Anonyme [1651], LE MANIFESTE DE LA REINE REGENTE ET DE MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS Touchant la disgrace du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2358. Cote locale : D_1_49.
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Le Manifeste de la Reine Regente, & de
Monseigneur le Duc d’Orleans, touchant
la disgrace du Cardinal Mazarin.

IE ne doute pas que ceux qui sçauoient l’attachement
que la Reine Regente, & Monseigneur
le Duc d’Orleans auoient pour le soustient
du Cardinal Mazarin, ne se soient beaucoup
estonnés de la resolution qu’ils ont pris de se declarer
contre luy, en vn temps principalement,
où toutes les apparences du monde sembloient
les obliger de se roidir contre le Parlement, de
peur que le glorieux succés de ceste entreprise
sur la faueur d’vn premier Ministre, ne frayât le
chemin à ceste Cour Souueraine, pour attenter
desormais à l’execution de quelque coup plus
hardy, & que se preualant de ce premier aduantage,
elle ne pretendit desormais d’éleuer son
authorité à l’independance de son Souuerain.

Mais les puissantes raisons qui les ont obligés
de precipiter cét insolent Ministre, par le Ministere
mesme du Parlement, n’ont pas esté capables
de ceste reflection ; & les iustes apprehensions

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que ces deux intelligences ont eu de la
puissance de ce fauory, lors qu’il se verroit esleué
à la confidence des secrets d’vn Roy majeur,
leur en a fait preuenir les effects, par ce coup
tant souhaité de sa disgrace. Or comme ces
raisons sont des plus profondes de la Politique,
ie me suis imaginé que ie les rendrois plus sensibles,
si, supposant encore que ce Mazarin est
dans sa premiere faueur, ie faisois voir à sa Majesté
Regente, & à son Altesse Royalle, que cét
insolent s’en défera infailliblement, lors que
se considerant le premier Ministre d’vn Roy majeur,
il verra que luy estant desormais inutiles,
ils ne pourront par consequent luy estre qu’importuns
ou redoutables.

 

Ceste verité qui ne m’est pas moins visible
que la lumiere, ne sera pas encore moins éuidente
à sa Majesté Regente, & à son Altesse
Royalle, s’ils veulent prendre la peine
de considerer, que le Roy estant majeur, ne
sera plus dans la dépendance de leurs volontez ;
& que cét aage de quatorze ans vers lequel
ils semblent se trainer auec tant de passion,
pour y conduire l’authorité de leur fauory,
ne sera pas plustost arriué, qu’ils se verront
eux-mesmes déchus de leur souueraineté,
& soumis au pouuoir absolu de celuy sous le nom

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duquel ils gouuernent auiourd’huy les renes de
cet Estat : Est-il quelqu’vn qui puisse douter que
la Reyne & Monseigneur le Duc d’Orleans ne
soient pour lors reduits à la necessité de se seruir
d’intrigues, pour conseruer la faueur de celuy
qui ne sera pas moins leur souuerain, & dont ils
ne seront pas moins les subiets, que ceux qui ne
sont iamais entrez dans le balustre ? & ne sçait-on
pas par l’experience que nous auons du passé,
que les plus hauts montez peuuent tomber, que
les astres les plus brillants peuuent s’eclipser ; &
que les considerations d’Estat sont quelquesfois
si souueraines dans l’esprit mesme des plus souuerains ;
soit par leurs propres sentiments, soit par
le conseil de ceux qui les approchent, qu’elles leur
font bien souuent porter des arrests contre les testes,
que la nature leur sembleroit deuoir faire
epargner mal-gré toutes les raisons d’Estat. Ainsi
la majorité deuant mettre la Reyne & Monseign.
le Duc d’Orleans dans la dependance ; elle les
mertra par mesme raison dans le danger de pouuoir
decheoir de leur faueur, quelque asseurance
qu’ils ayent de se mettre à l’abry de cette crainte,
l’vne souz le tiltre de mere, l’autre souz la qualité
d’oncle vnique du Roy.

 

Ie ne doute pas que la premiere, & peut estre
la seconde année de la majorité ne se passe dans
vne grande vnion de volontez, entre la Reyne,

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le Duc d’Orleans, & le Cardinal Mazarin ; & que
la facilité qu’ils auront encore de gouuerner conjointement
l’esprit du Roy, qui ne se croira pas si
tost, ou qui du moins aura de la repugnance de se
comporter en Majeur, & le rauissement de se
voir heureusement arriuez à ce temps, malgré les
obstacles de tant de difficultez, ne les fassent viure
en bonne intelligence pendant quelque temps ;
Mais tous les sensez prevoyent bien par l’impossibilité
qu’ils trouuent dans la continuation pacifique
d’vne égalité de pouuoir, partagea plusieurs
testes, que la ialousie iettera bien-tost le
schisme dans cette parfaite vnion, & que la Reine
pretendant encore traitter pendant quelques années
son fils de mineur, & le Cardinal Mazarin
de son fauori, ou de son adjoint du moins dans le
Ministere d’Estat ; celuy-cy voyant qu’il pourra
esleuer sa fortune d’vn degré plus haut, ne perdra
point temps pour se rendre necessaire & complaisant
à l’esprit du Roy, en luy faisant entendre ;
qu’il ne sçauroit estre desormais que tres mesceant
à sa Majesté de souffrir vne mere aupres de soy,
que ce sera encore le seul moyen de se faire considerer
par ses Peuples comme vn enfant ; qu’on le
croira dans la mesme impuissance de sa minorité,
pendant qu’il semblera viure encore dans
la dependance des conseils de la Regente sa mere ;
qu’il faudra en secoüer le ioug, pour se rendre plus

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redoutable par l’idée qu’il donnera, qu’il sçait
regner en absolu ; que les conseils d’vne femme
ne sçauroient iamais porter vn Souuerain à la
grandeur des entreprises qui sont necessaires pour
entrer dans le nombre des Heros ; que l’incertitude
des succez ne leur permet iamais de persuader
de grands desseins ; qu’il faut chercher vn
honorable pretexte de se soustraire à son obeïssance
visible, en luy donnant quelque Appanage qui
soit conforme à sa grandeur ; & qu’apres tout le
traittement que Marie de Medicis receut de Louis
XIII. son pere, luy doit seruir de preiugé, &
luy oster le scrupule qu’il auroit de se comporter
de la sorte, enuers celle dans la dependance de laquelle
il sembleroit deuoir estre obligé de mourir,
par toutes les Loix de la nature.

