Anonyme [1649 [?]], LE VERITABLE AMY DV PVBLIC. , français, latinRéférence RIM : M0_3917. Cote locale : A_7_69.
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LE
VERITABLE
AMY
DV PVBLIC.

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LE VERITABLE AMY
du Public.

C’est vne remarque de Pline second dans le Panegyrique de
Trajan que les peuples se plaignent le moins du gouuernement
du Prince, quand ils ont plus de liberté de se plaindre, & que
lors qu’il veut estouffer leur murmure sans remedier à leurs maux ;
on entend de toutes parts leurs souspirs, & se laissant emporter à
la douleur ils perdent le respect & blasment indiferemment tous
ceux qu’ils iugent estre les causes de leurs peines, & les instrumens
de leur malheur. Comme la loüange est la plus digne recompense
de la vertu, aussi le blasme l’est du vice : Ceux qui portent cettuy-cy
dans le thrône, quelque corruption qui se rencontre dans le
siecle ou ils viuent, ne peuuent pretendre que quelques fausses
loüanges qui mesme bien souuent les font trouuer plus desagreables,
& les rendent ridicules, & ils doiuent estre asseurez que tost
ou tard on les exposera en public, & qu’vn chacun les verra tels
qu’ils sont tirez sur leur original reuestus de leurs mauuaises habitudes,
& l’ombre de leurs meschantes actions fera paroistre leur
infamie. Depuis ces derniers troubles de l’Estat on a mis en lumiere
des escrits touchant le gouuernement, & il s’en debite tous
les iours de nouueaux qui contiennent beaucoup de belles paroles
& force mauuaises choses tout ce qu’on a dit, qui se dira & qui
se peut dire de bon & à propos sur ce suiet, doit estre reduit en ces
deux points ; A sçauoir les plaintes & les murmures du peuple que
l’excez de leurs souffrances arrache de leur bouche ; & le blasme
de ceux qui estant obligez de rendre ce mesme peuple heureux
par la douceur de leur gouuernement & sagesse de leur conduite,
le traitent plus rigoureusement que des esclaues, & le rendent du
tout malheureux par leurs cruautez, extorsions, tyrranies, & mauuais
deportemens.

Il est vray qu’à ne vous point flatter, si nous auons du mal, ou si
on nous donne du blasme, nous ne deuons accuser point d’autres
que nous mesmes, disons hardiment que nous sommes les ouuriers

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de nostre mauuaise fortune. N’est il pas vray que suiuant le dire
de l’Euesque de Constantinople personne ne peut estre endommagé
que par soy-mesme, Nemo læditur nisi à se ipso, & pour profiter
d’vn si bon aduis, & suiure le conseil d’vn si grand & si saint
Personnage, que ceux-là qui sont si faschez qu’on publie leurs excez
qui ne sont que trop publics d’eux msmes changent leur administration,
& de mauuaise la rendent bonne ou moins insupportable,
& à lors ils trouueront que toutes les maledictions qu’on leur
donne seront changées en benedictions, & on n’aura d’autre sentiment
pour eux, sinon que comme des Dieux ils ont eu entre
leurs mains la felicité ou l’infelicité des hommes. C’est peine perduë
pour eux de s’en prendre contre les Autheurs, ou contre les
Imprimeurs, pour empescher que ces petits escrits ne voyent le
iour. Peuuent-ils empescher qu’on parle, qu’on escriue, qu’on
publie des veritez qui sont plus claires que la lumiere du Soleil :
c’est estre iniuste de faire du mal, hardy de le faire au public, effronté
de ne pas apprehender chastiment, & du tout insensé de
croire que personne n’osera rien dire. Tant plus on nous deffend
vne chose, tant plus nous la souhaitons, dit le Poëte :

 

Nittimur in vetitum semper cupimusque negata.

Ceux qui liront ces cayers apprendront qu’ils ont esté deschirez
ayant esté pris dans l’Imprimerie par vn meschant Espion de
Mazarin, duquel on ne se donnoit point de garde, parce qu’il est
de l’Art de l’Imprimerie ; & comme vn double traistre sert d’instrument
aux ennemis pour descouurir & accuser les autres. I’auois
encore la memoire fraische de mon escrit quand i’ay sçeu
qu’il auoit esté rauy & porté à M. Lieutenant Ciuil, mais que plusieurs
choses ne meschappant en voulant le refaire, c’est dequoy
ie ne me puis garantir.

