Anonyme [1652 [?]], QVATRIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les Questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XVIII. Si les Tyrans du peuple & de l’Authorité Royale; auec leurs Partizans peuuent estre sauuez. XIX. Si les heritiers de ces sangsuës publiques peuuent estre sauuez, sans restituer les voleries que leurs predecesseurs leur ont laissées. XX. Si la restitution peut estre bonne, n’estant pas faire à ceux à qui la chose appartient. XXI. Si l’on doit souffrir des Partizans dans vn Estat. XXII. Si les trois Estats ont droit de se mesler des affaires du Prince. XXIII. Si les trois Estats ont droict de remedier aux desordres du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_33.
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QVESTION XXIII.

Sçauoir si les trois Estats ont droit de remedier
aux desordres du Royaume,
sans y estre appellez.

Les trios Estats sont composez du Clergé,
de la Noblesse, & du Peuple. Et dans ces
trois Corps tout le monde du Royaume y est
compris, si bien que quand on demande si les
trois Estats ont droict de remedier aux desordres
du Royaume sans y estre appellez, c’est
me demander si toute la France a droict de remedier
aux desordres où elle est sans s’y appeller
elle mesme, attendu qu’apres les trois Estats
il n’y reste plus personne. Et puis qu’il n’y peut
auoir de desordres dans l’Estat qui ne s’addressent
à eux, il est bien iuste qu’ils taschent d’y
remedier, sans attendre qu’on les y appelle,
veu qu’il n’y reste qui que ce soit que ceux qui
les persecurent, qui sont des partis estrangers,
ou des membres pourris, qui par leur pernicieuse

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volonté se sont se parez du reste, & qui
seroient bien maris qu’ils y fussent appellez,
pour s’opposer aux pernicieuses intentions qu’ils
ont conceuës, & contre le Prince & contre le
peuple.

 

Quand les malheurs nous attaquent de toutes
parts ; & que le bas aage du Roy fait que personne
n’y peut appliquer vn veritable remede
que nous mesmes, il me semble qu’il est bien plus
iuste que nous preniõs la liberté d’y remedier,
que d’attendre laschement qu’on nous assubiettisse
le reste de nos iours en vne estrange Tyrannie :
Chacun est obligé de songer à son salut, &
la grace que Dieu nous fait de nous en donner
les moyens, nous accuseroit vn iour de ne l’auoir
pas fait cependant que nous le pouuions
faire. Outre que quand le Roy seroit obsedé iusques
au point de vouloir la perte de l’Estat, cõme
fit Charles VI. qui donnant Cetherine sa fille
en mariage au Roy d’Angleterre, luy dõna pareillement
aussi le Royaume, au preiudice de son
fils, qui estoit le veritable & legitime successeur
de la Couronne, les Estats ont droit de s’y opposer
& de remedier aux desordres qui en arriuent,
sans attendre qu’on les y appelle. Les
François ne se sçauroient assubiettir qu’à leurs
legitimes Souuerains, ny souffrir qu’vn vsurpateur
de l’authorité Royale les vienne tyranniser

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sans s’opposer à leurs tyrannies. La nature &
les loix de l’Estat leur donnent ces droits, &
veulent qu’ils s’assemblent pour cela, sans attendre
qu’on les y appelle. Le Clergé doit de
tout son cœur empescher qu’il ne se passe rien
dans l’Estat, ny contre l’honneur ny contre la
gloire de Dieu : La Noblesse doit auoir tousiours
les armes à la main pour conseruer la liberté
du Roy & le bien de l’Estat, & le salut du
peuple : Et le peuple est obligé de prester main
forte & aux vns & aux autres pour l’execution
de leur ordre.

 

Quand Edoüard Roy d’Angleterre disputoit
le gouuernement de la Reine Ieanne que Charles
le Bel auoit laissé grosse en mourant, & mesme
le Royaume apres que la Reyne ne se fut
accouchée que d’vne fille, comme estant le plus
proche heritier de la Couronne ; les trois Estats
quoy qu’il n’y eut pas encore de Roy pour les
conuoquer, ne s’assemblerent ils pas eux mesmes
pour ordonner du Royaume, & pour iuger
à qui il deuoit estre donné. Sur lequel different
il fut arresté que Philippe de Vallois seroit
gouuerneur de la Reine, à cause de la loy
Salique. Ce qui fut tellement obserué, que ledit
Philippe de Vallois, au lieu de Regent, fut
declaré Roy, apres que la Reyne Ieanne se fut
accouchée.

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Charles VI. ne fut il pas declaré Maieur &
Couronné Roy auant les 14. ans accomplis, par
les trois Estats, quoy que Charles V. son pere
l’eut expressement deffendu, par vne ordonnance
testamentaire ?

Apres la mort de Louis onziesme, les Estats
ne s’assemblerent-ils pas à Tours, où il fut arresté
que madame Anne de France auroit le
gouuernement du Roy Charles VIII. fils du
Roy defunct, & que les Princes & les plus grands
Seigneurs du Royaume gouuerneroient les affaires
de France, quoy que Monsieur Louis Duc
d’Orleans en eut demandé la conduitte, comme
estant le plus proche heritier de la Couronne.

Montluc Euesque de Valance, en la Harangue
qu’il fit à François II. dit qu’à moins de
conuoquer les Estats, il estoit impossible de
pouuoir bien remedier aux desordres du Royaume.