 

Ie laisse iuger aux plus foibles de l’effet de ses
ingrattes suggestions, pour lesquelles sans doute
Mazarin sçaura bien prendre son temps, sans que
la Reine, qui le croira tousiours trop genereux,
pour luy estre méconnoissant de tant d’obligations,
puisse seulement auoir le vent des secrettes
trahisons que ce perfide brassera sous main pour
la supplanter : Et peut-on douter que le Roy ny
doiue facilement prendre feu, si l’on veut considerer
que ces raisons sont en quelque façon plausibles ;
& qu’vn ieune Roy qui ne sera pas moins
rauy de trancher d’abord de son independant,

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que de se faire reconnoistre pour tel dans l’idée de
tous ses Peuples, sera bien aile de se seruir du conseil
qui luy sera fourny par celuy-là mesme, qui
seruoit d’intelligence à la conduitte de la Regente
sa mere, & de se reposer sur luy auec moins de
soubçon de puerilité, de tout le gouuernement
de l’Estat, empruntant mesme vn assez raisonnable
preiugé de sa suffisance, du iugement que sa
mere en aura fait, en luy laissant constamment la
direction de la Monarchie.

 

Ce raisonnement, quoy que tres veritable,
sembleroit neantmoins encor vn peu trop obscur,
si ie ne l’estallois plus longuement pour le faire paroistre
plus en son iour : Pour cét effet apres auoir
presuposé la Reine & Monsieur le Duc d’Orleans
non moins que le Cardinal Mazarin dans la dependance
des volontez absoluës du Roy Majeur,
ie croy premierement que ie puis auancer sans temerité,
que Monsieur le Duc d’Orleans n’estant
plus necessaire à la Reine & à Mazarin pendant la
Maiorité, comme il est maintenant pendant la
Minorité, passera par consequent pour importun
dans leur esprit ; & cet idée qu’ils auront de son
impuissance à leur pouuoir desormais rendre aucun
seruice, les iettera dans vne si foible indifference
de sa faueur, qu’ils ne se mettront plus en
peine de la menager auec tout le soin, qu’ils sont
obligez maintenant d’auoir, par la necessité de

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se maintenir contre tant d’assauts ; ce qui obligeant
sans doute son Altesse Royale à quelque ressentiment
de ce desdein ; obligera par necessité la
Reine & le Cardinal de se seruir de toute l’authorité
qu’ils auront sans doute plus puissante aupres
du ieune Majeur, pour y perdre entierement son
credit ; & voila la recompense infaillible que son
Altesse Royale doit esperer de ce grand attachement
qu’il tesmoigne à la protection de celuy qui
le fera necessairement déchoir de la faueur, pour
y subsister pendant la Maiorité.

 

Ie fortifie ce mesme raisonnement des reflexions
que tous les Politiques peuuent faire sur les
preiugez que nous auons de l’ingratitude de Mazarin ;
qui n’a iamais conclu l’injuste emprisonnement
de Messieurs les Princes, qu’apres s’estre
veu dans l’impuissance de reconnoistre les obligations
qu’il auoit au premier ; lesquelles estant dautant
plus releuées, qu’elles estoient les biens-faits
d’vn premier Prince du Sang, ne pouuoient par
consequent estre reconnuës qu’auec des reuanches
que Mazarin ne pouuoit donner sans perdre
son authorité, ou sans la soumettre du moins à ne
refuser iamais d’interposer son pouuoir pour l’interinement
de toutes les demandes que l’ambition
pouuoit suggerer à son bien faicteur ; d’où il
est arriué que Mazarin a mieux aimé perdre que
re connoistre incessamment celuy qui l’auoit infiniment

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obligé ; & que pour faire plus heureusement
ioüer sa fourbe, il a mesme pretexté vne importunité
criminelle & tres-dangereuse dans le
regne d’vn Mineur, au desespoir qu’il auoit de ne
pouuoir iamais reculer à aucune des demandes de
Monsieur le Prince, sans commettre vn acte visible
d’vne ingratitude insupportable.

 

Son A. R. n’oblige pas moins Mazarin auiourd’huy,
que Monseigneur le Prince l’a obligé autrefois :
& si ce mauuais Ministre ne subsista pendant
le siege de Paris que par la seule poursuite de
ce Conquerant ; il est éuident qu’il ne subsiste pas
encor auiourd’huy que par la faueur de Monsieur
le Duc d’Orleans. Tellement qu’il est aisé à conclure
que cét illustre Oncle vnique du Roy reduit
cét Estranger à la necessité de releuer tousiours de
ses ordres par reconnoissance, ou de se redimer de
cet engagement par vn coup d’ingratitude. Ceux
qui en esperent ce premier, ne sçauent pas que le
moindre pretexte d’Estat, efface toutes les idées
qu’on pourroit auoir d’aucune méconnoissance ;
& qu’en matiere de Politique, du moins de celle
du temps, l’ingratitude bien conduitte passe souuent
pour vn coup d’adresse ; & la reconnoissance
opiniastre, pour vne simplicité qui n’est pas de
Cour : C’est pourquoy Machiauel enseigne que
les Princes qui protegent les Ministres d’Estat
contre les assauts de la haine publique, ne sont pas

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bien conseillez ; parce qu’il arriuera necessairement
que si leur protection les fait subsister, la
honte qu’ils auront de voir tousiours le Dieu de
leur bon-heur, & la necessité de seconder toutes
leurs intentions, les obligera de leur supposer quelque
aparence de crime pour s’en defaire à quel prix
que ce soit. Ceux qui me faisoient la faueur de
me souffrir en leur compagnie pendant le siege de
Paris, pourroient encore tesmoigner que cette
grande protection dont Monsieur le Prince honoroit
le Mazarin, me fit souuent dire, qu’on verroit
necessairement autant qu’infailliblement,
que si ce Ministre subsistoit dans le mesme Estat,
duquel il sembloit deuoir estre precipité par les vigoureuses
poursuittes de toute la Monarchie ; ce
traistre seroit le premier autheur de la ruïne de
cet illustre conquerant ; & qu’il prendroit mesme
le motif de luy supposer quelque crime, des
grandes obligations, dont il ne pourroit iamais
s’acquitter qu’auec vne reconnoissance, qui rendroit
son authorité trop seruile. Cela n’est-il point
arriue ? n’a-ton pas veu au grand desauantage de
cet Estat, que dés que Mazarin a cru s’estre suffisamment
asseuré contre les effroyables secousses
qui l’auoient dangereusement ébranlé pendant
les desordres de la derniere guerre ; il a d’abord iugé
que son Protecteur ne luy pouuant desormais

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estre que fort inutile, ne luy pouuoit par consequent
estre qu’importun ou redoutable ; & que
pour cette raison, il falloit ietter le soubçon & la
jalousie dans l’esprit du Duc d’Orleans ; & la
crainte de quelque grand desordre dans celuy de
la Reyne, pour les faire consentir au pernicieux
dessein qu’il auoit de faire arrester Monsieur le
Prince.

