Anonyme [1649], DIALOGVE BVRLESQVE DE GILLES LE NIAIS ET DV CAPITAN SPACAMON. , françaisRéférence RIM : M0_1072. Cote locale : C_7_30.
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DIALOGVE
BVRLESQVE
DE GILLES LE NIAIS
ET DV CAPITAN
SPACAMON.

A PARIS,
Chez la Veufue THEOD. PEPINGVÉ, & EST.
MAVCROY, ruë de la Harpe, vis à vis
la ruë des Mathurins.

M. DC. XLIX.

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DIALOGVE
BVRLESQVE
DE GILLES LE NIAIS
ET DV CAPITAN
SPACAMON.

Gilles.

Seignor Capitan Spacamon, il y a des Gilles le Niais
dans le monde, & si ma pauure bonne maman la
vieille femme n’a iamais eu d’autres enfans que
moy.

Spacamon.

Il se peut faire. Il y a beaucoup de gens simples, qui ne sçauent
discerner entre la main droite & la gauche, entre le
bien & le mal, qui prennent plus souuent que toy Martre
pour Renard, mais i’ay tousiours creu & croy encore qu’il
n’y a qu’vn Gille le Niais en son espece & en son indiuidu
dans le monde.

Gilles.

Sans offenser vostre Seigneurie vous pourriez bien mentir
de ce costé là. Ce ne sont pas ceux-là que ie reconnois
pour mes freres, ce sont bien d’autres gens ; montez plus
haut.

Spacamon.

Ie ne prends pas garde à ce que tu dis, on ne peut estre offensé
par vn fol, par vn enfant, ou par vn yurogne. Quels
freres as-tu qui ne soient les enfans de ton pere ou de ta
mere ?

Gilles.

Ceux d’entre les Mazarinistes qui pendant la trefue ont
fait Gille, & vne infinité d’autres qui sont demeurez, esperant
que Mazarin reuiendroit, & maintenant qu’ils sçauent

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le contraire, & qu’il faut necessairement qu’il s’en aille, ils
sont deuenus niais.

 

Spacamon.

Pourquoy, sot, le nommes-tu Mazarin, il est bien Cardinal
pour toy ? Sçais-tu pas qu’il le faut traitter d’Eminence.

Gilles.

Aga, Eminence ? Ie ne croyois pas que ce fut vne femme,
toutesfois le Gazetier Desinteressé le dit, & puis qu’il est
desinteressé ie le veux croire.

Spacamon.

Il n’en a ny les actions ny la mine, quoy qu’on luy puisse
reprocher d’estre dameret, musqué, poudré, bien adjusté, il
ne reste pas pourtant, ie t’asseure, de faire les fonctions
d’homme, & n’est point femme.

Gilles.

Qu’il y a de personnes qui se plaisent à faire des contes,
& d’en faire accroire à ceux qui les veulent escouter : on m’auoit
dit, & ie l’ay tousiours creu iusques à cette heure, que
les gens de vostre pays, Seignor Spacamon, sont comme les
Lievres.

Spacamon.

Comme les Lievres ? Que ne dis-tu plustost comme des
Lyons, ou comme des Aigles. Nous sommes la posterité
de ceux qui ont vaincu toute la terre, nous ne sommes point
peureux pour estre estimez ressembler aux Lievres.

Gilles.

Vous n’y estes pas ; c’est qu’on m’auoit dit que vous estes
tantost masles, tantost femelles, & son Eminence, dit-on,
l’a bien esté.

Spacamon.

C’est vne galenterie parmy nous : & sçache que c’est vn
prouerbe du Pays, Si la mare fosso mosoatello, & saccharo el
monte gibello, & caxo en culo no fos peccado triompharano los Sicilianos.

Gilles.

Par ma fi, voila qui est drole : mais le bruit court icy que
le galand doit faire gille, s’il ne veut faire le niais.

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Spacamon.

Helas ! oüy, il faut qu’il s’en aille : desia tout le bagage est
plié ; & les adieux ont esté faits.

Gilles.

Si les vns l’ont donné à Dieu, il y en a bien plus qui le
donnent à tous les Diables.

Spacamon.

Ie ne sçay point toutes les foires de Champagne, mais ie
remarquay dans ces adieux diuers sentimens de la Cour.

Gilles.

Comment, luy disoient-ils ? comment, disoit-on ? quand
dira-elle ? quand dira-on ?

Spacamont.

Les vns disoient : Adieu, Monsieur, vous ne gaignez plus
rien icy, Dieu vous conduise.

Vn autre : Vous nous auez rendus de bons seruices, il
nous fasche bien de vous dire adieu.

Vn autre : Laissez le aller, puisque tout le monde veut
qu’il s’en aille.

Vn autre : I’ay bien du regret de vostre depart, vous sçauez
mieux ioüer qu’homme de France.

Vn autre : I’aime le ieu, ie ne veux point que vous vous en
alliez, nous iouerons encore ensemble. La pluspart de ceux
qui se rencontrerent à ces adieux se disoient l’vn l’autre : Si
ces deux personnes continuent encore leur ieu, ils sont en
danger de perdre tout.

Gilles.

