Anonyme [1649], LE MIROIR A DEVX-VISAGES OPPOSEZ, L’VN LOVANT LE MINISTERE du fidele Ministre, l’autre condamnant la conduite du meschant & infidele vsurpateur, & ennemy du Prince & de son Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2477. Cote locale : C_6_23.
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LE
MIROIR
A
DEVX-VISAGES
OPPOSEZ,
L’VN LOVANT LE MINISTERE
du fidele Ministre, l’autre condamnant la
conduite du meschant & infidele vsurpateur,
& ennemy du Prince
& de son Estat.

M. DC. XLIV.

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LE
MIROIR
A
DEVX VISAGES
OPPOSEZ, L’vn loüant le Ministere du fidele
Ministre, l’autre condamnant la
conduite du meschant & infidele
vsurpateur, & ennemy du Prince,
& de son Estat.

C’Est vne maxime trop connuë entre les
Philosophes, que plus deux contraires
sont opposez, & dauantage ils paroissent,
ainsi le blanc approché du noir, fait connoistre
la force de sa candeur, & le noir
le degoust de son opacité : C’est le méme
de la vertu & du vice diametralemẽt contraire ; la vertu

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qui fait iuger de son prix, & de sa beauté à l’aspect
du vice son antagoniste, decouure son esmail, & espanoüit
en fleur de beauté, plus la laideur du vice luy est
presente.

 

C’est le mesme du Ministere des Ministres des Princes,
bien differens & contraires, puis que les vns sont
chargez de loüãges publiques, les autres couuerts d’inuectiues
& d’imprecations, comme victimes d’execration
denoncees à la disgrace des peuples qui ressentent
le contrecoup.

Pour les preuues, ce n’est pas chose nouuelle qu’il se
trouue dans les Conseils des Roys & des Princes des
hommes tellement accõpagnez de belles parties, qu’ils
sont iugez dignes d’estre appellez aux charges plus eminentes
de leurs Estats, puis qu’ils sont capables de les
exercer, & d’en auoir la conduite : aussi leur sont-elles
legitimement octroyées par la liberalité Royale, en reconnoissance
de leurs merites & affection à leurs seruices.
Tels ont esté les Hephestions & Craterus aupres
d’Alexandre le Grand, les Agrippes & les Mecenas à
la Cour d’Auguste, ou Philippes de Comines dans les
Cõseils du Roy Louis XI. Le sieur Descures prés le ieune
Prince Charles, depuis Empereur & Roy d’Espagne.

Chacun sçait que les deux premiers estoient les plus
fideles Conseillers d’Alexandre : mais comme ce grand
Prince auoit excellé en generosité & grandeur de courage
au delà des autres, aussi ne s’en trouua-il point
de plus ambitieux, à cause de ce il s’estoit laissé aller à
des vanitez, non seulement plus extrauagantes : mais
plus pueriles & atides.

Il s’imaginoit qu’il estoit fils de Iupiter, & que Philippes
n’estoit que son pere putatif, & vouloit que tout le
monde le creust ainsi, & apres auoir faict ses grandes &
admirables conquestes, & subiugué tant de Nations en
si peu de temps, il commença tellement à se mescognoistre,
& à se laisser emporter par certains malheureux
flateurs, qu’il fit tout ce qu’il peut pour obliger &
forcer ses subiects de luy rendre des honneurs extraordinaires,

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& contraires à leur inclination, dont ils se
deffendirent autant qu’il leur fut possible : mais il en cousta
la vie au Philosophe Calisthene, sous vn autre pretexte.

 

