Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, CONTENANT La Harangue des Deputez. La Response du C. M. La Trahison du Duc de Loraine. Le Magazin des Recompenses dudit C. M. Et celuy des Princes. TROISIESME PARTIE. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_3.
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LE
MERCVRE
DE LA COVR,

CONTENANT

La Harangue des Deputez.

La Response du C. M.

La Trahison du Duc de Loraine.

Le Magazin des Recompenses
dudit C. M.

Et celuy des Princes.

TROISIESME PARTIE.

A PARIS.

M. DC. LII.

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Le Mercure de la Cour, contenant
la Harangue des Deputez, &c.

Response du sieur B.

MONSEIGNEVR, Vostre Eminence a
grande raison de ne pas hazarder sa personne
de la sorte, les gens de vostre
estoffe sont rares, la France y perdroit
beaucoup, mais le Roy & la Reine encor dauantage,
non, ie suis d’auis que vous fassiez vostre
mestier, quand chacun se mesle de son mestier
les vaches sont bien gardées, laissez seulement
casser la teste à ceux qui sont plus fols que
vous : cependant tout ce qui me choque, c’est de
leuer ainsi honteusement le siege, mais necessitas
non habet legem, s’il le faut, le faut, racommodez
cette affaire deuant le Roy le mieux que vous pourrez,
car si quelqu’vn deuant Sa Majesté vouloit
vous mettre en parallele auec ce grand Cardinal de
Richelieu, & qu’il vint rapporter le siege de la Rochelle
auec celuy d’Estampes, qui n’est qu’vn village
au prix, ie vous asseure qu’il y auroit sujet de
vous railler, cependant pour prendre vos mesures,

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enuoyez vn Courier sçauoir combien ces enragez
peuuent encor tenir de temps.

 

Le Sieur B. n’eut pas plustost acheué de parler,
que voicy le Courier du Mareschal de Turenne qui
demandoit à parler à Son Eminence, dequoy estant
auertie, elle s’escria, mes amis, nous sommes perdus,
qu’on le fasse entrer, aussi-tost il commença
à parler de la sorte : Ie viens auertir V. E. que Monsieur
le Mareschal de Turenne a plié bagage, quoy
il a leué le siege, luy dit Mazarin. Il est deslogé
sans trompette. Maz. Il n’a donc pas donné l’assaut
general qu’il nous promettoit. Le Cour. Ho,
ho, vous parlez bien à vostre aise, ie croy que vous
ne faites pas plus d’estat de nos testes que de celles
des oignons, vous les mettez à toute sausse, auiez-vous
vingt mille hommes pour y hazarder, que
diable n’y veniez vous vous mesme ? Maz. Mais il
s’y agissoit de l’honneur du Roy. Le Cou. Vrayement
vous me la baillez belle, vous prendrez donc
tousiours ce pretexte-là, pour nous faire assommer,
hé bien c’en est fait, prenez seulement garde à vostre
vaisselle ; car ils court vn bruit qu’on vous veut
venir assieger icy. Maz. Et qui ? Le Cour. Les
Princes. Maz. Ils ne sont pas si fols, ce n’est pas ce
qu’ils cherchent, si Mazarin estoit mort il y en auroit
bien de camus, les Princes m’appuyent & ie
fortifie leur party, ainsi nous nous obligeons l’vn
l’autre en nous faisant la guerre : car plus les Princes
s’obstinent à demander mon esloignement,

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plus le Roy s’endurcit & s’obstine à me conseruer :
& plus il me veut conseruer, plus les Princes trouuent
de partisans parmy les peuples qui me hayssent,
ainsi quoy qu’ennemis nous faisons l’vn pour
l’autre.

 

Comme ils raisonnoient ainsi, il vint vn
Exempt auertir S. E. de la part de la Reine, que le
Roy alloit donner audience aux Deputez, &
qu’elle auoit fait cacher vn cabinet d’vne tapisserie,
afin qu’il allast se mettre dedans, d’où il pourroit
tout entendre, ce qu’il fit promptement, renuoyant
ledit Courier, & emmenant l’Abbé F. auec
luy.

Harangue des Deputez au Roy,
prononcée par la bouche
du P. D. N.

Loquutus sum coram Principibus & non erubescam.

SIRE,

L’Empereur Iustinian ayant écouté vn certain
flateur qui le comparoit à Dieu, luy sauta au collet,
& luy écratigna tout le visage : dequoy fort surpris
dit à l’Empereur, Sire, pourquoy m’égratignez-vous,
& l’Empereur luy respondit, pourquoy me

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mors-tu. Vous, SIRE, qui ne luy cedez ny en Iustice
ny en courage, ie craindrois que vous ne m’en
fissiez autant : car ie ne serois pas seulement digne
d’estre égratigné, mais écorché tout vif, si par vne
insolente flaterie, ie déguisois à V. M. tous les
mal-heurs que le C. M. a causé, cause & causera
dans vostre Royaume. Ie serois lapidé comme S.
Estienne, si ie n’auois dit à V. M. de la part des Parisiens
tous les pechez mortels du C. M. à mon retour
ie n’aurois qu’à me bien tenir, on crieroit sur
moy dés la porte, ô Mazarin, & i’aurois en mesme
temps plus de cent levriers à ma queuë, qui feroient
la curée de ma peau. C’est pourquoy ie supplie tres-humblement
V. M. de me vouloir permettre de luy
representer tous les desordres que ledit Mazarin
fait en son Estat, & specialement dans sa bonne ville
de Paris : la veille que i’en sortis ie vis accommoder
vn homme de toute piece ; c’estoit vn Gentil-homme
Gascon, qui fit rencontre de son Tailleur
à qui il deuoit la façon d’vn habit, & ne le voulant
payer que par rodomontades, ledit tailleur cria sur
luy, ô Mazarin, sur le Pont-neuf, en vn moment, il
sentit pleuuoir sur luy vne gresle de coups de pierre
dont il eut le bras cassé, & son manteau & son épée
prise, ledit Gascon nous iura vn cap de bieu, qu’il
s’estoit trouué en vingt batailles & autant de sieges,
sans iamais auoir receu vn tel affront. Vn autre
homme fit assigner son voisin à la Chambre Criminelle
pour l’auoir appellé Mazarin, afin d’auoir reparation

