Anonyme [1649], LE MATHOIS OV MARCHAND MESLE PROPRE A TOVT FAIRE. En Vers Burlesques. , françaisRéférence RIM : M0_2420. Cote locale : C_4_51.
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LE MATHOIS, OV MARCHAND
meslé propre à tout faire.

 


I’ay laissé vn maistre en Champagne,
Abandonné par la campagne,
Pour auoir creû mauuais aduis
Qui n’ayant plus de channeuis,
Chantoit enroüé comme vn veau :
Moy donc qui auois le cerueau
Vn peu tymbré d’vne autre sorte
Ie gaigne incontinent la porte.
Puis suiuy vn solliciteur
De plusieurs choses interpreteur,
Qui m’enquit dessus cest affaire
Quelle chose ie sçauois faire,
A quoy responds sans varier
Qu’au monde il n’y auoit mestier,
Mesme de rien que ie ne face,
Pource on me nomme en toute place
Le vieil Mathois, qui sçait tout faire :
Ie sçay Iumens & vaches traire,
Faire soufflets, aussi lenternes
Harpes, vieles & guiternes,
Forger monnoye de bon alloy,
Ie sçay plaider, alleguer loy :
Faire crochets à cueillir meures,
Horloges sonnant toutes heures,
Et si fais du tortu le droit,
Tailler morceau de bon endroit :
Tout cela ie sçais pratiquer,
Ie charpente, & suis malletier,
Ie sçay ioüer farce sans roolle,
Ie suis cousturier de parolle
Et soliciteur de procés,
Ie sçay faire sauces à brochets,

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Mieux que pas vn de ce Royaume,
Dresser lances, forger heaume,
Faire paniers, aussi corbeilles
Tourner chaizes bonnes & belles,
Ie fais que noüilles & fuseaux,
Allumettes, roües & aisseaux,
Et bon Astrologue aux estoilles,
Ie suis vray retondeur de toiles,
Et bon tisserrand de papier.
Ie sçay venaison espier,
Et fort adroit quant à la chasse :
Mestier n’y a que ie ne sçache,
Il ne faut point aller plus loin
Ie sçay faire des draps de lin,
Comme ay appris dés mon enfance,
Expert suis en toute science.
A la besongne on le verra,
Et homme ne se trouuera
Qui chante mieux à la vollée
Que moy tant en mont, qu’en vallée,
N’y pour prendre poissons en mer,
Ie fais chanter les asnes cler,
Et taste laict, soit doux ou sur
Ie sçay peindre d’or & d’azur,
Et piller pois en vne iatte,
Ie sçay courir la poste en haste,
Faire cent lieuës en vn besoing.
Ie sçay deuiner prés & loing,
Faire flacons, faire boutailles,
Ie fais flambeaux, torches, chandelles
Houzeaux, pãtoufles, & souliers neufs,
Ie sçay faire d’vn Diable deux,
Quand ie m’y mets pour tel affaire
Batre en la grange, ou bien en l’aire
Vanner, faire fluttes, tambours,
Ie suis maistre, i’en sçay les tours,
Soit pour brasser biere, ou godalle ;
Ie fais d’vn sabot vne malle,

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Et si ie fais selles & harnois,
Poitrails, brides, doubles tournois,
Escarcelles, & gibecieres
Tirer les pierres des carrieres,
Et bon gourmet pour taster vin.
Ie suis Tailleur, potier d’étain,
Ie sçay forger à seaux vne ance
Arracher dents sans doleance ;
Bon Mathois qui sçay faire tout
Mettre la piece aupres du trou,
Mesurer bled, orge, & auayne,
Sans Barbier ie saigne la veine,
Et guaris les chats de la toux.
Ie sçay prendre les Lougaroux,
Medeciner cheuaux & mules,
Et n’est de medecines nulles
Dont ie n’aye l’experiment.
Ie sçay compter, or & argent
Mieux qu’autre qui soit en la France.
Ie guaris femmes de la dance
Auecq’herbe qui croist au boys,
I’oste bien aux chiens les aboys,
En leurs frottant les reins & doz,
Ie fais bien la beste à deux doz.
Quand ie trouue compagne à point,
Et deschirer mon vieil pourpoint
Pour refaire mon Haut de Chausse,
Si le temps est bas, ie le hausse
En bien beuuant, voire du bon :
I’ayme au matin le gras Iambon,
Et le vin blanc à desieuner,
Ie ne me cognois à ieusner,
Tandis qu’auray argent en bource,
Ie sçay gouuerner Ours & Ource
Et forger sans faire nul bruict,
Ie vay ie viens, ie vend du fruict,
Ie me cognois en mercerie
En laine & en quinquaillerie.