Il est sans doute qu’en toutes ces entrefaites Hephest on
& Craterus se trouuerent bien empeschez, & fallut qu’ils
s’accommodassent aucunement, & sans volonté, à ce qu’il
vouloit : car s’ils en eussent autrement vsé ils se fussent perdus,
puis que ceste maladie estoit sans remede, toutefois
il ne se lit point qu’ils eussent esté autheurs au Conseils de
ces flatteries, ny qu’ils s’y fussent engagez plus auãt, ce qui
n’autoit esté oublié par ceux qui en ont escrit : au contraire
l’Histoire deseharge tous les Macedoniens, & blasme
certains Grecs qui eleuoient ce Prince au delà des Cieux.
Mais pour Hephestion la mesme Histoire remarque expressement,
que nul autre que luy ne se donnoit la liberté
d’admonester ce Prince aux occasiõs : En quoy sa cõduite
estoit telle, qu’il sembloit bien que tout ce qu’il en faisoit
estoit plustost par la permission de son Prince que par entreprise
& par authorité : aussi Alexandre auoit tant d’amour
pour luy, que s’il eust esté dix ans absẽt, il n’eust durãt
ce temps traicté d’aucune affaire auec qui que ce fust,
tant il faisoit estime de sa fidelité, aussi vouloit-il qu’il fust
tousiours gardien de son cachet plus secret ; Il estoit comme
le sacré depositaire de sa pensée, qu’il confioit toute
en la prudence de ce sien Ministre & Conseiller. Il n’eut
pas escrit vne lettre de telle consequẽce fust-elle, qu’il ne
luy en eust declaré le secret : aussi le voyant mort, il en eut
vn tel ressentiment de douleur, qu’il fit tondre tous ses
cheuaux & mulets, fit ruiner & abbatre tous les plus hauts
edifices des villes, commanda que son Medecin pour ne
luy auoir sauué la vie fust crucifié ; deffẽdit que par vn lõg
temps il ne fust oüy dans ses armées aucun son de trompette
ny de tambours, comme aussi tant de concerts de
voix & d’instrumens de musique en ses Palais, & employa
dix mille talents en ses obseques.

Pour ce qui est d’Agrippa & de Mecenas, ils õt vescu auec
Auguste en fort grande amitié, & encore que ce Prince
fust vn des plus accomplis & des mieux sensez qui ayent

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iamais porté sceptre, si est-ce qu’il s’est souuent trouué
bien de la liberté & de la franchise de ces deux Conseillers :
comme il recogneut luy mesme apres leur mort, se
plaignant de n’auoir plus personne qui l’aduertist & luy remontrast
librement aux occasions comme ils faisoient.
C’est ce qu’en escrit Seneque au lieu 6. des biens-faicts, où
il parle du besoin que les Princes õt au milieu de leurs plus
grãdes prosperitez, d’vne personne qui leur dise la verité.
Il rapporte les parolles d’Auguste, lequel ayant relegué sa
sille Liuia apres auoir eu aduis de sa vie peu honeste &
honteuse, & recognoissant la faute qu’il auoit faite d’auoir
luy mesme publié vn mal domestique, qu’il deuoit plustost
enseuelir dans sa maison, s’escria, Que rien de tout cela ne fust
arriué, si Agrippa ou Mecenas eut encores vescu. Surquoy Seneque
donnant son iugement, ne craint point de dire, Que
pour cela il ne faut point croire qu’Agrippa ny Mecenas n’eussent
accoustumé de luy dire la verité : mais que l’humeur des Princes
est telle de blasmer les choses presentes, & loüer celles qui sont passées.
L’Histoire nous apprend auec quelle liberté Agrippa
conseilla à Auguste de quitter l’Empire, & rendre la pleine
liberté à la Republique ; & cõme Mecenas le reprenoit
courageusement, lors mesme qu’il le voyoit le plus porté à
faire quelque acte indigne de luy, tel que le bannissement
de sa fille, dont l’Histoire nous dõne vn exemple notable.
Elle raconte que ce grand Prince estãt vn iour en son lict
de Iustice, & sur le poinct de faire prononcer vn Arrest de
mort contre plusieurs persnnnes, Mecenas considerãt cette
action assez seuere, & ne pouuant approcher de luy, à
cause de la foule du peuple, il fut contraint d’escrire ces
trois mots dãs vn morceau de papier addressez à Auguste,
& les ietter dans son sein, Leue toy bourreau, & que les ayant
leus il se leua à l’instant, & quitta le trosne de Iustice.

 

L’Histoire de France nous sert icy de l’exemple d’vne
fidelité insigne d’vn Ministre ou Conseiller du Prince en
la personne de Philippes de Comines sieur d’Argentré
appellé aux plus grandes affaires du Royaume, sous les
Rois Louys XI. & Charles VIII. Cét excellent Ministre
estoit si Religieux à bien & fidelemẽt seruir son Prince &