 

Il ne faut pas douter, que pendant que la vigueur
de la Fronde ne se relachera point ; l’impuissance
de subsister sans le secours du Duc d’Orleans, fera
condescendre Mazarin à toutes les soumissions
possibles ; & que mesme il n’épargnera point sa
bource, pour ménager plus asseurément l’esprit
de celuy, que la necessité de se maintenir luy fait
regarder comme l’azile imprenable de sa pauure
fortune : aussi ne seroit-il pas bon politique s’il se
comportoit autrement, & si mesme il ne sçauoit
adiouter à ses intrigues, les serments & les protestations
d’vne eternité de seruices. Mais supposons
que les quatorze ans sont écoulez ; que Mazarin
est enfin arriué iusqu’à la majorité, & que
mesme il s’est fortement ancré dans la faueur du
Roy, non moins par l’entremise de la Reyne, que
par la faueur de son A. R. Cela estant, n’est-il pas
vray que Mazarin se voyant à l’abry des orages,
n’est plus en necessité de se seruir de Monsieur le
Duc d’Orleans, pour n’en craindre point les menaces,

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puis qu’il est souz la protection d’vn Roy
majeur ; & que par mesme raison son A. R. ne
luy sçauroit estre desormais que fort inutile, puis
que sa conseruation n’est plus dans la dependance
de l’authorité de ce Prince : Cependant tout le
monde voit assez, que son A. R. ne rabattra
en rien de l’authorité qu’il pretendra iustement
auoir encore sur luy ; & que le mépris visible que
ce Ministre fera de ménager sa faueur, parce qu’il
la iugera desormais plus importune que necessaire,
iettera son A. R. dans le desespoir de l’auoir
protegé, & dans le dessein de le perdre : Les Politiques
voyent bien que ces secretes pratiques de
S. A. R. pour detroner cet ingrat, iointes aux souplesses,
dont Mazarin s’auisera pour en ietter la
ialousie & le soubçon dans l’esprit de la Reyne,
fortifieront sans doute leur intelligence, pour decrediter
ce Prince innocent dans l’esprit du Roy ;
& le rendre aussi dangereux & redoutable, à la
conseruation de sa Couronne, que tous les Sages,
& veritablemen François l’y iugeront constamment
necessaire.

 

Si cela n’arriue point, il faudra dire necessairement
que la prouidence sera lasse de tolerer les
pernicieuses intrigues de Mazarin, & que le besoin
que la France aura de la conseruation de son
Altesse Royalle, luy fera épouzer sa querelle
pour faire éuanter toutes les mines que cét esprit

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malicieux voudroit faire iouër contre son innocence :
Mais comme il arriue souuant que le Ciel
ne s’oppose point aux plus pernicieux effets des
causes secondes, pour s’en seruir comme des verges
fatales dont il veut foüëtter ses Peuples. Il faudroit,
ce me semble, que S. A. R. considerast
selon le sentiment de tous les Politiques du monde,
qu’vn Prince ne doit iamais prester épaule à
vn Ministre chancelant pendant que la haine publique
l’attaque, de peur de passer pour complice
de ses mauuais deportemens ; qu’il ne doit iamais
faire subsister celuy qui peut mesme se seruir de
sa protection pour remonter sur sa teste & le mettre
à ses pieds ; que c’est pecher contre toutes les
maximes d’Estat, que d’obliger vn Ministre, qui
doit necessairement tomber dans l’ingratitude,
par l’impuissance qu’il aura de recompenser vn
bien-fait infiny sans se rendre esclaue de toutes les
poursuittes d’vn bien faicteur ; que les Grands, soit
de naissance, soit de fortune, rougissent tousiours
de voir celuy auquel ils sont si notablement redeuables,
parce que l’ambition leur reproche tous
iours leur foiblesse, en leur renouuellant le souuenir
de celle qui a eu besoin d’emprunt pour se
fortifier ; & que pour cette raison ils ne briguent
rien auec tant de passion, que l’occasion de pouuoir
enseuelir le souuenir de cette honte, dans celuy
qui en fait le principal suiet de sa gloire ; que

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c’est auoir trop de sincerité pour la protection
d’vn Ministre qui tomberoit à tous momens, s’il
ne se soustenoit auec ses fourbes ; qu’il n’est point
de Politique qui ne defende au Prince cét attachement
prodigieux à la conseruation d’vn Ministre,
à moins qu’il ny soit engagé par la consideration
de ses interests particuliers ; qu’vn Prince se fait
vn riual qui le suplantera necessairement lors que
par son entremise, il se sera éleué à vne égalité de
faueur aupres de son Souuerain : & mille autres
reflections qu’il feroit sans doute mieux que tout
autre, s’il vouloit seulement prendre la peine de
se seruir de toute la Politique.

 

Son Altesse Royale ne manque pas d’assez de
Fortes testes qui sont tousiours aupres de sa personne :
mais ie les suplie de mettre ce raisonnement
à l’épreuue du leur, & de considerer qu’il est bien
dangereux non moins à vn frere du Roy qu’à vn
Roy mesme, de se mettre en impuissance de ne
pouuoir plus obliger vn fauory, & de l’esleuer si
haut qu’il ny reste rien plus pour l’entier acheuement
de sa grandeur ; Parce qu’il arriue d’ordinaire
que l’arrogance, qui est inseparable d’auec les
gens de fortune, leur fait fermer les yeux à la reconnoissance,
lors que l’impuissance de leurs
biens-faicteurs ne leur peut plus rien faire esperer
de leur entremise ; & que par consequent elle l’oblige
de se perdre en taschant de faire retomber cét

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ingrat dans le neant de sa premiere bassesse. Ainsi
ie suplie derechef son Altesse Royale, par la passion
qu’il doit auoir de seconder l’inclination generale
des Peuples, pour la conseruation de sa personne
sacrée, de ne se mettre point au hasard de
se voir vn iour mal traitté par celuy qui n’est desia
que tres-remarquable à raison de son ingratitude.

