Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.
Sub2Sect précédent(e)

Que les Roys & les Princes doiuent estre liberaux,
& qu’ils doiuent dignement recompenser
ceux qui les seruent.

Mais ce n’est pas tout, il ne suffit pas aux
Princes d’auoir prés de leur personne des gens
de bien & capable de leur rendre des grands
seruices. Il faut quant & quant qu’ils ayent le
soin de reconnoistre les peines & les trauaux
que l’on se donne pour leur repos, & pour leur
faire surmonter tous les obstacles qui se sçauroient
opposer aux felicitez de leur regne. Dieu
prend vn singulier plaisir à bien meriter des
siens, & à rendre le centuple à ceux qui donnent
vn verre d’eau pour sa gloire. Ouy certes,
cest adorable Seigneur fait vanité d’estre liberal,
d’estre bien faisant, & de donner à vn chacun
ce qui luy est necessaire. La mememoire
d’vn bien fait ne doit iamais laisser la personne
redeuable en repos, que premierement elle
n’ait satisfait à ce bien reçeu du mieux qu’il
luy est possible.

Pertinax defend d’escrire son nom, sur les
places de son Domaine ; parce (dit-il) que ses

-- 36 --

terres ne sont pas seulement propres à l’Empereur :
mais encore communes à tout le peuple
de Rome. Cyrus le ieune veut que les Roys fasent
aller à cheual, ceux qui vont à pied ; qu’ils
baillent des chariots aux personnes qui n’ont
qu’vn simple mulet, qu’ils donnent des villages
aux hommes qui n’ont que des maisons, des
citez à ceux qui n’ont que des bourgs ; & de
l’or à tous, tant qu’il le faille plustost peser ; que
de le compter piece à piece.

 

Il ny a point de debte qui nous oblige plus
que celuy de donner. C’est loger vn bien fait,
comme vn thresor profondement caché dans
vn lieu, d’où on le pourra retirer, lors que nous
en aurons affaire. Vn grand Roy pour ses
riches presens, & pour ses grandes recompenses,
à les yeux & les oreilles de tout son peuple
ouuerts au bien de ses affaires. C’est pour cela
qu’il est appellé leur pere, leur liberateur, &
qu’il est preferé à tous les habitans de la Monarchie.
C’est pour cela qu’il fait voir à Cræsus
que tous ceux qu’il a liberalement enrichis,
luy sont autant de thresórs, & autant de fidelles
gardes de sa personne. Il est bien plus
asseure parmy des gens qu’il a gratuitement
obligez, que parmy vn nombre infiny des legions
armées pour sa defense. En donnant des

-- 37 --

riches habits à tous ceux qui sont auprez de luy,
le Prince ne sçauroit estre mal equippé, quelque
vestement qu’il porte. Enfin celuy qui donne
tout ce qu’il à, & qui ne retient rien pour sa
subsistance, fait vn grand amas de richesses
dans les coffres de ses seruiteurs & de ses amis,
lesquelles il trouue apres dans ses vrgentes necessitez,
lors qu’il se void dans le temps d’en
auoir affaire. Qui seme liberalement, il est asseuré
de recuillir ou de moissonner de mesme.

 

Mais parce que les dons, & les presens d’vne
main extremement liberale, doiuent estre
les fruits & les salaires de la mesme vertu, &
qu’ils doiuent estre seulement communiquez
aux bonnes ames, ou bien à celles qu’on peut
rendre telles ; il faut tascher de les distribuer
auec iugement & auec conseil ; le Prince doit
choisir les plus dignes seruiteurs, & donner à
ceux qui ont mieux fait & qui ont plus de merite.
La terre est bien plus liberale de ses fruits
à ceux qui la seruent auec soin, qu’à ceux qui
ne font rien pour elle. Les thresors de la connoissance
doiuent estre ouuerts à ceux qui veillent
incessamment pour la gloire du Souuerain,
& pour le bien de la patrie.

Mais il faut bien prendre garde de ne pas
confondre le loyer auec le bien-fait, ny le

-- 38 --

merite auec la grace. On peut donner equitablement
à l’vn, & refuser iustement à l’autre ;
il faut donner à l’homme de bien, qui par sa
misere n’a pas moyen de se maintenir en la dignité
où sa vertu la mis : & refuser à ceux qui ne
se plaisent que dans l’iniquité, & qui ne viuent
que dans l’infamie. Ce n’est pas qu’on les doiuent
absolument priuer de quelque espece de
grace : veu que Dieu, qui n’espere aucune recompense
des dons qu’il confere à ses creatures,
ne laisse pas de faire du bien aux reprouuez,
& de rendre leurs terres grandement fertiles.