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d’honneur, & pour venir à minori ad maius :
le Mareschal de l’Hospital, le Preuost des Marchands,
Champlastreux & la Beauuais, l’ont eschapé
belle ; & mesme on a veu quantité de paysans
blessez entrer dans Paris, & arriuer des bateaux
chargez, desquels les Bourgeois s’estans enquis qui
les auoient ainsi traitez, leur respondirent, sont des
Mazarins : cela rend ce nom si odieux, qu’il met
toute nostre Ville en combustion : le Coadjuteur
mesme n’oseroit sortir, de peur qu’on luy prenne
son Chapeau, car ils disent que son Chapeau est
Mazarin & sa Mitre frondeuse, c’est pourquoy il
faut qu’il retourne à la Mitre s’il veut estre en seureté,
mais c’est le diable que sa Mitre est trop
estroite, car sa teste luy est grossie. Ils menacent
mesme de faire vn catalogue des Mazarins, pour
les mener boire à la caue de la Samaritaine. Pour
donc obuier à tous ses desordres, ils supplient tres-humblement
V. M. de l’esloigner du Royaume,
car elle le peut conseruer par sa puissance, mais non
pas par sa iustice (minimum decet libere cui minimum
licet non fas potentes posse fieri quod nefas) ce seroit
pourtant grand dommage, car il pourroit dire
comme Neron disoit de luy-mesme en mourant,
Paris va perdre le meilleur basteleur du monde,
mais s’il a tousiours le mot pour rire à la Cour &
pour pleurer à Paris, pour ne Vous pas priuer de
cette satisfaction, qu’il plaise à V. M. mettre le sieur
Iodelet en sa place, qui en sçait pour le moins autant

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que luy en matiere de raillerie, mais non pas
en fourberie, car il est plus honneste homme. Ne
croyez donc pas, SIRE, ce tygre alteré du sang
de vos sujets, qui vous crie perpetuellement aux
oreilles, vos Sujets sont rebelles, il les faut chastier,
c’est son interest qu’il brouille auec le vostre : mais
considerez que salus populi suprema lex esto, nous
n’auons point d’autre volonté que la vostre, on cache
aux yeux de V. M. l’importance qu’elle a de
chasser cét ennemy commun de l’Estat : il nous veut
rauir ce que nous aymons le plus, qui est V. M.
& nous taschons à regagner ce tresor inestimable
qu’il nous a volé. Il est declaré criminel par Arrest
de Parlement, & cependant il est Iuge & partie
dans sa cause, il dit qu’il se veut iustifier, qu’il se
mette donc en estat, le pendart, qu’il se rende prisonnier
en la Conciergerie, nous instruirons son
procez à la Tournelle, & luy rendrons bonne &
briefue Iustice, il auroit beau sçauoir le chemin de
niort, à bon-bec, nous auons des morgueurs qui
le feroient bien iaser, ils luy feroient aualer vne
douzaine de seaux d’eau, & autant de seruiettes,
mais ce seroit peu de chose pour vn homme qui a
desia deuoré tout le bien de la France : ie croy que
c’est le veritable grand Gosier de Rablais. Enfin,
quelque diable qu’il puisse estre, s’il estoit entre
les mains des Parisiens, ils luy feroient bien-tost
voir quelle heure il est au Quadran de l’Hostel de
Ville, & apres cela chacun beniroit V. M. Il n’y

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auroit Crocheteur qui ne beut vn seau de vin à sa
santé : ce ne seroit que danses que festins, que réjouyssances,
tous les pauures Parisiens seroient enrhumez
à force de crier, Viue lé Roy. La paix que
tout le monde souhaite tant seroit bien-tost faite.
Dieu nous en fasse la grace. Ainsi soit-il.

 

Le Cardinal s’entendant ainsi railler deuant le
Roy, sortit du cabinet bien en colere, & ayant leué
la tapisserie, les yeux tout en feu commença son
discours de la sorte : Auertantur statim erubescentes : qui
dicunt mihi, euge, euge.

Vous voila bien échauffez, ie vous conseille
Monsieur N. d’aller prendre vne chemise blanche,
il vous faudroit tirer du sang peur de la pluresie :
c’est donc icy la Cour du Roy Ptau, tout le monde
y veut estre le maistre : vous voulez que le Roy me
chasse, & ie vous assure qu’il n’en fera rien, vous
auez beau caqueter, nous sçauions bien auant que
vous vinssiez, tout ce que vous vouliez dire, oleum
& operam perdis, car ce qui nous entre par vne oreille
sort par l’autre : ce que Maistre veut & valet pleure,
c’est peine perduë : le Roy veut estre obey, il
n’est plus en brassiere, il est majeur, & s’il ne tient
qu’à cracher du Latin comme vous, ie vous diray
que Potestas res est quæ moneri docerique, non vult, &
castigationem ægre ferat, le Roy est au dessus de la
loy, quodlibet licet, mais que diable vous a fait le
pauure Mazarin, pour luy vouloir tant de mal, vous
a-t’il rogné les ongles, vos Greffiers n’ont-ils pas

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tousiours bonne griffe, ne porte-t’on pas tousiours
à vostre moulin des sacs de requeste, d’appointé à
mettre, de parler sommaire, saluations, contredits,
auertissemens, deffauts aduenir, forclusions, demandes,
repliques, faits, productions, inuentaires,
iugemens, condemnations & amendes, & toutes
sortes d’autres grenes que les plaideurs y viennent
faire moudre, dont le moindre de vos Clercs veut
auoir sa mouture : vos Arrests ne sont-ils pas aussi
épicez qu’ils estoient, vous nous venez icy chicaner
& nous faire des procez de gayeté de cœur, allez-vous-en
iuger Pierre & Guillaume, & nous laissez
icy en patience. Vous dites que ie suis du païs des
Ignorantissimes, mais i’ay de bons seconds, sont
des gens à ma solde, qui ne manquent iamais au
besoin : car pour moy ce que i’ay dit n’est que par
parenthese. Voicy Monsieur le Garde des Seaux
qui vous va bien chanter vostre gamme.

