Anonyme [1643], LE PRINCE VENDV, OV CONTRACT DE VENTE DE LA personne du Prince libre & innocent DOM EDOVARD INFANT DE PORTVGAL, passé à Vienne le 25. iour de Iuin 1642. OV FVRENT PRESENTS Le Roy de Hongrie comme Vendeur. Le Roy de Castille comme Acheteur. ET STIPVLANS DANS LE CONTRACT POVR LE ROY DE CASTILLE. Dom Francisco de Mello Gouuerneur de ses armées en Flandres. Dom Emmanuel de Moura Cortereal, son Ambassadeur en Alemagne. Pour le Roy de Hongrie. Frere Diego de Quiroga Moine, son Confesseur. Et le Docteur Nauarre Secretaire de la Reine de Hongrie. Le tres-haut Prince & Infant Dom Edoüard, frere du Serenissime Roy de Portugal Dom Iean IV. a esté vendu au prix de 40000 Richedales. TRADVIT DE L’ESPAGNOL. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : C_6_66.
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LES HAVTS MERITES
de Dom Edoüard.

CE Prince dont l’air maiestueux vous
donne de l’admiration en vous donnant
de la pitié, c’est Dom Edoüard
de Bragance, qui descend en droite
ligne & en trois façons, de trois Rois
de Portugal, & qui est né dans la Principauté
d’vn pere dont la maison estoit abondante en
toute sorte d’honneurs aussi bien que de delices.
Dans vne extraction si haute qui luy donna d’abord
toutes les faueurs de la nature, il fut encor
éleué de la main des Graces qui cultiuerent son

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ame & son corps, à mesme que les Muses mettoient
leurs soins & leur gloire à polir auantageusement
son esprit. Or bien qu’estant heureux
chez soy, il n’eut pas besoin de faire vn voyage
pour trouuer du bon-heur chez les Estrangers,
neantmoins sa generosité égale à celle d’vn Mars,
ou pour mieux parler, ce grand courage qui nous
faisoit paroistre en sa personne vn Mars visible,
au lieu que l’Antiquité n’en a eu que de fabuleux,
l’obligea de quitter ses plaisirs & ses auantages
domestiques, pour se signaler par ses exploits
hors du Portugal. En quoy il ne ressembla
pas à ces Princes voluptueux, qui se contentant
de la gloire de leurs ancestres negligent la leur,
& qui ne prennent pas garde qu’en loüant les
belles actions de leurs deuanciers, ils estiment ce
qui n’appartient pas à leur personne. Suiuant
donc vn dessein si glorieux, il quitta sa patrie
pource que l’amour de la guerre luy fit oublier
la paix où elle viuoit ; il se priua mesme de la
presence du Duc de Bragance son frere, à present
Roy de Portugal, quoy que le respect qu’il
luy portoit fut recompensé d’vne affection reciproque
d’vn si grand Prince Enfin n’ayant point
voulu s’arrester dans la Castille, qu’il ne regardoit
que comme vn escueil dangereux & fatal à
la seureté de sa personne comme de sa maison, il
s’en alla dans l’Empire Romain, sur la creance
qu’il auoit que son courage Heroïque ne se pouuoit

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dignement produire que sous les successeurs
des Césars. Mais que ses esperances furent trompées !
il alloit vers Vienne comme Liberateur, &
elle luy preparoit des fers ; il croyoit trouuer des
Princes dignes des Constantins & des Charlemagnes,
& il ne trouua que des imitateurs des Nerons
& des Federics.

 

Estant arriue dans les terres de l’Empire, il ne
voulut pas aller à la Cour de Ferdinand sans estre
asseuré d’y receuoir l’accueil qu’on deuoit à sa
naissance aussi bien qu’à son merite. Il y enuoya
donc vn Gentilhomme pour auertir l’Empereur
de son arriuée. Là dessus Ferdinand tint conseil,
où il proposa l’estime qu’il faisoit & qu’on deuoit
faire de l’illustré maison de Bragance ; mais l’Ambassadeur
du Roy de Castille resista d’abord à ses
sentimens, comme les Espagnols ne prennent
l’Empereur que pour le Cadet & le Vassal de
leur Monarque. Neantmoins la iustice & la verité
l’emporterent sur l’arrogance, & l’on fit vne
entrée à Dom Edoüard pareille à celle qu’on faisoit
aux Princes libres. L’Empereur mesme le receut
auec de grandes demonstrations de respect
& de ioye, quoy que les solennitez qu’on fit en
cette occasion, ne fusset que des allumettes pour
échauffer dauantage l’enuie & la rage des Castillans.
En suite d’vn accueil si iuste & si fauorable,
Dom Edoüard s’engagea volontairement au seruice
de l’Empire, & bien loin de demander des