 

Qui plus est, tout le monde peut estre deçeu
en ses iugemens ; & il nous est bien difficile de
pouuoir bien discerner, quand, & comment, &
mesme enuers qui on doit estre liberal, afin de
pratiquer ceste vertu, selon les loix Diuines, &
humaines ; puis que la liberalité procede d’vn
cœur libre, courtois, iuste, & raisonnable. Le
bien faire, est de tout temps, de tous lieu, &
de toute saison, lors qu’on trouue vn homme
qui en est digne. Tibere est extremement recommandable
pour auoir pratiqué longuement
ceste vertu, & pour auoir fait beaucoup
de bien à plusieurs personnes. Il donna les
biens d’Emilia Musa, femme fort riche, & decedée

-- 39 --

sans enfans) à Emilius Lepidus afin d’honorer
son merite. Il confera encore à Marcus
Seruilius, l’heredité de Pateius Cheualier Romain,
quoy qu’elle luy fut deuë en partie. Enfin
il remonstra au Senat qu’il luy estoit plus
honorable de releuer la noblesse de ces deux
Cheualiers, que de les laisser d’auantage dans
la necessité où ils souloient estre. Les Princes
ne doiuent pescher les cœurs de ceux qui sont
dignes de leurs bien faits, qu’auec des hameçons
d’or, ou auec des filets de la mesme nature.
Il est honteux de se laisser vaincre à ses
ennemis : mais il est fort glorieux de se sousmettre
à la liberalité, & de le ceder genereusement
à la reconnoissance.

 

Administrons diligemment les vns aux autres,
les dons que nous aurons receus, soient
temporels ou spirituels ; affin que Dieu soit honoré
en iceux : Car ceux qui ne les administreront
pas en seront priuez & iettez en la flame
éternelle. Il vaut mieux donner que prendre,
dit l’Apostre ; parce que celuy qui donne fait
l’action d’vn Dieu, & celuy qui reçoit ne fait
que l’action d’vn homme.

Ce Diuin Seigneur commande aux Grands
de la terre, de ne faire point aucun amas d’argent,
de peur que leur esprit ne se destourne

-- 40 --

de la veritable voye. Comme le Soleil attire à
soy les vapeurs & les exalaisons de la terre, pour
les faire retomber en plus grande abondance
sur les mesmes lieux ; Dieu veut pareillement
aussi que les Roys fassent le mesme des subsides
des & des tributs qu’ils leuent sur les peuples.
Tous les fleuues viennent de la mer, & tous
les fleuues y retournent sans rien diuinuer de
leur afluence. La bource du Prince est celle
des subjets, & celle des subjets doit estre celle
du Prince.

 

Lors qu’Alexandre part de la Grece pour
aller contre les Barbares, il donne & distribuë
tont ce qu’il a à ses amis, à ses seruiteurs & à ses
domestiques. Il ne se reserue que l’esperance
d’acquerir, & s’asseure en ce faisant, qu’il
ne manquera iamais de quoy que ce puisse
estre. Il donne cinquante talens à celuy qui ne
luy en demande que dix, pour suruenir à ses
affaires. L’on ne void rien de grand ny d’illustre
dans la maison de celuy qui possede force
vaisselle d’or & d’argent ; puis qu’il n’en a pas
sçeu faire ny des seruiteurs ny des amis pour
l’assister dans le rencontre. Les grands Roys
doiuent faire plus d’estat de la gloire & de
l’honneur, que de tous les thresors du monde.
Vn Prince doit tenir le iour auquel il n’a rien

-- 41 --

donné pour perdu, ou du moins s’il n’a rien
fait pour personne.

