LE
COVRIER FRANCOIS
APPORTANT TOVTES SORTES
de Nouuelles.

Comme c’est le fait d’vn homme de bien d’estre veritable,
& que ie veux estre reconneu tel ; il est raisonnable
que ie produise l’effect du Tiltre que ie
prends.

VOVS sçaurez donc que le Mardy cinquiesme
iour de Ianuier 1649. l’apresdinée, la Reyne &
le Cardinal Mazarin menerent le Roy au Palais
d’Orleans, où l’ayant laissé dans la Chambre de
Madame la Duchesse, qui estoit malade au lict,
ils furent dans l’appartement de Monseigneur le
Duc, où ils furent fort long-temps en Conference ; apres laquelle
ils vindrent reprendre le Roy dans la Chambre de Madame la
Duchesse, & s’en retournerent au Palais Royal.

Le mesme soir le Prince de Condé fut chez le Mareschal de
Grandmont & y soupa, en attendant le signal qui auoit esté donné
pour faire sortir le Roy & la Cour, & enuiron deux heures
apres minuit, s’en allerent auec peu de suite, & prindrent le chemin
de sainct Germain en Laye.

Monsieur le Duc d’Orleans enuiron les vnze heures du soir,
estant venu trouuer Madame la Duchesse en sa Chambre, luy
ayant dit qu’il falloit qu’elle partit pour S. Germain, le pria de la
laisser à Paris, nonobstant laquelle priere il luy enioignit de le
suiure dés la pointe du iour ; & luy partit à l’instant auec l’Abbé de

-- 4 --

la Riuiere, & s’en alla au Palais Royal, d’où l’on emmena le Roy
dés trois heures du matin, la Reyne l’accompagnant en son Carosse :
Le Cardinal Mazarin, Le Mareschal de la Mesleraye, le
Chancelier, & quelques autres de leur faction qui auoient conspiré
cét enleuement, estans partis quelques heures auparauant à
petit bruit.

 

Ces funestes nouuelles ayans esté sceuës enuiron les sept heures
du matin, du Mercredy sixiesme Ianuier, la Cour de Parlement
s’assembla, & ayant ouy les Escheuins de la Ville de Paris & les
Gens du Roy, rendit Arrest par lequel elle ordonna, que pour la
seureté de la Ville & Faux-bourgs, par l’ordre du Preuost des
Marchands & Escheuins, gardes seroient faites tant de iour que
de nuict, & defenses à toutes personnes d’enleuer aucunes armes
ny bagages ; auec inionction aux Officiers du Roy au Chastelet,
de tenir la main au fait de la Police pour les denrées & Marchandises,
& à tous Gouuerneurs des Places de les laisser passer librement,
auec defenses à eux de receuoir aucunes garnisons, ny loger
aucuns Gens de Guerre.

Ce mesme iour vn chariot appartenant au Sieur Bonneau Receueur
des Gabelles, dans lequel il y auoit plusieurs meubles, ayant
esté visité en la ruë sainct Honoré, y ayant esté trouué vne grande
manne pleine de sacs d’argent, qu’il vouloit faire conduire hors
la Ville, fut pillé par la populace, & encores l’argent de quelques
autres qui vouloient faire le semblable.

Dés ce mesme iour, gardes furent posées à toutes les Portes &
aduenuës de cette Ville, qui ont tousiours continué, ensorte que
l’on n’a laissé sortir aucun carosse, chariot, ny cheuaux.

Pour colorer l’enleuement du Roy, les Coniurateurs extorquerent
de la Reyne & des Princes vne lettre de cachet addressante au
Preuost des Marchands & Escheuins, par laquelle ils pretextoient
cette sortie nocturne sur l’aduis qu’ils auoient eu, qu’il y auoit
certains particuliers du Corps du Parlement, qui auoient intelligence
secrette auec l’Espagnol, & qui auoient intention d’attenter
à la personne du Roy, lequel estoit sorty pour cette raison,
n’estant en seureté dans la Ville de Paris.