 

Apres que Mazarin, secondé du concours de
la Reyne, qui ne luy manquera iamais, se sera
defait de son A. R. comme il n’est que trop visible
apres ce raisonnement ; la plus difficile defaite ;
c’est à dire, celle de sa Majesté Regente luy
restera sur les bras. Il est vray que ie ne le croy pas
si mal auisé, que de m’imaginer qu’il permette
d’abord à son ambition, de precipiter si tost l’execution
de cette temeraire entreprise ; parce que
ie sçay fort bien que la plus grossiere prudence
luy fera comprendre, que les tendresses naturelles
des enfans pour leur mere, conserueront encor
à la Reyne vn empire absolu sur toutes les
ieunes inclinations de son fils ; & que le Roy quelque
majeur qu’il soit ; regardera sa Maman en
qualité de Regente pendant quelque temps, sans
la choquer aucunement en pas vne des volontez,
qu’elle luy témoignera pour l’execution de ses
desirs Si bien que le Mazarin seroit, ou le plus fol,
ou le plus mal conseillé de tous les hommes, s’il

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entreprenoit d’abord d’effacer de l’esprit de ce petit
Prince, le souuenir des tendresses qu’il auroit
eu pour sa Mere Regente, parce qu’infailliblement
il arriueroit que ces brutales impressions ne
trouueroit iamais de place dans la douceur d’vn
ieune naturel ; & que le Roy ne s’effareroit pas
moins contre ceux qui donneroient vn mauuais
visage à la Reyne par leurs calomnies ; qu’il cheriroit
de bon cœur tous ceux qui la luy rendroient
plus agreable par vne veritable amplification
de ses Eloges : Ainsi ie ne doute pas que
Mazarin ne s’estudie encore pendant quelque
temps de la maiorité, à ménager sagement les affections
de la Regente, tant afin de s’ancrer plus
profondement par ce moyen dans celles de son fils
pour s’en preualoir à son temps ; que de peur d’en
dechoir, s’il venoit à perdre la faueur de leur intendante.

 

Mais dés que le Roy commencera de gouster
le plaisir qu’il y a de viure en absolu, & de ne dependre,
ny par obligation, ny par complaisance
des inclinations d’autruy ; dés qu’vn âge tant soit
peu auancé, ne luy laissera plus regarder sa mere
que comme vn obiect, que les tendresses d’enfant
ne luy feront plus cherir auec tant de soin, ie pense
qu’il ne sera pas trop difficile de luy faire presler
les aureilles à toutes les suggestions qui pourront
la flatter du costé de l’ambition qu’il aura de secoüer

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le ioug apparent ou réel de toute autre authorité.
C’est pour lors que Mazarin ne perdant
point temps, ou n’attendant peut estre pas, comme
il est tres-probable que le Roy fraye le chemin
à son dessein par ces premieres dispositions,
s’éforcera, ou bien immediatement par sa bouche,
ou mediatement par l’entremise de ceux qui
l’aprocheront par ses ordres, de luy faire gouster
insensiblement, le plaisir qu’il y a de viure en absolu ;
de luy donner à entendre que l’independance
est la plus veritable marque de la Royauté ; de
luy faire conceuoir qu’il est important pour se faire
craindre, que les peuples ayent cette idée de
luy, qu’il sçait vouloir souuerainement tout ce
qu’il veut ; de luy montrer que le sang des parens
ou des alliez, ne soumet les Monarques qu’à considerer
ceux qui le touchent de prés, comme les
plus illustres Sujets de sa Couronne, de luy effacer
de l’esprit toutes les idées de soumission, que
les tendresses d’enfant luy pourroient auoir donné
pendant qu’il estoit pupille, pour ne luy laisser
que celles d’vn independant, de luy remplir
la pensée de mille ambitieux desseins, qui luy flateront
l’imagination, & luy rempliront tellement
son cœur, que les tendresses ne trouueront plus
le loisir de nourrir les sentiments de leurs premieres
inclinations.

 

Ces sentiments, quoy qu’on en dise, ne sont

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que tres conformes à ceux qu’vn souuerain doit
conceuoir de son authorité ; & la Reyne mesme
bien loin d’en entrer en jalousie, sera peut estre
la premiere à conspirer auec son Mazarin, pour
les faire gouster à son fils : Mais enfin il ne se peut
que le naturel de ce Prince n’en reçoiue de nouuelles
impressions, qui luy feront regarder la souueraineté
d’vn autre œil ; & qui luy faisant faire
de plus serieuses reflections sur la grandeur de son
pouuoir, luy donneront d’autant plus de degoust
de la dependance, que plus il se verra flatté par
les allechements de regner en independant. Aussi
ne faut-il point douter que Mazarin le considerant
dans vne plus noble presomption de son authorité,
ne recharge derechef sur son esprit, pour
en effacer entierement tout ce que les tendresses
y pourroient encore auoir de part, & ny laisser
que les seules idées de sa souueraineté : Pour cet
effet, il seduira si bien l’esprit de la Reyne, qu’il
l’obligera de porter son fils à des resolutions apparemment
bien concertées, & en effet tres-dangereuses,
lesquelles reussissant tousiours à la honte,
& au desauantage du Roy, soit par leur mauuaise
œconomie, soit par les secrettes menées de
ce perfide, luy donner ont infailliblement du dedain
de sa conduitte ; & le dessein de ne se gouuerner
plus par ses conseils : pour lors Mazarin
prenant adroitement son temps, se sentira obligé

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comme il n’aura sans doute pas manqué de précaution
pour cet effet de trouuer quelque resource
à la reparation de la gloire que le Roy aura perdu
dans ce mauuais succez, afin de placer son iugement
d’autant plus haut dans l’estime de ce Prince,
que plus il verra que celuy de la Reyne y sera
raualé, & se faire dautant plus rechercher dans l’execution
& dans l’œconomie de toutes les entreprises,
que plus on reconnoistra par le succez
qu’il y sera le plus clair-voyant.

 

Cette mal-heureuse intrigue n’aura pas plutost
reüssi qu’il s’auisera de reconnoistre toutes les inclinations
du Roy, afin d’obliger la Reyne sous
vn faux pretexte de prudence, de choquer celles
ausquelles il le verra le plus attaché, en luy faisant
voir par des sentimens tout à fait contraires, qu’il
se conduira bien moins par iugement, que par
caprice : d’où il arriuera qu’vne raisonnable peur
d’estre tousiours subiect à respecter, ou à choquer
les sentiments de la mere, obligera le fils d’en secouer
le ioug, afin de ne viure plus dans cette seruitude,
à laquelle il sembleroit tousiours deuoir
estre soumis par le seul motif de sa complaisance.
I’adioute à cette reflection, que Mazarin sçaura
bien remarquer les ieunes Seigneurs, vers lesquels
la faueur du Roy panchera, afin de donner de
l’ombrage à l’esprit de la Reyne, en luy faisant
voir que ces mignons commençants, ne pourront

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gagner si profondément les affections de son fils,
qu’auec vn danger euident de la faueur, que la
qualité de mere luy deuroit conseruer dans son
cœur ; & l’obliger par mesme moyen de faire
iouër toutes les batteries de la jalousie, pour renuerser
ces nouueaux heureux : de dire que cela se
puisse faire sans des violences, qui rendront la
Mere, ou facheuse, ou insupportable au Fils, ie
ne le pense pas, du moins c’est le sentiment de
ceux qui sçauent que choquer vn ieune absolu
dans ses inclinations, & vouloir y conseruer vne
bonne place, sont deux choses absolument incompatibles.