 

Titus Quintus Flaminius soit en paix soit en
guerre, se trouue tousiours plus volontiers auec
ceux qui ont besoin de son secours, qu’auec
ceux qui luy peuuent ayder ; estimant les vns
comme des objets propres à exercer sa vertu, &
les autres comme des riuaux de son honneur &
de sa gloire. Ses biens faits sont si grands, qu’il
ne perd iamais l’amitié qu’il aura vne fois conceuë,
en faueur de celuy à qui il aura fait quelque
espece de grace. Et pour s’attacher les cœurs
de ceux qui luy sont redeuables, auec des chaisnes
indissolubles, il les oblige encore apres les
auoir obligez, iusques à leur donner les choses
qui luy sont mesmes necessaires. Ainsi Dieu
donne continuellement à celuy qui a desia
reçeu tout ce qu’il a de luy, afin de le garder
tousiours à sa deuotion, & afin de le combler de
plus de benedictions qu’il ne merite.

Encores qu’il semble que toutes choses
soient deuës à ceux qui ont vn empire absolu
sur nous : neantmoins ils ne laissent pas d’estre
obligez à reconnoistre par vne recompence
toute particuliere, les bons & les fidelles seruices
qu’on rend à leur personne. Dieu à qui
tout appartient, ne l’aisse pas de promettre, &

-- 42 --

mesmes de donner des recompences extraordinaires,
à ceux qui font quelque chose pour
l’amour de de luy, & qui se sousmettent à son
obeïssance. Les Roys seroient sans Royaume,
sans commandement & sans authorité, s’ils
estoient sans peuple. Ce qu’ils sont par dessus
les autres, est vn don d’vn Dieu, qui les peut
faire choir de leur gloire quand bon luy semble.

 

Les plus grands Monarques de la terre, ne se
sçauroient passer du ministere des autres personnes
Ce qui obligea Darius à dire tout percé
de coups, & blessé à mort, que c’estoit le dernier
de ses mal heurs, de n’auoir pas moyen
de reconnoistre vn verre d’eau qu’il venoit de
receuoir d’vn de ses seruiteurs, auant que de
rendre l’ame. Et pour ne le pas payer d’vne
absoluë ingratitude, il prie Alexandre de ne pas
oublier ce plaisir, & de luy en faire vne belle
recompense. Artaxerxe desire aussi auec passiou
de rencontrer le Caunien qui a pareillement
estanché sa foif, affin de luy payer ce petit
office auec vsure. Il ny a pas encores iusques
aux bestes brutes, qui ne recherchent l’occasion
de satisfaire au bien qu’on leur fait, le
mieux qui leur est possible. Le Chien expose
courageusement sa vie pour la deffence de celuy

-- 43 --

qui le prend pour sa garde. Les Dauphins
sauuerent Cæranus du naufrage : & lors qu’il
mourut sur les costes de la mer, ils vindrent
tous à bord, pour honorer les funerailles, où ils
furent iusqu’à la fin des obseques.

 

Les Roys & les Princes sont extremement
à blasmer si à l’imitation d’Assuerus, ils n’ont vn
registre des affaires de leurs Estats, vne liste de
leurs plus dignes subiets, vn memorial des seruices
qu’on leur a rendus, & si de temps en
temps ils ne se les font lire, pour sçauoir quels
sont ceux qu’il faut honorer & recompenser ou
de biens ou de charges.

Il y en a qui ne sçauroient estre trop recompensez,
quoy qu’on puisse faire pour leur personne.
Au loyer de deux femmes données à Iacob,
Laban y adiouste encore quantité de
troupeaux qu’il auoit choisis à sa fantaisie. Et
Thobie outre le salaire deux à Raphael, en la
main du quel le voyage de son fils auoit prosperé,
luy fit present de tout ce qu’il auoit aporté
pour sa famille.

Il peut biẽ arriuer que les Princes sont quelquefois
impuissans à reconnoistre les seruices
qu’óaura rẽdus ou à leur estat ou à leur personne.
Mais si en ce defaut ils confessent la debte,
auec vn extreme desir de s’acquiter quand l’occasion

-- 44 --

le leur pourra permettre, ils trouueront
enfin n’auoir man que de quoy que ce soit, pour
satisfaire à ces personues. Nul n’est obligé de
faire l’impossible. en quel sens qu’on le puisse
prendre. Autrement qui fraude le loyer de ses
seruiteurs, & ne s’acquitera de ce qu’il leur
doit, ne receura iamais la benediction de Dieu
ny des hommes. Au contraire, il sera mesuré par
le Roy des Roys, de la mesme mesure qu’il aura
mesuré les autres. Les liberalitez que l’on deuoit
faire aux hommes pendant qu’ils viuoient,
se peuuent rendre en faueur des morts à leurs
prosperité, si l’on n’en veut pas estre cõptable
en l’autre monde.