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l’Estat, qu’il eust mieux aymé mourir que d’estre noté
d’aucune marque de lascheté, ny de dissimulatiõ aux affaires
ausquelles il estoit employé, & eust estimé estre vn crime
de deguiser au Prince les choses autremẽt qu’elles n’estoient,
& n’eut creu n’estre moins coupable de luy donner
des bons & necessaires Conseils, que de l’offenser en
sa personne, aux negotiations qu’il entreprenoit auec les
Princes & Estats Estrangers, pour les affaires du Roy son
Maistre, il disoit son aduis sur l’euenement qu’il en falloit
attendre, sans flatterie ny deguisement, ne voulant rien
relascher de ce qui regardoit l’honneur du Roy, le bien
de son seruice, & la reputatiõ de ses armes : nõ plus qu’aux
Conseils où il estoit appellé, lors principalement qu’il y
alloit d’entreprendre quelque guerre, en laquelle l’argent
qui en est le nerf est necessaire, si la necessité vouloit que
les leuées s’en fissent sur le peuple, il estoit d’aduis que les
affaires vrgentes le permettant, on leueroit vne certaine
somme limitée, sans autre sur charge, laquelle le Roy
mesme ne pouuoit imposer sans octroy des trois Estats :
ainsi ce grand Ministre, mais amateur de la reputation de
son Maistre, trauailloit dauantage à entretenir l’amour du
Roy auec ses peuples, que de les luy rendre mal affectionnez
par des surcharges extraordinaires.

 

Sous le commencement du regne de Charles Empereur
& Roy d’Espagne, & durant qu’il demeura en Flãdres,
il eut pour Ministre, & tres-fidelle Conseiller le fieur de
Cheuret, extraict d’vne Noble famille de Gand, & à cause
de ce, Ie Roy Charles qui auoit aussi pris naissance à
Gand, le prit en affection, & estant encores Ministre le
voulut auoir tousiours prés de luy pour disposer, tant des
affaires qui regardoiẽt sa personne, & sa Maisõ, que de celles
de ses Royaumes & Estats. Sa cõduite en son Ministere
fut telle, qu’au lieu que les autres Ministres veulẽt estre
seuls au Gouuernement, sans souffrir des compagnons, le
sieur de Cheuret au contraire employoit son credit à faire
obeyr ceux que le Roy employoit aux affaires, tãt en Espagne
qu’ailleurs, & qu’ils y fussent maintenus, estimant que
le seruice du Roy y seroit mieux entretenu, que quand il

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change de Gouuerneur & de Ministre : son humeur pleine
de candeur, auec laquelle il traictoit, ne fut pas pourtant
sans enuie. Vn iour il sceut que le Docteur Adrian
Lorent Doyen de Louuain Precepteur du Roy
Charles, fut par luy enuoyé Ambassadeur en Espagne, sa
charge estant en apparence pour les affaires du Gouuernement ;
mais plutost pour nuire au sieur de Cheuret, &
mesnager sa disgrace enuers la Reyne Ieanne sa Mere, &
l’Infant Ferdinand son Frere, qui ayant sceu ceste resolution,
quoy qu’il eut raison d’en conceuoir vne grande iniustice
contre le Docteur Adrian, il supporta neantmoins
ce mauuais office sans aucun ressentiment, qui fut toutefois
sans effet.

 

Vne autrefois comme les Espagnols estoiẽt resolus d’auoir
leur Roy Charles auec eux estãt lassez du Gouuernemẽt
du Cardinal Ximene, crioient hautemẽt qu’ils se reuolteroient,
ce que sçachant le sieur Cheuret craignant le
peril de voir l’Espagne pleine de reuoltes & de seditions
contre le Cardinal, cõseilla au Roy Charles d’enuoyer en
Espagne vn troisiesme Gouuerneur, & selon son cõseil fut
expedié le Seigneur de Lauars, au quel on donna le troisiesme
lieu en l’administration des affaires auec le Cardinal
Ximene, & le Docteur Adriã qui fut depuis Cardinal.

Tous les Grands d’Espagne ayant pris resolution de ne
plus obeyr au Cardinal Ximene, qui estoit cõme vn Roy
en l’absence du Roy, qui craignant que l’Infant D. Ferdinand
par le conseil de ceux qui estoient aupres de luy, allast
en Arragon pour se faire Roy, ce qui eut esté à cause
de l’amitié que les Arragonois luy portoient, le Cardinal
creu, en cecy faire vn grãd seruice au Roy Charles de renouueller
la maison de l’Infãt, & d’oster de sa maison tous
ceux qui luy auoient donné vn tel conseil, dont l’Infant
fut fort indigné, & vsant de menaces protesta qu’il se vãgeroit
du tort qu’on luy faisoit. Le Cardinalle manda en
Flandre, d’où le sieur de Cheuret luy fit auoir response à
son contentement, & blasma, disant que s’il auoit peur reuenant
de l’Infant que cela feroit croire qu’il n’auoit pas
assez d’authorité en Espagne, où il representoit la personne

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du Roy, sur l’authorité du quel il se deuoit asseurer sans
se soucier de ce que les Flamands disoient de luy.