 

Cependant le Cardinal Mazarin pour faire
iouër plus infailliblement sa mine ne manquera
pas de rendre la mere plus sensible à tous ces mauuais
traittements du fils, & de la faire tomber par
ces preiugez dans l’apprehension raisonnable de
décheoir de son authorité ; afin de l’obliger par
ce ressentiment à se comporter desormais auec
quelque froideur estudiée, laquelle venant à rebutter
l’esprit du Roy, que ce perfide aura desia
fait préocuper de mille mauuaises idées, sera pour
y decrediter entierement l’ouuriere de sa fortune :
Car enfin tout le monde sçait que dans le
commerce du monde, & principalement dans la
politique des grands, les schismes des amitiez ne
se font iamais, qu’apres que les ressentiments de

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ceux qui se croyent offencez en ont esclatté, par
ce qu’il arriue pour lors que les esprits & de l’offence
pretendu, & de l’offençant s’aigrissent dans
ces reproches ; & que ce dernier s’opiniastrant à
soustenir, ou du moins à deguiser ce que l’autre
pretend verifier par les effets qu’il en a ressenty,
il faut necessairement que du moins vne mortelle
froideur s’en ensuiue, qui sera sans doute le seul
& l’eternel obstacle de la reconciliation, si quelque
puissant ne s’entremet pour y mettre la paix.
le vous laisse à penser si Mazarin se mettra plus
en estat de r’asseurer la posture de la Reyne dans
l’estime de son fils, puis qu’outre qu’il seroit pour
s’y decrediter luy-mesme en choquant les inclinations
de son Maistre, ses interests ne luy feront
plus esperer aucun aduantage de la faueur de cette
illustre disgraciee, pour l’obliger de trauailler
à sa reconciliation.

 

La Reyne qui ne se doutera point encore des
trahisons secrettes de son fauory, parce qu’elle ne
le iugera point capable d’vne si grande lacheté,
apres tant d’obligations receuës, s’imaginera sans
doute qu’elle pourra trouuer quelque resource à
ses affaires par son entremise : pour cet effet elle
interessera son credit & ses intrigues, & l’obligera
de s’entremettre vigoureusement pour la restablir
dans la possession absoluë de toutes les volontez
de son fils : C’est à ce coup qu’il faudra que

-- 23 --

Mazarin se declare, ou par la froideur auec laquelle
il se comportera dans cette reuanche d’affection,
ou par le desdain qu’il en fera ; ou par les
conseils violents ausquels il voudra secrettement
porter l’esprit de la Reyne, ou par l’infidelité des
menées qu’il fera souz main pour la destruire plus
promptement ; dont cette pauure Princesse venant
à auoir le vent, par le soin particulier que
sa mauuaise fortune luy donnera d’estudier plus
exactement toute la conduite de ce perfide ; il arriuera
necessairement qu’apres en auoir découuert
la fourbe ; elle en fera produire des ressentiments,
qui ne pourront éclatter, que pour acheuer de
rompre le nœud de l’vnion qui restera encor entre
eux deux : Cette diuision fera leuer le masque
au Mazarin, pour ne sapper plus qu’à découert
les foibles fondements de la faueur de la Reyne
dans l’esprit du Roy, en luy faisant entendre, que
ce pretexte de mere, dont elle se couurira sans cesse,
captiuera tousiours le pouuoir de sa Majesté ;
qu’il faudra se soumettre constamment à ne la
choquer point, ce qui ne se pourra sans viure dans
la dependance de ses volontez, ou du moins à
n’entendre iamais que des plaintes & des iniustes
ressentiments de se voir mal traittee, ce qui sera
sans doute incompatible auec le repos de sa Majesté ;
qu’il n’est rien de plus foible que le conseil
d’vne femme ; rien de plus attaché afin qu’on le

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suiue, rien de plus broüillon, lors qu’on vient à l’e
choquer, & que pour cette raison il est expedient
pour le repos public, qu’on ne leur laisse point
l’entrée dans les deliberations d’Estat ; & que ces
motifs par consequent doiuent estre assez pressans
dans l’esprit de sa Majesté, pour la faire consentir
à contenter sa mere de quelque illustre appanage
qui puisse fermer la bouche à tous les reproches
que le pretexte de mere luy pourroit
suggerer.

 

Mazarin est bien méconnoissant ; mais est-il
possible me dira quelqu’vn qu’il puisse porter son
ingratitude iusqu’à ce point, que de choquer si
outrageusement celle qui se met en danger aujourd’huy
d’encourir toute la haine de l’Estat,
pour le faire subsister : Il est vray que ie formerois
ce mesme doute, si ie ne voyois apres quelques
reflections préalables, & la présupposition
infaillible que cet estranger est vn homme qui
n’agist que par interest ; que la conioncture du
temps rendra pour lors cet intrigue necessaire ; &
que l’ambition, la crainte, & la complaisance luy
feront fermer les yeux à tant d’obligations passées,
pour ne luy laisser regarder que les dangers
de sa fortune presente, & l’esperance d’vn rang
plus esleué, s’il peut esloigner du gouuernement
de l’Estat, celle qui l’y a conduit par le marchepied
mesme de sa propre gloire.

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Pour ce qui touche l’ambition, ie pense que
tout le monde voit assez que Mazarin n’aura pas
grand peine de se detacher du party de la Regente,
auquel il ne se sera iamais engagé que par le motif
de ses interests particuliers, lors qu’experimentant
son impuissance à luy pouuoir desormais estre
que fort inutille, il verra qu’il ne sera plus en
estat de rien esperer par la faueur de son entremise ;
& qu’vn attachement opiniastre pour embrasser
son party, sera plutost pour reculer, que pour
auancer les progrez de sa fortune : Ainsi son ambition
desraisonnable, se ioignant à l’ingratitude
de cette idée, il ne faut point douter que le dessein
execrable de se defaire de l’ouuriere innocente de
sa haute fortune, ne soit bientost pris ; & que cét
ingrat n’ait bien-tost conclu à la perte de celle
dont sa protection est peut-estre le seul, ou le plus
énorme crime, afin d’auoir l’honneur de gouuerner
vn Roy sans compagnon, & de viure independamment
de toutes les complaisances ausquelles
il seroit obligé par l’apprehension d’vne ingratitude ;
s’il arriuoit que la Reyne ne bougeast
iamais d’aupres de son fils. Les diseurs de Chapelet
seront encores assez simples pour ne croire pas
que Mazarin soit capable d’vne si noire lascheté ;
Mais les Politiques sçauent fort bien que l’ambition
fait fermer les yeux à toute sorte de reconnoissance ;
qu’en matiere d’Estat on ne considere

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que ses interests ; qu’il n’est point de marchepied
sur lequel on ne pisse monter sans scrupule pour
éleuer sa fortune ; que le dessein de se faire absolu
ne reconnoist point de Loy ; que tout crime est
pardonnable à celuy qui ne s’en sert que pour en
faire les marches de sa grandeur ; & qu’ainsi Mazarin,
en trahissant la Reyne pendant la Maiorité
pour degager sa fortune de la dependance de ses
volontez, ne fera que ce qu’il faudroit qu’elle
attendist de tout autre homme d’Estat, qui fut
encore plus homme de bien que luy : iugez si le
plus méchant ou le plus décrié des mortels sera
si religieux, que de ne mettre point en pratique
la Doctrine de ces maximes abominables.

