Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.
Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)

Contre ceux qui disent qu’il faut flater aupres des Princes,
si on s’y veut conseruer.

Mais parce que dans plusieurs liures qui
sont richement couuerts, & qui ont la tranche
dorée, il s’y void des Thyestes qui mangent
leurs enfans ; des Oedipes qui espousent
leurs meres ; des Terées qui ioüissent des deux
sœurs ; & des Alexandres qui consacrent leurs
amis aux reuers de leurs traits, ou bien à la fureur
des bestes feroces, il me semble que i’entends
dire, que ceux qui ne sçauent pas flater
aupres des Roys, n’ont pas accoustumé de viure
à la Cour, n’y d’aprocher souuent des
Princes ; que nous sommes dans vn siecle
où l’on iuge mal de ceux qui ne sont pas
adroits à dissimuler ; & que ceux qui se veulent
conseruer long temps parmy les puissances
de la terre, sont obligez d’y souffrir
beaucoup, & de remercier quelques fois ceux
qui leurs font des iniures ; ainsi que ce Cheualier
Romain qui voyoit massacrer son fils
par l’ordre de Caligula, sans s’oser plaindre,
ou comme cét autre qui regardant percer le
cœur du sien, est obligé d’en loüer l’action,
contre sa propre conscience.

-- 23 --

Mais qu’est ce qui oblige ces hommes plus
esclaues de l’apprehension que des grandeurs
du courage, d’aprocher les Princes qu’ils sçauent
estre cruels, meschans, inhumains & barbares.
Leur seuitude est volontaire, & nul ne
se sçauroit plaindre iustement d’y auoir esté
mis par force.

Les gens de bien ne s’assujettissent iamais
aupres des grands, bons ou mauuais que pour
leur dire la verité, contre laquelle il ne faut
acquiescer, en faueur de qui que ce puisse
estre : au contraire ils doiuent auoir l’honneur
de Dieu, le seruice du Souuerin, & le bien du
peuple en plus haute recommendation que
leur propre vie. L’exil, la prison & la mort ne
sont rien en comparaison de ce que nous venons
de dire. Il vaut bien mieux perdre le
Consulat, se bannir de Rome, & fuir aux loix
de Cesar, lors qu’elles sont dommageables à
la Republique, que de iurer l’obseruation de ce
que ses tyrans & les mauuais interpretes de la
verité ont arresté par leurs suffrages. Il faut
sçauoir auparauant si la chose est iuste, s’asseurant
en celuy qui compte le nombre de leurs
cheueux, contre la volonté duquel les meschans,
ny le diable mesme ne peuuent rien
non plus que sur l’esprit de ceux qui se consacrent

-- 24 --

aux volontez de celuy qui peut toutes
choses.

 

Encores qu’ils ne donnent pas tout à fait au
milieu du but où ils visent ; pourueu qu’ils suiuent
l’ordre qui leur a esté prescrit par la mesme
iustice, ils ne sçauroient estre équitablemẽt
blasmez de personne. Le maistre Pilote transporté
par la tempeste, & le Medecin vaincu
par la maladie, ne sont pas moins à estimer, si
l’vn a bien gouuerné son vaisseau, & si l’autre a
bien conduit son malade. Ceux qui sont appuyez
de la vertu du Seigneur, ne perdent iamais
courage ; ils souffrent genereusement
tous les reuers que la fortune leur enuoye.
Comme l’aiguille de la boussole qui se gouuerne
selon le Ciel, & non pas selon le vent qui
agite la tempeste, demeure immobile au
milieu de l’orage ; ainsi ces bonnes ames de
meurent fermes parmy la plus rude agitation
du mespris que l’on sçauroit faire de
leur personne ; parce qu’ils se conduisent selon
la loy & selon la promesse de Dieu, & non pas
selon les affaires du monde, qui ne peut iamais
esteindre la lumiere spirituelle que le
Saint Esprit leur communique. Et lors que le
Prince bouche l’oreille à leurs iustes remonstrances,
ils imitent la genereuse resolution

-- 25 --

Pairs, qui remettent leurs robes, leurs bonnets
& leurs offices entre ses mains, & luy rendent
volontairement ses sceaux s’ils en sont honorez,
plutost que de verifier les concordats qui
blessent les priuileges & les libertez du Royaume.
Ainsi sans se mesler dans les factions ny
estrangeres, ny domestiques, ils s’exemptent
de faire aucune chose, ny contre l’Estat, ny
contre le Souuerain, ny contre leur conscience.

