Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.

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LE MIROIR DES
Souuerains, où se void l’Art de
bien Regner, & quelles sont les
personnes qu’ils doiuent élire
pour estre leurs Commensaux,
leurs Domestiques, leurs Seruiteurs,
leurs Conseillers, & leurs
Ministres d’Estat.

QVEL EST LE DEVOIR DE
tous ces diuers esprits ; & quelle doit
estre leur recompense.

LA prudence est vne habitude de
l’entendement, qui ne s’occupe
iamais qu’à rechercher les expediens
plus conuenables, pour arriuer
à la fin qu’on s’est proposée. Et ie ne
croy pas (que nous prenions le soin de chercher
les veritez dans leur principe) que les
Souuerains sçachent auoir des actions, quelques

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merueilleuses qu’elles puissent estre, qui
facent tant éclatter ceste diuine vertu, que l’adresse
qu’ils ont de s’accommoder aux diuerses
inclinations de leurs sujets, & d’employer
les personnes selon la nature de leurs propres
facultez, & selon la portée de leur suffisance.
C’est pourquoy le Prince pour se mettre
au rang des Monarques les plus illustres,
doit gouuerner ses Estats de la mesme sorte
que Dieu gouuerne toutes les parties de ce
grand Vniuers, & disposer de ceux qui doiuent
viure sous ses loix, ainsi que cét adorable
Seigneur dispose de ses creatures. Pour ne
pas troubler l’ordre de la nature, sa Diuine
Majesté esclaire auec le Soleil, brusle auec le
feu, arrouse les campagnes auec les eaux,
produit des fleurs & des fruits auec la terre
& les saisons, & si elle entretient la paix de
tout l’estre crée, auec le concours de sa prouidence
éternelle. Aaron fut éleu son Sacrificateur,
& Moyse pour conduire les Israëlites.
Themistocles ne s’amuse qu’à faire bastir des
puissantes Cités, & Antonius ne s’exerce qu’à
battre des Nations, & qu’à conquerir des
Royaumes. Polydame est nay pour le Conseil,
& le vaillant Hector pour les armes. Lamachus
est infatigable au trauail, & Cyzienus ne
se plaist qu’à la Philosophie.

 

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Tous ceux que l’Empereur Valerian auoit designez
pour estre Chefs, furent iugez dignes
de l’Empire. Minerue fit parler Vlysses pour
persuader la paix aux Atheniens, & Pandarus
pour leur declarer la guerre. Mathias commanda
à ses enfans de prendre Simon leur
frere ponr leur Conseil, & Iudas Machabée
pour leur Capitaine. Lysimachus prit les gẽs de
Thrace & de la mer Pontique, comme les plus
hardis, & celuy qui fust reconnoistre le camp
des Phrygiens, laissa les plus vailllans, & mena
auec luy ceux qu’il croyoit estre doüez de plus
de prudence.

Les membres d’vn mesme corps, quoy que
poussez d’vn mesme esprit, ne sont pas tous
propres à vn mesme vsage. Les hommes ont
leurs effets tous differens, & nous n’auons
qu’vn seul Seigneur, qu’vne seule Foy, & qu’vn
seul Baptesme. Les vns sont appellez par l’amour,
& les autres par la crainte. Les vns ne
fondent leur salut, que sur vn esprit de charité,
& les autres sur vne esperance éternelle.
Et quoy que l’õ puisse dire, l’employ doit estre
distribué selon le talent, & la Grace selon le
merite. C’est par l’esprit de Dieu que les ordres
sacrez sont distribuez à diuers objets, que les
Roys & les Princes sont crées à diuerses fins,
& que les Prestres sont esleus à diuers vsages.

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C’est par luy que Salomon est rempli de sagesse ;
que Daniel est doüé d’entendement ;
que Ioseph est pourueu de conseil ; que Samson
est comblé de force ; que Moyse est plein
de science ; que Dauid abonde en pieté ; &
que lob ne respire que son amour & sa crainte.
C’est par luy que les Saints foisonnent en
toute sorte de vertus ; que les humbles & les
debonnaires sont les bien aymez ; que les meschans
sont iustifiez ; que les pechez sont remis ;
que les morts sont resuscitez ; & qu’il les constituë
heritiers de sa beatitude éternelle.

 

Ainsi par vne prudence qui ne doit pas
auoir d’autre modelle que la Prouidence Diuine ;
Les grands de la terre & les Princes du
monde, sont obligez pour leur bien, de s’accommoder
aux differentes inclinations de
ceux qu’ils employent aux affaires, & de proportionner
les charges aux diuers sentiments
de leur ame. Il faut necessairement qu’ils se
seruent de la hardiesse des vns, pour execuenter
les entreprises plus difficiles & plus dangereuses,
& qu’ils vsent du conseil des autres,
pour l’employer aux occasions où la valeur est
moins necessaire que la prudence. Enfin ils
doiuent mesnager si accortement les humeurs
& les passions des hommes, que cette race
populaire n’ait iamais sujet de viser qu’à leur

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profit, ny de tendre qu’à leur gloire, & ainsi
les faire insensiblement arriuer à la fin qu’ils
se sont proposée, sans leur donner aucune connoissance
des mysteres de l’Estat, ny des merueilles
de leur extraordinaire conduite.

 

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