 

Ce motif neantmoins que ie viens de donner
à l’ingratitude de Mazarin, luy est commun auec
toutes les personnes d’Estat, parmy lesquels l’ambition
preside auec tant de souueraineté, qu’il
faut absolument que tout ploye sous ses ordres,
lors que l’esperance luy fait entreuoir quelque accroissement
à la faueur de ses intrigues. Mais il
faut faire agir Mazarin par des raisons particulieres ;
ou qu’il empruntera du moins particulierement
de sa Politique : & pour cét effet ie pense
qu’estant assez clair-voyant & le plus malicieux
de tous les hommes, il verra que l’amour de l’independance
iettera bientost le Roy Majeur dans
le dégoust de la seruitude, qui le captiue par

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complaisance sous les volontez de sa mere ; &
que cette maistresse enuie de regner en absolu,
non moins en apparence qu’en effet, le portera
sans doute à n’estudier plus auec tant de soin,
le desir de la contenrer ; ce qui l’obligera infailliblement
d’en tesmoigner des ressentimens, qui
ne pourront éclater que pour seruir de planche à
quelque retraitte, & de pierre d’achopement, ou
descueil à la fortune de ceux qui se trouueront, ou
que sa Majesté jugera deuoir estre engagés à son
party. C’est pourquoy Mazarin preuoyant de
bonne heure cette necessité, se detachera insensiblement
de l’vnion qu’il a maintenant auec la
Reyne, à mesure qu’il se fortifiera dans la faueur
du Roy ; & fera tant, non moins par ses suggestions
que par ses secrettes menées, qu’il sera la
principale cause du schisme d’entre la mere & le
fils, afin que la diuision venant à se faire, il ne
soit point compris dans le desastre de la disgraciée,
à raison de cette connoissance prealable dont il
aura preocupé l’esprit du Roy, que non seulement
il ne sera point attaché à ce party, mais que mesme
il aura esté le principal moteur de cét eloignement.

 

Ie fortifie cette Politique d’vne suitte de raisonnement,
qui la rendra bien encore plus receuable,
si mon lecteur veut prendre la peine de considerer,
que Mazarin ne doit point s’opiniastrer à faire

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valoir la conduitte de la Reyne, & à paroistre
visiblement son premier fauory s’il pretend aspirer,
comme il n’est que trop visible, à l’honneur
d’estre premier Ministre du Roy Maieur ; parce
que cette estroitte vnion feroit que ce ieune Prince
ne se dégousteroit pas plutost de l’vn que de
l’autre ; & que la resolution de se defaire de la mere,
comprendroit par mesme raison son fauory,
comme celuy que la reconnoissance sembleroit
obligé, supposé qu’il subsistast, de trauailler toûjours
au restablissement de celle qui l’auroit éleué :
Ainsi la prudence, ie veux dire la prudence de
Cour gouuernant Mazarin, luy fera aprehender
de se faire craindre pour vn importun dans l’esprit
du Roy, s’il ne se precautionne contre ce danger,
en luy faisant entendre tout le premier, qu’il ne
faut plus viure dans la dependance des conseils
d’vne mere, ny mesme dans l’apparence de cette
seruitude, pour regner veritablement en Roy.

 

On peur encore adjouter à cette reflexion, celle
que Mazarin fera sur l’esprit du Roy, lequel se
voyant absolu, & par consequent en estat de pouuoir
faire des fauoris au gré de ses inclinations,
seroit peut-estre pour en chosir quelqu’vn, qui
croyant la subsistance incompatible auec celle de
ce vieux Ministre, ne manqueroit sans doute pas
de le rendre indifferend ; c’est à dire de le perdre
dans l’esprit du Roy : ce qui luy seroit d’autant

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plus facile, que plus il y trouueroit de disposition
par le moyen de l’impatience que ce ieune Prince
auroit d’estre quasi soumis à la conduitte de deux
testes ; & de voir sa Souueraineté comme dans la
dependance de leurs conseils, ou comme dans
vne seruitude partagée à plusieurs, auec le mesme
décry de son authorité, que si veritablement il
releuoit sans dispense des ordres de leur disposition.
C’est pour quoy Mazarin, pour faire disparoistre
au Roy cette idée aparamment veritable
de sa dependance des conseils de deux testes, s’efforcera
par toutes sortes de moyens, par fourbes,
par intrigues, & par l’entremise mesme de la Reine,
de preocuper entierement l’esprit du Roy de
la necessité indispensable de sa conseruation, comme
de celuy qui seul sera capable de desbroüiller
les conjonctures de tant d’affaires, afin que s’y
estant placé à l’épreuue de toute sorte de calomnies,
il puisse plus heureusement en faire déchoir
celle dont la compagnie rendroit sa conseruation
ou douteuse, ou bien plutost entierement impossible.

 

Enfin pour terminer tous les motifs que la meconnoissance
pourra suggerer au plus meschant
des mortels, pour perdre celle qui n’estant plus
Regente, luy paroistra par consequent impuissante,
dangereuse & importune ; ie croy que ie puis
adjouter que le Ciel en permettra le funeste succez ;

-- 30 --

& que voulant conseruer cette incomparable
Princesse dans le nombre de ses esleus, il la
laissera tomber dans la reprobation exterieure,
pour luy donner le loisir de se reconnoistre, & de
payer du moins de ses larmes le grand nombre des
crimes qui se commettent auiourd’huy, pendant
qu’elle sembleroit y pouuoir porter quelque peu
de remede ; si toutesfois elle vouloit ne s’opiniatrer
pas tant à la conseruation de celuy qu’elle
porte contre les sentimens de tous les gens de bien
de l’Estat. Pour Mazarin, ie pense que si le Ciel
en veut faire l’Atilla de ce temps, il en fera vne
exemple à la posterité, le faisant sacrifier à la haine
publique, lors qu’il aura parfaitement éclairé nostre
Majeur, pour luy faire voir que ce mauuais
Ministre est la cause vniuerselle de tous les desordres
qui ont troublé le repos de la France pendant
sa minorité.

