Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, CONTENANT La Harangue des Deputez. La Response du C. M. La Trahison du Duc de Loraine. Le Magazin des Recompenses dudit C. M. Et celuy des Princes. TROISIESME PARTIE. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_3.
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Le Magazin des recompenses
pour les Mazarins.

LE Cardinal enuoya querir la clef au Roy,
pour les faire voir à Son Alt. de Loraine, laquelle
estant venuë, il les fit ouurir, & d’abord il
remarqua quantité de choses fort curieuses : Entreautres
sur le premier ais de la droite estoient quantité
de Couronnes Ducales, sur des manteaux doublez
d’hermine. Sur le second ais du mesme costé,
autre quantité de Couronnes de Marquis & de

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Comtes. Au troisiéme, des Chapeaux verts, Mitres
& Crosses. Sur la gauche au premier ais estoient
quantité de bastons bleus fleurdelisez d’or, liez par
petits fagots. Au second du mesme costé, quantité
de parchemins, sur lesquels on voyoit les Seaux
du Roy, c’est à dire, le grand & le petit seau d’argent,
auec plus de cent liures de cire apprestées, entre
lesdits parchemins estoient quantité de Patentes
pour des Gouuernemens de Prouinces, Villes &
Chasteaux, les noms en blanc, quantité de graces,
d’abolitions, remissions, priuileges, offices. Et au
troisiesme ais estoit vne grande casse pleine d’or &
d’argent, sur laquelle estoit cét écriteau, Pensions
des espions, & vn autre sur laquelle estoit écrit,
Pour les Frondeurs conuertis, auec vn beau grand liure
couuert de Maroquin de Leuant rouge à fleurs
de lys d’or, chargé des armes du C. M. c’estoit le
registre des Mazarins & des Conuertis. Le C. M.
l’ouurit & le fit voir audit Duc de Loraine, en luy
disant Monsieur, pendant que V. A. a sejourné à
Paris, elle a apris les noms de quantité de Frondeurs,
qui font mesme la Cour à S. A. R. voyez si
vous ne trouuerez point leurs noms sur ce feuillet.
Aussi-tost le Duc de Loraine les ayant leus, leua
les épaules & s’escria, i’auouë que l’argent est le
veritable Dieu des hommes, il fait & deffait tout ;
& en suite dit, cela me semble vne vraye Blanque,
ie croy que tous ceux qui y tirent n’ameinent pas
beau ieu. Le Card. Il est vray, Monsieur, qu’il y

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faut hazarder plus d’vne fois, tel y a hazardé tout
son bien qui n’a rien amené, on y hazarde mesme
iusqu’à sa vie sans rien attraper : mais aussi il ne faut
qu’vn coup pour emporter la meilleure piece, &
puis ie vous diray que nous faisons mettre dans le
noir qui nous voulons. Le Duc de Lor. I’auouë
Monsieur le C. que pendant que vous aurez de si
belle marchandise vous aurez bien des chalans,
mais pour qui sont destinez tous ces bastons. Le C.
C’est pour ceux qui esperent estre Mareschaux de
France. Le Duc de Lor. L’on me disoit qu’il n’y en
auoit que quatre, en voila plus de deux cens, en
voulez-vous tant faire ? Maz. Si le cas y eschet, car
ce sont des amorces qui nous rendent les Officiers
d’armée fidelles : Et toutes ces autres choses que
vous voyez, c’est pour nous attirer des personnes
selon leur profession. Maz. Vous auez veu le magazin
des Princes, Monsieur, est-il si beau que celuy-cy ?
Le Duc de Lor. Il y a bien de la difference.
Vous diriez que ce soit l’Autel de Monsieur sainct
Maur, car on y voit que des jambes de bois, des
bras de fer, des chaisnes, des menotes & des potences :
mais ce que i’y ay remarqué de plus beau,
c’est vn tableau de Perseus sur vn cheual aislé, ayant
l’espée à la main, & sur son bouclier est la deuise du
Roy d’Angleterre, mais non pas de celuy-cy,
Honny soit qui mal y pense, qui vient pour degager
Andromede, toute desolée, & fondre sur le Dragon
qui la veut engloutir, elle tient la pierre philosophale