 

Leur souuerain bien est de s’exercer continuellement
à la contemplation des choses naturelles,
humaines, & diuines ; puis apres à l’action
des vertus morales, & de raporter tous
leurs dignes effects à la prouidence eternelle.
L’intelligence de l’homme consiste en sçauoir
en prudence, & en vraye Religion, l’vne regarde
les choses suiuantes, l’autre les naturelles,
& la troisiéme les diuines. La premiere montre
la difference du bien & du mal. La seconde
du vray & du faux ; & la derniere de la deuotion
& de l’impieté, & c’est à celle-cy qu’ils se
doiuent arrester plus qu’à pas vne de toutes
les autres. La terre enuoye ses vaperus vers le
Ciel, & le feu ne cherche qu’à retourner vers
son centre.

Toute sorte de deliberations ont leur temps

-- 26 --

& leur iugement particulier pour bien faire :
Et quoy que le mal de l’homme soit grand,
le Sage connoist iusques où il est raisonnable
d’obeir aux Princes. Il crie hautement qu’il
n’est pas vn Doeg Idumeen, pour mettre à
mort les Prestres des Israëlites. Que c’est vser
de trop de violence, de le vouloir contraindre
auec des paroles de Maiesté, de placer la
statuë de l’Empereur au plus glorieux endroit
du Temple ; & que faire quelque chose contre
Dieu, ou contre la iustice, n’est pas vn action
fort raisonnable. Il dit au Roy que le propre
d’vn homme de bien, d’honneur & de vertu,
est d’agir selon sa conscience. Que c’est vne
chose trop facile & trop lasche de mal faire,
& trop commune de faire du bien sans courre
risque de sa personne, & qu’il iuge apres cela
s’il est iuste de luy obeyr, plustost qu’à celuy deuant
qui toutes choses doiuent estre sousmises.

 

Ceux qui sont rachetez par vn Dieu, ne sçauroient
iamais estre veritablement esclaues des
hommes, pour craindre l’homme mortel, ou
le fils de l’homme qui n’est que misere & que
poudre, il faut estre plus lasche que la lascheté
mesme. Les gens de bien estiment plus sans
comparaison les oprobres de Iesus-Christ, que
tous les tresors d’Egypte. Ils aiment mieux

-- 27 --

estre les moindres en la maison de Dieu, que
les premiers au tabernacle des tyrans & des
idolatres.

 

Ceux qui s’asseruissent à leurs volontez, cherchent
moins le Ciel que la terre. Et celuy qui
mesprise la crainte du Seigneur, se ruine par
sa prosperité, & mange du fruict de ceux qui
sont reprouuez de l’Euangile, Dieu qui les a
mis en des lieux glissans, les fait faillir, & les
consomme en vn moment d’vne maniere espouuantable,
ils s’euanoüissent en sa presence
comme vn songe apres le réueil, ou comme
de la fumée en vn graud orage. L’ors que leur
estre commence à prendre quelque vigueur,
& que leur felicité s’espanoüit dans son existance,
Dieu retranche leur vie au milieu de
leurs iours, & les precipite à iamais au centre
de ses abismes.

Si l’on prend bien garde au lieu de leur demeure,
du soir au matin on ne les y trouuera
plus, veu qu’ils fondent deuant le feu de ce
grand Soleil de iustice, comme de la cire.
L’arc qu’ils auront bandé pour perdre ceux
qui cheminent dans la veritable voye, sera
rompu : & Dieu qui void iusques au fond du
cœur, les percera de ses traits, & les traittera
comme des impies.

-- 28 --

Au contraire, ceux qui d’vn cœur droit & entier,
gouuerneront les affaires du Prince & du
peuple, sans cupidité & sans iustice ; Qui ne s’abandonneront
iamais, ny aux faueurs, ny aux
amitiez, ny au lucre ; Qui empescheront que
l’ambition, l’auarice, & la trahison ne maitrisent
l’Estat ; Qui ne souffriront iamais que les
idiots, les infames, & les proscripts, soiẽt esleuez
aux charges par l’aide des Histores, ou de
ceux qui distribuent les roolles : Ceux là veritablement
se peuuent bien asseurer que leur entremise
prosperera, & que durant toute leur vie
ils seront considerez comme ce vaisseau d’or,
que la verge de fer ne sçauroit briser en façon
quelconque.

Qu’ils ne s’estudient point à nous persuader
qu’ils ont fait leur deuoir, en s’arrestant au milieu
de leur course : les choses les plus immenses,
& qui semblent estre esleuez, en leur plus
haut degré, s’accroissent par leur perseuerance,
souuẽt, mesme elles sont suiuies d’vn succez qui
sur passoit l’esperance de les pouuoir faire, aussi
biens que la creance d’auoir esté faite par vne
puissãce crée. Lourse forme son faon à force de le
lécher ; ainsi celuy qui perseuere iusques à la fin,
se met au rang des parfaits, & il obtient la beatitude
eternelle : mais ceux qui s’enuelopent de

-- 29 --

leurs ombres, obscurcissent leur lumiere, &
font voir la foiblesse de leur force naturelle. Ils
ne produisent que des monstres, à la ruine des
Estats, au destriment de leurs Souuerains, &
mesme à la confusion de leur propre personne.