Ie voudrois n’employer iamis ma plume qu’à des Panegyriques,
si ceux qui ont la conduite des peuples le meritoient. Quelque
affection que ie leur aye tesmoigné ie n’ay peu gagner sur mon
esprit de dire du bien des personnes qui n’ont iamais fait que du
mal. Ie sçay bien qu’il est permis aux Orateurs de mentir, mais il
faudroit quelque chose de plus fort que l’Eloquence, pour faire
accroire aux peuples que ceux qui les ont voulu perdre meritent
des loüanges. Et ie crois qu’Isocrates n’auroit pas entrepris de
faire le Panegyre de Busiris que dans la Grece, & n’auroit iamais

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eu l’asseurance de le reciter deuant ceux que cét infame Tyran
auoit tourmentez. Neron peût bien faire rire dans vn banquet
celuy duquel il venoit de faire massacrer le Fils ; La France ne peut
auoir vne telle condescence, & ne peut tesmoigner que du dueil
apres la perte de tous ses Enfans.

 

Reuenons en là, personne ne souffre du mal s’il ne vient de luy
mesme, que ceux qui sont maintenant l’obiet de la haine du peuple,
& ne donnant que trop de suiet de mal parler en oubliant
leurs veritez facent mieux, & nous aurons bien tost la bouche
close, que s’ils se seruent d’autres moyens pour nous tromper asseurement,
il y aura plus de trompez que de trompetes. Nous
sçauons par quel droit on peut opposer la force à la force, que
l’obligation cede à la constance, & que la tyrannie est en son dernier
periode, quand elle est dans son Apogée.

Et vous aussi Peuples qui souffrez & gemissez depuis si long
temps sous le ioug d’vne si rude tyrannie ; Aprenez, aprenez que
c’est vous qui estes la cause de vostre malheur, les au heurs de vostre
calamité, & les forgerons de vos chaisnes. Non n’accusez
point l’imbecillité ou l’insuffiance de vos Souuerains, ny mesme
la malice de celuy qui par ses ruses ou par ses attraits s’est esleué
iusques aupres des degrez du thrône Prenez vous en à vous mesmes,
accusez-vous, iugez-vous, & vous condamnez ; vous auez
attiré par vos offences l’ire de Dieu sur vous. Pour satisfaire à sa
Iustice il s’est seruy de la foiblesse de vos Rois, de la malice des
Ministres d’Estat, & de l’iniustice de ceux qui deuoient suppléer
aux deffauts des vns, & s’opposer la violence des autres. Considerez
qu’elle est l’énormité de vos crimes par l’excez & la rigueur
de ses vengeances. Sans doute que vous auez commis les pechez
des Egyptiens, & des Israëlites, puis que Dieu : vous chastie comme
eux. Oyez parler Esaye, & vous sçaurez de qui il parle, ou à
qui il s’addresse, quand il dit chapitre 1. vers. 7. [Vostre Païs n’est
que desolation, les Estrangers deuorent en vostre presence vostre
terre, chap. 3. vers. 1. & suiuans. I’osteray, dit le Seigneur, l’Eternel
des Armées, le Soustenement & appuy, le Fort, le Iuge, le Preuoyant,
le Cinquantenier, le Conseiller, l’Homme d’authorité,
& leur bailleray de jeunes gens pour gouuerneurs, & les Enfans
domineront sur eux, le Peuple sera rançonné l’vn par l’autre, vn
chacun par son prochain. Quand à mon Peuple les enfans sont

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ses Preuosts, & les Femmes dominent sur luy : Que vous reuient-il
il de fouler mon Peuple, chap. 10. Malheur sur ceux qui ordonnent
des ordonnances d’extorsion, & qui dictent l’oppression
qu’on leur a dictée. Malheur sur ceux qui appellent le mal bien,
& le bien mal, qui font les tenebres lumiere, & la lumiere tenebres,
qui font l’amer doux, & le doux amer, &c.] Toutes ces diuines
paroles sont autant d’oracles dont nous auons l’accomplissement
deuant nos yeux, & il n’y à que des aueugles qui ne le
puissent voir, mais des aueugles volontaires coulpables de leur
aueuglement fermans les yeux pour ne pas receuoir les rayons de
cette esclatante lumiere qui ne les pourroit esclairer que pour
leur honte & confusion.