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en sa main, auec cét écriteau, pour celuy
qui me deliurera de la beste, & de l’autre costé l’image
de la Iustice, desarmée par la Discorde, auec
ces mots qui sortent de sa bouche, accerse concordiam
restituet ensem, entre les deux est l’image du
Gerion à trois testes, l’vne de dragon, l’autre de
femme, & la troisiesme d’vn beau & admirable
garçon, ils ont six bras & autant de jambes, il y
paroist vn Hercule qui tire par les bras le ieune
garçon, qui porte cette deuise, hoc opus hic labor
est, le voulant separer des deux autres visages. Enfin
ayant consideré tout cela, ie fus plus rauy de
toutes ses merueilles, que ie ne suis de toutes vos
richesses. Maz. Tout cela est beau & bon, mais de
l’argent vaut mieux, si Messieurs les Princes ont
de beaux pretextes de leur costé, i’en ay du mien
aussi bien qu’eux : i’ay pourtant iusqu’à present
tousiours tiré le bon bout deuers moy : enfin arriue
qui pourra, s’ils nous égratignent nous les morderons,
ie vous assure bien que i’ay icy riué mon
cloud, & que ie ne pretens pas me laisser debusquer
comme vn coquin : ce n’est pas comme au iour
sainct Lambert, qui quitte sa place la perd, mais
pour moy icy ie suis fort bien planté pour reuerdir,
au bout du compte, finis coronat opus. Comme
il acheuoit de parler, vn de ses gens le vint auertir
que le sieur D. G. vouloit parler à Son Eminence,
ce qui fit que Son Altesse de Loraine prit congé
d’elle & se retira, & puis le Cardinal Mazarin la

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conduisit auec ses ciuilitez ordinaires, & en suite
commanda de le faire entrer, lequel apres auoir
salué Son Eminence d’vne profonde reuerence,
commença de parler de la sorte.

 

Monseigneur, prenez courage, toutes nos affaires
vont bien, les Princes ne sçauent plus là où ils
en sont, vous leur auez donné là vn morceau à digerer
qui est bien dur, & Monsieur le Coadjuteur
leur a donné le saut de Breton. Monsieur le Duc
d’Orleans est en grande colere, & Monsieur le
Prince court tantost deça tantost de là, pour poster
son armée, il la mise partie à sainct Cloud & Suresne,
& l’autre partie à Poissy, pourtant il ne desespere
pas, il a tousiours bon courage, les esprits
des Parisiens son partagez, les vns prennent l’espouuante
& apprehendent vn siege, ce qui leur
fait demander la paix : les autres paroissent plus
animez & disent, qu’il faut venger cette trahison,
qu’il faut renuoyer le Roy d’Angleterre à Londres
& le Coadjuteur à Corinthe. Enfin ils sont fort
allarmez, & neantmoins ils offrent tousiours aux
Princes secours d’argent & d’hommes, mais tout
cela chansons, car ils ne sçauent par quel bout commencer,
nostre Parlement leur tient la bride courte,
& ioüent au plus fin : ils leur donnent tous les
iours de nouuelles bayes, & à la fin ils les feront
tomber dans nos filets : mais ce qui me fasche le
plus, c’est que ces pauures Lorains n’oseroient plus
sor rtide leur taniere depuis la trahison de leur Duc,

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ils sont au mesme catalogue des Mazarins, il y en
a mesme beaucoup qui apprennent le Gascon, &
qui commencent à baragoüiner quelque rodomontade
pour se faire croire de Bordeaux. Enfin
ils disent que leur Duc estoit en mauuaise notte
quand il a fait ce coup-là, & qu’il falloit regarder
aux Epactes pour s’en donner de garde, quoy que
c’en soit, nous voila retirez d’vn grand bourbier,
& ie m’imagine desia vous voir dans vostre Pontificat
auec vostre mine seuere, faire aller tous ces
Frondeurs à courbette. Mais, Monseigneur, vous
sçauez ce que vous m’auez promis, ne trouuez pas
mauuais, si ie vous fais la mesme priere que le
bon Larron fit à Nostre Seigneur à la Croix, Memento
mei cum tu sis in Paradiso, Souuenenez-vous
de moy quand vous serez dans vostre Paradis, c’est
à dire, dans vostre grandeur, car vous n’auez pas
d’autre Paradis, vous auez ioüé vostre part de l’autre
au Hoc & l’auez perduë.