Voila les adieux de Sainct Germain, ie te veux dire ceux
de Paris.

Spacamon.

Les dit-on tout haut, que tout le monde les puisse entendre ?

Gilles.

On les crie mesme par les ruës, & on en a fait des chansons,
& il y en a sur le chant fa ra la ra la.

Spacamon.

Ce doiuent estre des adieux aussi bigearres que ceux de

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Sainct Germain dissimulez.

 

Gilles.

Les vns ont dit : Nous auons taillé des croupieres, vous
n’auez qu’à vous en aller.

Les autres : Tous les passages vous sont ouuerts ; quand
vous serez hors du Royaume, vous ne craindrez point
d’Arrests.

Tout le peuple crie, qu’il s’en aille au diable apres nostre
argent.

Les chanteurs disent auec les lacquais, & quelques femmes :

 


Si iamais dans Paris tu entre,
On te fera comme au Marquis d’Ancre.

 

Les Partisans comme les meilleurs de ses amis, protestent
qu’ils ne l’abandonneront iamais, sinon qu’on le conduise
à la potence : nous le suiurons par tout, disent-ils, qu’on
nous laisse donc aller sans armes auec nostre bagage.

Spacamon.

Ne les laissera-on point aller ces pauures gens, qui font
vne si grande perte ?

Gilles.

Tres-volontiers, mais de peur qu’il ne leur mes-arriue
par les chemins, on les oblige de prendre passe-port, qui leur
doit estre liuré par vne Chambre de Iustice qu’on doit establir
pour ce sujet.

Spacamon.

Si j’estois à leur place, ie m’en irois sans prendre congé,
ny attendre aucun passe-port.

Gilles.

Et où irois-tu ? On te poursuiuroit par tout : on t’assommeroit
par le chemin : on te despoüilleroit, & tu serois en
danger de mourir de faim : que deuiendroit le grand Capitan,
le Seignor Spacamon ?

Spacamon.

Qui a de l’argent a des piroüetes.

Gilles.

Mais tu n’en aurois point : crois-tu qu’on te laissait vne

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maille, ou qu’on te baillast comme à des Religieux le viure ?

 

Spacamon.

Ie me contenterois du cheual & de la monnoye de Sainct
François pour me conduire au lieu de seureté, & ie sçaurois
bien tousiours où faire ma retraite.

Gilles.

Vous autres Italiens affinez tout le monde, mais on se tient
bien sur les gardes : on foüille tous ceux qui s’en vont, iusques
pardessus les cottes des femmes : & depuis qu’on a descouuert
vn espion habillé en femme, lequel portoit des aduis
au Mascarin de tout ce qui se passoit dans Paris.

Spacamon.

Quand on me foüilleroit iusques au trou du cul, pourueu
qu’il n’y eust que moy tout seul qui foüillast dans ma merde,
Gilles, ie ne serois guere en peine de ma vie.

Gilles.

Comment, tu chierois pistolles, & puis deuiendrois foüille-merde ?

Spacamon.

Bien entendu : les Partisans sçauent faire de l’or potable,
aussi bien que changer les liqueurs en or. Et si tu ne le sçais
pas ils ont la mesme vertu que Midas, tout ce qu’ils manient,
tout ce qu’ils voyent, se change en or.

Gilles.

Quoy ? A cette heure si vn Partisan nous voyoit toy ou
moy, il nous changeroit en or.

Spacamon.

Oüy : il a fallu que nos Maistres ayent desboursé argent
pour auoir permission de nous faire ioüer en public, aussi
nous sommes deuenus Gentils-hommes depuis qu’on se sert
d’vn mesme cachet pour seeller les Lettres de Noblesse, &
celles des Operateurs.

Gilles.

Mais comment feriez-vous, Seignor Spacamon, si vous
estiez Partizan, pour emporter vos meubles, vos terres, &
vostre argent ?

Spacamon.

Ie ferois passer tout cela par inuisibilium.

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Gilles.

Aga, le Magicien, il est aussi de mesme couleur que le
Diable : qui va là.

Spacamon.

Et fratello de Satanas.

Gilles.

Ie le disois bien que Spacamon estoit Sorcier. Ie suis perdu.

Spacamon.

N’aye point de peur, il n’y aura point d’enchanterie.

Gilles.

Vous dites, Seigneur Capitan, que vous ferez tout passer
par inuisibilium, comment donc, si le Diable ne vous sert de
monture comme à ceux qui vont au Sabath ?

Spacamon.

Par lettre de change. Monsieur le Cardinal a par cette voye
fait transporter à Rome, à Venise, à Amsterdam des Palais,
des terres, & plusieurs millions.

Gilles.

Il ne peut donc manquer de rien, quelque part qu’il aille ?

Spacamon.

Oüy, pourueu qu’on ne fasse point banqueroute.

Gilles.

Ceux qui tiennent son butin, luy pourroient bien dire
nescio vos, quand il se presentera à leur porte.

Spacamon.

Si les vns manquent, tous ne manqueront pas : & puis n’auroient
ils pas peur de l’espée de Spacamon ? qui est deuenu
de ses grands amis depuis qu’il luy fournit des [1 mot ill.].

FIN.

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