 

Ie ne veux pas m’estendre icy d’auantage, laissant cette noble
matiere pour des Theologiens. Ie diray seulement en passant sur
ces paroles du Prophete, le Peuple sera rançonné l’vn par l’autre,
vn chacun par son prochain, que nous auons mis cette glose.
Les François sont si forcenez par le iuste Iugement de Dieu, qu’ils
se fouleront & mangeront les vns les autres. Qui voudroit prendre
garde à toutes les extortions, cruautez, & tyrannies qui
s’exercent en France sur tous les Subjets du Roy, trouuera que
c’est le Clergé, la Noblesse, & le Tiers Estat, sont deuenus
les complices de ceux qui ruinent l’Estat, & les suposts de la tyrannie.
Le temps est bien mauuais, dit on, quand les Loups se
mangent les vns les autres. Hé que void-on auiour-d’huy que de
Lixantrophes ! le Prelat escorche ses brebis au lieu de les tondre,
& les deuore, il n’espargne pas mesme le Clerc. Le Prince auale
des gend’armes tous entiers. Le President mange le Conseiller ?
& de luge deuient chef des Partisans & du monopole, vn chacun
pille son prochain : Le Marchand sert d’Espion, & de Maltotier
contre le Marchand : Le Tauernier sert de Mouchard, & va visiter
la caue de son voisin : Et l’Imprimeur court par les Imprimeries
pour surprendre l’Imprimeur : en vn mot du plus grand iusques au
plus petit chacun tasche de se reuestir de despoüilles ou se gorger
du sang de son voisin.

De plus nous nous entendons auec nos ennemis ; pour eux il
n’est rien de si saint & sacré, pour qui ils ayent du respect. Nous
auons du scrupulle, & croyons faire contre les loix de faire la
guerre ou repousser la violence de ceux qui les ont toutes violées.

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Nostre lascheté les rend hardis, & s’ils mettent en pratique
cette detestable maxime, Si ius violandum est regnandi causa viclandum
est. Nostre condescendance fait vne bonne partie de leurs
crimes. S’ils n’auoient veû les peuples accoustumez à tout souffrir,
ils n’auroient eu garde d’exercer tant de cruautez, & les traiter
auec tant de violence. Qu’ils sçachent pourtant que pour estre
le fleau des peuples, ils n’amendent point leur chastiment ; Dieu
se sert des meschans pour chastier les bons, & estant appaisé par
l’amendement de ceux-cy, tourne son courroux contre les autres,
& comme vn Pere satisfait iette dans le feu les Verges dont il a
chastié ses enfans, ainsi Dieu apres qu’il aura souffert pour vn
temps le Regne des tyrans, destruira en vn moment, & eux &
leur tyrannie. Que si vous me dites comme les Impies & les
Athées, que le terme vaut l’argent. Que c’est vn à sçauoir si Dieu
fera cesser son chastiment sur le peuple, ou tournera sa vengeance
sur ceux qui l’escrasent & le destruisent. Ie vous responds que
comme cét Anglois repartit au François, qui luy demandoit en
raillant, quand est-ce qu’ils reuiendroient en France ; Nous repasserons
la mer, dit-il, quand vos pechez seront plus grands que
les nostres. De mesme ie dis que dés aussi tost que les crimes de
ceux qui gouuernent l’Estat seront paruenus au comble de leur
mesure, Dieu destruira leur grandeur. Que celuy qui a changé
la Monarchie en tyrannie, examine si ce n’est pas de luy que le
Prophete Esaye parle chap. 22. vers. 15. Quand Dieu dit par sa
bouche, qu’as-tu à faire icy, & qui est icy qui t’appartienne, que
tu t’es icy taillé vn sepulchre. Voicy l’Eternel te fera desloger
d’vn deslogement roide, & t’entortillera du tout, toy qui es l’ignominie
de la Maison de ton Seigneur, ie te ietteray hors de ton
rang, tellement qu’on te deboutera de ton estat, & vn autre sera
reuestu de ta casaque.

FIN.

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