 

Le Sieur B. qui estoit là, & qui entendoit ainsi
jaser ce Perroquet, luy dit tout beau, il ne faut
point se moquer des chiens qu’on ne soit hors du
village, nous n’y sommes pas encore, vrayement
vous en verrez bien d’autres si nous viuons. Cela
n’empescha pas pourtant que le Cardinal Mazarin
n’allast trouuer le Roy & la Reine auec sa mine
bouffonne, pour les faire rire de tout ce qu’auoit
produit la trahison du Duc de Loraine : Il en fit
faire vne farce deuant le Roy, dont il estoit le premier

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acteur, & se comparoit à Cesar, qui estant en
vn banquet, lors qu’vn traistre luy porta la santé
du Roy son maistre, qu’il luy auoit vendu peu de
iours auparauant, fit cette response en tournant la
teste : I’aime la trahison, mais ie n’aime point les
traistres. Bref ce n’estoit pendant quelques iours
dans la Cour que balets, que resioüissances, que
festins, desia beaucoup de Mareschaux de France
vouloient tirer l’espée pour espouser la seconde
Niece de Son Eminence, c’estoit ce grand Genie
de l’Estat, ce thresor venu de Rome, qui a esté si
sorte de ne rien garder pour elle. Enfin on luy preparoit
desia vn nouueau triomphe, & pour cét
effet on deuoit enuoyer querir les cheuaux d’Arnolphiny,
car il n’y en auoit point d’assez beaux à
la Cour. Mais le retour de son Espion leur abaissa
bien le caquet, car il vint comme il estoit à table à
se diuertir auec les Sieurs F. & B. le Garde des Seaux,
le sieur S. le Mareschal D. P. P. & autres indignes
de nommer : d’abord que Son Eminence en fut
auertie, il fit desseruir & commanda qu’on le fit entrer,
en disant : Messieurs, vous allez auoir vn bon
dessert. Ledit Espion entra, fit deux profondes reuerences
à Son Eminence, & vne aux assistans, &
puis leur tint ce discours :

 

Etiam si mihi centum linguæ oraque centum ferreæ
vox. Ie ne pourrois pas dire à V. E. par le menu
tout ce que i’ay veu & entendu depuis que ie suis
party d’icy, qui estoit, si bien il me souuient, Ieudy

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dernier 21. Iuin 1652. I’en ay tant à dire, que
ie ne sçay par où commencer, c’est pourquoy il faut
que ie vous diuise mon discours par Chapitres, qui
feront autant de iournées.

 

La premiere iournée donc fut celle que i’arriuay
vers le soir ; dés la porte de la Ville i’entendis des
soldats Bourgeois qui se disoient l’vn à l’autre, nos
Mazarins s’assemblent demain, mais jarnigué il
n’an fau pa laissé la queuë d’vn s’y ne se declare
pour lé Princes : L’autre disoit, ils sont plus de
deux cens de nostre quartier qui porteront tous de
bons pistolets de poche & de bonnes bayonnettes,
pour poignarder tous ceux qui seront Mazarins.
Morgué, disoit vn autre, qui auoit le chapeau retroussé,
y a tro lon-tems que i’an souffron, fau-ty
tan de beurre pour faire vn quartron, y n’y a qu’a
allé dan leus maisons lé faire sauté comme dé crapaus,
& ietté tou par lé frenestres, i’an auon pus
d’vne douzene dan note quartié, ie lé connay tou
par nom & par sournom. les entendant ainsi parler,
ie baissay les oreilles & m’en allay tout doucement
en mon logis, où mon hoste me la donna
encore bien plus chaude, quand il me dit qu’vne
escoüade de Bourgeois estoient venus sçauoir s’il
n’y logeoit point de Mazarins chez luy, car mon
hoste à quelque doute que ie le sois, mais parce
que ie le paye bien & le fais boire tout son saoul,
nous sommes grands cousins, il me dit qu’il leur
auoit fait response, que s’il en reconnoissoit quelqu’vn

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chez luy, qu’il le ietteroit par les fenestres,
ne voulant point de telles gens dans son logis. Enfin
nous nous mismes à souper, & le fis trinquer à
l’ordinaire pour le faire vn peu iaser, & puis ie m’allay
reposer.

