Anonyme [1649], LE COVRS DE LA REYNE : OV, LE GRAND PROMENOIR DES PARISIENS. , françaisRéférence RIM : M0_836. Cote locale : C_2_43.
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LE COVRS
DE LA REYNE :
OV,
LE GRAND PROMENOIR
DES PARISIENS.

 


C’EST trop demeurer en repos,
Ie trouuerois bien à propos,
Ma rauissante Calliope,
Beauté plus aimable qu’Europe,
De nous promener vn petit,
Afin d’auoir plus d’appetit.
Puisque la chaleur est passée,
Passons à quelque autre pensée,
Laissons la plume & le cornet.
Les Liures & le Cabinet.
Ah que i’en ay la teste grosse !
Cocher les Cheuaux au Carrosse :
Hola, quelqu’vn ; où sont mes Gens,
Que ces Coquins sont negligens,

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[illisible] quand on les appelle
Le Barber de Iean de Niuelle.
Laquais, maraud, ça mon manteau,
Verse promptement de cette eau,
Pour rafraichir mes mains qui boüillent
Du grand papier qu’elles barboüillent.
ça mes gands, voy sur ce Bufet ;
Hé bien Caliope, as-tu fait ?
Les femmes sont tousiours les mêmes,
Elles ont des longueurs extrêmes,
Si ce n’est en vn certain point :
ça ie m’en vay, ne vien tu point ?
N’as-tu pas tout ton train fantasque,
Ton mouchoir, ta coëffe, & ton masque.
O Dieux, que tu fais de façon !
Veux-tu plaire à quelque garçon,
Mal-gré ta caduque vieillesse ?
C’est assez d’estre ma Maistresse,
Ne songe qu’à mon interest :
Mais partons, le Carrosse est prest,
Laissons à part ces Railleries.
Cocher tout droict aux Tuilleries,
Allons voir cét illustre Cours,
Où se fait vn si grand Concours
De toutes sortes de personnes,
Laides, belles, mauuaises, bonnes,
Femmes, filles, hommes & tout,
Allons de l’vn à l’autre bout
Voir la drolle plaisanterie
D’vne telle galanterie.

 

 


Ah qu’il fait frais ! ah qu’il fait clair !
Ah qu’il fera bon prendre l’air :
Qu’en dis-tu, chere Caliope,
Toy que sans cesse ie galope,

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Ma diuine Muse aux beaux yeux,
Aga, ma fy, ie t’aime mieux
Auec ton visage à l’antique
Que la beauté plus autentique,
Qui paroisse en toute la Cour,
Pour toy ie brûle nuit & iour,
Et pour iouyr de tes merueilles,
Tu me fais bien souffrir des veilles.
Mais n’importe, ie suis content
D’en souffrir encor tout autant,
Pourueu que tu sois satisfaite
De mon affection parfaite,
Et que i’aye en toy du secours.
Mais nous voicy tantost au Cours :
Ah que de gens ! ah que de bestes !
Ah que de pieds ! ah que de testes !
Se peut-il voir rien de pareil
De l’vn iusqu’à l’autre Soleil.
Toy qui sçais tout, ou par science,
Ou par ta longue experience,
Pour auoir oüy dire ou veu.
Est-il vn pays si pourueu
De tant & de si belles choses ?
Toy qui sçais les Metamorphoses,
Et toutes les Antiquitez
Des Prouinces & des Citez,
La vieille histoire & la moderne,
Qui vois plus clair qu’vne lanterne,
Sans lunette auec tes seuls yeux,
(Encore qu’ils soient chassieux)
Iusqu’au commencement du monde,
Ce que la Nature feconde
A fait de plus rare & plus beau,
Et ce qu’elle fait de nouueau,

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Toy qui fais aller tes visées
Iusques dans les Champs Elisées ;
Ces Champs que tu vois deuant toy
Ne leur feroient-ils pas la Loy ?
Est-il rien dans la Thessalie,
Dans la Grece, ou dans l’Italie,
De comparable à cét aspect,
Pour qui le Ciel a du respect ?
Regarde ces vastes Campagnes,
Regarde ces belles Montagnes,
Ton Parnasse & ton Helicon,
(Sans que ie parle en vray Gascon.
C’est à dire, auec Hiperbole).
N’ont rien qu’vne beauté friuole
Au prix de toutes ces beautez,
Par qui les yeux sont enchantez,
Vois-tu cette charmante Seine ?
Elle vaut bien ton Hippocrene,
Et tous tes Canaux pisseuers.
Vois-tu ces arbres tousiours verds,
Ces incomparables allées,
Si longues & si bien reglées :
Et si sombres que le Soleil
N’y void goutte auec son gros œil
Mais prenons la bonne portiere,
Pour voi la troupe toute entiere,
Et pour auoir tout le plaisir
De contenter nostre desir.
Remarque bien cette merueille,
Qui n’a point ailleurs sa pareille,
Vois-tu le long de ce grand Cours
Vne Ville qui va tousiours ?
Vois-tu ces Maisons vagabondes
Qui roulent ainsi que des ondes,

