Anonyme [1649], DESCRIPTION BVRLESQVE Du Combat Naual des Venitiens, & des Turcs. AVEC LA SOLEMNITÉ DV FEV de Ioye fait par Mr l’Ambassadeur de Venize, deuant le Pont des Tuilleries à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_1055. Cote locale : C_2_47.
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DESCRIPTION BVRLESQVE
du Combat Naual des Venitiens,
& des Turcs.

Auec la solemnité du Feu de Ioye fait
par Mr l’Ambassadeur de Venize,
deuant le Pont des Tuilleries
à Paris.

 


SI iamais dans le sort des armes,
Parmy la gresle & les allarmes,
Des canons, bruslons & mousquets,
Les Turc ont esté attaquez
Par l’Armée Venitienne,
Auec vne ardeur souueraine ;
Ce fut en ce combat naual,
Dessus la pointe & le canal
De cette Mer qui tout rauage,
C’est là que le rare courage,

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Des Soldats des Venitiens,
Força par des diuers moyens
L’armée des Turc à se battre,
La Mer seruit d’Amphitheatre,
Le Ciel retira son rideau,
L’air se mesla mesme l’eau,
Durant le choc de la bataille,
On frappoit d’estoc & de taille,
Et les canons dans cet assaut,
Pour ne faire voir du defaut,
Vomissoient des feux & des flames,
Qui deuoient effrayer leurs ames ;
Mais le sang qui brusloit leurs cœurs,
De se rendre des Turcs vainqueurs,
Les rendoit sans peur & sans crainte,
La rage dans leur sein empreinte,
Les animoit dans ce combat,
On eut creu que chaque Soldat
Estoit vn Neptune sur l’Onde,
Et le Soleil faisant sa ronde,
Auoit peur mesme dans les Cieux,
Que son chariot si glorieux

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Ne tombast de frayeur sur terre,
On n’a iamais veu telle guerre,
Laquelle pour bien dessigner,
Il faudroit pouuoir tesmoigner
Du dessein de ces deux armées,
Reciproquement animées :
Neantmoins pour vous contenter,
Ie desire vn peu m’arrester
Dessus leurs premieres attaques,
Où sans pourpoint & sans casaques
Chacun d’eux faisoit son effort,
Pour pouuoir euiter la mort,
Et pour remporter la victoire
Dessus la Mer qui ioint la noire,
Et sans faire vn plus long discours,
Vous sçauez qu’apres quelques iours,
Qu’vn Bachat de Constantinople,
Vestu de couleur de synople,
Portant sur son chef vn Turban,
Qui faisoit peur au Mont Liban,
Eust mis sur Mer plusieurs Nauires,
Pleines de Turcs & de Satyres,

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Armées d’vn puissant canon,
Pour rendre immortel son renom,
Le grand General de Venise.
Animé d’vne gloire exquise,
Mit en ordre tous ses vaisseaux
Et ses nauires sur les eaux.
Apres par vne douce harangue
De sa docte & mignarde langue,
Il encourageast ses soldats,
A ne craindre point le trespas :
A l’instant il les vit resoudre,
De mettre tous les Turcs en poudre :
Ils s’aduancent donc sur la mer,
A dessein de les abysmer ;
A peine l’armée Turquesque,
Que l’on peut appeller Burlesque
Eust paru deuant nos Chrestiens,
Qu’ils firent voir par leurs maintiens,
Qu’ils estoient resolus d’abattre
Les Turcs, bien qu’ils parussent quatre,
Pour vn de nos Venitiens,
Alors sur les chants Airiens,

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On fit resonner les trompettes,
Vous eussiez creu que les tempestes
Auoient peur de nos bons guerriers,
Qui pour acquerir des lauriers,
N’espargnoient leur sang ny leur vie,
Excitez d’vne iuste enuie
De mourir plustost mille fois,
Que de ne reduire aux abbois
L’armée du Turc & du More,
Ce fut sur le poinct de l’aurore,
Qu’ils ruerent leurs premiers coups
Sur les Turcs comme sur des loups,
Qui se mirent dans la defence,
Saisis d’vne vaine esperance
D’auoir dans ces rudes combats,
Le prix sur nos vaillans soldats,
Au commencement la victoire,
Rendoit incertaine la gloire
De ces ennemis combattans,
Neantmoins apres quelque temps,
Le Ciel qui s’arma d’vne foudre,
L’obligea d’enfin se resoudre

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D’estre du party du Lion,
Pour dompter la rebellion
Du Croissant trop fier & barbare,
Et qui se monstre trop auare,
Lors que sans droit & sans raison
Il s’en prent contre la Toison
De sainct Marc grand Euangeliste,
La victoire dont suit la piste
Des Venitiens genereux
A l’instant les mois affreux,
Et les Turcs de chaque nauire,
Commencent à sentir du pire,
Le Canon coule sous les eaux
Leurs nauires & leurs vaisseaux,
Les corps de ces barbares hommes,
Ressentent les mortelles Pommes
La nuict paroist pleine de feux,
Et semble faire du refeux
Pour permettre qu’en ses entrailles
On celebre les funerailles
De ces infideles mortels,
Ennemis de nos saincts Autels,

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Et qui voudroient perdre l’Eglise,
Par trahison ou par surprise,
On voit quantité de leurs corps
Augmenter le nombre des morts,
Qui flottent sur le dos de l’onde,
Et le canon qui tousiours gronde,
Ne cesse iamais de tirer
Pour cette armée deschirer.
Nostre General inuincible
Paroist à la mort insensible,
Si bien qu’il pour suit de donner,
Afin de faire resonner
Son nom, tant sur mer que sur terre :
Et pour terminer cette guerre,
L’on void dessous ses estendars,
Ses soldats paroistre des Mars.
Enfin le Bacha pert courage,
Il commence à tourner visage
Lors qu’il voit dans les grands combats,
Morts ou blessez tous ses soldats ;
Pour se sauuer il prend la fuite,
Car la peur son courage luitte.