 

Par l’entremise de la faueur du sieur de Cheurest, les
Grands Seigneurs de Flandre furent admis aux premieres
charges, tant du Pays-bas que d’Espagne. Le Roy faisant
estat de ce grand homme de bien, si fort attaché aux interests
qui regardoient son seruice, & le bien de ses affaires,
qu’il ne faisoit aucune chose d’importance sans son conseil.
L’esclat de ses faueurs Royales ne le rendoient
point plus superbe ny inaccessible : au contraire, il se plaisoit
à faire recompenser les hommes qu’il sçauoit estre necessaires
aux affaires, & desquels le Roy se pouuoit vtilement
seruir, & sceut ainsi se gouuerner auec tant de prudence
& de gloire l’espace de trente ans à la Cour du Roy,
tant en Flandre qu’en Espagne, que nul n’auoit subiet de
se plaindre de luy, ny d’enuier son grand credit, puis qu’il
l’employoit à faire toute l’obeyssance au Roy, à faire du
bien à ceux qui auoient bien seruy, & à oster les charges
à ceux qui en auoient mal-vsé, & qui s’en estoient rendus
indignes.

Voila le premier Visage de nostre Miroir, qui regarde les
hommes qui ont toutes les parties du Ministres & Cõseillers
du Prince tres-accomplis, & qui sont dignes d’estre
appellés aux charges plus honorables de l’Estat.

Ce premier Visage ne regarde point le Cardinal Iules Mazarin :
car il n’a iamais imité Ephestion en la grande franchise
qu’il auoit à ne point trahir son Prince en luy deguisant
la chose qu’il luy falloit faire entendre pour bien regner,
au contraire il ne fut pas plutost admis dans les affaires,
qu’abusant de la bõté de la Reyne Regente, il luy dissimuloit
toute les verités qui deuoiẽt lui estre declarée pour
le bien de l’Estat, & ce pour commencer à se rendre absolu
& independant au maniment des plus grands affaires, il
fit chasser d’aupres la personne du Roy ceux que la Reyne
y auoit appellez pour y en mettre d’autres à sa deuotion.

Non plus s’est-il miré sur Agrippa & Mecenas, qui aymoient

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mieux perdre la faueur & le credit qu’ils auoient
aupres d’Auguste, que la liberté de luy dõner des conseils
tres-vtiles aux occasions qu’ils iugeoient estre necessaires,
& l’empescher de faire aucune action qui fust accõpagnée
de rigueur ou de violence : Iules Mazarin n’a point eu tãt
de retenüe de ce qui eust esté en luy vn acte de prudence,
lors que pour ses propres interests il porta la Reyne à permettre
l’emprisonnement du Duc de Beaufort sur des accusations
de crime imaginaire à fonder sur les depositions
de plusieurs faux tesmoings. La proscription de la Duchesse
de Cheureuse, de Madame de Hautefort & autres,
l’esloignemẽt du President de Barillon hors de Frãce par
mort violente, comme aussi le President Gay en tous lesquels
ont ressenty les effects du naturel Italien Espagnolisé,
qui est de frapper en trahison, & de vanger le moindre
soupçon d’offense sans esperance d’eschapper.

 

C’est icy où ie veux faire cognoistre l’autre visage de
ce Miroir, qui va monstrer & condamner tout ensemble,
la conduite du Ministere du Cardinal Mazarin, par celle
de Seian, de Stelico, Olympius & Iouius Ministres & Conseillers
de Tybere & d’Honorius Empereurs.