 

Monsieur le Garde des Seaux prit la parole, &
d’vn visage qui se démonte quand il veut, leur
parla de la sorte, Læsa patientia sit furor.

Messieurs, le Cardinal Mazarin est en colere, il
y a long-temps qu’il souffre les iniures de tout le
monde, mais enfin patience échape, ce n’est pas
qu’il soit violent de son naturel, au contraire on
l’accuse d’estre trop debonnaire, mais il est d’vn
pays où on se vange tost ou tard : quoy qu’il en soit
laissons ce discours-la, car i’ay autre chose à vous
dire de sa part, ie veux dire de la part du Roy, on

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se méprend bien sans vin boire. Principi leges nemo
scripsit, licet si liquet.

 

Les Rois sont les Images de Dieu, nous les deuons
reuerer comme des Dieux sur terre, ils sont
peres des peuples, & comme peres ils sçauent
mieux ce qui est vtile à leur famille que leurs enfans,
ce n’est pas que le Roy rejette vos remonstrances,
il les écoute : mais quand le Cardinal aura bandé
ses voiles, croyez-vous que nous aurons la paix,
il y a encore a adjouster icy vn mot de Notaire,
c’est à sçauoir. Premierement, le Roy demande si
Messieurs les Princes mettront bas les armes, s’ils
feront sortir les troupes du Duc de Loraine hors la
France : Ie sçay bien que quelqu’vn me dira que
nous leur auons donné de l’argent pour s’en retourner,
mais telles gens prennent de tous costez, & ie
crains bien qu’ils ne dépensent icy nostre argent
mal à propos : Si Monsieur le Prince remettra Stenay,
Mouron, Clermont & autres places entre les
mains du Roy, s’il renoncera au traité de l’Archiduc,
s’il viendra aupres du Roy luy rendre ses deuoirs,
vous me pourrez dire qu’il ne s’y fiera pas,
tar chat eschaudé craint l’eau froide, mais Guitaut
n’y est plus, nous l’auons laissé à sainct Germain :
s’ils feront rentrer Bordeaux en son deuoir : &
pour dernier article, s’ils ne demanderont plus
rien quand le Cardinal s’en sera allé, car i’ay peur,
moy-mesme qui vous parle, qu’ils ne demandent
aussi mon esloignement ; il ne faut point vous en

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rire Monsieur Seruien, ils demanderont aussi bien
le vostre comme le mien, &c. Sçachez donc des
Princes leurs intentions, afin qu’ils nous en donnent
des asseurances : car le Mazarin est si deffiant
qu’il ne se fieroit pas à Dieu sur bon gage, & me
dit tousiours à vno nimico reconciliato non se fida mai.
Sur tout ne vous fiez pas au peuple, son amour est
la plus inconstante chose du monde, & pour vous
mieux dire dire, son humeur, ferocior plebs ad rebellandum,
quam bellandum : tant are magis quam tueri libertatem,
& puis nous auons deux amorces infaillibles
pour l’attraper, qui est l’esperance d’vn costé,
& la crainte de l’autre. Allez Messieurs, & sçachez
qu’on est sage quand on reuient des plaids.

 

Messieurs les Deputez s’en retournerent bouche
cousuë, aussi estonnez comme des fondeurs de cloches :
& puis Monsieur le Cardinal s’en alla trouuer
Son Altesse de Loraine dans sa chambre, qui regardoit
si l’argent qu’on luy auoit donné estoit de
poids ; dequoy le Cardinal estonné luy demanda,
que fait là Vostre Altesse, & ledit Duc luy respondit :
Ie regarde si vos pieces sont de poids, & si elles
sont bonnes, car on dit que vous estes vn Enchanteur,
ie craindrois que vous ne me baillassiez icy
des feüilles de chesne pour des pistoles, cét or me
semble bien alteré, i’aimerois mieux que vous me
donnassiez des Philippes que des Louys, car de
toutes vos monnoyes de France, ie ne trouue que
l’Escu d’or de bon alloy, car pour le Louys vous

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l’auez trop abaissé. Vostre Altesse a tousiours le
mot pour rire, mais ie vous puis assurer que nous
auions mis fort bas aussi le teston de Loraine : il est
vray, respondit Son Altesse, mais vous serez obligé
de le remettre à son prix. Le Cardinal luy repliqua,
Sapientis est cedere tempori, brisons là dessus,
Monsieur, & parlons d’autre chose. Sçauez-vous
que ie viens de bien lauer la teste à nos Deputez, ils
ont esté aussi bien venus icy comme vn chien dans
vn jeu de quille. Mais, respondit le Duc de Loraine,
si vous les iettez dans l’extremité, ils feront des
gens de guerre à Paris, ce qui vous feroit bien de la
peine, ils offrent de l’argent aux Princes pour leuer
des troupes. Le Card. Ils ne s’accorderont iamais
sur ce chapitre-là, nous y auons donné bon ordre.
Le Duc de Lor. Il faut donc auoüer que les badauts
sont bien aisez à dupper, Paris qui est la plus puissante
& la plus riche Ville du monde, qui peut entretenir
vingt mille hommes de guerre sans s’incommoder
beaucoup, se laisser reduire à cette extremité,
vous estes bien-heureux M. le C. d’auoir
affaire à telles sortes de gens. Le Card. Monsieur,
c’est que la plus grande partie sont attachez à nostre
party, soit par esperance de fortune, soit par
charges qui les obligent, eux ou leurs enfans, ou
leurs freres & parens ; & tel d’entr’eux fait le Frondeur
qui ne l’est pas, car nous auons gagné des principaux
Chefs de la Fronde, sans vous les nommer,
& puis peu à peu nous les mettrons si bas qu’ils ne

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pourront plus regimber contre nous. Pour ce qui
est du peuple, il ne demande qu’à viure, il ne se
soucie pas de quel costé il soit, ainsi nous en viendrons
à bout facilement. Pour ce qui est de la Noblesse
& des gens de guerre, ils n’ont point de si
hautes esperances du party des Princes comme de
celuy-cy, ils ne peuuent pas les recompenser comme
nous, & pour preuue de ce que ie vous dis, Monsieur,
s’il plaist à V. A. prendre la peine de venir en
cette chambre voisine, ie luy feray voir les amorces
qui les attirent à mon party. Le Duc de Loraine
luy respondit, allons voir cela Monsieur le C.
vous m’estonnez beaucoup : aussi-tost ils entrerent
dans vne chambre richement tapissée & meublée,
où il y auoit de grandes armoires qui tenoient tout
vn costé de la chambre, sur lesquels estoit écrit en
lettres d’or,

 

Le Magazin des recompenses
pour les Mazarins.

