Anonyme [1652 [?]], QVATRIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les Questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XVIII. Si les Tyrans du peuple & de l’Authorité Royale; auec leurs Partizans peuuent estre sauuez. XIX. Si les heritiers de ces sangsuës publiques peuuent estre sauuez, sans restituer les voleries que leurs predecesseurs leur ont laissées. XX. Si la restitution peut estre bonne, n’estant pas faire à ceux à qui la chose appartient. XXI. Si l’on doit souffrir des Partizans dans vn Estat. XXII. Si les trois Estats ont droit de se mesler des affaires du Prince. XXIII. Si les trois Estats ont droict de remedier aux desordres du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_33.
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QVESTION XX.

Sçauoir si la restitution peut estre bonne,
n’estant pas faite à ceux à qui les choses
ont esté volées, ou du moins à leurs
propres heritiers, quand ceux à
qui elles appartenoient ne sont
plus au monde.

Rendez à Cesar ce qui est à Cesar, & à Dieu
ce qui est à Dieu, dit cét adorable Createur,
qui veut estre obey de toutes ses creatures,
parlant à ses Apostres. C’est pour vous dire que
la sainte & sacrée Maiesté veut que si l’on a pris à
Paul, qu’on rende à Paul mesme tout ce qu’on a
pris à Paul : & si l’on a pris à Pierre, qu’on rende
à Pierre tout ce que l’on a pris à Pierre, ou du
moins à leurs veritables heritiers, qui sont ceux
qui representent leur propre personne : Car qui

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fera autrement, fera vne restitution inualide ; &
se dépoüillera du vol, sans se dépoüiller du crime.
Si le bien estoit au voleur, il en pourroit ordonner
en faueur de qui il luy plairoit : mais estant à
celuy à qui on l’a volé, il n’en sçauroit fruster ses
veritables proprietaires, ou les heritiers des ces
gens-là, ny le donner à qui que ce soit qu’à ceux
à qui il appartient, sans demeurer tousiours responsable
de ce mesme bien, & deuant Dieu, &
deuant les hommes.

 

Non, on n’en sçauroit mesme disposer en des
œuures de pieté, quelques pieuses qu’elles puissent
estre, sans le consentement de ceux à qui il
appartient, attendu que Dieu le leur à donne
pour en faire ce qu’il leur plana, ie veux dire
pour en faire leur salut, plustost que leur perte,
quoy que ce Souuerain Seigneur leur ait donné
leur franc arbitre, aussi bien qu’à tout le reste des
hommes. La iustice de Dieu veut que ce qu’elle
leur a donné leur serue, ou pour faire leur bien
s’ils l’employent comme il faut, ou pour faire
leur mal, s’ils en disposent autrement que selon
l’intention pour laquelle la chose leur a esté donnée.
Et qui leur retient ce bien là, va contre
les ordres de Dieu, & contre la franche liberté
que cét Estre infini auoit accordée de toute éternité
à la personne qu’ils ont volée. C’est aller en
ce faisant contre les decrets de la sagesse de ce
souuerain Seigneur, & s’opposer aux loix d’vne

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volonté à laquelle toutes les autres volontez se
doiuent soumettre. C’est attaquer Dieu iusques
dans le thrône de son adorable Maiesté, & vouloir
mettre des bornes aux dispositions de sa prouidence
éternelle.

 

Voyez apres cela de grace si la restitution peut
estre bonne, n’estant pas faite à ceux à qui les
choses ont esté volées ; ou du moins à leurs propres
heritiers, quand ceux à qui elles appartenoient
ne sont plus au monde. Si nous ne pouuons
pas disposer mal à propos du propre fonds
que nous possedons, sans faire quelque espece
d’iniustice à ceux qui ont des legitimes pretentions
sur nos heritages, par quel droit pourrions
nous disposer d’vn bien ou nous n’auons quoy
que ce soit, & que nous possedons contre nostre
propre conscience. Si nous auons pris à Cesar il
faut restituer à Cesar, & si nous auons pris à Dieu,
il faut rendre à Dieu mesme. L’interest de l’vn
ne fut iamais l’interest de l’autre. Et quoy que
vous rendiez vn bien iniustement acquis à l’Eglise,
l’Eglise & vous ne laissez pas d’estre égalemẽt
obligez à le restituer, puis que ny vous ny l’Eglise
n’auez aucun droict sur le bien d’autruy, non
plus que cét autruy sur le sien & sur le vostre.

