Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.
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Contre les Flateurs.

En second lieu, le Souuerain est estimé tres
sage, lors qu’à l’exemple de Dauid, il deffend
l’abord de sa personne à ceux qui sont d’vne
vie tres pernicieuse, ainsi que les Flateurs, qui
par leurs mauuais conseils, peruertissent tout
à fait les plus excellentes qualitez du Prince.
Ce sont des bestes veneneuses qui empoisonnent
les meilleures constitutions, & que la
mesme Sagesse met au rang des reprouuez en
plusieurs endroits des sacrez cayers de l’Escriture
Sainte. Et certes la mort de l’ame n’est pas
plus à craindre que les inspirations de ces demons
incarnez, & de ces horibles Eumenides.

Bien que ce soient des Cameleons qui prennent
toute sorte de couleurs hormis la blanche ;
des esprits qui sont l’office des furies infernales ;
des guespes qui mangent le miel
des auettes ; des faux escus qui n’ont que le lustre
& la splendeur de l’or, des poux affamez
qui fuyent les morts, si tost que le sang qui

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les nourrit est esteint ; des objets qui disparoissent
au mesme instant que leur soleil est
couché : & qu’il soit facile de les reconnoistre,
& tres aisé de se garder d’eux ; neantmoins ils
sont si subtiles par leur astuces à deceuoir vniuersellement
toute sorte de personnes, qu’il
est comme impossible de s’en pouuoir de fendre ;
d’autant que les flateries ont naturellement
l’adresse de se rendre aymables, & de se
faire receuoir par ceux qui ne font simplement
que leur pousser la porte, au lieu de la leur
fermer tout à fait.

 

Ainsi preocupez de leurs fausses loüanges,
ils se resioüissent d’en estre circonuenus, &
prenans vne pernicieuse raillerie, pour vn seruice
d’importance, ils sont dignes d’estre raillez,
& de seruir de risée à toute la terre habitable.
Mais qu’ils sçachent que la plus belle
loüange des Princes est d’auoir esté faits enfans
d’adoption par nostre Seigneur Iesus-Christ,
comme vous, & que c’est vne grace
qu’ils ne sçauroient iamais receuoir pleinement,
que de la main de celuy qui manifeste
le secret des cœurs, auant de nous donner sa
beatitude éternelle.

Si tost que le Prince se trouue sousmis aux
persuasions de ses ames flateresses, le masque
leué, elles se disposent à toute sorte de cruautez

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& barbaries, & rendant criminel qui bon
leur semble, ils luy persuadent qu’il est obligé
pour le bien de l’Estat, & pour le salut de sa
propre personne de leur renere iustice, & d’en
faire vne punition exemplaire. Tellement
qu’il ny a mal-heur, ny attentat dont les flateurs
ne soient les instrumens, ny precipice où
ils ne iettent ceux qui se laissent aller à leurs
flatteries. Ils nous tendent des pieges, deçoiuent
nostre credulité, & par leurs amadoüemens
& par leurs blandices, ils nous obligent
à la guerre contre Ramoth de Galaad, où nous
nous trouuons à deux doigts de la mort. Apres
cela ils se portent iusques à induire le Prophete
Royal Dauid à prendre iniustement le bien
du maistre, pour le donner au seruiteur, & mesme
à nous faire manger du fruict de l’arbre de
vie, contre les deffences du Seigneur, afin que
nous perissions auec ces funestes harpies.

 

En vn mot ce sont des veritables Candiots
qui demeurẽt pres de Perseus, non pas pour l’amitié
qu’ils ont pour luy : mais pour l’amour de
ses richesses. Enfin ce sont des esprits complaisans,
des amis de table, des esclaues du vin &
de la paillardise : & pour tout dire, ce sont des
cœurs sans zelle, des ames sans religion, &
des esprits sans humanité quelconque. Aussi

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pour les maux qu’ils causent, Dieu leur retranche
leur iours, & les fait choir du faiste de
leurs grandeurs, au centre de ses éternelles disgraces :
Car il détruit les propos des hommes
pernicieux, & déracine la langue de la terre des
viuans à ceux qui brassent des laschetez à leurs
freres.

 

L’homme de mauuaise foy, le flateur & le
raporteur, sont nez pour semer des dissentions
& pour des-vnir les Princes. Leurs paroles sont
des blessures secrettes, qui causent des estranges
émotions en la personne de ceux qui leur
prestent l’oreille ; & quand mesmes ils diroient
parfois, quelque verité, on leur doit imposer
silence : veu qu’ils ne parlent iamais selon
Dieu, que pour tenter ou pour seduire. Iesus-Christ
commande à Satan de se taire ; tance les
esprits immondes qui veulent rendre témoignage
de luy, & mesme il deffend aux meschans
de prendre sa parole en leur bouche. Les
clochettes qui pendoient à la robbe d’Aaron,
estoient entre-meslées de grenades, pour nous
apprendre à ne pas aimer vn son sans fruit, ny
vn discours sans vtilité quelconque. Le figuier
où il ne se trouue que des feuilles est maudit,
& doit estre bruslé iusques aux racines.