 

La deuxiesme iournée, qui fut le Vendredy 22.
ie desnichay dés le matin pour aller au Palais, où ie
vis quantité de gens assemblez qui tenoient les
mesmes discours, mais encore auec plus d’insolence.
Tous les enuirons du Palais estoient bordez de
semblables gens, fort zelez pour le seruice des
Princes. Ie m’enquis de quelques-vns, si Son Altesse
Royale y viendroit & Messieurs les Princes,
vn de la troupe me dit, ho, ho, comment l’entendez-vous
donc, ouy, ouy, ils y viendront, & feront
bien chanter aujourd’huy les Mazarins, ie n’auois
pourtant guere d’enuie de chanter l’entendant parler
de la sorte : mais pour mieux ioüer mon personnage,
ie luy respondis : Il y a long-temps que ces
canailles de Mazarins nous fourbent, il en faudroit
mettre quelques-vns sur le carreau, pour donner
exemple aux autres. Vn autre repliqua, il est vray
qu’on a grand sujet de nous appellé badauts, de
nou laissé mangé la laine su le dos, par tou cé guiesbes
de Malanpoleus, si ie voulion y n’y en auray
pa pour vn déjeuné. Apres donc auoir ainsi ietté
mon mot à la trauerse, qui me seruit de passe-port,
ie me retiray de la presse & m’en allay dans la grande
salle du Palais : il y auoit si grande quantité de

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peuple, que ie fus iusqu’à la porte de la grande
Chambre sans mettre pied à terre, on bourdonnoit
de tous les costez, & chacun deuinoit ce que
Messieurs du Parlement deuoient faire : on alla semondre
Monsieur le Duc d’Orleans d’y venir, lequel
s’excusa sur ce qu’il estoit malade : on ne laissa
pas de tenir l’assemblée, en laquelle il ne fut rien
resolu, comme à l’ordinaire, & la partie remise au
lendemain. Cette deliberation faite, Messieurs les
Princes, & Messieurs du Parlement sortirent de la
Chambre. Ce fut là que ie vis bien des coups ruez,
des Mazarins bouleuersez, & dans cette confusion
pour vanger mes camarades, i’indiqué aux seditieux
deux Conseillers Frondeurs, disant que c’estoit
de francs Mazarins, d’abord ils furent estrillez
comme les autres, mais Monsieur de Beaufort
les garentit de la fureur du peuple, en leur representant
qu’ils ne l’estoient point, & pour les appaiser
vn peu, leur donna rendez-vous l’apresdinée à
la place Royale, leur iurant qu’il leur donneroit la
liste des Mazarins ; il y en eut beaucoup qui s’espargnerent
de disner, esperant y trouuer la nappe
mise : c’estoit à qui se fourniroit de bons marteaux
& de bons cizeaux pour enfoncer les portes, bonnes
bayonnettes & pistolets dans les poches. Enfin
ils virent arriuer Monsieur de Beaufort, tous luy
furent au deuant, desia vn d’iceux demandoit, par
qui commencerons-nous ? Mais Monsieur de Beaufort
leur dit, mes amis, encore vn peu de patience,

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car ils nous ont promis l’Vnion à Mardy, & s’ils y
manquent, ie vous asseure de vous donner la liste
de tous ces Mazarins, ce qui les rendit bien camus.

 

La troisiesme iournée, qui fut le Samedy, nos
pauures Conseillers écartez comme des perdreaux,
n’oserent retourner au Palais, le peuple pourtant
les y attendoit à l’ordinaire, mais M. L. P. B. qui
sent de loin, fit auertir secrettement quelques-vns
des plus zelez de la Confrairie, de se tenir au lict
iusqu’à ce qu’il leur eut remis les jambes en bon
estat. Monsieur le Prince fut bien surpris quand il
vint au Palais trouuant visage de bois, on commença
à pialler dauantage sur les Mazarins, disant
qu’il les falloit aller querir auec la Croix & la Banniere,
& les faire venir par force. Monsieur le Prince
alla chez le President de Nesmond, & de là chez
le President de Bailleul, & passa chez le President
de Maisons, & les mena tous trois au Palais d’Orleans
dans son carosse, & tinrent conseil de ce qu’ils
auoient à faire, où ils resolurent à la fin l’assemblée
au Mardy ensuiuant. Le President de Maisons
au sortir fut couru par quantité de levriers qui luy
montroient les dents, mais il fut recouru par Messieurs
les Princes & ramené au Luxembourg, au
grand regret de ceux qui l’auoient poursuiuy.