Sejan, esprit violent & du tout conforme aux humeurs
de Tybere fut vn puissant instrument de sa tirãnie. Rome
le vid mõter au plus haut degré d’honneur & de puissance
apres Tybere, dont il manioit l’esprit comme il vouloit :
mais ce ne fut que pour seruir d’vn fameux spectacle &
d’vn exemple fatal de la vanité de la Cour. Sa faute fut
odieuse parce qu’elle prit son origine non de la vertu ny
des seruices faicts au Prince ou à la Republique, mais de
la violence de son esprit. Cependant il auoit toutes les
parties d’vn homme qui aspire à la tirannie : son esprit estoit
hardy, & sçauoit couurir ses desseins artificieux à
dresser des calomnies & des pieges, vain de son naturel,
flatteur pour le biẽ de ses affaires, modeste en apparãce &
honteux à prendre de grandes charges, mais en effect desesperemẽt
ambitieux, magnifique & honorable en sa despense

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pour charmer les cœurs ; au reste industrieux &
vigilant, & doüé des autres qualités requises pour voler
vn sceptre & rauir vn Estat. Il creut que la charge
de Colonel des gardes pouuoit seruir à ce superbe dessein :
C’est pourquoy il fit tout ce qu’il peut pour en
augmenter la puissance : à cet effect il rallia comme en
vn corps d’armée toutes les Compagnies esparses c’à &
là par la ville, & les logea dans l’enceinte d’vn mesme
Camp, tant afin qu’aux premieres occasions elles peussent
tout à la fois receuoir ses commandemens, qu’aussi
afin qu’estant ensemble elles s’entrẽflammassent le courage,
& se monstrassent plus formidables par le nombre
pour s’insinuer dans l’esprit des gens de guerre : il
leur dõnoit des Centenieres & des Turbans de sa main,
auançoit les siens aux premieres charges de l’Empire, &
leur faisoit donner le gouuernement des Prouinces.
Tybere prit vne telle cõfiance en luy qu’il luy confia
toute sa fortune, & alors Seian se voyant assez puissant
pour ruiner ceux qui mettoient quelque sorte d’obstacle
à la grandeur qu’il s’estoit proiettée, attaqua les enfans
de Germanicus, accusa l’Aisné d’auoir attenté à
l’Estat & d’auoir coniuré contre le Prince.

 

Dans Rome il prenoit le soin de toutes les affaires,
tant de la Ville que de l’Empire : Les gardes du
Prince estoient à la deuotion des Senateurs, les vns
luy deuoient leur auancement, il entretenoit les autres
d’esperance, il retenoit les autres par crainte, tant
ceux que Tybere employoit estoient à luy, & luy seruoient
d’espions aupres de luy, iusques à luy communiquer
toutes ses lettres. C’est icy le deuxiesme visage
de nostre Miroir, qui fait connoistre la conduicte
du Ministere du Cardinal Mazarin par celle de Seian :
Premierement apres le deceds du deffunct Roy Louys
XIII. d’heureuse memoire, s’il y eust homme qui sceut
abuser de la bonté de la Reyne, ceste Princesse non
point instruicte aux ruses Italiennes, ny aux fourbes

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d’vne telle Nation, ne peut se garder qu’il ne maniast
son esprit comme il vouloit, le croyant tout autre qu’il
estoit, & que c’estoit vn homme adroit, & capable de
prendre le soin des plus grandes affaires qui se presentoient
durant sa Regence ; qu’ayant esté donné au
deffunct Roy par le Cardinal de Richelieu, il pouuoit
comme instruict de sa main, gouuerner l’Estat & la descharger
des soins qui accompagnent les affaires d’vn si
grand Estat. Sur ceste creance, sa Maiesté se cõfie en luy
de tout ce qui concernoit les affaires, tant de la guerre
que de la Paix. Ceste grande faueur ne demeura pas
sans deuenir odieuse, comme ne procedant de son origine
obscure, ny de sa vertu, ny des seruices rendus à
l’Estat, mais de la violence de son esprit ambitieux de
donner la Loy à tous ceux qui seruiroient le Roy, tant
aupres de sa personne, que dãs les Conseils, & aux affaires :
S’il y eut homme ainsi agrandy, qui aspirast à la tyrannie,
c’est luy, d’autant qu’il a monstré en auoir toutes
les parties, & pour ne paroistre tel, il sçait tres-bien
couurit ses desseins artificieux, afin de perdre ceux qui
luy nuisent par des pieges & des moyens perfides, comme
il vouloit faire de quelques vns des plus innocentes
testes du Parlement. Il n’a iamais souffert qu’aucun dõnast
ombre ou ialousie à sa fraude dés le commencement
de son installation dans les affaires. Il fit éloigner
d’aupres de la Reyne Monsieur l’Euesque de Beauuais
Comte & Pair de Frãce, l’vn des plus sages & vertueux
Prelats de France, fit faire commandement à Monsieur
des Noyers Secretaire d’Estat de se retirer, quoy qu’il
sceust le credit & la faueur qu’il auoit eu prés le deffunct
Cardinal de Richelieu son bien-facteur, à cause dequoy
il le deuoit traicter auec plus d’honneur & de retenuë
qu’il n’a fait : mais il le fit pour mettre vn autre en sa charge,
qui dependist de ses volontez. Au commencement
il se rendoit difficile à prendre les grandes charges
qui luy estoient offertes. Il en faisoit le honteux :