Il y a en cette action deux choses à considerer
s’il me semble, qui sont la possession & disposition.
Pour pouuoir équitablement disposer d’vne
chose, il faut que la chose soit absolument à celuy

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qui en dispose, & pour la posseder sans iniustice,
il la faut auoir du consentement de la personne
à qui elle est. Vous voyez bien par là que
puis que le bien n’est pas à celuy qui en dispose
qu’il n’en peut pas équitablement disposer, &
que l’Eglise la possedant sans le consentement
de celuy à qui elle est, ne la peut pas posseder
sans iniustice. Iesus Christ est le Chef essentiel
de l’Eglise, & qui a vn Empire absolu sur elle.
puis qu’elle n’est que de par luy, & mesme qui
ne sçauroit estre sans luy, ne répond-il pas à Pilate
que son regne n’est point de ce monde, &
ailleurs ne dit-il pas encore que les renards ont
leurs trous, & les oyseaux du Ciel leurs nais,
mais que le Fils de l’homme qui est luy mesme,
n’a pas où reposer sa teste : voulant faire voir par
là que l’Eglise n’a aucun droict sur le bien de
quelque creature que ce puisse estre. Et bien
loin de se vouloir approprier le bien d’autruy, ne
dit-il pas encore en S. Luc qu’il ne se veut pas
seulement mesler de diuiser, ny de partager l’heritage
du frere d’auec le frere. Que si Dieu declare
luy mesme qu’il n’a nul droict de s’entremettre
de iuger des heritages d’autruy, voyez si
ceux qui ne sont pas dignes de dénoüer la courroye
de ses souliers ont droict sur le bien des autres.
Le seruiteur n’est pas plus grand que le
maistre, ainsi qu’il le dit fort bien luy mesme
dans S. Mathieu, & la creature ne peut pas auoit

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plus de pretention sur les biens d’vn public ou
d’vn particulier que le Createur qui luy a donné
l’estre y en veut auoir, quoy qu’il soit Souuerain
absolu, & du possesseur, & de la chose possedée.
Ainsi si l’on veut que la restitution soit bien faite,
il faut qu’elle soit faite comme nous auons
desia dit, à celuy que la chose a esté volée, ou
du moins à ses propres heritiers, s’il n’est plus au
monde La iustice de Dieu & la iustice des hommes,
qui est de rendre à chacun ce qui luy appartient,
requiert cela du voleur, s’il n’en veut
estre éternellement comptable à cette mesme
iustice, qui rend à chacun selon la sienne, & qui
se rendra tres redoutable au iour du Iugement
vniuersel, à tous ceux qui n’auront pas restitué
tout ce qu’ils ont pris à ceux mesmes à qui la chose
a esté prise, ou bien à ceux qui tiennent leur
place.

 

La iustice est vne habitude de nostre volonté,
en vertu de laquelle nous sommes obligez de
rendre à chacun ce qui luy appartient, bien contraire
à la iustice de ces sangsuës publiques, qui
est de se saisir du bien d’autruy malgré son possesseur,
ou par finesse, ou par force, sans en vouloir
iamais rendre quoy que ce soit à la personne
qu’ils volent. Suffit d’en donner quelque petite
portion à l’Eglise, quand la mort les presse
de quitter ces biens mal acquis pour faire prier
Dieu pour leur ame. Ah Chrestien à large conscience,

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ne sçais-tu pas que toutes ces sangsuës
publiques, & que tous ceux qui ont rauy & qui
retiennent iniustement le bien de leurs freres,
mourant sans faire vne équitable restitution &
sans faire vne seuere penitence du crime, sont
damnez éternellement, sans aucune espece de
misericorde ? C’est Dieu qui te iuge & qui te condamne
luy mesme par la bouche de son adorable
Legislateur Moyse : par la bouche de l’Apostre
S. Paul ; & presque par tous les sacrez Cayers de
sa sainte & sacrée Parole, contre laquelle il n’y a
point de repit ny d’appel, ny recusation à faire,
ny en ce monde ny en l’autre. L’admonition
franche, libre, & cordiale est vne tres-excellente
medecine. C’est t’aymer parfaitement que de
t’aduertir de ton salut deuant que tu ailles en vn
pays où il n’y a point de satisfaction à faire qui
ne soit éternelle. Prends donc bien garde à toy,
abominable vsurpateur du bien d’autruy, auant
de quitter cette terrestre demeure. Le iour de
ta mort est incertain, & si tost que ce moment
est passé, tous les remedes qu’on y pouuoit apporter
sont passez de mesmes. C’est là où se iouë
le dernier acte de toute la Comedie mondaine.
C’est en ce iour-là où la iustice de Dieu nous attend,
pour nous iuger selon que nous l’aurons
merité, & pour nous faire restituer en vn moment
tout ce que nous aurons amassé en plusieurs
années. Et puis qu’il nous faut restituer en

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mourant mal-gré que nous en ayons, taschons
donc de profiter de l’occasion, & restituons à celuy
à qui nous auons pris la chose, puis que la restitution
ne peut pas estre bonne autrement, de
quelque façon qu’elle puisse estre faite.

 

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