Le Ieudy septiesme, la Cour deliberant sur lesdites lettres, en
furent apportées d’autres, qui ne furent ouuertes ne leuës ; neantmoins
les Gens du Roy firent rapport, que par icelles le Parlement
estoit transferé à Montargis, sur quoy fut arresté que lesdits
Gens du Roy se transporteroient vers sa Majesté & la Reyne,
pour la prier de donner le nom de ceux que l’on pretendoit estre
d’intelligence auec l’ennemy, & criminels de leze Majesté, pour
leur estre leur procez fait.

-- 5 --

Mesdits Sieurs les Gens du Roy estans à S. Germain, furent renuoyez,
sans que l’on leur voulut donner aucune Audience.

Et le Vendredy huictiesme, la Cour sur le recit qu’ils firent de ce que
dessus, Ordonna que tres-humbles Remonstrances par escrit seroient faites
au Roy & à la Reyne, & attendu que le Cardinal Mazarin estoit notoirement
l’Autheur des desordres de l’Estat & du mal present, l’auroit
declaré Perturbateur du repos public, Ennemy du Roy & de son Estat,
à luy enioint de se retirer de la Cour dans ce iour, & dans huictaine hors
du Royaume, & ledit temps passé enioint à tous les Suiets du Roy de luy
courre sus, & defenses à toutes personnes de le receuoir : & outre auroit
ordonné qu’il seroit fait leuée pour la seureté de la Ville, & escorter ceux
qui y emmeneroient des viures.

Le mesme iour les Bouchers estans à Poissy au marché, leur fut signifié
vn Arrest rendu par le Chancelier, par lequel defenses leur estoient
faites d’achepter aucun bestial pour mener à Paris, & à tous Marchands
Forains de leur en vendre, nonobstant lesquelles defenses, la Ville ne laissa
d’estre pourueuë suffisamment.

De sorte que le Samedy neufiesme dudit mois, l’on fit sortir des Gens
de Guerre pour escorter lesdites Marchandises, & les Boulangers des
Villages circonuoisins de Paris, qui y emmenerent leur pain aux Marchez,
horsmis ceux de Gonesse qui furent empeschez de venir par quinze
cens Suisses, & quelques Compagnies des Gardes, qui furent mises à S.
Denis & Hauberuilliers par l’ordre du Cardinal Mazarin ; neantmoins
la Ville fut suffisamment fournie pour ce iour.

Le mesme iour neufiesme Ianuier la Cour rendit Arrest, par lequel elle
ordonna que la taxe faite lors de Corbie seroit suiuie, & que chacun Habitant
de Paris payeroit le double, & que les nouueaux Conseillers de la
Creation de 1635. payeroient suiuant leurs offres la somme de trois cens
mil liures, moyennant quoy ils pourroient & leurs vefues & heritiers
disposer de leurs Offices comme les anciens, & outre qu’il seroit fait emprunt
de la somme de quatre cens cinquante mil liures, sçauoir par les
Presidens & Conseillers de la Grand’Chambre cinquante mil liures, par
les Presidens & Conseillers de chacune Chambre des Enquestes pareille
somme de cinquante mil liures, par les Presidens & Conseillers des Requestes
du Palais pareille somme de cinquante mil liures, & par les Maistres
des Requestes cent mil liures.

Monsieur le Duc Delbeuf, Prince de la Maison de Lorraine, à qui la
France a grande obligation de long-temps, s’estant autrefois employé à
exterminer les rebelles Heretiques qui la vouloient destruire, a voulu encores
la rẽdre sa redeuable par les offres qu’il a fait le premier à Messieurs
du Parlement, pour estre Chef des Troupes que l’on leuoit pour le seruice
du Roy contre les Ennemis de son Estat & de son Peuple.

-- 6 --

La nuict du Samedy au Dimanche, Nosseigneurs le Prince de Conty
& le Duc de Longueuille arriuerent à Paris.