 

Le regne du ieune Roy Louys de Hongrie,
fut tout a fait malheureux, pour auoir laissé
gouuerner son Royaume à des personnes plus
soigneux de leur profit, que des affaires de leur
maistre. C’est vne folie de recommander Rome
aux Dieux Penates, puis qu’ils ont esté desia
vaincus eux mesmes. Pour faire perir les Estats,
il ne faut que mettre le gouuernement entre les
mains de certains Protecteurs qui soient perissables :
tant s’en faut qu’ils soient nez pour se
consacrer au bien public ; puis qu’ils ne se sçauroient
pas garentir eux mesmes des flames eternelles.
Quand ils sont accablez d’vne calamité
prodigieuse, implorent-ils iamais ny le secours
de la loy, ny les dons de la grace. Comme ils
font vanité de violer les Edits de cette diuine ordonatrice ;
ils font pareillement aussi trophée
de fouler aux pieds les faueurs de ceste venerable
iustificatiue. Dieu n’exauce point les prieres
des gouuerneurs de la terre, qui (esleuez de la
poussiere) au lieu de faire iustice à son peuple

-- 30 --

& de bien conseiller leurs Princes, ne font que
piller le public, & remplir l’estat de meutres &
d’incendies, quoy que la gangrene se soit emparée
des plus nobles parties de la Monarchie,
& que les mal se soit rendu comme incurable.
Ny Dieu ny les creatures ne leur sont rien en
comparaison de leur fortune. O Roys, & bons
Princes du monde, qui dormez songez à vous,
& donnez ordre aux gemissemens de vos peuples ;
car les sacrifices des meschans sont abominables
au Souuerain Eternel, & sa iustice les
reserue pour estre tourmentez sans aucune misericorde,
le baton d’Elisée ne sçauroit plus ressusciter
des morts, en quelque main qu’il puisse
estre ; de sorte que ceux qui ne viuent plus en la
grace, courent grand risque ; les puissans de la
terre ne songent plus qu’aux iniustices, & le
plus homme de bien est obligé de se porter au
mal, ou par necessité ou par l’exemple. Leur sapience
est de se conduire par ruses & par finesse,
aussi ont ils vne vie qui ne se mesure pas par le
temps : mais par les actions qu’ils sçauent faire ;
car ils meurent tous les iours dans l’embarras
des choses mortelles au contraire des gens de
bien, qui pour viure en Dieu, ny la mort, ny
l’exil, ny la plainte, ny la douleur, ne leur sont
point des suplices. Ils chastient leurs pechez,

-- 31 --

ils esteignent les flammes de l’abisme par leurs
larmes ; ils coupent la racine de leurs pechez,
& aneantissent les forces de la mort, qui ne
peut iamais auoir aucune prise sur ceux qui viuent
en Dieu, & qui s’estans affranchis de la tache
originelle, se sont mis au nombre de ceux
qui ont esté iustifiez par le sang du Sauueur des
hommes.

 

Pron 15.
Ecles. 34. 2.
Pier. 2. Iude
4.

Il est vray que la familiarité des Grands, est
quelquefois tres dangereuse à ceux qui n’ont
pas l’esprit de la receuoir, de la mesme sorte
qu’elle doit estre receuë. C’est vne flamme qui
eschaufe de loin, & qui brusle ceux qui s’approchent
vn peu trop prez d’elle. C’est vne teste de
Meduse, qui fait des prodigieuses Metamorphoses,
enfin c’est vn auant- coureur de maumaise
augure à beaucoup de personnes. Aratus
dit que l’amitié des Roys est d’vne estrange nature ;
& qu’ils ont plusieurs yeux pour voir, &
plusieurs oreilles pour ouyr, non seulement ce
qui est de la verité ; mais encore ce qui est beaucoup
par dessus ceste parole eternelle. Toute
fois quelques clairs-voyans qu’ils puissent estre,
leurs yeux ne sont pas plus esclairez, ny leur
esprit plus intelligent en la connoissance de ses
misteres. Rien n’est si esloigné de leur aprehension,
que ce qui est au cœur de l’homme. Dieu

-- 32 --

seul, qui les sonde iusques à la moindre de
leurs pensées en est le scrutateur infaillible.
C’est pourquoy celuy qui parle franchement
& qui a le cœur droit, est tousiours le bien
venu par tout, & ne doit rien craindre.

