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Mazarinade n° A_5_13a

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Anonyme [1649], LETTRE D’VN GENTIL-HOMME DE LA COVR, A vn Seigneur qui est à l’Armée, TOVCHANT L’ATTENTAT COMMIS AVX FILLES DIEV A PARIS, En la personne de Madamoiselle de sainte Croix, & toute la suite des procedures dont on a vsé contre-elle. , françaisRéférence RIM : M0_1868. Cote locale : A_5_13a.


Pour asseurer le repos de sa fille, cette sage & vertueuse Dame
se priue elle mesme volontairement de sa veüe, & de la douceur qu’elle
receuoit de l’entretien d’vne si douce & si aymable Compagnie, & en
confie le soin & la garde à sa sœur Madame de Glatigny, à qui elle n’auoit
point de secrets qui ne fussent euidents, & à la vigilance de laquelle
elle se fust confiée d’elle mesme toute entiere.
 
Lors que chacun y pensoit le moins, cette fille est conduite aux chãps
par sa tante, où elle s’efforce de moderer la tristesse de son esprit, que
tout cet embaras de recherches & de poursuites luy auoit iustement
causée, & de divertir sa douleur dans les promenoirs d’vn beau Iardin,
où plusieurs allées qui se perdent dans vne agreable confusion d’arbres,
font vn sejour fort propre aux diuertissemens & à la Promenade. Là par
vn contraire effect de ce que la solitude ennüie, elle la diuertissoit, &
toute cette belle varieté de fleurs & de compartimens qu’elle voyoit
dans le parterre, ne servoit qu’à attacher sa pensée inuariablement à ce
dessein de demeurer inflexible à toutes les poursuites de ce vain & importun
seruiteur qui demeuroit d’autant plus obstiné dans ses recherches,
qu’elle paroissoit constante en ses refus.
Mais helas ! tandis qu’elle ioüit à la Campagne de la douceur d’vn
profond repos ; on luy prepare d’estranges combats à la cour ! Son Pere
ébloüy par le faux éclat d’vne esperance trompeuse qui seruoit d’obiet
à son ambition & de but à son auarice, porte sa facilité, iusques au point
d’accorder des articles pour le mariage de sa fille, sans qu’elle mesme les
aye veüs. Il traite pour elle d’vne Conuention qu’elle ignore, & qu’elle
ne veut pas, il se rend luy mesme le rauisseur de sa fille qu’il veut donner
malgré elle à son ennemy. Il vient d’Amiens à Roüen en carrosse de
relais pour preuenir la preuoyance de sa femme & toute la cõduite de sa
fille. Mais il éprouue l’vne & l’autre plus actiue que toute sa diligence.
Il n’est pas encore arriué qu’elle s’est dé-ia retirée secretement en vn
lieu où il n’y a que Dieu & les Anges qui puissent trouuer de la confidence,
& où les pistoles ne peuuent non plus penetrer que les Canons.
Le depit qu’il eut de voir son esperance frustrée, sa promptitude vaine,
ses soins inutiles, & les empressemens de son voyage infructueux pour
reüssir en son dessein, fit qu’il changea ses artifices en colere, & toute
sa conduite en violences & en menaces. Ayant formé le dessein de la faire
enleuer en quelque endroit qu’elle peust estre, il en laisse l’execution
à N. & à ses Complices, qu’il fait seruir d’instrumens à sa Passion.
Il est bien vray que l’amour est tousiours defiãt & ombrageux. Il craint
iusqu’à ses propres soupçons, & il n’y a pas iusqu’à sa peur qui ne luy cause
du trouble & de la defiance. Lors que les ennemis luy manquent, il
s’en forme luy mesme en idée pour les combatre : cet homme qui vouloit
seruir de ministre à la colere d’vn Pere irrité, luy qui ne pouuoit non
plus viure sans ennemy que sans maistresse, & dont le cœur estoit tousiours