Le Dimanche, 10. Monsieur le Duc Delbeuf fit serment de General.

Le mesme iour Mõsieur le Prince de Conty fut en l’Assemblée du Parlement,
l’asseurer de la bonne affection qu’il auoit au seruice du Roy, &
de l’intention de seconder la Cour en ses iustes desseins pour l’extirpatiõ
de l’Ennemy commun du Royaume ; & fut rendu deux Arrests : par le
premier desquels fut ordonné, que l’Arrest rendu contre le Cardinal
Mazarin le huictiesme de ce mois seroit executé, & defenses à tous Capitaines
& Soldats d’approcher à vingt lieuës prés de cette Ville de Paris,
auec inionction à ceux qui sont plus auancez, de se retirer incessãment
dans les garnisons des Villes Frontieres, & aux Habitans des Villes
& Bourgs de s’armer, & leur courir sus, & à cette fin sonner le Tocsin :
Et aussi defenses à toutes personnes de les retirer, & leur fournir aucuns
viures & munitions ; & à tous Capitaines & Gouuerneurs de laisser
sortir aucunes Garnisons, Canons & Munitions, à peine de confiscation
de corps & de biens. Et l’autre porte, inionction au Preuost des
Marchands & Escheuins de continuer l’exercice de la fonction de leurs
Charges, & à cette fin la Cour auroit mis leurs personnes, familles &
biens en sa protection & sauuegarde.

Le mesme iour l’on commenca à deliurer les Commissions, & à leuer
des Troupes, & à monter des Canons de l’Arsenac sur des affuts que l’on
auoit tirez de la basse-court de la Bastille.

Le Lundy vnziesme en l’Assemblée du Parlement, Monseigneur le
Prince de Conty fut declaré Generalissime de l’Armée du Roy, & Messieurs
les Ducs d’Elbeuf, de Boüillon, & Mareschal de la Motthe Houdencourt,
Generaux apres luy : ils estoient accompagnez de plusieurs
Seigneurs & Gentils-hommes de marque : Outre, Monsieur le Duc de
Longueuille, qui ne voulut auoit aucun commandement, de crainte de
contestation auec Monsieur le Duc d’Elbeuf, ayant tesmoigné en cela la
bonne affection qu’il a pour le bien de la France, ayant en outre laissé
Madame sa Femme & Messieurs ses Enfans entre les mains de Messieurs
de Paris ; ce qu’a pareillement fait Monsieur le Duc de Bouïllon.

Le Prince de Condé auec les Troupes du Cardinal Mazarin estoit ce
iour à Charenton, où il a exercé, & aux Villages circonuoisins de tres-grandes
violences, & le Comte de Harcour auec d’autres Troupes est au
Bourg de sainct Cloud, où il les fait viure auec vn peu plus de police.

Le Mardy vnziesme, furent adioints à Monsieur Deslandes Payen qui
auoit esté commis pour les Commissions & affaires de la Guerre, dont
il s’est acquitté en sage & vaillant Capitaine, vn de Messieurs les Presidens
au Mortier, & Messieurs Broussel & Menardeau pour le Conseil
de Guerre.

-- 7 --

Ce iour fut donné Arrest, par lequel fut ordonné pour la seureté de la
Ville de Paris, que retranchements seroient faits és Faux-bourgs, à cette
fin seroient prises les terres necessaires, à la charge d’indemniser les
particuliers Proprietaires d’icelles : Et encores furent deputez des Conseillers,
les vns pour deliurer des Passeports, les autres pour donner les
ordres, & regler la Police, & faire les autres choses necessaires pour le
bien de la Ville, & Commerce des Marchands.

Fut aussi arresté au Conseil de la Ville, que pour leuer des Gens de
Guerre, & pour la Subsistance d’iceux, chaque maison ayant porte cochere
fourniroit vn Caualier monté & equippé, ou payeroit la somme
de cent cinquante liures, & chacune des autres n’ayant qu’vne petite
porte fourniroit vn Soldat à pied armé & equippé, ou payeroit la somme
de trente liures.