Nos anciens Rois, en vertu de la loy Salique,
ont torclos tous les Estrangers de la succession
de la Couronne, & de la tutelle de nos
Rois, quelques testamens qu’ils pussent faire à
ce contraires ; & en cas qu’il suruint quelque
differant là dessus, ils ont voulu que les trois
Estats du Royaume fussent conuoquez incontinent
apres le deceds du Roy, pour faire valoir

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& tenir leur volonté enuers tous & contre tous,
selon le pouuoir qu’ils leurs en ont donné par
leurs ordonnances.

 

Si-tost que le Roi François II. fut mort, les
Estats s’assemblerent à Orleans, où il fut dit
que le Roy de Nauarre seroit Gouuerneur, &
que les Princes du Sang le Connestable, l’Admiral,
& plusieurs autres Seigneurs seruiroient
de Conseil au Roi, & gouuerneroient les affaires
du Royaume : & que les Ecclesiastiques,
qui y auoient esté auparauant appellez par le
Roi defunct, seroient reuuoyez à leurs charges,
pour y resider selon les constitutions Canoniques.

En l’an mil cinq cens soixante & vn, & le premier
iour du mois d’Aoust, au commencement
du Regne de Charles XI. les Estats furent tenus
à Ponthoise, où ils ils auoient esté assignez
depuis la fin de l’année precedente, & où les
cahiers desdits Estats furent dressez par les Deputez
des Gouuernemens, afin de les porter à
consentir à l’accord qui s’estoit passé entre la
Reine Mere & le Roi de Nauarre pour ce qui
estoit du Gouuernement. Et mesme pour les
y faire consentir, il fut necessaire que le sieur
du Mortier y allast de la part du Roy & de la
Reine : que l’Admiral de France y retournast
encore de leur part, & finalement il falut que

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le Roi de Nauarre y fut lui mesmes y emploier
tout son credit ; parce qu’il y en eut beaucoup
qui soustenoient que depuis que le Roy Sainct
Louis auoit renouuellé la loy Salique, on n’auoit
pint donné l’administration des affaires de
France, à pas vne Reine : mais que ceux à qui
l’affaire importoit le plus y consentoient, qu’il
faloit esprouuer quel en seroit l’éuenement. Et
de fait, ils ne donnerent pas leur consentement
à cela, sans protester contre eux de leur procedure ;
laquelle protestation ils furent presenter
en la grande Salle de S. Germain en Laye,
où l’assemblée desdits Estats fut faite.

 

Henry II. fut bien contraint de les conuoquer
au commencement de l’année 1558. dans
la grande Salle du Palais, pour faire vne leuée de
deniers en forme de prest sur tous ces peuples ;
où le Roy proposa luy mesme la necessité de ses
affaires ; & où le Cardinal de Lorraine porta la
parole pour le Clergé : Le Duc de Neuers pour
la Noblesse, le President Saint André pour la Iustice ;
& le Sieur du Mortier pour le peuple, où
chacun fit offres au Roy, du bien & de la vie de
ceux en faueur de qui ils faisoit leur harangue.

La negligence de les conuoquer, cause ordinairement
des grands desordres dans l’Estat, en
premier lieu le Roy n’en est pas si bien obey, qui
est vn des plus grands malheurs qui puisse arriuer

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à la Maiesté du Prince. De là on vient au
mespris des loix du Souuerain, & finalement à
la desobeissance : car si le peuple n’est pas escouté,
& qu’on ne luy rende pas iustice, il vient à
perdre peu à peu l’esperance d’estre soulagé, &
en suitte à se tirer de la soubmission qu’il doit à
son Monarque, sans reuerer ny le commandement
du Roy, ny l’authorité de la iustice. Au
contraire il se resout au pis qu’il en peut arriuer,
faisant vne ferme resolution de se consacrer plustost
à la mort qu’à la tirannie.

 

D’ailleurs les mal-contens, voyans les peuples
mal edifiez, trauaillent à l’aigrir encore d’auantage,
accusant les Ministres & les Regens, s’il
y en a, de tous les desordres du Royaume, qu’ils
disent estre mal cõduit, & sous pretexte de quelque
occasion qui semble auoir quelque apparence
de verité, fait quelque fois que le pauure
peuple qui ne sçait pas la verité des affaires, donne
librement sa creance à toutes les choses qu’õ
luy persuade. Cest pourquoy ceux qui n’a prouuent
pas les Estats, parlent plus pour leur interest,
que pour l’interest du Prince & du peuple.
Ce sont ceux qui veulent gouuerner tous les affaires
du Royaume à leur mode ; ou qui sont bien
aise d’auoir l’authorité de troubler l’Estat quand
il leur plaist pour pecher en eau trouble. Car de
croire que de si grandes assemblées, qui font

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tout le corps de la Monarchie, & qui ont tant
d’interest au bien de l’Estat, soient à craindre,
cela n’est croyable qu’aux Tyrans & aux seditieux,
& non pas à ceux qui desirent viure dans
vne felicité publique. C’est pourquoy, voyez
apres cela, si les trois Estats ne sont pas necessaires
à l’Estat, & s’ils n’ont pas droit de remedier
à ses desordres, quand les Rois & les
Princes n’y veulent pas mettre remede.

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], QVATRIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les Questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XVIII. Si les Tyrans du peuple & de l’Authorité Royale; auec leurs Partizans peuuent estre sauuez. XIX. Si les heritiers de ces sangsuës publiques peuuent estre sauuez, sans restituer les voleries que leurs predecesseurs leur ont laissées. XX. Si la restitution peut estre bonne, n’estant pas faire à ceux à qui la chose appartient. XXI. Si l’on doit souffrir des Partizans dans vn Estat. XXII. Si les trois Estats ont droit de se mesler des affaires du Prince. XXIII. Si les trois Estats ont droict de remedier aux desordres du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_33.