 

Mais ie souhaitterois auec toutes les passions
que i’ay, & que ie dois auoir pour la conseruation
de sa Majesté Regente & de son Altesse Royale,
qu’ils entrassent vn peu serieusement dans ces reflexions
que ie viens de faire ; & qu’ils considerassent
que Mazarin ne les respecte que par necessité ;
qu’il n’est attaché à eux que par le lien de ses
interests ; qu’il s’en sert comme de deux planches
sur lesquelles il veut se conduire iusqu’à la Maiorité,
& comme de deux citadelles, où il se met à

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l’abry des coups que la haine publique descharge
contre leurs sa crées personnes, ou comme de deux
boucliers qui reçoiuent tous les traits des medisances
de tous les oppressez ; qu’il leur defere
maintenant pour leur commander puis apres auec
plus de gloire ; qu’il les regarde à present comme
les Dieux de son bon-heur, pour en faire à la fin
les plus illustres marchepieds de sa grandeur ; que
pendant qu’il soumet ses yeux à leurs pieds, il éleue
son cœur sur leurs testes ; qu’ils ne se font haïr
que pour conseruer celuy qui pretendra peut estre
se faire aymer vn iour en les perdant ; que pendant
qu’on attaque Mazarin sous des inuectiues
explicites, on attaque implicitement leurs personnes
sacrées ; qu’ils se chassent de tous les cœurs
domestiques, pour se conseruer vne place dans
vn estranger ; qu’ils tiennent l’écran pour empescher
que Mazarin ne se brusle ; qu’ils portent le
parasol pour le defendre des injures du temps ; &
qu’en fin ils secondent l’injustice de la fortune, en
soustenant celuy qu’elle n’a esleué que pour faire
voir qu’elle est la dispensatrice souueraine des
grandeurs, puis quelle a le pouuoir d’y placer vn
homme de neant & de l’y maintenir par l’entremise
de deux heros.

 

Si la Reyne vouloit prendre la peine de faire
vn peu de reflexion sur ces veritez, elle en gouteroit
sans doute les auantages ; & verroit qu’il

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ny auroit pas moins de gloire d’abandonner le
party de celuy dont elle soustient la cheute malgré
toutes les forces de l’Estat ; que dauantage à le sacrifier
à la haine publique, pour se remettre dans
la mesme estime qu’elle auoit autresfois, & dont
elle n’est d’écheuë que pour auoir voulu faire subsister
la fortune de ce mal-heureux fauory. Mais
ie voudrois principalement qu’elle empruntast les
motifs d’vne si digne resolution, des connoissances
que l’experience du genie de son Ministre
luy peut auoir donné ; & qu’elle remarquast que
cét Italien n’ayant iamais agy que par les maximes
de son ambition & de son interest, quelque
obligation qu’il eut bien souuent de regler sa politique
sur des idées plus genereuses, elle ne pourra
que fort temerairement esperer, qu’il se comporte
autrement en son endroit, lors que la maiorité
luy fera voir vn degré de grandeur plus éleué
que celuy qu’il possede maintenant : Elle sçait
fort bien que l’interest & l’ambition luy ont fait
opposer des obstacles à la paix de Munster, pour
acheuer de perdre la France qu’il auoit neantmoins
si bien seruie deuant Cazal ; que les mesmes
motifs luy ont fait abandonner le secours de
Naples pour y faire perir le Duc de Guise, en haine
de ce que les Napolitains l’auoient prefere à
Frere Michel, Iacobin de la grand manche, Cardinal
de Sainte Cecile, que Mazarin leur vouloit

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donner pour Vice-Roy, quelque engagement
d’amitié particuliere neantmoins qu’il eust auec
cet illustre Prince, que pour assouuir la rage de
ces deux tyrans des esprits, il a obligé le Duc de
Mantouë de rompre auec la France, & de s’allier
à l’Espagne, parce qu’il auoit refusé les offres
qu’il faisoit de luy rendre Cazal s’il vouloit épouser
vne de ses niepces ; que l’interest luy a fait hasarder
la perte de l’alliance du Grand Seigneur, si
necessaire à la France, autant que redoutable à
l’Espagne, en ce que contre le droict des Gens,
il a fait voler par le Cheualier Paul quelques Marchands
Armeniens qui vogoient sur la Mediteranée ;
que le souuenir d’vne amitié contractée
de longue-main auec le Comte de Chauigny,
pendant qu’il auoit besoin de ce grand genie, pour
s’establir dans la France, ne l’a point empesché de
le faire disgracier dés qu’il s’est veu en estat de se
passer de luy ; enfin, que l’interest & l’ambition
ont tousiours tellement preualu dans son esprit,
qu’ils luy ont fait fermer les yeux à toutes les considerations
de generosité pour ne les ouurir qu’aux
seuls aduantages de ses interests, & ne regarder
que ce qui pourroit ou remplir ses finances,
ou seruir d’acroissement à l’éclat de sa grande fortune,

 

Il ne faut pas que la Reyne attende de Mazarin
quelque coup de generosité de sa faueur ; & qu’elle

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espere que celuy qui n’a iamais fait que des lachetez
contre ses bienfaicteurs, mette quelque
reforme à son naturel, pour la traitter elle seule
auec toutes les reconnoissances qui peuuent estre
dignes de sa protection. L’ambition ne luy montrera
pas plutost vn rang par dessus sa teste, qu’il se
seruira mesme de sa personne Royale pour en faira
le marchepied de son éleuation : l’interest ne
luy fera pas plutost entreuoir quelque progrez
dans quelqu’autre party, qu’il s’y iettera sans
marchander en aucune façon, quelque obligation
qu’il ait de mourir dans celuy qui l’a éleué ;
& sa Majesté Regente peut bien s’asseurer apres
ces reflexions, que comme Mazarin n’est à elle,
que parce qu’elle est souueraine dans l’Estat, il fera
sans doute bande à part, lors que la Maiorité
de son fils la fera retomber dans la dependance :
outre que toutes les Loix de la politique l’obligeront
de ne demeurer point dans le party de la Reyne,
lors que l’impuissance de l’y soustenir genereusement
ne sçaura point le mettre à l’abry des
assauts que tous les mécontans feront contre luy
sur l’idée qu’ils auront que n’estant plus appuyé
que par vn bras foible, il ne sera par consequent
pas plus en estat de les rembarrer : & cette seule
consideration sera capable de rompre le nœud qui
fait aujourd’huy ce grand attachement de Mazarin
aux interests de la Reyne, pour tâcher de s’engager

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aussi estroittement auec ceux de celuy qui
ne sera plus Mineur.