LE Cardinal enuoya querir la clef au Roy,
pour les faire voir à Son Alt. de Loraine, laquelle
estant venuë, il les fit ouurir, & d’abord il
remarqua quantité de choses fort curieuses : Entreautres
sur le premier ais de la droite estoient quantité
de Couronnes Ducales, sur des manteaux doublez
d’hermine. Sur le second ais du mesme costé,
autre quantité de Couronnes de Marquis & de

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Comtes. Au troisiéme, des Chapeaux verts, Mitres
& Crosses. Sur la gauche au premier ais estoient
quantité de bastons bleus fleurdelisez d’or, liez par
petits fagots. Au second du mesme costé, quantité
de parchemins, sur lesquels on voyoit les Seaux
du Roy, c’est à dire, le grand & le petit seau d’argent,
auec plus de cent liures de cire apprestées, entre
lesdits parchemins estoient quantité de Patentes
pour des Gouuernemens de Prouinces, Villes &
Chasteaux, les noms en blanc, quantité de graces,
d’abolitions, remissions, priuileges, offices. Et au
troisiesme ais estoit vne grande casse pleine d’or &
d’argent, sur laquelle estoit cét écriteau, Pensions
des espions, & vn autre sur laquelle estoit écrit,
Pour les Frondeurs conuertis, auec vn beau grand liure
couuert de Maroquin de Leuant rouge à fleurs
de lys d’or, chargé des armes du C. M. c’estoit le
registre des Mazarins & des Conuertis. Le C. M.
l’ouurit & le fit voir audit Duc de Loraine, en luy
disant Monsieur, pendant que V. A. a sejourné à
Paris, elle a apris les noms de quantité de Frondeurs,
qui font mesme la Cour à S. A. R. voyez si
vous ne trouuerez point leurs noms sur ce feuillet.
Aussi-tost le Duc de Loraine les ayant leus, leua
les épaules & s’escria, i’auouë que l’argent est le
veritable Dieu des hommes, il fait & deffait tout ;
& en suite dit, cela me semble vne vraye Blanque,
ie croy que tous ceux qui y tirent n’ameinent pas
beau ieu. Le Card. Il est vray, Monsieur, qu’il y

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faut hazarder plus d’vne fois, tel y a hazardé tout
son bien qui n’a rien amené, on y hazarde mesme
iusqu’à sa vie sans rien attraper : mais aussi il ne faut
qu’vn coup pour emporter la meilleure piece, &
puis ie vous diray que nous faisons mettre dans le
noir qui nous voulons. Le Duc de Lor. I’auouë
Monsieur le C. que pendant que vous aurez de si
belle marchandise vous aurez bien des chalans,
mais pour qui sont destinez tous ces bastons. Le C.
C’est pour ceux qui esperent estre Mareschaux de
France. Le Duc de Lor. L’on me disoit qu’il n’y en
auoit que quatre, en voila plus de deux cens, en
voulez-vous tant faire ? Maz. Si le cas y eschet, car
ce sont des amorces qui nous rendent les Officiers
d’armée fidelles : Et toutes ces autres choses que
vous voyez, c’est pour nous attirer des personnes
selon leur profession. Maz. Vous auez veu le magazin
des Princes, Monsieur, est-il si beau que celuy-cy ?
Le Duc de Lor. Il y a bien de la difference.
Vous diriez que ce soit l’Autel de Monsieur sainct
Maur, car on y voit que des jambes de bois, des
bras de fer, des chaisnes, des menotes & des potences :
mais ce que i’y ay remarqué de plus beau,
c’est vn tableau de Perseus sur vn cheual aislé, ayant
l’espée à la main, & sur son bouclier est la deuise du
Roy d’Angleterre, mais non pas de celuy-cy,
Honny soit qui mal y pense, qui vient pour degager
Andromede, toute desolée, & fondre sur le Dragon
qui la veut engloutir, elle tient la pierre philosophale

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en sa main, auec cét écriteau, pour celuy
qui me deliurera de la beste, & de l’autre costé l’image
de la Iustice, desarmée par la Discorde, auec
ces mots qui sortent de sa bouche, accerse concordiam
restituet ensem, entre les deux est l’image du
Gerion à trois testes, l’vne de dragon, l’autre de
femme, & la troisiesme d’vn beau & admirable
garçon, ils ont six bras & autant de jambes, il y
paroist vn Hercule qui tire par les bras le ieune
garçon, qui porte cette deuise, hoc opus hic labor
est, le voulant separer des deux autres visages. Enfin
ayant consideré tout cela, ie fus plus rauy de
toutes ses merueilles, que ie ne suis de toutes vos
richesses. Maz. Tout cela est beau & bon, mais de
l’argent vaut mieux, si Messieurs les Princes ont
de beaux pretextes de leur costé, i’en ay du mien
aussi bien qu’eux : i’ay pourtant iusqu’à present
tousiours tiré le bon bout deuers moy : enfin arriue
qui pourra, s’ils nous égratignent nous les morderons,
ie vous assure bien que i’ay icy riué mon
cloud, & que ie ne pretens pas me laisser debusquer
comme vn coquin : ce n’est pas comme au iour
sainct Lambert, qui quitte sa place la perd, mais
pour moy icy ie suis fort bien planté pour reuerdir,
au bout du compte, finis coronat opus. Comme
il acheuoit de parler, vn de ses gens le vint auertir
que le sieur D. G. vouloit parler à Son Eminence,
ce qui fit que Son Altesse de Loraine prit congé
d’elle & se retira, & puis le Cardinal Mazarin la

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conduisit auec ses ciuilitez ordinaires, & en suite
commanda de le faire entrer, lequel apres auoir
salué Son Eminence d’vne profonde reuerence,
commença de parler de la sorte.