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En draps de soye, en parchemin.
Ie sçay aller par tout chemin,
Sans demander aucune guide :
Quand le tonneau est vn peu vuide,
Ie sçay comme il le faut remplir.
Ie garde femmes de vessir.
Auec vn peu de laine noire
Ie guaris les jars de la foire,
Aussi de maint autres douleurs
I’oste aussi les pasles couleurs,
Ioüant vn peu de passe passe.
Ie degraisse, i’oste la crasse
Auec vn peu d’eau de merluz :
Ie fais des gros & petits culz
Pour Bourgeoises & Damoiselles ;
Ie me cognois bien en pucelles,
En les serrant vn peu de pres,
Ie sçay les receptes & aprests
De tous maux, fusse mengerie,
Verolle, chancre, bauerie,
Mal de reins sans aucun soucy,
I’en sçay guarir, il est ainsi :
On ne m’en sçauroit rien apprendre,
N’y moins que ce soit me reprendre,
Tant suis asseuré de mon art.
Ie sçay frotter mon pain de lart,
Quand il est sec en toutes sortes,
Ie sçay ouurir, & fermer portes,
Crocheter coffres, & bahus
Et prendre dedans les escus,
S’ils y sont, ou bien la monnoye
Desrober au besoing vn oye,
Sans crier cela est certain :
Clerc suis de Tauerne : & vend pain,
Ie suis oublieur, ie vend meulle,
I’oste aux bestes les dents en gueule.
Cousin suis à la Dame Alix,
Ie sçay faire bancs & chalix,

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Et toutes sortes de mesnage,
Bonnets, chappeaux, bref ie fais rage :
Quand ie me mets à trauailler,
Ie sçay endormir l’oreiller,
Faire licts, remuer la plume
Frapper au besoing sur l’enclume,
Pour faire cousteaux bien tranchans.
Ie sçay desrober les marchans,
Quand ils ont les yeux endormis,
Ie sçay garder moutons, brebis,
Pressoirer noix, pour faire l’huile,
Ie couure de chaume, & de tuille,
D’ardoise maisons & Chasteaux
Ie sçay bien tuer des pourceaux,
Et les saller en temps & heure,
Et faire sans nulle demeure,
Tonneaux, saloirs, barilz, bacquets
Ie sçay seruir aux grands banquets,
Besoguer d’or, d’argent, & soye
Ie cognois la fauce monnoye,
Et si fais faucilles & faux.
Ie suis bon marchand de cheuaux,
Ie fais espieux, haches & espées
Haurbergeons, ie fais des poupees,
Ballances, chaudieres & poinsons,
Ie prens en l’air les papillons,
Et si fais chapperons d’oyseaux
Ie crie vieux fers, vieux drappeaux,
Sauetier suis ou en partie.
Ie sçay bien chanter ma partie
Et me cognois à cuire pois,
Mestier n’y a dont ie ne sois
Ouurier, la chose est certaine :
Ie sçay carder, & filer laine,
Et si suis de puys bon cureur
Ie suis Aduocat, procureur,
Qui sçay parler diuers langages,
Nourrir oyseaux, faire des cages :

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Toutes sortes d’oustils forger,
Ie sçay ma Iacquette engager,
Quand ie suis d’aubert vn peu mince
Et contrefaire le grand Prince.
Lors que ie me voy r’emplumer
Ie sçay la volaille plumer
Et la manger, quand elle est cuitte,
Saucer dedans la lechefritte
Mon pain, quand ie tourne le rost,
Ie sçay planter oygnons, ciuots,
Iardinier suis de nom & d’armes
Qui sçay bien sonner les allarmes,
Et retraittes dedans vn camp.
Ie me cognois à feire tan,
Parer cuirs, & faire trompettes
Cornets à bouquin, des lunettes,
Forces, cizeaux, & esperons,
Brusler volleurs, pendre larrons,
Et au besoing filler la corde.
De tout instrument qui s’accorde,
Ie sçay ioüer, tant soit nouueau,
Tuer chiens, pour auoir la peau,
Dont ie fais gands, & esguillettes,
Pour ieunes garsons & fillettes
Qui leur sert, & fort bien à point
Ie cognois les dez, & les points.
Ioüer à tous ieux me hazarde,
Branler la pique & halebarde,
Tirer des armes à tous venants.
Ie suis bon arracheur de dents ;
I’en ay faict mon apprentissage,
Ie fais le fol deuenir sage,
Et fais parler les perroquets.
Ie puis empescher les caquets
Des chambrieres & Lauendieres,
Raieunir les vielles croupieres
A l’aage des petits enfans,
Il est vray, & point ie ne ments,

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Chose n’y a que ie ne face
Ie me cognois à la fillace,
Soit chanvre ou lin, ce m’est tout vn.
Tout mestier m’est aussi commun,
Comme de boire à la bouteille,
Ie fais rage, ie fais merueille,
Ie suis menuisier, serrurier,
Ymager, & binbelotier,
Ie fais espinettes & orgues,
Ie fais toutes sortes de morgues,
Ie suis Mareschal, & Charron,
Musnier, suis homme de raison,
Et bon ouurier pour faire vn peigne,
Ie guaris de mauuaise teigne
De tous maux, aussi de plusieurs
Ie sçay gouuerner les seigneurs,
Et bien entretenir les Dames,
Au besoing secourir les femmes
Quand elles veulent accoucher,
Ie suis charcutier & boucher,
Ie vend trippes cuittes & cruës
Harents, Maquereaux, & Moruës,
Poisson de mer frais & sallé
I’ay le visage vn peu hallé :
Mais c’est d’auoir veu plusieurs mondes,
Ie fais arcs, arbalestres, & fondes,
Fleiches, viretrous, & garrots,
Bon ouurier de faire pots,
De terre de fonte & d’argille,
Les femmes qui ont la trop file,
Ie guaris tout en vn instant,
Et si sçay bien bercer l’enfant
Quand il crie, & si le fais taire,
Ie suis drogueur, Apoticquaire,
Ie fais Clisteres barbarins
Prest de combatre Sarrazins,
Et Turcs si m’eschauffent la teste,
Et s’il n’y a aucune beste