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Ainsi l’oblige de quitter
Le desir de plus s’arrester.
Ce General doncques remporte,
La victoire de cette sorte,
Tout le bagage & les canons,
Les nauires, les auirons,
Leurs vaisseaux, chalouppes & barques,
Leurs estendars & grandes marques,
Leurs prouisions, leurs tresors,
Et plus de six mille de morts,
Qui paroissent en euidence
Luy restent pour sa recompence,
Nos Venitiens glorieux,
Rendent mille graces aux Cieux,
D’auoir remporté la victoire,
Dont pour celebrer la memoire,
Leur Ambassadeur dans Paris,
Employa les plus grands esprits,
A dresser des feux d’artifice,
Le Ciel pour se rendre propice
A ses bonnes intentions
Et tres-iustes pretentions,

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Permit que selon son enuie,
La ioye s’en soit ensuiuie,
Si grande que les Parisiens,
Les ieunes, & les plus anciens,
Ont assisté dans cette feste,
Laquelle Dimanche fut faite
Enuiron neuf heures du soir,
Ie pretends vous faire sçauoir,
Les particularitez grandes,
Vous sçaurez qu’en diuerses bandes,
En premier lieu l’on auoit mis,
Autour de l’illustre logis
De l’Ambassadeur de Venise,
De gros flambeaux d’hauteur exquise,
Qui brusloient comme des Soleils,
Encor auec grands appareils,
On fit vn festin magnifique,
Les trompetes & la Musique,
Rendoient celebre ce repas,
La ioye qui suiuoit les pas,
Donnoit vn plus haut goust aux viãdes
Et les rendoit bien plus friandes

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C’est-là où les mets plus exquis,
Sembloient auoir esté requis,
Par l’ordre mesme de nature,
Amphion ioüoit par mesure
Pour charmer l’oreille des Dieux
Qui rendoient superbes ces veux,
Par leur Maiesté si superbe
Qu’on peut dire que le prouerbe
Est veritable quand on dit,
Que le Ciel bien souuent predit,
Par des influences sinceres,
Des choses extraordinaires,
On sçait bien que la grauité,
La candeur & sincerité,
Suit tousiours ce grand personnage,
Qui sur le bort & le riuage,
Sur la terre & dessus la mer,
Treuue le moyen de calmer
Par sa prudence tres-auguste,
L’entreprise la plus iniuste,
Ie dis par ma rare candeur,
Que Monseigneur l’Ambassadeur

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A fait voir au siecle où nous sommes,
Que les Venitiens sont hommes,
Dans Paris, & que les Estats
De Venise sont point abbas,
Puisque la Sagesse diuine
Le veut preseruer de ruine,
Ha que i’admire ce grand soin
Qui tousiours excite & qui point
Ce grand Ambassadeur illustre,
Qui doit dans l’espace d’vn lustre
Rendre le Crossant abbatu,
Par la splendeur de sa vertu
Ie veux passer sous le silence,
Les effets de sa preuoyance,
Pour parler auec verité
De sa rare sincerité,
Et du zelle qui l’espoinçonne,
De rendre l’augste Couronne
Des Venitiens dans ses lieux
Plus belle que celle des Cieux :
Parlons donc de son feu de joye,
Pour l’apprendre suiuez ma voye,

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Et vous sçaurez que d’vn costé
Vn grand Pyramide arresté,
Rendoit dans l’esclat de ses lames
De Fleurs de Lys pleines des flammes,
La tintamarre des perriers,
Redoubler par les guerriers,
Commis à cette grande charge,
Rendoient la campagne plus large,
Et mieux remplie des esclairs,
Qui fendoient la voûte des Airs,
Sur vne Tour assez auguste,
Vn tourbillon de feu robuste,
Seruoit de phare & de flambeau,
Tant sur la terre que sur l’eau,
Enuiron plus de trois cens mille
Personnes de l’auguste Ville,
Assistoient auec que plaisir,
Seulement le pressent desir,
De voir tirer ce feu de joye,
Les pouuoit mettre dans la voye
De donner auant que le coup
Esclattât entre chiens & loup,

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Auec vne addresse admirable,
Cette machine redoutable
Parut dans vn instant en feu,
Le dessein qu’on auoit conceu
Est digne de grande loüange :
En premier lieu l’on vit vn Ange
Qui s’humilia doucement,
Pour donner le commencement,
Et le bransle à cette machine,
Incontinent le feu termine,
Et seconde son bon dessein,
Parce qu’il se met dans le sein
Des deux Turcs d’vn double More,
La cruauté qui les deuore
Est domptée par vn Lyon,
Qui couronné d’vn grand rayon,
Les tient enchaisnez sous son Thrône,
Dans Paris tout le monde prosne
La valeur des Venitiens,
Et dans les champs Elysiens
Les plus grands Princes pleins de gloire
Ne chantent que cette victoire,

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Dans ce somptueux appareil,
Qu’on n’a pas fait voir au Soleil,
De peur de le rendre idolatre,
Nous deuons croire sans debattre
Que Dieu protege les Estats
De Venise par ses appas,
Et qu’elle doit mesme sur l’Onde
Restablir vne paix profonde,
C’est le vœu de l’humble candeur
De Monseigneur l’Ambassadeur.

 

FIN.

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