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mais son ambition se descouurit bien-tost lors qu’il
se fit donner la qualité de Surintendant du Gouuernement
de la personne du Roy, afin qu’en ceste
charge il logeast-en la Maison de sa Maiesté, ayant sous
luy des Sous gouuerneurs à son choix, afin de veiller sur
toutes les actions de leurs Maiestez, & de n’en permettre
l’abord qu’à qui il luy plairoit : outre ceste haute
qualité de Surintendant de la personne du Roy, il a induit
la Reyne à prendre des siens pour ses premiers Secretaires
& Intendans de sa Maison, afin de disposer de
sa personne, comme il faict de celle du Roy : & dauantage,
il ne s’est point contenté des grandes pensions qu’il
tiroit des coffres du Roy mais a voulu auoir la disposition
des meilleurs & plus riches Benefices de France
par vn Conseil de conscience par luy estably, à dessein
de sçauoir ceux qui vaqueront, d’en retenir les
meilleurs, & d’en pouruoir ses confidens, au l eu de
recompense, en sorte que nul ne peut auiourd’huy paruenir
aux Dignitez Ecclesiastiques de France que par
son moyen. Pour les affaires de la guerre, & les Officiers
des armées, les Princes mesmes qui en sont les Generaux,
sont comme obligez, ou pour dire contrains
de prendre de sa main les Mareschaux de Camp-les Colonels,
Mestres de Camp, & Capitaines pour commander
aux trouppes, & mettre des Gouuerneurs aux places,
tels quil luy plaist ; comme il a fait voir aux villes
d’Ypre, de Domquerques, sans vouloir laisser ceste liberté
aux Princes du sang qui commandent les armées
d’y en mettre comme ils le iugent estre à propos pour le
bien du seruice du Roy, & connoissant plus que d’autres,
leurs merites, leur courage, leur experience & fidelité.

 

Il est de la prudẽce du Ministre de se garder d’estre autheur
de quelque Conseil dont l’issuë soit hazardeuse :
car arriuant que l’euenement soit tel que l’on le peut
souhaitter, il sera imputé au Prince, & s’il est autre, celuy

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qui aura donné ce Conseil en sera accusé par les euenemens :
C’est ce que l’Histoire remarque de Stilico,
apres la mort duquel on blasmoit la Paix faicte de
son aduis auec Alaric : ce qui fut cause que Olympius
(qui auoit esté l’instrument du quel l’Empereur Honorius
s’estoit seruy pour le desfaire de Stilico) se resolut
de prendre Contrepied, & ayant lors tanté l’authorité
sur les affaires, fit rompre la Paix, nonobstant plusieurs
conditions raisonnables proposées par Alaric, engageant
par ce moyen son Maistre en vne guerre, dont
l’issuë n’estant telle qu’il s’estoit promis, il fut aisé aux
Eunuques qui estoient prés de l’Empereur de l’accuser
autheur de tous les maux desquels l’Estat estoit affligé,
de façon qu’il fut contrainct d’abandonner la Cour, &
s’enfuir en Dalmatie.

 

C’est pourquoy Iouius, qui sueceda à la faueur de la
puissance d’Olympius vers l’Empereur Honorius, encore
qu’il desirast la continuation de la guerre contre
Alaric afin de se rendre plus necessaire à son Maistre
(ruse ordinaire de la plus part de ceux de ce mestier)
fit semblant de desirer la paix, & s’estant abbouché auec
Alaric à Rimini, il enuoya à l’Empereur Honorius
les articles qui auoient esté proposez de part & d’autre,
& par vne lettre separee luy conseilloit de declarer
Alaric General de ses armées, afin qu’addoucy par cet
offre il ret ranchast quelque chose de ses autres demandes,
à quoy l’Empereur ayant respondu qu’il ne pouuoit
trouuer bon de donner ce commandement à Alaric
ny à aucun des siens, laissant à Iouius de luy accorder
la demande qu’il faisoit des pensions & des vsures
pour les Gots ; ainsi qu’il aduiseroit pour le mieux.
Iouius leut cette lettre deuant Alaric, le quel s’indigna
tellement du peu de compte que l’Empereur faisoit de
luy & de toute sa nation qu’il rompit le traicté. Alaric
s’en retourna vers l’Empereur sans auoir rien fait, lequel
piqué aussi de son costé iura de ne point faire la