 

Et quoy qu’il en soit, & quoy que l’on en
puisse dire, les Roys ayment à la fin les seruiteurs
qui sont prudens, qui exercent l’equité
& qui ont incessament vne parfaite pureté sur
les levres ; parce qu’ils ont vn Dieu à qui ils
sont obligez de rendre compte de leurs actions
& vne ame à perdre aussi bien que ceux qui les
conseillent ; au contraire, ils deschargent tost
ou tard leur courroux sur les meschans, attendu
qu’ils ne leur sont pas moins funestes que
la mort éternelle.

D’ailleurs entre les Princes de l’Vniuers, il y
a aujourd’huy peu de Tyrans, peu des Denis,
peu d’Agatocles, peu de Sylles, peu de Busiers,
peu d’Astiages, & peu d’Arsacides, principalement
parmy les Francois, qui par dessus toutes
autres nations de la terre, ont des Rois par la
grace de Dieu, si sages & si Chrestiens, qu’il ne
se peut pas dire depuis plusieurs siecles, que de
leur propre mouuement, ils ayent commis, ny
fait commettre aucuns actes indignes de leur
personnes : encores que durant leurs regnes,

-- 33 --

sous leur nom & sous leur authorité, il se soient
faits des maux incroyables ; d’autant que tous
ces crimes se doiuent attribuer aux pernicieux
esprits qui les conseillent. Ces Nabuchodonosors
& ces Anthropophages, ont exercé des
cruautez inouyes, contre la nation de leur
chair, contre les peuples de leur sang, & contre
leurs propres freres. Apres auoir mis en
question s’ils exerçoient mieux leur tyrannie
en paix qu’en guerre, ils ont banny leur sanglante
Enyon de l’Etat, & durant le regne de
nostre fille du Ciel tant desirée, ils ont mis
par terre, ceux que Mars auoit tiré du peril
pour son honneur & pour sa gloire. Au lieu
qu’en guerre il estoit permis de se deffendre ;
ils ont trouué moyen de bannir ceste liberté,
qui se trouue dans vn temps de paix, en faueur
de leurs iniustices. Ce qui doit bien faire
prendre garde aux Roys & aux Princes,
quels sont ceux qu’ils appellent en leurs conseils,
& quels sont ceux qu’ils souffrent pres
de leurs personnes ; sans permettre iamais que
pas vn y soit mis par faueur, & moins encore
qu’il y soit introduit par la porte dorée, le merite,
& la vertu n’estant pas du nombre.

 

La science & la bonne vie, qui sont necessaires
aux Conseillers d’Estat, sont des choses

-- 34 --

si sacrées & si diuines, qu’elles ne sçauroient
iamais tomber en commerce parmy les hommes.
Peu de personnes sont dignes d’estre appelez
au Conseil des Roys, & peu de personnes
sont dignes d’vne faueur si extraordinaire.
L’Empereur Auguste, outre le Senat, & le conseil
particulier, a des Mecenas & des Agrippas,
auec lesquels il decide les affaires de plus haute
importance. Il ne consulte que ces illustres
esprits, pour sçauoir s’il doit quitter ou retenir
l’Empire. Iules Cesar ne resoud iamais aucun
affaire important, qu’auec Q. Pædius, &
Cornelius Balbus. C’est à ces deux seuls qu’il
dit librement ses intentions, & qu’il communique
ses plus secretes pensées. Pharaon ne fait
rien sans l’aduis de Ioseph, à qui Dieu a donné
vne sapience toute particuliere. Et Dieu
mesme qui est le seul exemple, que les Souuerains
de la terre doiuent imiter en toutes choses,
ne reuele iamais parfaitement bien les
mysteres de nostre salut, qu’à ceux qui luy
sont les plus affidez, & qui ont vne incorruptible
passion, & pour son honneur & pour sa
gloire. Leçon tres familiere & tres fidelle aux
Roys, pour bien choisir & pour bien s’asseurer
de ceux qui les conseillent en tous leurs affaires.

 

-- 35 --

Sub2Sect précédent(e)

Sub2Sect suivant(e)


Anonyme [1649], LE MIROIR DES SOVVERAINS OV SE VOID L’ART DE BIEN REGNER, ET QVELLES SONT LES PERSONNES qu’ils doiuent élire pour estre leurs Commensaux, leurs Domestiques, leurs Seruiteurs, leurs Conseillers, & leurs Ministres d’Estat. QVEL EST LE DEVOIR DE TOVS ces diuers esprits; & quelle doit estre leur recompense. , françaisRéférence RIM : M0_2478. Cote locale : C_6_21.