Anonyme [1649], LE COVRIER DE LA COVR, PORTANT LES NOVVELLES de S. Germain, depuis le 15. Mars 1649. iusques au 22. , françaisRéférence RIM : M0_821. Cote locale : C_1_41_1.
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LE
COVRRIER
DE LA COVR,
PORTANT LES NOVVELLES
de S. Germain, depuis le 15. Mars
1649. iusques au 22.

LA Conference pour la Paix du Royaume, & l’approche
des Troupes de part & d’autre pour la Guerre du dehors,
ont fait à la Cour presque tout l’entretien de cette sepmaine,
aussi bien qu’à Paris. En voicy le détail.

Lundy 15. de ce mois on sçeut qu’il auoit esté arresté au
Parlement que les mesme ; Deputez de la Compagnie viendroient
faire instance pour la Reuocation de quatre Articles
du Traité de Ruel, sçauoir sur ceux de la Seance du Parlement à S. Germain
pour vn lict de Iustice, de la cessation des Assemblées durant cette année,
des prests sur les Tailles, & autres reuenus du Roy, & de la reddition de la
Bastille : & de plus pour obtenir vn plus grand éclaircissement sur la conseruation
des interests des Princes & Seigneurs vnis auec le Parlement.

Ce mesme iour le Regiment de Persan, & autres troupes qui estoient sorties
de S. Denys, & des autres postes, soubs la conduitte du Maréchal Du-Plessis-Praslin,
eurent ordre de retourner en leurs premiers Quartiers.

Mardy 16. les treize Deputez du Parlement ayant receu les Passe-ports
necessaires, tant pour eux, que pour quatre Enuoyez des Generaux de
Paris, se rendirent presque tous à Ruel, où ils coucherent, mais non pas lesdits
Enuoyez : les Generaux s’étans contentez de remettre les Cayers de leurs
pretentions entre les mains de Monsieur le Premier President.

Le mesme iour on eut nouuelles que les Ennemis estoient entrez bien
auant dans la Picardie.

Mercredy I7. Monsieur le Tellier fut à Ruel voir les Deputez du Parlement

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sur les 9. heures du matin, sans doute pour les conuier de se transporter
à S. Germain & regler le temps & le lieu de la Conference.

 

L’Apresdisnée les Deputez s’estants rendus à S. Germain, furent faire
compliment à la Reyne dans son Cabinet, & en suitte allerent chez Monsieur
le Chancelier, où la Conference fut ouuerte entre les Ministres & eux,
sans l’interuention de Monsieur le Duc d’Orleans, de Monsieur le Prince, ny
du Cardinal Mazarin. La premiere chose qui fut proposée par les Deputez
du Parlement, fut vne suspension d’armes pour trois iours : durant lesquels
toutes sortes de personnes & de denrées pourroient aller & venir librement,
sans que d’vn costé ny d’autre on exerçast aucun acte d’hostilité : Ce qui
fut conclu, & les ordres donnez pour cela.

Le mesme iour il arriua des Courriers & Espions qui asseurerent que
l’Auant garde de l’Armée de l’Archiduc estoit arriuée à Crecy en Lannois
à cinq ou six lieuës de Soissons, composée de trois mille Cheuaux (y compris
mille Dragons) & deux mille Fantassins, que le Marquis de Nermonstier
y estoit, & qu’on disoit que le reste de l’Armée suiuoit, que quelques-vns
font plus grande, les autres moindre.

On eut en mesme temps des Lettres de Lorraine, portans que l’Auant-garde
de l’Armée du General Erlach estoit en marche pour entrer dans la
Champagne : qu’il y auoit neuf Regiments de Caualerie, & que le tout se
montoit à plus de quatre mille hommes. On dit aussi qu’Erlach écriuoit
que le reste de ses troupes qui faisoient enuiron six mil hommes, deuoit suiure
de prés l’Auant-garde, & confirmoit la retraitte de Monsieur le Maréchal
de Turenne au delà du Rhin, sans troupes, son armée l’ayant presque entierement
abandonné.

On parle diuersement de la Landgraue de Hesse : les vns voulans qu’elle
ait promis ses troupes à la Reyne, les autres qu’elle en ait baillé partie au
Prince de Talmond son gendre, qui prend qualité de Prince de Tarente,
pour venir soûtenir le party où Monsieur de la Trimoüille son pere est engagé :
& les mieux informez disans qu’elle a promis seulement de s’employer
enuers les Chefs qu’elle licentiera, en execution de la Paix d’Allemagne,
pour les engager à seruir la France : mais que ses troupes, aussi bien
que celle des autres Princes d’Allemagne estant licentiées, seront à qui plus
leur donnera. De cette façon il y a grande apparence que la France & l’Espagne
en auront, l’vne & l’autre Couronne ayant enuoyé de l’argent sur les
lieux pour cét effet. Mais il est à craindre que les Espagnols en auront dauantage,
parce qu’ils y ont enuoyé vn peu plus d’argent, & qu’ils ont des
Quartiers d’Hyuer ou Rendez-vous à leur donner plus prés de leurs Postes.