Le quatriesme iournée, qui fut le Dimanche, il
ne se passa rien de memorable, il n’y eut que l’assemblée
des Bourgeois au Palais d’Orleans, qui s’y

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tient ordinairement ces iours-là. Ie remarquay
seulement vne seule chose dans la ruë sainct Denis,
quantité de petits enfans crioient, comme ils ont
accoustumé, iettez, iettez du bois pour la saint Iean
d’Esté, vn Bourgeois de là bailla vn soufflet à vn,
disant petit coquin dites plustost, qu’on iette de
l’eau, n’y a-t’il pas assez de feux par toute la France,
sans en vouloir encore allumer ; & m’estant approché
de luy, ie luy demanday de quels feux il
entendoit parler, il me dit : ce sont des feux de la
saincte Anne, que nous reuerions autrefois, qui durent
encore à present : i’entendis bien ce qu’il vouloit
dire, c’est pourquoy ie me t’eus.

 

La cinquiesme iournée, qui estoit le Lundy,
chacun s’auertissoit l’vn l’autre pour vne si belle
assemblée, & se disposoit pour auoir l’vnion, chacun
parloit diuersement sur ce sujet.

La sixiesme iournée, qui estoit le Mardy, iour
de l’assemblée, Messieurs les Mazarins estoient bien
empeschez : ils furent au Palais bien matin, deuant
que les Bourgeois fussent réueillez : ils mirent garnison
de bons garnemens dans la Cour du Palais,
pour garder les procez : mais les Bourgeois d’alentour
voulurent seulement garder les auenuës à
cause de leurs maisons. Enfin l’assemblée fut souuent
interrompuë par des alarmes qu’on leur donnoit,
sur le bruit que les Bourgeois faisoient courir,
qu’à moins que de se declarer contre Mazarin
qu’ils ne deuoient iamais esperer de sortir. Le sieur

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Mesnardeau fit en sorte de faire enuoyer vn ordre
de la part de la Ville à la Compagnie de son quartier,
& à vne autre Compagnie de la porte de Bussy,
pour se venir rendre au Palais pour garder &
fauoriser la retraite des Mazarins, mais ceux de la
ruë sainct Louys & saincte Anne en estans auertis,
les prierent d’aller garder leur quartier, & que chacun
deuoit garder le sien : ce que les autres ne voulant
prendre pour argent comptant, ains faisant les
fiers, insisterent, & mesme firent descharge les
premiers sur ceux-cy, dont arriua grand massacre.
Sur quoy les Bourgeois dudit lieu s’estans assemblez
repousserent ces gens icy ; & d’autres vers le
Cheual de Bronze leur ayant coupé chemin en turent
vne partie, & desarmerent l’autre, les laissant
retourner à composition, qui estoit, de ne plus iamais
estre Mazarins. Ceux de la porte de Bussy,
qui venoient par la ruë Dauphine, furent plus sages,
car à la premiere remonstrance qu’on leur fit
de s’en retourner, ils firent volte-face, & s’en retournerent
sans coup ferir. Cependant Messieurs
du Parlement ayant sceu cette escarmouche, n’auoient
que faire de lauement, ils ne sçauoient à
quel Sainct se voüer, car ils ne vouloient point resoudre
l’vnion, qu’au prealable ils n’eussent enuoyé
à Sa Majesté des Deputez, dont le peuple n’estoit
pas d’accord. Ils enuoyerent Monsieur de
Beaufort par la porte saincte Anne, pour dire ce
qui s’estoit passé, & la resolution qu’ils auoient prise,