Ceux qui s’attachent auec plus de passion à

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caresser les Princes, sont ceux qui le plus souuent
troublent leurs felicitez, & qui les font
mal-heureusement d’estourner des veritables
sentiers de la iustice. Ce n’est pas en songe que
Ephestion leur aparoist, ny qu’ils voyent aller
l’ame de Cesar au Ciel, quoy qu’ils nous veuillent
faire croire. Les vrais seruiteurs des Princes
ne les flattent pas ainsi : mais auec toute la
reuerence que la Majesté du Souuerain le requiert,
ils tachent de le desabuser lors qu’il
s’écarte du chemin de l’équité, & de le tirer de
l’erreur où il est, iusques à luy contredire principalement
quand ses actions ou ses volontez
vont contre son salut, contre l’Estat, ou contre
sa personne. Phocion ne sçauroit estre & flateur
& amy tout ensemble. Les Princes doiuent
discerner & mettre de la difference, entre
celuy qui ayme le Roy, ou qui cherit Alexandre.
Ils doiuent faire estat de ceux qui ne font
que des actions de vertu, & qui seruent auec
franchise. Ils doiuent considerer ceux qui ne
mettent point leur felicité en celle de Venus,
ny en celle d’Epicure ; qui ne mesurent pas le
merite de la personne, ny par les faueurs, ny
par la suitte, ny par les richesses, ny par le pourpre,
& qui ne suscitent leur esprit à contenter
leurs voluptez, que par des moyens deffendus,

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& tout à fait abominables : mais qui ayment autant
la verité, qu’ils detestent la flaterie. Ceux
qui suiuent leur personne auec vne passion desinterressée,
doiuent estre honorez de leur amitié
& de leur franchise, & non pas ceux qui ne
s’attachent qu’à leurs prosperitez, & qui ne se
donnent qu’à leur bonne fortune.

 

Il faut estre né Prince ou d’vne maison tres
illustre, pour auoir l’honneur d’aprocher les
Roys d’Egypte, & si il faut encore qu’ils soient
grandement vertueux, & tres experts en toute
sorte de sciences, afin qu’à leur imitation, leurs
Monarques se gardent de faire quelque chose
digne de reproche. Il se trouue fort peu de
Souuerains qui deuiennent vicieux de leur propre
mouuement, si quelqu’vn de ceux qui les
abordent ne les y porte. Il se peut bien trouuer
quelque Prince qui sera naturellement
bon, sans l’estre à l’exemple de personne : mais
qu’il soit depraué sans frequenter ceux qui le
sont, la chose semble estre comme impossible.
Le mesme iour qu’il s’accompagne de ces esprits
contagieux, le mesme iour il se met au
hazard d’alterer sa santé, & de perdre son ame
aussi bien que sa personne. Les superbes, les
ambitieux, les coleres, les blasphemateurs, les
luxurieux & les infames, ne doiuent pas estre

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les familiers d’vn Souuerain, ny les domestiques
d’vn Prince.

 

Si les Roys ne se peuuent pas bien informer
de la verité de leurs affaires, par le ministere
de ceux qui ont l’honneur d’aprocher de
leur personne, & que le respect des vns & la
lascheté des autres, les rendent également criminels
de Leze-Majesté, ils sont obligez en
conscience de faire l’office d’vn homme desguisé,
& de s’en aller iusques dans les cellules
& les cabanes où cette fille du Ciel se fait voir
sans appregension & sans tache, affin de s’instruire
de sa propre bouche, des mysteres
qu’ils doiuent sçauoir pour leur salut, & qu’ils
ne sçauroient apprendre de l’infidelité de leurs
seruiteurs ny de la trahison de leurs domestiques.

Qu’ils lisent aussi les liures qui traittent du
gouuernement des Royaumes & des Empires ;
& ainsi ils seront plus que suffisamment informez
des choses qu’il faut qu’ils sçachent pour
bien regner & pour bien viure, afin d’aporter
vn remede conuenable aux maladies de l’Estat,
& aux infirmitez de leur personne.

Qu’ils ne regardent pas tant aux statuës qu’on
leur dresse, ny aux honneurs qu’on leur decerne,
qu’ils doiuent regarder à leurs propres

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actions : car les loüanges qu’on nous donne
sans les auoir meritées, nous reprochent nos
defauts si on les considere de la mesme façon
qu’elles doiuent estre considerées, ou bien elle
nous portent à des vanitez qui nous rendent
odieux & à Dieu & aux hommes. Et quoy
que la verité de l’honneur depende de l’affection
de ceux qui le deferent, il ne laisse pas
d’y auoir plusieurs personnes qui rendent aux
Princes vicieux, les mesmes honneurs qu’ils
rendroient aux plus insignes vertus des hommes,
suscitez à cela seulement de l’apprehension
qu’ils ont de leur puissance.

 

C’est pourquoy tous les Roys, tous les Princes,
tous les Seigneurs & mesme tous les hommes
du monde, doiuent parfaitement bien
obseruer ceux à qui ils demandent conseil, &
ceux ausquels ils ont affaire. Il faut qu’ils taschent
de sçauoir s’ils ne sont point suspects,
quels ils sont, quels ils ont esté, & quelles necessitez
ils ont, de peur qu’ils ne les conseillent
pour leur profit particulier, & qu’ils ne
mettent l’Estat en quelque peril aussi bien
que leur personne.

On ne se doit pas conseiller des moyens
qu’il faut tenir pour bien seruir Dieu, ny auec
vn impie, ny auec vn Athée : l’iniustice ne

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nous sçauroit iamais prescher que l’iniustice ;
vn lasche ne sçauroit faire que des actions de
lacheté, & l’ingrat ne reconnoistra eternellement
les biens qu’on luy aura faits, que d’vne
éternelle ingratitude. Ceux qui n’ofrent que
des paroles à nostre seruice, & qui retiennent
le negoce à leur profit, n’ont aucune sainte deliberation,
ny pour le Prince, ny pour le peuple.

 

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