On dit de plus, que la Reyne de Suede enuoye deux mille Cheuaux à la
Reyne : Et d’autre-part que Madame de Cheureuse negotie fort auec les
Hollandois pour les obliger à donner vn puissant secours au Parlement, que
quelques-vns font monter à huict mille hommes. Mais tout cela n’est pas
encore bien asseuré.

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Ieudy 18. dans la Conference qui fut tenuë chez Monsieur le Chancelier,
les Députez du Parlement, sans faire mention des 4. articles, dont ils deuoient
demander la reformation, afin de monstrer que ce n’estoit point pour leur interest
qu’ils estoient venus, proposerent seulement les demandes des Princes &
Seigneurs : dont les principales estoient ;

Pour Monsieur le Prince de Conty vne place de seureté en son Gouuernement
de Champagne, l’entrée au Conseil d’en haut, comme estant deuë à sa
naissance, & la reparation des Halles & autres lieux ruinez dans la ville de S.
Denis.

Pour Monsieur le Duc d’Elbeuf le payement des Arrerages deus depuis
long-temps de la pension promise à Madame sa femme sœur du feu Roy, par
son Contract de mariage.

Pour Monsieur le Duc de Beaufort, qu’on rendist à Monsieur le Duc de
Vandosme, son pere, le Gouuernement de Bretagne, qui luy auoit esté donné
par le Roy Henry IV. son pere, en faueur de son mariage, & dont il a esté depossedé
par le Cardinal de Richelieu, auec promesse de deux cents mille escus,
qu’il n’a point touchez ; ou qu’on luy baillast l’Admirauté qui luy auoit esté
promise en recompense dudit Gouuernement.

Pour Monsieur le Duc de la Trimoüille, la restitution de la ville de Perpignan,
& de tout le Comté de Roussillon, qu’il pretend luy appartenir du chef
de sa bisayeule, qui estoit de la Maison d’Aragon, & heritiere de la branche
des Roys de Naples de cette famille là, en vertu de certaine clause d’vn ancien
Contract de mariage. Mais pour ce poinct on croid que c’est plustost pour
faire vn acte qui conserue à ce Seigneur le droit qu’il peut auoir, qu’en esperance
d’obtenir sa demande, qu’il a fait faire cette proposition.

Pour Monsieur le Duc de Boüillon, qu’on fasse nouuelle estimation de la
valeur de sa Principauté de Sedan, & qu’on luy donne recompense conformement
à ce qu’on luy a promis : Et dautant que les terres qu’on luy a offertes pour
son dédommagement, sont la pluspart dans l’Auuergne, qu’on luy en donne
le Gouuernement, sauf à desinteresser celuy qui en est pourueu.

Pour Monsieur le Mareschal de la Motthe, le payement de cent mille liures,
dont il a vn breuet, & du reste des arrerages de son Duché de Cardonne,
qu’on a perceus durant sa detention, auec la restitution du Gouuernement de la
ville de Seuire, ou Bellegarde en Bourgogne, qu’on luy a osté sans recompense,
ou autre pareil.

Pour Monsieur le Prince de Marsillac, & le Marquis de Vitry des lettres
de Duc & Pair, & le Tabouret pour leurs femmes dés à present, comme choses
qui leur ont esté promises, sauf à demander l’enregistrement de leurs lettres
apres la Majorité seulement.

Il y a quelques autres demandes de moindre importance, toutes fondées sur
pareilles raisons ou promesses de la Iustice, desquelles neantmoins tous ces Seigneurs
protestent de se remettre au Parlement.

Le mesme iour Madame de Montbazon fut à la Cour : On ne sçait pas

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bien le sujet de son voyage. Mais il est certain que le Sieur de Lieutenant
de Monsieur de Mont-bazon à Soissons, n’a pas deferé aux ordres qu’il a receus
de la Cour, de remettre cette Ville-là au Mareschal d’Estrée, qui est depuis 15.
iours ou trois semaines à Chauny, ou aux enuirons pour cét effet ; & on apprehende
à la Cour qu’il ne soit d’intelligence auec les Ennemis.