Le mesme iour le Sieur du Tremblay, Gouuerneur du Chasteau de la
Bastille, ayant fait refus d’en deliurer les clefs à Monsieur le Duc d’Elbeuf,
elle fut assiegée & battuë de six Canons, & le lendemain renduë &
remise és mains de mondit Sieur Duc d’Elbeuf, & y fut mis pour Gouuerneur
Monsieur de Broussel, & pour Lieutenant son Fils : ce qu’ayant
esté sceu par le Prince de Condé, il a quitté son poste de Charenton, &
s’est retiré à sainct Denis, où l’on nous a dit que les Mareschaux des Logis
du Roy estoient allez pour marquer les Logemens pour sa Majesté,
qui n’y est pas venuë pourtant, & est tousiours à S. Germain.

Le Mercredy treiziesme le premier Regiment de Cauallerie a esté
leué & donné au Marquis de la Boullaye, qui a esté des premiers à tesmoigner
son affection à exterminer les Ennemis du Royaume.

Monsieur le Duc de Beaufort arriua en cette Ville.

Ce mesme iour fut donné Arrest, par lequel a esté ordonné, que les
biens & reuenus des Benefices du Cardinal Mazarin seroient saisis à la
Requeste de Monsieur le Procureur General, & defenses à ses Fermiers
& Receueurs, de payer aucune chose que par ordre de la Cour ; en execution
duquel Arrest, le lendemain vn Conseiller & des Huissiers de la
Cour furent faire Inuentaire de ce qui estoit dans la Maison dudit Cardinal.

Les vents & les pluyes qui ont continué depuis le cinquiesme du present
mois, ont tellement grossy la riuiere de Seine, qu’elle s’est débordée,
de sorte que de memoire d’homme elle ne l’a esté dauantage ; ce qui
a causé de grandes pertes, tant de batteaux que de marchandises, & particulierement
du bois, outre la cheute d’vne partie du pont des Thuilleries,
& des moulins sur pilotis qui estoient sur le Port de Greue qui ont
esté emportez, & dix-sept hommes & vingt-cinq mulets noyez, lequel
rauage a continué iusques au Lundy dix-huictiesme de ce mois, qu’elle est
de beaucoup abaissée.

-- 8 --

Le Ieudy quatorziesme Monsieur le Duc de Beaufort fut au Parlement,
tant pour faire offre de son seruice en l’Armée que l’on leuoit à
Paris, que pour demander Iustice de la calomnieuse accusation formée
contre luy par le Cardinal Mazarin.

Le mesme iour fut donné Arrest par lequel il a esté enioint à tous Marchands
& Artisans de tenir leurs boutiques ouuertes, & continuer leur
trafic.

Le Vendredy quinziesme fut donné Arrest par lequel Monsieur le Duc
de Beaufort fut renuoyé de ladite accusation contre luy formée, sauf à
luy à se pouruoir pour ses dommages & interests, contre qui & ainsi qu’il
aduisera.

L’on a eu aduis de S. Germain en Laye, que le Cardinal Mazarin a fait
arrester le Mareschal de l’Hospital, sur ce qu’il auoit remonstré à la Reyne
les mal-heurs où tout le Royaume de France estoit exposé pour les
tyrannies & volleries dudit Cardinal, qui a aussi mis de ses creatures &
Pensionnaires proche Monseigneur le Duc d’Orleans, pour l’empescher
de mettre en effect les bonnes intentions qu’il a pour la Paix du
Royaume.

Les leuées des Gens de Guerre se continuent en sorte que les Troupes
sont fort augmentées, & pretend-on que dans peu de iours l’Armée
sera complete de quatorze mil hommes de pied & de six mil cheuaux,
dont la plus-part sont desia sur pied.

En attendant la suitte, vous prendrez en bonne part ce commencement,
Adieu.

FIN.