 

Les Roys & les Princes comme peres de
leurs peuples, sont obligez en tout temps de
faire amas de beaucoup de biens pour leurs enfans,
s’ils ne veulent porter ceste qualité auec
iniustice. Il leur est bien plus glorieux de
commander à des aisez, qu’à des miserables. Ils
ne doiuẽt pas estre comme ces simulacres des
Gentils, dont parle le Prophete Royal Dauid,
qui ont vne bouche & ne parle point : qui ont
vne veuë & ne sçauroient voir, qui ont des
oreilles & ne peuuent ouyr, qui ont des narines
& n’odorent pas, & qui ont des mains sans
pouuoir iamais rien faire. Ils doiuent prendre

-- 45 --

le soin eux-mesmes de voir, d’ouyr, & de reconnoistre
leurs veritables seruiteurs : Car comme
le seruice qui doit estre rendu au Roy, depend
seulement de ceux qui le seruent, de mesme
aussi despend de luy seul le loyer qu il leur
doit rendre. Si le Prince est iuste, il ne permettra
pas que les vns labourent les champs, &
que les autres recueillent tous les fruits de la
terre. Les Mariniers qui seruent à la nauigation
d’vn vaisseau, viuent des prouisions du Nauire,
aussi bien que le Pilote qui conduit la barque.

 

Qui est celuy qui peut legitimement esperer
vn seruice parfait, vne vertu viue & animée, si
elle n’est reconnuë ? lors que les bonnes & les
belles actions ne sont pas recompensees selon
leur estime, il se trouue bien peu de personnes
qui seruent de rondache à leurs Seigneurs, ny
mesme qui exposent librement leur vie pour
sauuer celle de leur Prince.

Il y a ie ne sçay qu’elle effigie, qui reside
dans l’esprit des hommes vertueux (comme
dans son Sanctuaire) qui les admoneste incessamment
de n’assurer leurs actions au pied de
l’honneur & de la reconnoissance. Les Princes
outre les tributs qu’ils prennent sur leurs sujets,
ont la renommée pour salaire de ce qu’ils sçauent
faire. Dieu mesme ne se contente pas simplement

-- 46 --

que nous le considerions comme
grand, glorieux, renommé, & admirable, il
veut auec cela, que le disme de nos fruits luy
soit sanctifié, en reconnoissance de tant de graces
qu’il fait continuellement à ses creatures.
Il moisonne tous les iours vn milion d’ames à sa
gloire, par la vocation efficacieuse de son Saint
Esprit, & par le ministere de ceux qui sont appellez
à son seruice. En ce haut & ineffable mystere
de l’Incarnation (iusques au fond duquel
toutes les intelligences les plus spirituelles ne
sçauroient penetrer, tant il est incomprehensible)
il ne monstre pas seulement sa puissance
& ses merueilles dans ce miracle des miracles :
mais il s’aquiert & rachepte, par iceluy, ce qu’il
a eu de plus precieux au monde. Iesus Christ
n’a point sué sang & eau, n’y ne s’est pas soy-mesme
liuré à la mort, sans dessein d’en tirer du
profit pour nous, & de la gloire pour sa sainte &
sacrée personne. Et certes il s’est rendu plus
admirable en s’apropriant vn corps, & en s’exposant
à la Croix pour le salut des hommes,
qu’en tout autre chose.

 

Cét adorable Seigneur qui regne en iustice,
a mis & met de la difference entre les bons &
les meschans, & entre les vertueux & ceux qui
sont portez au vice. Sa diuine bonté communique

-- 47 --

aux vns les dons de sa grace, par dessus
les biens corporels & spirituels, qui leur sont
communs auec le reste des autres hommes.
Ainsi quand cette difference de distribuer les
charges & les honneurs dans les Estats des Souuerains
de la terre ny sont pas. Les honestes exercices
se perdent, comme des occupations destituées
d’honneur ; la vraye iustice n’est pas dãs
vn tel gouuernement, & la Royauté panche
incontinent à sa ruine : Car Dieu a toute sorte
d’iniustice en abomination, & cét eternel facteur
de tout l’estre crée punira l’iniquité des
peres sur les enfans iusqu’à la troisiesme & quatriesme
generation, sans aucune misericorde.