 

Monseigneur, prenez courage, toutes nos affaires
vont bien, les Princes ne sçauent plus là où ils
en sont, vous leur auez donné là vn morceau à digerer
qui est bien dur, & Monsieur le Coadjuteur
leur a donné le saut de Breton. Monsieur le Duc
d’Orleans est en grande colere, & Monsieur le
Prince court tantost deça tantost de là, pour poster
son armée, il la mise partie à sainct Cloud & Suresne,
& l’autre partie à Poissy, pourtant il ne desespere
pas, il a tousiours bon courage, les esprits
des Parisiens son partagez, les vns prennent l’espouuante
& apprehendent vn siege, ce qui leur
fait demander la paix : les autres paroissent plus
animez & disent, qu’il faut venger cette trahison,
qu’il faut renuoyer le Roy d’Angleterre à Londres
& le Coadjuteur à Corinthe. Enfin ils sont fort
allarmez, & neantmoins ils offrent tousiours aux
Princes secours d’argent & d’hommes, mais tout
cela chansons, car ils ne sçauent par quel bout commencer,
nostre Parlement leur tient la bride courte,
& ioüent au plus fin : ils leur donnent tous les
iours de nouuelles bayes, & à la fin ils les feront
tomber dans nos filets : mais ce qui me fasche le
plus, c’est que ces pauures Lorains n’oseroient plus
sor rtide leur taniere depuis la trahison de leur Duc,

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ils sont au mesme catalogue des Mazarins, il y en
a mesme beaucoup qui apprennent le Gascon, &
qui commencent à baragoüiner quelque rodomontade
pour se faire croire de Bordeaux. Enfin
ils disent que leur Duc estoit en mauuaise notte
quand il a fait ce coup-là, & qu’il falloit regarder
aux Epactes pour s’en donner de garde, quoy que
c’en soit, nous voila retirez d’vn grand bourbier,
& ie m’imagine desia vous voir dans vostre Pontificat
auec vostre mine seuere, faire aller tous ces
Frondeurs à courbette. Mais, Monseigneur, vous
sçauez ce que vous m’auez promis, ne trouuez pas
mauuais, si ie vous fais la mesme priere que le
bon Larron fit à Nostre Seigneur à la Croix, Memento
mei cum tu sis in Paradiso, Souuenenez-vous
de moy quand vous serez dans vostre Paradis, c’est
à dire, dans vostre grandeur, car vous n’auez pas
d’autre Paradis, vous auez ioüé vostre part de l’autre
au Hoc & l’auez perduë.

 

Le Sieur B. qui estoit là, & qui entendoit ainsi
jaser ce Perroquet, luy dit tout beau, il ne faut
point se moquer des chiens qu’on ne soit hors du
village, nous n’y sommes pas encore, vrayement
vous en verrez bien d’autres si nous viuons. Cela
n’empescha pas pourtant que le Cardinal Mazarin
n’allast trouuer le Roy & la Reine auec sa mine
bouffonne, pour les faire rire de tout ce qu’auoit
produit la trahison du Duc de Loraine : Il en fit
faire vne farce deuant le Roy, dont il estoit le premier

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acteur, & se comparoit à Cesar, qui estant en
vn banquet, lors qu’vn traistre luy porta la santé
du Roy son maistre, qu’il luy auoit vendu peu de
iours auparauant, fit cette response en tournant la
teste : I’aime la trahison, mais ie n’aime point les
traistres. Bref ce n’estoit pendant quelques iours
dans la Cour que balets, que resioüissances, que
festins, desia beaucoup de Mareschaux de France
vouloient tirer l’espée pour espouser la seconde
Niece de Son Eminence, c’estoit ce grand Genie
de l’Estat, ce thresor venu de Rome, qui a esté si
sorte de ne rien garder pour elle. Enfin on luy preparoit
desia vn nouueau triomphe, & pour cét
effet on deuoit enuoyer querir les cheuaux d’Arnolphiny,
car il n’y en auoit point d’assez beaux à
la Cour. Mais le retour de son Espion leur abaissa
bien le caquet, car il vint comme il estoit à table à
se diuertir auec les Sieurs F. & B. le Garde des Seaux,
le sieur S. le Mareschal D. P. P. & autres indignes
de nommer : d’abord que Son Eminence en fut
auertie, il fit desseruir & commanda qu’on le fit entrer,
en disant : Messieurs, vous allez auoir vn bon
dessert. Ledit Espion entra, fit deux profondes reuerences
à Son Eminence, & vne aux assistans, &
puis leur tint ce discours :

 

Etiam si mihi centum linguæ oraque centum ferreæ
vox. Ie ne pourrois pas dire à V. E. par le menu
tout ce que i’ay veu & entendu depuis que ie suis
party d’icy, qui estoit, si bien il me souuient, Ieudy

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dernier 21. Iuin 1652. I’en ay tant à dire, que
ie ne sçay par où commencer, c’est pourquoy il faut
que ie vous diuise mon discours par Chapitres, qui
feront autant de iournées.