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Et qui sont vn nouueau Paris,
Qui n’a point d’égal, ny de prix ?
Vois-tu dans ce plaisir extrême
Comment Paris sort de luy-même,
Et comment il y r’entre aprés
Par vn flux & reflus exprés ?
Regarde ces ieunes folatres
Qui font si bien les Idolatres,
Les mourants & les transportez
Pour ces innocentes beautez,
Qui les laissent ainsi morfondre,
Sans auoir le mot pour répondre,
Et ne les contentent, sinon,
D’vn, Ouy, Monsieur, ou bien d’vn, Non.
Vois-tu cette autre plus matoise,
Qui fait la simple & la courtoise,
Et qui se moque dans son cœur
De ce fou qui fait le mocqueur !
Vois-tu cette émerillonnée
A la face vermillonnée ;
Et vois-tu ces Enfarinez,
Comment Diable ils leuent le nez,
Pour considerer ce visage,
A qui le masque est sans vsage ?
Vois-tu cette fausse beauté
Se tourner de chaque costé,
Et ioüer mieux de la prunelle
Qu’vn Soldat qui fait sentinelle,
Afin de surprendre en passant
Quelque malheureux innocent,
Et l’obliger par vne enqueste
De sçauoir le prix de la beste ?
Regarde vn peu ces autres là
Qui font chanter leur Quinola ;

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C’est bien elles-mesmes qui chantent.
Ne crois-tu pas qu’elles enchantent
L’oreille de ce vieil Caton
Auec vn sot Qu’en dira-t’on :
Mais considere ie te prie
L’agreable galanterie
De ce vilain galand nouueau,
Vois-tu comment il fait le veau
Tout estendu dans son Carrosse,
Ainsi qu’vn mort dans vne fosse ?
C’est sans doute quelque esprit fort
Qui réve aux Caprices du sort,
Ou qui medite dans son ame
Sur les rigueurs de quelque Dame
Qui l’a regardé de trauers.
Peut-estre qu’il forge des vers
Pour en former vne Satyre,
Ou pour exprimer son martyre ?
Vois-tu ces autres Rodomons
Qui feroient trembler les Demons ?
Ne diroit-on pas à leur mine
Qu’ils vont mettre tout en rüine ?
Auec ces plumes au chapeau,
Auec ces cordons d’oripeau,
Auec ces terribles moustaches,
Qui les prẽdroit pour des cœurs lâches ?
Mais voicy des Enfarinez
Qui semblent plus effeminez,
Ie craindrois bien peu les épées
De gens faits comme des Poupées,
Et Mars n’a iamais fait grand cas
De ces Mignons si delicats :
Mais voy cette vieille edentée,
N’est-elle pas bien aiustée

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Pour duper vn ieune Estourneau,
Et l’attirer dans le paneau ?
N’est-il pas iuste qu’on en rie,
Baisse ta coëffe, ie t’en prie
Ma Caliope, oblige moy,
De peur qu’on rie aussi de toy,
Sur ton excessiue vieillesse ;
Voicy venir vne Princesse,
Ma chere Muse, la voila,
Baisse la teste, honore la ;
C’est ainsi nostre mode en France
De faire grande Reuerence
Auec toute Ciuilité
Aux personnes de Qualité,
Et le droict veut qu’on s’accommode
Par tout aux Regles de la Mode :
Il faut pour n’estre pas repris
Viure à Paris, comme à Paris,
Et dans Rome, comme dans Rome,
Disoit mon Pere le bon homme.