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appointemens, il s’offrit à combattre à ses despens,
& à prodiguer ses biens auecque sa vie. Les
hazards de la guerre seconderent si heureusement
sa generosité, qu’il passa bien-tost pour
l’appuy des Imperiaux, & pour la terreur de leurs
ennemis ; en vn mot, tout le monde admiroit les
hautes qualitez d’vn Prince qui ioignoit tousjours
les effets d’vn grand iugement auec ceux
d’vn courage extraordinaire. C’estoit la gloire &
l’ame de toute l’armée. Estant general de l’Artillerie,
il fit merueilleusement fleurir les armes
de Ferdinand. Depuis ayant esté fait Major de
l’Empire, il se montra tousiours infatigable au
trauail & ennemy du repos, soit qu’il fallut marcher
en campagne, soit qu’il fallut retrancher
l’armée. Dans les sieges qu’on desseignoit, ou
qu’on entreprenoit de faire leuer ; il estoit tousjours
le premier à se ietter dans les perils, & le
dernier à s’en retirer. Apres tout, les Suedois &
les François mesme qui sont à present freres des
Portugais, au lieu que l’interest des Castillans les
leur rendoit autrefois ennemis, peuuent témoigner
qu’on voyoit presque tousiours la victoire
où Dom Edoüard combattoit, & que si son party
estoit vaincu, c’est que les autres ne secondoient
pas ny les ordres ny la valeur de ce Heros.

 

Tous confessent qu’il n’y auoit que luy parmy
les Chefs de l’armée Imperiale, qu’on reconnût
pour Prince ou pour parfait Capitaine, lors

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que par le sort de la guerre, ou par vn caprice de
la fortune, quelque prisonnier du party contraire
tomboit entre ses mains ; car il trouuoit en
luy vne liberalité égale à sa force, & vne prudence
qui répondoit noblement à sa courtoisie. Il
n’y auoit point de soldat dans toute l’Allemagne
qui ayant recours à luy dans quelque necessité,
n’emportât d’abord la liberté s’il l’auoit perduë,
ou de l’argent s’il estoit incommodé. Sa table
aussi bien que sa bourse estoit ouuerte à toutes
sortes de personnes, & bien souuent quand ses
gens n’estoient pas payez, il leur faisoit faire
montre de ses deniers. Les Marchands de Hambourg,
de Venise & de plusieurs autres endroits,
qui luy ont souuent fait tenir du Portugal par
lettres de change plusieurs millions de Richedales,
peuuent témoigner des despences extraordinaires
qu’il a faites pour la conseruation d’vn
Empire, qui ne s’est seruy de son or que pour
luy donner des chaisnes de fer. C’estoit le pere
des soldats, il n’en vouloit pas estre traité de Prince
ny de General, mais d’amy & de compagnon.
Au reste il ne laissoit passer aucune occasion où il
pût auancer les affaires de Ferdinand qu’il n’embrassât
auec vne fidelité égale à la grandeur de
son courage. Et parmy les impietez necessaires
que la guerre introduit dans le monde, il fut
tousiours fort zelé pour la Religion Catholique,
& pour les interests de la pieté. Diray-ie icy qu’il

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possedoit la belle Eloquence de six langues, de la
Latine, de la Françoise, de l’Italiene, de l’Alemande,
de la Castillane, & de la Portugaise qui
luy estoit naturelle, qu’en fin il auoit vne si haute
mine, & vn corps si bien proportionné, que
l’Empereur Ferdinand, pere du Roy de Hongrie,
dit la premiere fois qu’il le vit, qu’il auoit vne
presence digne de l’Empire, & que par la blancheur
de son visage accompagnée d’vn vermillon
extremement vif, il tenoit plus de l’Alemand
que du Portugais.

 

Mais ces Eloges ne font qu’augmenter la douleur
que nous auons de la captiuité de Dom
Edoüard. Ie les finiray donc en adioustant seulement
que c’est celuy qui a seruy neuf ans l’Empire
à ses propres frais, qui a tousiours combattu auec
autant de bon-heur, que de hardiesse & de dexterité,
qui pour defendre le Roy de Hongrie & les
Estats de la maison d’Austriche, a expose mille fois
sa vie dans les dangers, apres auoir abandonné sa
patrie. Il n’est pas besoin de descendre icy au particulier
de ses actions, ny au détail de ses grands
seruices, pource que ce seroit vouloir renfermer
vn sujet infiny dans vn espace limité ; & puis ses
exploits Heroïques estant connus de toute l’Europe,
il n’est pas de la biẽseance de parler icy plus
long-temps de ce qu’on publie de tous costez ;
Il suffit d’auoir donné en ce lieu vne image quoy
qu’imparfaite, des merites & des perfections incomparables

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de Dom Edoüard, & d’auoir declaré
que iusques à l’an mil six cens quarante, ce
Prince auoit tousiours employé, & son bien &
son sang en faueur de ceux qui veulent répandre
le reste, & qui ont mis en prison cét Hercule Portugais,
apres qu’il a remis l’Empire en sa liberté.

 

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