 

La premiere iournée donc fut celle que i’arriuay
vers le soir ; dés la porte de la Ville i’entendis des
soldats Bourgeois qui se disoient l’vn à l’autre, nos
Mazarins s’assemblent demain, mais jarnigué il
n’an fau pa laissé la queuë d’vn s’y ne se declare
pour lé Princes : L’autre disoit, ils sont plus de
deux cens de nostre quartier qui porteront tous de
bons pistolets de poche & de bonnes bayonnettes,
pour poignarder tous ceux qui seront Mazarins.
Morgué, disoit vn autre, qui auoit le chapeau retroussé,
y a tro lon-tems que i’an souffron, fau-ty
tan de beurre pour faire vn quartron, y n’y a qu’a
allé dan leus maisons lé faire sauté comme dé crapaus,
& ietté tou par lé frenestres, i’an auon pus
d’vne douzene dan note quartié, ie lé connay tou
par nom & par sournom. les entendant ainsi parler,
ie baissay les oreilles & m’en allay tout doucement
en mon logis, où mon hoste me la donna
encore bien plus chaude, quand il me dit qu’vne
escoüade de Bourgeois estoient venus sçauoir s’il
n’y logeoit point de Mazarins chez luy, car mon
hoste à quelque doute que ie le sois, mais parce
que ie le paye bien & le fais boire tout son saoul,
nous sommes grands cousins, il me dit qu’il leur
auoit fait response, que s’il en reconnoissoit quelqu’vn

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chez luy, qu’il le ietteroit par les fenestres,
ne voulant point de telles gens dans son logis. Enfin
nous nous mismes à souper, & le fis trinquer à
l’ordinaire pour le faire vn peu iaser, & puis ie m’allay
reposer.

 

La deuxiesme iournée, qui fut le Vendredy 22.
ie desnichay dés le matin pour aller au Palais, où ie
vis quantité de gens assemblez qui tenoient les
mesmes discours, mais encore auec plus d’insolence.
Tous les enuirons du Palais estoient bordez de
semblables gens, fort zelez pour le seruice des
Princes. Ie m’enquis de quelques-vns, si Son Altesse
Royale y viendroit & Messieurs les Princes,
vn de la troupe me dit, ho, ho, comment l’entendez-vous
donc, ouy, ouy, ils y viendront, & feront
bien chanter aujourd’huy les Mazarins, ie n’auois
pourtant guere d’enuie de chanter l’entendant parler
de la sorte : mais pour mieux ioüer mon personnage,
ie luy respondis : Il y a long-temps que ces
canailles de Mazarins nous fourbent, il en faudroit
mettre quelques-vns sur le carreau, pour donner
exemple aux autres. Vn autre repliqua, il est vray
qu’on a grand sujet de nous appellé badauts, de
nou laissé mangé la laine su le dos, par tou cé guiesbes
de Malanpoleus, si ie voulion y n’y en auray
pa pour vn déjeuné. Apres donc auoir ainsi ietté
mon mot à la trauerse, qui me seruit de passe-port,
ie me retiray de la presse & m’en allay dans la grande
salle du Palais : il y auoit si grande quantité de

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peuple, que ie fus iusqu’à la porte de la grande
Chambre sans mettre pied à terre, on bourdonnoit
de tous les costez, & chacun deuinoit ce que
Messieurs du Parlement deuoient faire : on alla semondre
Monsieur le Duc d’Orleans d’y venir, lequel
s’excusa sur ce qu’il estoit malade : on ne laissa
pas de tenir l’assemblée, en laquelle il ne fut rien
resolu, comme à l’ordinaire, & la partie remise au
lendemain. Cette deliberation faite, Messieurs les
Princes, & Messieurs du Parlement sortirent de la
Chambre. Ce fut là que ie vis bien des coups ruez,
des Mazarins bouleuersez, & dans cette confusion
pour vanger mes camarades, i’indiqué aux seditieux
deux Conseillers Frondeurs, disant que c’estoit
de francs Mazarins, d’abord ils furent estrillez
comme les autres, mais Monsieur de Beaufort
les garentit de la fureur du peuple, en leur representant
qu’ils ne l’estoient point, & pour les appaiser
vn peu, leur donna rendez-vous l’apresdinée à
la place Royale, leur iurant qu’il leur donneroit la
liste des Mazarins ; il y en eut beaucoup qui s’espargnerent
de disner, esperant y trouuer la nappe
mise : c’estoit à qui se fourniroit de bons marteaux
& de bons cizeaux pour enfoncer les portes, bonnes
bayonnettes & pistolets dans les poches. Enfin
ils virent arriuer Monsieur de Beaufort, tous luy
furent au deuant, desia vn d’iceux demandoit, par
qui commencerons-nous ? Mais Monsieur de Beaufort
leur dit, mes amis, encore vn peu de patience,

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car ils nous ont promis l’Vnion à Mardy, & s’ils y
manquent, ie vous asseure de vous donner la liste
de tous ces Mazarins, ce qui les rendit bien camus.

 

La troisiesme iournée, qui fut le Samedy, nos
pauures Conseillers écartez comme des perdreaux,
n’oserent retourner au Palais, le peuple pourtant
les y attendoit à l’ordinaire, mais M. L. P. B. qui
sent de loin, fit auertir secrettement quelques-vns
des plus zelez de la Confrairie, de se tenir au lict
iusqu’à ce qu’il leur eut remis les jambes en bon
estat. Monsieur le Prince fut bien surpris quand il
vint au Palais trouuant visage de bois, on commença
à pialler dauantage sur les Mazarins, disant
qu’il les falloit aller querir auec la Croix & la Banniere,
& les faire venir par force. Monsieur le Prince
alla chez le President de Nesmond, & de là chez
le President de Bailleul, & passa chez le President
de Maisons, & les mena tous trois au Palais d’Orleans
dans son carosse, & tinrent conseil de ce qu’ils
auoient à faire, où ils resolurent à la fin l’assemblée
au Mardy ensuiuant. Le President de Maisons
au sortir fut couru par quantité de levriers qui luy
montroient les dents, mais il fut recouru par Messieurs
les Princes & ramené au Luxembourg, au
grand regret de ceux qui l’auoient poursuiuy.

Le quatriesme iournée, qui fut le Dimanche, il
ne se passa rien de memorable, il n’y eut que l’assemblée
des Bourgeois au Palais d’Orleans, qui s’y

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tient ordinairement ces iours-là. Ie remarquay
seulement vne seule chose dans la ruë sainct Denis,
quantité de petits enfans crioient, comme ils ont
accoustumé, iettez, iettez du bois pour la saint Iean
d’Esté, vn Bourgeois de là bailla vn soufflet à vn,
disant petit coquin dites plustost, qu’on iette de
l’eau, n’y a-t’il pas assez de feux par toute la France,
sans en vouloir encore allumer ; & m’estant approché
de luy, ie luy demanday de quels feux il
entendoit parler, il me dit : ce sont des feux de la
saincte Anne, que nous reuerions autrefois, qui durent
encore à present : i’entendis bien ce qu’il vouloit
dire, c’est pourquoy ie me t’eus.

