M. L. [signé] [1650], LETTRE OV EXHORTATION d’vn Particulier A MONSIEVR LE MARESCHAL DE TVRENNE, Pour l’obliger à mettre bas les armes. , françaisRéférence RIM : M0_2249. Cote locale : D_2_38.
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celuy qui nous le doit estre, & ne contraignons point
la nature des choses à changer pour l’amour de nous.

 

Doutez vous, Monsieur, de l’amour naturel que nous deuons
à nos Monarques, & n’auez vous iamais senty quelle
est l’ardeur de cette flâme que le Ciel allume en nos cœurs
pour eux. Les Egyptiens les premiers sçauans & les premiers
sages de la terre, estoient si bien touchez de ce beau feu, que
quand les leurs mouroient ils faisoient vn deüil bien digne
de leur grande perte : mais encor bien plus digne de leur affection
extreme. Septante deux iours tous entiers, ils n’auoient
autre chose que la tristesse dans les actions, dans les yeux,
dans la bouche, & dans l’ame ; leur commerce, leur iustice &
leur deuotion mêmes, estoient affligées ; ils n’auoient de cœur,
de paroles ny de larmes que pour la perte qu’ils auoient faite :
Ils dechiroient leurs vestemens, ils soüilloient leur teste de
poussiere, ils s’attachoient deux & trois cens ensemble allentour
du corps, & d’vn air tout lugubre & trop digne de
compassion ils se promenoient ainsi vnis, comme si joignans
leurs corps abatus, ils eussent essayé d’vnir leurs ames affligée,
& de ne faire de toutes leurs douleurs qu’vne seule douleur,
mais augmentée, mais multipliée, & capable de faire
souffrir à chacun en particulier ce qu’ils enduroient tous
ensemble. Il y a eu d’autres Nations qui en ont encor donné
de plus grandes preuues, & quelqu’vns d’entr’eux aimoient
si passionnement leurs Souuerains qu’ils s’enseuelissoient
dans leurs tombeaux, qu’ils se precipitoient dans
les flâmes des buchers où l’on les brusloit, & qu’ils ne pouuoient
apres leur mort conseruer vn moment la vie. Encores
auiourd’huy leur trespas frappe d’vne generale consternation
tout le monde, & si nostre douleur n’a pas tant de
montre & tant d’ostentation que celle de ces antiques
Payens, elle est sans doute plus chrestienne, plus interieure
& plus violente. C’est cet amour qui a tousiours donné & qui
donne encores aux hommes ce grand respect que chacun
leur porte. C’est luy qui fait que certains peuples des Indes
Occidentales ne s’approchent iamais de leur Roy que mal



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