 

 


Et toy, que dis-tu de ce Cours ?
Il y faut venir tous les iours
Pour voir souuent tant de beau monde ;
Confesse que Paris abonde
En toute sorte de beautez,
De plaisirs & de raretez.
Vois-tu tant de Dames sans nombre,
A qui le iour ne sert que d’ombre,
Et de qui l’éclat sans pareil
Fait fuïr de honte le Soleil ?
Crois-tu que la fameuse Helene
Qui mit toute la Grece en peine,
Quand le beau Paris la vola,
Fut belle comme celle-là ?

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Ie te dis que sa mere Lede,
Fut & de nom & de fait laide,
Au prix de ce visage doux
Que tu vois passer deuant nous.
Regarde cett’autre femelle,
Penses-tu que iadis Semelle,
Qui plût si fort à Iupiter,
Eut cette grace, ny cét air ?
En vis-tu iamais de ta vie
Vne faite comme Syluie ?
La voila rire auec Philis,
Voy leur teint de Rose & de Lys,
Leur façon & leur mignardise.
Penses-tu que la Reyne Elise,
Qu’on appelle autrement Didon,
Valut cette grosse Dondon ?
Remarque bien ces mains d’albatre ;
Ie ne croy pas que Cleopatre
Dont Antoine fut tant charmé,
Eut le teint si bien animé,
Comme nostre belle Amarante.
Ie puis incaguer Athalante
Quand ie voy le mignard fouris
De cette adorable Cloris,
La voila plus fraiche que glace,
Vertu-chou qu’elle a bonne grace,
Que ses yeux sont vifs & perçans,
Il me semble que ie les sens
Lancer des rayons pleins de flame
Qui penetrent le corps & l’ame.
Te souuient-il pas de Daphné,
Dont Phebus souffrant en damné,
Souffroit tous les plaisirs sans honte ?
I’aimerois mieux l’œil de Madonte

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Que l’autre auec tout son corps,
Considere le beau dehors :
Son dedans encore plus aimable,
La fait nommer incomparable ;
Et son esprit est si charmant,
Qu’vn seul mot luy fait vn Amant :
Mais puisque le iour se retire,
Quelque plaisir qui nous attire,
Il nous faut songer au retour,
Faisons encore vn petit tour ;
Puis sans autre ceremonie,
Nous quitterons la Compagnie.
Remarque vn peu ces éventez
D’vn zele d’amour emportez,
Ce sont des courtaux de boutique
Qui mettent Phebus en pratique,
Et tournent la Prose à l’enuers
Pour tascher d’en faire des Vers,
Sans garder ordre ny mesure,
Sans sçauoir Rime ny Cesure,
Et pour contrefaire nostre Art
Escorchent le pauure Ronsard.
C’est vne chose bien commune.
Que chacun auec sa chacune,
Auiourd’huy vueille se mesler
De nostre façon de parler,
Et parsemer les amourettes
De toutes nos belles fleurettes.
Vrayment c’est vn trop grand abus
De profaner ainsi Phebus :
Quel monstre de voir vn sot Ase
Monter en croupe sur Pegase,
Et voltiger dessus son dos
Pour faire rire des Badaux !

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I’en connois d’autres à la Ville,
Qui par vne gloire inciuile
Afin de passer pour sçauans,
Ne parlent point qu’en vieux Pedans ;
Et dans vn discours d’amour mesme,
Par vne impertinence extrême
Affectent de certains grands mots,
Pour estonner des Esprits sots,
Et mettent l’Encyclopedie
Parmy la Tragicomedie ;
Puis pour sauter de l’Asne au Cocq
Mettants leurs Chapeaux en S. Roch,
Ils trouuent exquis vne phrase,
D’y mettre l’antiperistase ;
Croy qu’vne fille en l’écoutant
Doit auoir l’esprit bien content,
D’oüir alors entr’autre chose
Apogée ou Metempsycose.
Ce sont des mots bien pleins d’amour,
Qui l’a font brûler comme vn four.
Il faut bien à la fin par force
Qu’elle se prenne à cette amorce,
De mesme qu’vn pauure poisson
Se prend au ver d’vn hameçon :
Qui pourroit faire resistance
A des mots de telle importance :
Qui n’aimeroit pas l’entretien
D’vn Galand qui parle si bien,
Et qui paroît si fort habile ?
Mais pourquoy m’échauffer la bile
Aprés vn si maigre sujet,
Changeons de discours & d’obiet :
Caliope as-tu veu la grace
De cette Mignonne qui passe,