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guerre auec Alaric, & fit faire semblable serment à tous
les siens, entre les quels Iouius se trouua le plus disposé,
qui par ceste façon de proceder se deschargea de l’enuie
de ceste rupture sur son Maistre, & sur Alaric, &
obligea Alaric par la demande qu’il auoit faicte pour
luy du commandement general des armées de l’Empire :
& par ce moyen engagea son Maistre à continuer la
guerre, laquelle le rendit plus necessaire, & affermit dauantage
son authorité, & sa faueur prés de luy.

 

Quant à Stilico, on attribuë sa mort, non seulement
au dessein que l’on l’accusoit d’auoir de se saisir de l’Empire
d’Orient, l’execution duquel estoit encores fort
esloignée : mais aussi à l’estroite intelligence qu’il auoit
auec Alaric, auec lequel il auoit fait vne honteuse Paix
pour l’Empereur contre l’aduis de tant de Conseil, &
mesme de l’Empereur, qui dit lors que ce Traicté n’estoit
pas vne Paix, mais vne paction de seruitude, l’Empereur
s’obligeant de payer tribut aux Gots, sous le
nom de pension.

Si le second Visage de nostre Miroir a fait connoistre
la conduicte du Ministere du Cardinal Mazarin, sur celuy
de Sejan, le mesme se representera sur celuy de Iouius
& Olympius, & Stilico : il semble qu’il a imité
Olympius, qui reietta la Paix faicte auec Alaric, auec
des conditions auantageuses, engageant ainsi son Maistre
en vne forte guerre : C’est ce qui s’est remarqué dans
le Ministere du Cardinal Mazarin, qui ayant toute authorité
sur les affaires a refusé la Paix il y a deux ans qui
nous estoit offerte, auec des conditions fort auantageuses
au Roy, & a voulu continuer la guerre qui
s’est fait du depuis iusques à present, que la paix qui se
pourra faire ne pourra estre si raisonnable ny honorable
qu’elle eut esté : mais son dessein n’estant que de s’enrichir
de la ruine de la France, ayant trouué vn homme
tel qu’il vouloit, le sieur d’Hemery Surintendãt des
Finances pour tirera leur profit particulier tout l’argent

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de leur costé, ils vouloiẽt la guerre, pour sous ce pretexte,
obliger le peuple d’en fournir la despense à l’entretenir
& payer les armées. Malheureuse conuoitise d’auoir
qui rend les plus estimez personnages esclaues de
sa tirannie, car vous verrez des hommes tres-habiles &
des plus aduisez, & qui d’ailleurs parroissent auoir quelque
espece de deuotion & de vertu, qui toutefois ne
sont point assez puissans pour resister à la tentation de
l’argent où d’Honneur & se laissent prendre par là.
C’est vn escueil ou ceux qui s’estoient sauuez des autres,
font naufrage & se perdent ordinairement. Le
Cardinal Mazarin sous le faux masque de pieté, establissant
ses consorts de conscience cette congregation
de Theatins, n’a pas laissé de faire cognoistre
qu’il estoit possedé de cette passion malheureuse, au
suiet de laquelle luy & ses adherans, ont si bien pris
leur temps qu’il ny a rien qu’ils n’ayent fait pour les
conuertir, ils ont tout fourragé tout brigandé & tout
attrapé : & eust esté bien difficile de se garantir de telle
pestes en France ou les desguisez sont assuietis à l’argent,
sans la prudence du Parlement de Paris, lequel
non sans peine, non sans menaces ny persecution, a facilement
retranché cette effrontée licence de tout voler,
de tout ruiner & de tout perdre, dont la loüange qu’il
s’est acquise sera immortelle.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE MIROIR A DEVX-VISAGES OPPOSEZ, L’VN LOVANT LE MINISTERE du fidele Ministre, l’autre condamnant la conduite du meschant & infidele vsurpateur, & ennemy du Prince & de son Estat. , françaisRéférence RIM : M0_2477. Cote locale : C_6_23.