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Dont ie n’entende le iargon,
Ie sçay sonner en carrillon,
Faire clochers, fondre les cloches,
Ie fais patins, ie fais galloches :
Ie sçay fourrer habits d’Hyuer,
Teindre en rouge, tanné & verd,
Fouller le vin dedans les Cuues,
Ie suis fort bon barbier d’estuues,
Pour raser & tondre maujoint,
Espicier suis, ie vend vieil-oingt,
Et fais souliers de toutes formes,
Arpenter boys, planter les bornes,
Ie fais caquetoire, & placets,
Rubens, Canetille, & lacets,
Orfeure suis, & Lapidaire,
Qui fais fort bien les femmes taire,
Auecques deux poings seulement
Rien n’a en mon entendement,
Que ie n’œuure, comme de cire :
Bref ie fais plorer ie fais rire,
Que ie veux, & quand il me plaist,
Vn seul point a qui me desplaist,
Que ne trouue maistre à ma poste,
Ie le seruirois de composte :
Car ie suis fort bon cuisinier
Maistre d’hostel, & escuyer,
Qui ne craint foudre ny tempeste ;
Ie fais des espingles sans teste,
Et esguiles de fin acier,
Las d’estre debout, ie m’assiet,
Pour composer en prose ou rime
Où le plus souuent ie m’enrime,
Si ie n’ay vn petit humé.
Sur tous autres suis estimé,
Pour mon sçauoir, & ma science,
Ie sçay dancer à la cadence.
Faire sauts, de tors, & trauers,
Ie sçay rompre les huys ouuers,

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Faire endoüilles, boudins, saucisses
Grand dépuceleur de nourrices,
Ramonneur de bas & de haut
Femelles qui ont par trop chaut,
Ie guaris aueq’froide glace,
Ie fais de fins miroers, ie trace
Vn chasteau sur le bout du doigt,
Les boiteux, ie fais aller droit.
Auec vn peu d’huille de chesne,
Ie fais des fromages de cresme,
Y meslant ius de limaçons
Quelquefois ie sers les maçons,
Par passe-temps, deux ou trois heures,
Paueur suis, ie fais des doreures,
Chaisnes, bracellets, & carquans,
Habits pour les petits enfans,
Et prend oyseaux à la pipee
Pour chercher la franche Lippee,
Homme n’en craint, c’est mon mestier.
Ie suis Rubennier, & Nathier,
Passementier qui point ne chaume,
Tout prest pour ioüer à la paulme,
Contre les plus braues ioüeurs,
Ie fais balles, plottes, esteufs,
Raquettes, battoirs, bref ie fume :
A belles dents ie prend la Lune,
Et fais le Soleil éclipser
Vieilles troter, chevres dancer,
Ie me cognois bien en salpestre
Bien peu s’en faut, que ne sois Prestre :
Car ie sçay matines par cœur,
Chatreux suis, & bon enchanteur,
Qui oste aux poulets la pepie,
Vieil Mathois, pour croquer la pie,
Et ferrer la mulle au besoing :
Iamais le bon Maistre Gonnin
Ne fut plus expert en science,
Que moy, & en toute la France

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Ne se trouuera le pareil,
Ie tire la paille de l’œil,
Sans blesser en rien la prunelle,
Ie suis cordier, ie fais ficelle,
Chables, eschiquiers, & collets,
Lardoires, ie fais des fossets,
Et guaris de mauuaises fievres
Ie fais de belles coiffes à chevres,
Aussi des esperons à rats,
Lesquels i’accorde auecq’les chats,
Quand ie veux, & de bonne grace,
Ie feray vne gaine à harce,
Aussi tost qu’vn moulin à vent,
Et toutesfois, le plus souuent
A battre buissons ie m’amuse,
Puis ie sonne la cornemuse,
Auecq’le petit larigot,
Affin de resueiller margot,
Quand elle est par trop endormie ;
Ie mange la crouste & la mie,
Ie ne suis difficile en rien
Qui veut auoir beaucoup de bien,
Vienne à moy, i’en ay les methodes
Fourny suis d’instrumens & drogues
Pour la saincte pierre trouuer,
Il ne me faut point esprouuer,
En cela i’en suis passé Maistre
Heureux est qui me peut cognoistre
Et moy plus heureux d’estre né.
Tout mon cas est bien ordonné,
Ensemble tout mon esquipage,
Ne reste plus que d’estre page,
Puis laquais pour faire la fin,
Or n’attendez point à demain
Si vous auez de moy affaire
A loüer, ie suis à tout faire.

 

FIN.

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