 

La cinquiesme iournée, qui estoit le Lundy,
chacun s’auertissoit l’vn l’autre pour vne si belle
assemblée, & se disposoit pour auoir l’vnion, chacun
parloit diuersement sur ce sujet.

La sixiesme iournée, qui estoit le Mardy, iour
de l’assemblée, Messieurs les Mazarins estoient bien
empeschez : ils furent au Palais bien matin, deuant
que les Bourgeois fussent réueillez : ils mirent garnison
de bons garnemens dans la Cour du Palais,
pour garder les procez : mais les Bourgeois d’alentour
voulurent seulement garder les auenuës à
cause de leurs maisons. Enfin l’assemblée fut souuent
interrompuë par des alarmes qu’on leur donnoit,
sur le bruit que les Bourgeois faisoient courir,
qu’à moins que de se declarer contre Mazarin
qu’ils ne deuoient iamais esperer de sortir. Le sieur

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Mesnardeau fit en sorte de faire enuoyer vn ordre
de la part de la Ville à la Compagnie de son quartier,
& à vne autre Compagnie de la porte de Bussy,
pour se venir rendre au Palais pour garder &
fauoriser la retraite des Mazarins, mais ceux de la
ruë sainct Louys & saincte Anne en estans auertis,
les prierent d’aller garder leur quartier, & que chacun
deuoit garder le sien : ce que les autres ne voulant
prendre pour argent comptant, ains faisant les
fiers, insisterent, & mesme firent descharge les
premiers sur ceux-cy, dont arriua grand massacre.
Sur quoy les Bourgeois dudit lieu s’estans assemblez
repousserent ces gens icy ; & d’autres vers le
Cheual de Bronze leur ayant coupé chemin en turent
vne partie, & desarmerent l’autre, les laissant
retourner à composition, qui estoit, de ne plus iamais
estre Mazarins. Ceux de la porte de Bussy,
qui venoient par la ruë Dauphine, furent plus sages,
car à la premiere remonstrance qu’on leur fit
de s’en retourner, ils firent volte-face, & s’en retournerent
sans coup ferir. Cependant Messieurs
du Parlement ayant sceu cette escarmouche, n’auoient
que faire de lauement, ils ne sçauoient à
quel Sainct se voüer, car ils ne vouloient point resoudre
l’vnion, qu’au prealable ils n’eussent enuoyé
à Sa Majesté des Deputez, dont le peuple n’estoit
pas d’accord. Ils enuoyerent Monsieur de
Beaufort par la porte saincte Anne, pour dire ce
qui s’estoit passé, & la resolution qu’ils auoient prise,

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dont le peuple mécontent dit hardiment, qu’ils
donnassent l’Arrest d’Vnion contre Mazarin, autrement
point de quartier. Vn Conseiller mesme
se voulant sauuer derriere Monsieur de Beaufort,
fut arresté par vn Bourgeois qui le coucha en iouë
de son fusil, le menaçant de le tuer s’il vouloit passer
outre, & mesme fut contraint de rentrer. Monsieur
de Beaufort s’en retourna leur dire l’animosité
des peuples, & puis reuint vne seconde fois, les
assurant que la resolution estoit prise pour l’Vnion,
en cas qu’on ne voulut pas accorder à nos Deputez
l’esloignement de Mazarin : & sur cette parole peu
apres Monsieur le Duc d’Orleans, Monsieur le
Prince & le Duc de Beaufort sortirent auec quelques
Conseillers, qui se ietterent dans les rangs
pour auoir bagues sauue : les autres prirent les habits
de leurs valets de chambre, les autres de leurs
cochers pour se sauuer. Ainsi nostre badaut fut encore
leurré ce iour-là. Pendant ces broüilleries tous
nos espions estoiẽt en campagne & faisoient tout ce
qu’ils pouuoient pour faire battre le Bourgeois, &
mesme representoient pour les embroüiller dauantage,
que tel & tel quartier estoit Mazarin, & qu’il
les falloit assommer, afin de mettre tout Paris en
diuision, ce qui ne reüssissoit pas mal ce iour-là dans
la chaleur du Bourgeois animé.

 

Nous auions gagné le iour d’auparauant deux
des principaux Frondeurs, dont l’vn estoit President
& l’autre Conseiller, & deux Escheuins, par

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le moyen de M. L. P. G. qui fait des merueilles
pour vostre seruice, & deux autres qui bransloient
dans le manche. Enfin c’estoit vne vraye tour de
Babel que Paris, ils ne s’entendoient pas l’vn l’autre,
& cependant dans cette confusion, il y en a eu
pour le moins vingt, tant tuez que blessez ; iugez
si nos commissions font des merueilles. Sans compter
ceux qui furent tuez dans l’esmeute de la ruë
sainct Denis, qui assiegerent dans le Chastelet les
Exempts & Archers qui estoient venus au Palais, &
qui sortirent à composition de n’y retourner plus.
Enfin voila leurs Deputez qui doiuent venir icy,
vous verrez ce qu’ils vous en diront.

 

M. Hé bien laissez-les venir, ils s’enfileront d’eux-mesmes,
cependant continuez comme vous auez
commencé, vous n’aurez pas à faire à vn ingrat. Ie
sçay bien que tost ou tard nous attraperons le badaut,
ils font bien du bruit, mais à la fin i’en tireray
pied ou aisle. Si nous pouuons empescher que
ces Messieurs du Parlement se ioignent aux peuples,
nous verrons de quelle couleur est leur argent.
Pour le peuple, nous le laisserons quelque temps
en patience, mais à la fin nous sçaurons qui aura
mangé le lard. Allez vous reposer, & ie donneray
ordre de vous renuoyer.