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dont le peuple mécontent dit hardiment, qu’ils
donnassent l’Arrest d’Vnion contre Mazarin, autrement
point de quartier. Vn Conseiller mesme
se voulant sauuer derriere Monsieur de Beaufort,
fut arresté par vn Bourgeois qui le coucha en iouë
de son fusil, le menaçant de le tuer s’il vouloit passer
outre, & mesme fut contraint de rentrer. Monsieur
de Beaufort s’en retourna leur dire l’animosité
des peuples, & puis reuint vne seconde fois, les
assurant que la resolution estoit prise pour l’Vnion,
en cas qu’on ne voulut pas accorder à nos Deputez
l’esloignement de Mazarin : & sur cette parole peu
apres Monsieur le Duc d’Orleans, Monsieur le
Prince & le Duc de Beaufort sortirent auec quelques
Conseillers, qui se ietterent dans les rangs
pour auoir bagues sauue : les autres prirent les habits
de leurs valets de chambre, les autres de leurs
cochers pour se sauuer. Ainsi nostre badaut fut encore
leurré ce iour-là. Pendant ces broüilleries tous
nos espions estoiẽt en campagne & faisoient tout ce
qu’ils pouuoient pour faire battre le Bourgeois, &
mesme representoient pour les embroüiller dauantage,
que tel & tel quartier estoit Mazarin, & qu’il
les falloit assommer, afin de mettre tout Paris en
diuision, ce qui ne reüssissoit pas mal ce iour-là dans
la chaleur du Bourgeois animé.

 

Nous auions gagné le iour d’auparauant deux
des principaux Frondeurs, dont l’vn estoit President
& l’autre Conseiller, & deux Escheuins, par

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le moyen de M. L. P. G. qui fait des merueilles
pour vostre seruice, & deux autres qui bransloient
dans le manche. Enfin c’estoit vne vraye tour de
Babel que Paris, ils ne s’entendoient pas l’vn l’autre,
& cependant dans cette confusion, il y en a eu
pour le moins vingt, tant tuez que blessez ; iugez
si nos commissions font des merueilles. Sans compter
ceux qui furent tuez dans l’esmeute de la ruë
sainct Denis, qui assiegerent dans le Chastelet les
Exempts & Archers qui estoient venus au Palais, &
qui sortirent à composition de n’y retourner plus.
Enfin voila leurs Deputez qui doiuent venir icy,
vous verrez ce qu’ils vous en diront.

 

M. Hé bien laissez-les venir, ils s’enfileront d’eux-mesmes,
cependant continuez comme vous auez
commencé, vous n’aurez pas à faire à vn ingrat. Ie
sçay bien que tost ou tard nous attraperons le badaut,
ils font bien du bruit, mais à la fin i’en tireray
pied ou aisle. Si nous pouuons empescher que
ces Messieurs du Parlement se ioignent aux peuples,
nous verrons de quelle couleur est leur argent.
Pour le peuple, nous le laisserons quelque temps
en patience, mais à la fin nous sçaurons qui aura
mangé le lard. Allez vous reposer, & ie donneray
ordre de vous renuoyer.

L’Espion. Monseigneur, ie vous assure qu’il y
en a parmi eux qui raisonnent bien, mais ils ne sont
pas écoutez. Ils representent que vostre perte est
le salut du peuple ; que si vous estiez ou mort ou

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chassé, on rejetteroit toute la cause des troubles sur
vous, & ainsi ils se remettroient bien auec le Roy :
mais si vous restez, ils alleguent que vous pouuez
faire comme Dom Iean d’Anstriche à Naples, qui
ayant apporté l’amnistie generale pour le peuple de
la part du Roy d’Espagne, qui portoit Iubilé vniuersel
pour tous ces pauures Napolitains, neantmoins
quelque temps apres il en fit pendre plus de
quince cens à plusieurs fois. Ces Politiques rafinez
soustiennent, ou qu’il faut que le C. M. perisse ou
qu’il y en ait de pendus, toutesfois i’insiste au contraire,
encore que ie conoisse bien qu’ils ont raison,
mais i’y suis obligé, comme vous sçauez : cependant
cela me fait enrager quand ie rencontre de tels Docteurs.

 

Maz. Laisse-les dire, car quand le Bourgeois
aura faim il n’escoutera pas tous ces prescheurs-là,
Ieiunus venter non odit verba libenter, quand nous
aurons nostre armée à leurs portes, & que nous
nous serons saisis de tous les passages, nous verrons
ce qu’ils auront dans le ventre, cependant nous allons
vn peu consulter là dessus.

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