donc pas s’estonner,
dit le prophete Ozée, si le sang cherche le sang,
c’est-à-dire si nous sommes accablez d’vne estrãge

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guerre, puis que de fraude, volerie, rapine
extortions, & cupidité regne si outrageusement
parmy les hommes. Nous voyons tous les iours
comme ces sangsues publiques tiennent tout
l’Estat en diuision, afin de pouuoir mieux pecher
en eau trouble. Autrefois le Roy Louis XII.
prit tout l’Empire des Venitiens, toute la Duché
de Milan, & donna de la terreur à toute l’Europe
auec son petit reuenu, sans faire aucune leuée
sur les peuples ; & ces sangsues publiques,
sans pouuoir rien faire que ruiner l’Estat, & perdre
la Monarchie, sous pretexte de trouuer de
l’argent pour subuenir aux frais de la guerre, ont
trouué l’inuention de leuer quelque quatre-vingt
quatre millions de liures tous les ans, pour
seulement engraisser les Ministres d’Estat, &
pour s’approprier le reste, sans payer qui que ce
soit en France. Il n’y a pas encor fort long-temps
qu’ils estoient en differend entre eux à qui auroit
tous les reuenus du Roy en party, afin d’en
pouuoir faire comme de leur propre : mais qui
veut auoir l’honneur d’en ioüyr, il faut qu’il s’accomode
auc Messieurs les Ministres, & celuy
qui leur fait la meilleur part, est receu à imposer
de la part du Roy sur les peuples, ce que bon
leur semble. Et apres cela, l’on doit souffrir des
Partisans & des Ministres d’Estat en France ?
Sommes nous Chrestiens, sommes nous François,
d’endurer de ces infames Tyrans, ce que les

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Captifs du grand Seigneur ne voudroient paendurer
de leur maistre ?

 

Dans tout l’Vniuers, il ne se parle que de l’opprobre
& de l’ignominie des peuples François,
de souffrir que des Partisans fassent ce quil leur
plaist, & qu’ils les traitẽt encore pis que les Barbares
ne traitent pas leurs esclaues. Cela n’est-il
pas prodigieux, d’entendre dire que des gueux
qui sont venus à Paris auec des sabots, & que des
fils de certains Chandeliers, Charpentiers &
Maçons, soient en possession des charges les
plus lucratiues de l’Estat, des plus belles maisons
qui sont à l’entour de Paris, qu’ils ayent
moyen de donner des milions d’or à leurs enfans,
& qu’ils ayent par leurs voleries & par leurs
peculats, reduits tous les Rois de France à leur
emprunter auec vne vsure incroyable, dequoy
suruenir à leurs affaires. Il faut que ces gens-là
ayent bien volé puis qu’ils ont fait des prets au
Roy de certaines sommes immences desquel-
ils tirent tous les ans vn incroyable profit, &
qu’ils offrent encore plus à sa Maiesté de luy entretenir
cinquante mil hommes de pied effectifs
à raison de dix mõstres par an, & quinze mil cheuaux
à raison de huict monstres chaque année :
vingt galeres, & vingt grands vaisseaux ronds :
équipage d’artillerie, apointement d’Officiers,
solde des garnisons, morte-paye & le reste, & de
luy mettre encore six ou sept millions de reserue

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tous les ans dans ses coffres.

 

Voyez donc apres cela, s’il n’y auoit point de
Partisans, si toutes ces sommes immences ne seroient
pas dans les coffres de sa Maiesté, ou dans
les bources particulieres de tous les peuples de
Frances ? voyez si ces gens-là sont riches que de
volleries qu’ils ont faites au Roy & au public ;
& voyez si on les doit souffrir dans vne Monarchie,
puis qu’ils ne trauaillent qu’à la ruine du
Prince & du peuple. Ce sont des gens inconsiderement
esleuez par la tolerance des Souuerains
au plus haut faiste de la fortune, & pour ne
pas bien prendre garde à leurs allechemens, ils
leur font soubsigner des Ordonnances qui ne
vont qu’à l’entier ruine de tout le monde. Et certes
il vaut donc bien mieux perdre ces Tyrans,
que de souffrir que ce Tyrans nous perdent.

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