L’Espion. Monseigneur, ie vous assure qu’il y
en a parmi eux qui raisonnent bien, mais ils ne sont
pas écoutez. Ils representent que vostre perte est
le salut du peuple ; que si vous estiez ou mort ou

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chassé, on rejetteroit toute la cause des troubles sur
vous, & ainsi ils se remettroient bien auec le Roy :
mais si vous restez, ils alleguent que vous pouuez
faire comme Dom Iean d’Anstriche à Naples, qui
ayant apporté l’amnistie generale pour le peuple de
la part du Roy d’Espagne, qui portoit Iubilé vniuersel
pour tous ces pauures Napolitains, neantmoins
quelque temps apres il en fit pendre plus de
quince cens à plusieurs fois. Ces Politiques rafinez
soustiennent, ou qu’il faut que le C. M. perisse ou
qu’il y en ait de pendus, toutesfois i’insiste au contraire,
encore que ie conoisse bien qu’ils ont raison,
mais i’y suis obligé, comme vous sçauez : cependant
cela me fait enrager quand ie rencontre de tels Docteurs.

 

Maz. Laisse-les dire, car quand le Bourgeois
aura faim il n’escoutera pas tous ces prescheurs-là,
Ieiunus venter non odit verba libenter, quand nous
aurons nostre armée à leurs portes, & que nous
nous serons saisis de tous les passages, nous verrons
ce qu’ils auront dans le ventre, cependant nous allons
vn peu consulter là dessus.

Conseil tenu entre le Maz le Barb. le Bor. l’Abé F. &
le sieur B. Sur les troubles de Paris.

LE C. M. On dit qu’à l’œuure on voit l’ouurier,
voila bien de la matiere qui se presente,
nous verrons bien si vous estes habiles gens, tout

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Paris est encore opiniastré contre moy, tous mes
supposts ny sont point en asseurance, & me voila
pourtant par vos conseils icy à S. Denis, quid factam,
quo fugiam, quo me vertam nescio

 

Le Barb. Il ne faut point encore vous desesperer,
il ne faut pas faire naufrage au port, nous en
auons desia bien essuyé d’autres, nous viendrons
bien encore à bout de celle-cy. On dit que c’est
que les Parisiens sont desesperez du rencherissement
du pain, & que Gonesse a desia manqué deux
fois, il faut y pouruoir : car il est vray que la faim
chasse les loups hors du bois, il leur en faut enuoyer
cette fois-cy auec escorte, & deux trompettes
qui aillent iusques dans la Ville ; lesquels estans
infailliblement interrogez des Bourgeois quand le
Roy viendra à Paris, leur respondront : quand
vous voudrez, il ne tient qu’à vous, ne deuriez-vous
pas desia estre allez le supplier de reuenir, &
s’ils repliquent : amenera-t’il le Cardinal Mazarin ?
il leur faudra dire : il amenera le Cardinal & la Paix,
le refuserez-vous ainsi ? Ie croy qu’il s’en trouuera
fort peu qui dise oüy, tant s’en faut on les voudroit
tenir tous deux.

Le M. Mais quoy Monsieur, si cela arriuoit ; il
faudroit donc que ie m’en allasse auec le Roy à Paris,
il me semble que ce seroit bien me hazarder.

Le Bar. C’est vne autre question, car s’ils nous
accordent ce point, nous leur accorderons la Paix,
laquelle estant faire, il sera loisible de s’aller diuertir

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à S. Germain ou à Fontaine-Belleau, & ie croy
que vous ne manquerez pas de le suiure, & cependant
nous laisserons dissiper ces vapeurs exalées par
la fureur du peuple, & qui nous menaçoient de
l’orage, & puis nous retournerons à Paris, comme
si de rien n’estoit.

 

Le M. Ce n’est pas mal-auisé, & vous Monsieur,
que vous en semble.

Le Bor. Monsieur ie ne trouue pas cet expedient-là
mauuais.

Mais si auparauant cela, nous tentions de deffaire
les troupes des Princes, on dit qu’elles sont
foibles, si cela arriuoit, nous aurions encore bien
meilleur marché des Parisiens.

Voila le secours de Senneterre, qui est de dix-huit
cens hommes, ou plustost dix-huit cens Diables ;
car ils enragent de se battre. Ie sçay bien que
l’Hostel de Ville est pour nous, sur le bruit qu’on
a fait courir que le Roy venoit à Paris, & vous
enuoyer pour quelque temps dehors prendre l’air
de l’Alemagne, celuy-cy vous estant contraire. Pour
se piquer d’auantage de respect enuers le Roy, ils
ont resolu de receuoir sa Majesté, sans condition,
auec qui il luy plairoit, cela nous doit toucher beaucoup
à les bien traicter, auec cela nous auons fait
courir vn autre bruit que la Paix estoit faite, & que
mesme Monsieur le Prince en auoit presenté les
articles à S. A. R. laquelle a seulement insiste sur
celuy-là, qui est, que le Roy entend, que Monsieur

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le Prince consente que Sa Majesté fera reuenir
quand il luy plaira vostre Eminence apres l’auoir
esloignée. Pour moy, ie vous diray que toutes ces
intelligences pour gagner les Peuples & les desvnir,
toutes ces intrigues & ruses, ce n’est encore
rien. Il faut battre l’armée des Princes, & puis
nous viendrons à bout de tout ; Il faut gagner les
simples par finesse, & les resolus par la force.

 

M. Vous dites bien, mais les Princes tirent de
long, ils ne veulent rien hazarder en campagne, &
prennent des postes auantageux, si bien que nous
ne serions pas asseurez de les deffaire, ce seroit peut-estre
tomber de fievre en chaud-mal, ne nous pressons
point tant, tout dépend de Paris, s’il est pour
nous, ma foy les Princes ont beau faire, nous les
tenons : c’est à quoy il ne faut rien espargner.

Maz. Et vous Monsieur F. quel est vostre auis.

FIN.

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Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, CONTENANT La Harangue des Deputez. La Response du C. M. La Trahison du Duc de Loraine. Le Magazin des Recompenses dudit C. M. Et celuy des Princes. TROISIESME PARTIE. , français, latinRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_3.