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C’est icy pour des goûts diuers
Le Theatre de l’Vniuers,
Où chacun fait son personnage,
Pour varier le badinage.
L’vn y mord les doigts de ses gans,
L’vn tourne & retourne ses glans,
L’vn y fait diuerses postures,
L’autre y mange des confitures ;
L’vn prend vn maintien glorieux,
L’autre vn visage serieux ;
L’vn s’y met sur sa bonne mine,
L’autre y parle, l’autre y rumine ;
L’vn y rit & monstre ses dents
Sur quelques legers incidens ;
L’vn y tire vn grand pié de langue
Contre vn jeune fou qui harangue ;
L’autre luy rend vn pié de nez
Sans qu’ils en soient plus mutinez ;
Car entre amis la raillerie
Doit passer pour galanterie.
Icy sans jamais se picquer
Il est permis de se mocquer ;
Icy l’vn à l’autre fait piece,
Souuent l’oncle raille sa niepce ;
Vn autre rit de son voisin,
Et la Cousine du Cousin ;
Icy se debite vn bon conte
Le Marquis se mocque du Comte ;
On estalle des nouueautez,
On examine les Beautez ;
L’vne est trop grosse de visage,
L’vne est folle, l’autre trop sage,
L’vne a l’œil extremement doux,
Mais ses cheueux sont vn peu roux ;

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L’vne a la taille vn peu voûtée,
L’autre n’est pas bien ajustée ;
L’vne n’a pas l’œil bien fendu,
Et l’autre a le front mal tendu ;
L’vne a trop grande vn peu la bouche,
Et l’autre a l’humeur trop farouche ;
L’vne a le nez trop grand & gros
D’vn Empereur, ou d’vn Heros,
L’vne regarde auecque gloire,
Et l’autre semble auoir la foire ;
L’vne a le teint blesme & terny,
L’autre a le sein bien mal garny ;
L’vne est maigre, l’autre est trop grasse,
L’autre manque de bonne grace ;
L’vne est auec son peu d’esprit
Vne Sotte qui toûjours rit ;
L’vne n’est rien qu’vne Coquete
Qui nuit & iour cause & caquete ;
L’autre qui ne sçait point parler
Se laisse du moins cajoler ;
Et l’autre n’est qu’vne salope :
Ainsi, ma pauure Caliope,
Dans ces particuliers deuis
Chacun dit son petit aduis :
Ainsi l’on deschire les Dames
Mais elles, soit filles ou femmes,
Sçauent bien de mille façons
Deschirer aussi les garçons,
Quand elles sont hors d’apparence,
Qu’on puisse ouïr leur conference.
Mais nous voicy bien prés du bout,
Hastons-nous de regarder tout ;
Aussi ne prenons nous pas garde
Que de par tout on nous regarde,

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Et dans les yeux & dans le front ;
Faisons comme les autres font,
Car dedans ces lieux où nous sommes,
Toutes les femmes & les hommes
Voudroient deuenir des Argus
Auec cent yeux tous bien aigus,
Et tous perçants comm’vne alesne,
Pour voir tout iusqu’au cœur sans peine.
Mais pour moy ie voy desia bien
Que mes yeux ne seruent de rien,
Que dans ce temps obscur & sombre
Vn Corps ne paroît que son Ombre,
Et que par tout ce Promenoir
Toute couleur deuient du noir ;
Tu peux tirer la consequence
Qu’il faut partir en diligence,
L’heure le veut, & la raison,
Touche, Cocher, à la maison.

 

 


Hé bien, Burlesque & chere Muse,
Que ie caresse & qui m’amuse,
N’as-tu pas bien eu du plaisir
Pendant deux heures de loisir
Que nous auons à la friscade
Fait la gaillarde Promenade ?
Se peut-il voir dans l’Vniuers
Tant de beaux obiets si diuers ?
Hastons-nous d’aller à la soupe,
Et vuider mainte grande coupe
Pour nous des-alterer vn peu,
Car ie sens mon corps tout en feu ;
Ie veux te traiter en Poëte,
Et boire auec toy sans gourmette.
Aprés quand nous aurons soupé,
Au moins si ie ne suis trompé,

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Il faudra que ie te regale
Au frais dans la Place Royale,
De vingt-& -quatre Violons,
Tous François, mais vrays Apollons,
Qui te feront dire sans peine
Que leur adresse est plus qu’humaine ;
Que la France est vn beau séjour,
Qu’il n’est rien comme nostre Cour ;
Et que Paris où tout abonde,
Vaut plus luy seul que tout le Monde.

 

FIN.

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