 

La statuë de Memnon ne parle point, si elle
n’est eschaufée par le Soleil. Le courage s’augmente,
& il n’y a chose au monde que les hommes
ne tentent, si on leur propose des loyers &
des recompenses condignes aux grands perils
qu’on leur presente. Le Marinier trauerse les
mers & met sa vie au hazard, sous l’esperance
qu’il a que sa nauigation luy sera profitable. Les
soldats s’exposent aux combats, & mesme à la
mort eternelle & passagere, qui sont des actions
qui deuroient estre bien considerées sous esperance
du butin ou de la miserable solde qu’on
leur donne. Le malade souffre qu’on luy coupe

-- 48 --

vn bras, qu’on luy cauterise vne iambe, & mesme
il endure la fain & la soif, & tout ce qui est
naturellement facheux à suporter, a fin d’auoir
apres cela vne sãté plus heureuse ou plus parfaite.
Et nous quelles austeritez ne faisõs nous pas,
pour arriuer quelque iour à la bien heureuse
immortalité, que nostre Seigneur Iesus-Christ
nous a promise. En ostant l’esperance du bien
à venir, on oste pareillement aussi la patience
qu’on reçoit à supporter les maux sans murmurer,
& mesme l’inclination que nous pourrions
auoir à bien faire.

 

C’est la reconnoissance ou l’ingratitude, qui
rend Bandius puissant ennemy ou fidelle seruiteur
du Prince. Dieu propose à l’homme le prix
de la vie eternelle, pour recompense de ses actions
toutes vertueuses. Les Roys & les puissans
de la terre, qui sont ses viuantes images,
sont constituez en cette dignité pour tenir sa
place ; c’est pourquoy ils doiuent à plus forte
raison, considerer equitablement les deportemens
de leurs seruiteurs & de leurs subiets, afin
de leur distribuer les graces selon le merite. Le
siecle est tout a fait malheureux, où les finances
du Prince inuitent les meschans à mal faire.
Ce sont alors qu’elles sont plustost des dons
d’impieté que la recompense des actions les
plus vertueuses.

-- 49 --

Enfin pour finir, les bons Roys & les bons
Princes ne payent point leurs seruiteurs, ny de
vent, ny de fumée. Ils ne font point gloire de
promettre dans leurs afflictions, pour l’oublier
lors qu’ils sont dans vne prosperité grandement
considerable. Ils n’imitent point ces
Courtisans, qui par leurs rusées dissimulations
tiennent leurs duppes en suspens, iusques à ce
quelle ayent acheué de les ruiner ou de les perdre.
Lors que le Soleil luit, ils ne laissent pas à
l’abandon les branches, sous lesquelles ils se
sont retirez en temps de pluye. Les Scythes
mesmes les plus barbares, ne baillent iamais la
foy, ny à leurs amis, ny à leurs seruiteurs, pour
les despoüiller apres cela, & de leurs biens &
de leurs vies. Ils ne iettent iamais vn homme
pour peu de chose dans le viuier, non plus que
dans leur disgrace.

Ceux qui veulent estre bien aimez, bien
conseillez, & bien seruis, doiuent aimer Dieu,
se conseiller à luy, & le seruir de toute leur ame.
Ils ne doiuent faire ny vouloir que les choses
iustes : & comme fontaines publiques d’où decoule
la rosée Celeste, ils sont obligez de desalterer
toute sorte de personnes en abõdance.
Si l’œil cesse d’exercer son office, qui est ce qui
requerera les autres parties du corps à le faire ?

-- 50 --

La verge qui n’est pas droite, rend tousiours
en tout temps & en toute saison son ombre
tortuë. Le moyen de conduire & de gouuerner
des subjets, s’y l’on ne se sçait pas conduire soy
mesme. En vn mot il faut sçauoir vaincre sans
passions pour sçauoir bien regner parmy les
hommes : Car le Prince qui trauaille plus à surmonter
ses ennemis, que ses dereglemens, ne
trauaille qu’en vain, & ne fait qu’exposer sa
gloire & son salut à des éternelles disgraces.

 

FIN.

Sub2Sect précédent(e)


Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.