 

Si sa Majesté Regente aime ses interests comme
elle doit sans doute les preferer à tous autres, ie
pense que ces motifs seront assez pressans pour l’obliger
à preuenir les funestes effets de la plus noire
ingratitude du monde, en se defaisant de bonne
heure de celuy qui en doit estre l’autheur ; & le
sacrifiant genereusement à la haine publique, pour
n’en estre plus elle mesme l’objet. C’est par ce
moyen qu’elle obligera les Princes de porter hautement
son party par le seul motif de leur reconnoissance,
lors qu’ils considereront que sa Majesté
Regente les ayant defaits de leur plus grand
ennemy, & du persecuteur infame de leur Auguste
Corps en la personne des Princes du Sang,
qu’il a iniustement emprisonnez ; les aura par mesme
raison engagez à se consacrer inuiolablement
à son seruice : C’est par ce moyen qu’elle vengera
le Clergé de tous les affrons qu’il pretend iustement
auoir receus de celuy que les simonies, les
troqcs, les permutations illicites, les reserues des
pensions criminelles dans la distribution des Benefices,
ont fait depuis long-temps l’objet sacrilegue
de ses indignations. C’est en proscriuant la
teste de cét ennemy commun, que toute la robe
l’a mettra à couuert de toutes les menasses de la maiorité,
en reconnoissance des obligations que tous

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les Parlemens de France auront à sa Iustice, pour
auoir enfin conclu à la perte de celuy, lequel
ayant fait traistreusement mourir le President
Barillon, a fait assez manifestement connoistre
qu’il en vouloit mortellement à la Robe, puis
qu’il en esteignoit l’ornement & la lumiere.

 

C’est par cet acte de Iustice qu’elle vangera les
manes du Mareschal de Rantzau, la gloire du Mareschal
de la Mothe, que Mazarin a fait iniustement
emprisonner, & qu’elle engagera par mesme
moyen tous les gens d’épée à son party par la
seule consideration qu’ils auront de prendre part
à la reconnoissance de ceux, que les victoires ont
iustement placé dans le nombre de leurs plus illustres
Generaux. C’est en étouffant cette sang-suë
de la pure substance de tout cét Estat, qu’elle fera
crier à tous les peuples, Viue Anne d’Austriche ;
qu’elle reünira tous les partages, auec leur Souuerain ;
qu’elle rapellera l’intelligence des trois
Estats dans la Monarchie ; qu’elle étouffera les
naissances de mille diuisions qui nous menacent
tous les iours ; quelle fera satisfaction de plus de
cent million de crimes, dont elle s’est renduë en
quelque façon responsable, par l’authorité souueraine,
qu’elle a laissé entre les mains de celuy
qui en est l’autheur ; & qu’elle semera l’abondance
des biens dans cét Estat, pour en esperer les
moissons à l’entrée de la majorité : C’est enfin en

-- 37 --

sacrifiant Mazarin aux vengeances publiques,
qu’elle fera connoistre à la France que sa protection
passee n’a esté qu’vn pur effet de son aueuglement ;
& qu’elle rentrera dans les affections
generales de tous ses bons subiets, puis qu’elle en
ouurira la mesme porte, par laquelle elle en est
sortie.

 

Les motifs que ie voudrois donner à S. A. R.
pour le faire conspirer à la gloire de ce sacrifice, ne
sont autres que ceux que ie viens de presenter à sa
Majesté Regente, si ce n’est que ie souhaitterois
auec toutes les passions de mon ame, qu’il fist vn
peu de reflection sur les glorieux titres d’oncle
vnique du Roy, de Lieutenant General de cet
Estat, & de Conquerant, & qu’il considerast, que
le premier l’interesse à la reparation de la gloire
que son neveu a perdu, dans les funestes necessitez
de traitter honteusement auec ses propres subiets,
ausquels il a esté desia plusieurs fois reduit
par les imprudences, ou par les opiniastretez de
son premier Ministre ; qu’il est obligé par les motifs
du second de suppléer à l’impuissance de son
Souuerain, & témoigner, en perdant l’autheur
de la desolation de tout son Estat, qu’il n’a point
esté complice de toutes les malversations qu’il y a
commis ; & que le troisiéme le doit faire entrer
en des sentiments de vengeance dignes de sa personne,
pour sacrifier le marchand de toutes ou

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d’vne bonne partie de ses conquestes à la haine
publique ; & si ces motifs ne sont pas assez cõuainquants
pour le faire conclure à sa perte qu’il considere
du moins, pendant que le Ciel par le suffrage
de tous les gẽs de bien ; la terre par la bouche
de tous les meilleurs politiques ; & l’enfer mesme
par les sentiments des plus impies, fulminent sur
sa teste, qu’il n’est pas iuste, que son A. R. prostituë
son authorité, pour seruir de bouclier à Mazarin
contre toutes ses attaques.

 

Apres toutes ces grandes raisons que ie viens de
suggerer à sa Majesté Regente, & à son A. R.
pour leur faire voir qu’ils sont obligez de proscrire
la teste de Mazarin, ie les supplie auec tous les
Subiets d’Estat, par la sacrée personne de leur fils
& ne veu, nostre aimable Monarque ; par la consideration
qu’ils doiuent auoir de leurs propres
interests ; par les belles esperances d’vne triomphante
majorité ; par les prieres de tous les gens de
bien, par les larmes de tous les oppressez, & par
tout ce qu’ils peuuent auoir de plus cher dans cette
Monarchie, de rendre au Roy, à eux-mesmes,
& à la France la liberté tant desirée, & tant necessaire
de Messieurs les Princes ; de remporter
vne infinité de victoires en abregé ; d’ébranler les
meilleures citadelles de la Flandre, en faisant ouurir
les portes de celle du Havre ; d’étouffer les
naissances des grandes seditions qui menacent cet

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Estat pendant les restes de la minorité ; de faire
porter le dueil à tous nos ennemis, pendant que
nous allumerons dans nos places publiques vne infinité
de feux d’alegresse ; de redonner son premier
éclat à la Cour Françoise par le restablissement
des Princes, dont la presence sans doute la rendra
plus florissante du monde ; & de donner la chasse
à tous ces infames Partizans de Mazarin, à ces pestes
de Cour, à ces chiens couchants de la faueur,
à ces lubriques estalons de la tyrannie, à cette
mal-heureuse engeance de Pigmées bouffis de leur
fierte, à ces tyranneaux de nos libertez, & pour
conclurre en vn mot, à ces ennemis de tous les
honnestes gens, qui donneroient iuste suiet à
quelque estranger, de croire que la cour de Neron
reuiuroit en France, si nous n’auions moyen
de leur faire voir vn Auguste, beaucoup plus remarquable
pour les esperances qu’il nous donne,
que cet ancien Coriphée des Empereurs Romains.

 

FIN.

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Anonyme [1651], LE MANIFESTE DE LA REINE REGENTE ET DE MONSEIGNEVR LE DVC D’ORLEANS Touchant la disgrace du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2358. Cote locale : D_1_49.