Anonyme [1652 [?]], LE POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, I. Si les Roys sont d’institution diuine. II. S’ils ont vn pouuoir absolu sur nos biens & sur nos vies. III. Si les conditions auec lesquelles les peuples se sont donnez aux Roys ne doiuent pas estre inuiolables. IV. S’ils sont obligez d’obseruer les loix fondamentales de l’Estat. V. Si leur gouuernement doit estre Monarchique ou aristocratique, pour le bien commun du Prince & du peuple. VI. S’ils doiuent auoir des Fauoris. VII. Si leurs Fauoris doiuent entrer dans le Conseil, & prendre le gouuernement des affaires. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_30.
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QVESTION VI.

Sçauoir si les Roys doiuent auoir des
Fauoris.

C’EST mettre icy vne question sur le tapis
qui paroist estre sans aucune difficulté
& tres inutile de la placer au rang des autres.
Car en vertu dequoy sçauroit-on priuer
vn Souuerain à qui toutes choses semblent
estre permises d’auoir vn Fauory pour se diuertir,
ou pour luy seruir d’vn autre Atlas à
luy aider à porter la pesanteur des affaires de
sa Monarchie ? A moins que de le vouloir
mettre au nombre des esclaues, il me semble
que cela ne luy peut pas estre dénie, &
que comme Souuerain independant de la
part des hommes, principallement en ces
choses là il peut absolument disposer de ses
volontez, de mesme que le reste de ses peuples.

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Mais aussi quand ie considere d’vn autre
coste, qu’il y va de l’education du Souuerain,
du salut de l’Estat, & vniuersellement de tout
le bien public, ie songe qu’on n’a pas mauuaise
raison d’y trouuer à redire. Vn Fauory à
moins que d’estre éleu de Dieu, peut inspirer
des pernicieux desseins au Souuerain, & le porter
à l’entiere ruine de toute sa Monarchie.

S’est-il iamais veu Fauory, qui n’ait absolument
abusé des graces de son Maistre ? Cinna
Mignon de Cesar Auguste, ne conspira t’il pas
contre ce grand Prince, apres l’auoir comble
de biens, & apres luy auoir sauué la vie, tant
l’ame des Fauoris est pernicieuse à ceux mesmes
de qui ils reçoiuent des graces toutes extraordinaires ?
Seianus, Fauory de Tybere, que
ne fit il pas contre ce grand Monarque, & contre
le peuple de Rome, qui l’auoient eleué dans
des charges & dans des honneurs incroyables ?
Ne voulut-il pas attenter sur la vie de son Souuerain ?
& ne bastit-il pas sa prodigieuse grandeur
sur les ruines de l’Empire ? Et Mazarin,
sans nommer le Mareschal d’Ancre, ny le Cardinal
de Richelieu, ny vn nombre infiny d’autres
pernicieux Fauoris, dont les Histoires sont
toutes remplies. N’a t’il pas mis le Roy, le
peuple & l’estat sur le peu chant de leur perte,
pour establir sa fortune ? Et apres cela doit on

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conclure que les Roys ayent des Fauoris, veu
qu’ils sont si traistres à leurs Souuerains, si funestes
à l’Estat, & si tyrans à tous les peuples du
monde.

 

Si les Roys n’auoient que des inclinations
moderées. & des liberalitez vn peu raisonnables
pour ces sangsuës publiques, que tous les
Fauoris fussent gens de bien, c’est à dire, qu’ils
fussent sans orgueil, sans ambition, & sans flaterie,
la question se pourroit resoudre en leur
faueur : mais ces grandes & ces sublimes qualitez
ne se trouuent que par miracle en des personnes
de leur sorte. Ils ne suscitent les Souuerains
qu’à s’armer les vns contre les autres,
pour triompher de nos dépoüilles. Ce sont les
instrumens dont les ennemis de l’Estat se seruent
ordinairement, lors qu’ils veulent consacrer
les Prouinces estrangeres à leur ambition
demesurée : Autant de Fauoris dans vn
Estat, autant de pensionnaires de ceux qui ont
dessein de l’enuahir, ou de l’accabler de guerres
ciuilles. Et quoy que le Cardinal de Richelieu
fust veritablement exempt d’vne si
noire perfidie, il ne laissa pas, de simple Cadet
qu’il estoit, de vouloir estre Cardinal, Duc &
Pair de France, Grand Maistre & Surintendant
general de la Nauigation & Commerce du
Royaume, Lieutenant general pour le Roy en

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Bretagne, de chasser la Reyne Mere Marie d
Medicis sa bonne Maistresse, & les premiers
Princes du Sang de l’Estat, & de declarer la
guerre aux deux plus grandes Puissances de
l’Europe, afin de se maintenir dans le gouuernement
absolu qu’il auoit vsurpé à Louis le
Iuste.

 

Et pour demeurer tousiours dans les exemples
de nostre temps, Mazarin, pour les deportemens
duquel toute la France est sur le
penchant de sa ruine, abusant de la trop grande
& trop funeste confiance que la Reyne
prend en luy, quoy que de tres bas lieu, ne
s’est il pas emparé de la personne du Roy, sous
vn nouueau titre de l’éducation Royale ? Ne
s’est il pas approprié tous les tresors de l’Estat ?
N’a t’il pas empesché la Paix pour profiter de
nos malheurs ? & n’a t’il pas fait la guerre aux
Princes du Sang pour mettre sa tyrannie à couuert
de la iustice de leurs armes.

Il est certain que si le Roy estoit aussi fidellement
seruy de ses Fauoris, qu’il en est trahy,
qu’il en pourroit auoir tousiours auprés de sa
personne : mais comme sa Maiesté, par vne
bonté trop funeste à ses Estats, donne vne trop
grande liberté à des miserables Antropophages
qui aiment mieux accroistre leur fortune,
que la gloire du Roy, ny les bornes de sa Couronne ;

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en vn mot, qui sont si auares, & si peu
fideles qu’vn Mazarin, qui n’a iamais voulu
faire la Paix, afin d’auoir vn pretexte à voler
toutes nos finances : ie ne trouue pas qu’il soit
fort à propos qu’on luy en doiue donner, attendu
les grands malheurs qu’ils causent à l’Estat
& aux peuples. Son Altesse Royale, les
Princes du Sang, les Officiers de la Couronne,
& le Parlement de Paris, qui tous ensemble
sont chargez du gouuernement du Royaume,
ont droict de s’y opposer, en tout temps, en
toute saison, & en quel âge que le Roy puisse
estre Le salut du peuple doit estre preferé à
toutes les volontez des Princes.

 

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