 

Ce iour le Mareschal Duplessis-Praslin eut ordre de s’auancer auec la pluspart
des vieux Regiments tirez de la pluspart des quartiers qui sont autour de
Paris, faisant 5. à 6. mille hommes, du costé de Villiers-Cesterets, pour aller
au deuant des Ennemis, & leur empescher le passage de la riuiere d’Aisne, &
l’entrée de l’Isle de France, ou du moins les tenir en jalousie en attendant l’arriuée
des troupes d’Erlach.

Vendredy 19. les Députez du Parlement se rendirent à S. Germain, furent
chez Monsieur le Chancelier, & disnerent à la Capitainerie. Les Députez des
Princes y furent aussi, sçauoir Monsieur le Duc de Brissac, & les Sieurs de
Barriere, & de Grecy, & mesme le Sieur d’Atonuille enuoyé de Monsieur de
Longueuille : Mais il ne fut rien resolu, ny proposé de nouueau, à cause qu’on
trouua bon d’attendre les Députez du Parlement de Roüen qu’on sçeut estre
en chemin.

On se plaignit à la Cour des difficultez qu’on faisoit aux portes de Paris, de
laisser sortir ceux qui se vouloient retirer, & qu’on les obligeoit à poursuiure
des Passeports qui n’estoient accordez qu’auec peine, à cause que le Parlement
n’en donnoit plus, mais les Generaux qui auoient fait redoubler la garde. On
se plaignit encore du mauuais traittement qui auoit esté fait à quelques Allemands,
& autres gens de guerre : Les Députez au contraire se plaignirent de
ce qu’on arrestoit, & que l’on traittoit mal ceux qui apportoient des viures à
Paris, & que les Soldats continuoient de voler & de violer iusques aux portes
de la Ville, nonobstant la trefve : Mais il fut respondu que ces choses se faisoient
sans ordres ; & qu’on ne pouuoit pas empescher que quelques Soldats
ne se débãndassent, & ne commissent de pareilles violences à vne mousquetade
de S. Germain mesme.

Nouuelles vinrent de Munster que l’on commencoit d’executer le Traitté de
la Paix d’Allemagne du costé des Suedois & des autres interessez, & qu’on
s’estonnoit qu’on ne fist le mesme de la part de la France. Ce qui fit resoudre
d’y enuoyer le Sieur de Vauteste, pour tenir la main à l’execution des choses
accordées, au lieu du Mareschal de Turenne qui en auoit receu l’ordre.

La tresve deuant expirer à minuit, fut renouuellée pour autres trois iours.

Samedy 20. à cause de l’absence de Monsieur d’Atonuille, & de l’attente
des Deputez de Roüen, on ne fit rien dans la Conference, que s’entretenir,
quoy que le Comte de Maure s’y trouua, comme second Deputé des Princes.
On fit voir aux Deputez vne lettre du sieur Pardieu Gouuerneur de Guise, par
la quelle il connoit auis que le sieur de Legues, qui estoit dans l’Armée de l’Archiduc,
luy auoit escrit qu’il esperoit qu’il seroit bien aise de contribuer à la
déliurance de Monsieur de Guise des mains des Espagnols, en remettant sa

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Place pour sa rançon : Mais qu’il auoit rescrit auec le mespris qu’il deuoit.

 

Huit bateaux chargés, sçauoir six de blé, & deux d’auoine, venans de Soissons
pour Paris, furent arrestez au Pont de S. Germain par ordre de la Reine,
dont les Marchands se plaignirent à quelques vns des Deputez du Parlement,
qui trauaillerent à les faire passer, mais ils ne peurent rien auancer pour ce iour.

Le bruit ayant couru que la ville de Tours s’estoit declarée pour Paris, & la
cherté d’argent & de viures estant grande à S. Germain, Monsieur le Comte
de S. Agnan se preparoit à ramener ses trois cents Cheuaux vers le païs Blaisois
pour garder leurs maisons. On disoit que les Bourguignons venus au mandement
de Monsieur le Prince, estoient sur le poinct de s’en retourner aussi
chez eux faute d’argent.

On fit grand feste de la nouuelle qui arriua, que les troupes d’Erlach estoient
arriuées en Champagne du costé de Ste Menchoud, & l’on croid qu’estant
iointes à celles du Mareschal Du Plessis, elles seront plus que suffisances pour
faire teste aux gens de l’Archiduc.

Dimanche 21. Quoy que le sieur d’Atonuille eust dit que les Deputez du
Parlement & de la Cour des Aydes de Roüen seroient sur les trois heures à S.
Germain, ils ne sont point arriuez, & il n’a esté rien fait ; Monsieur le Chancelier
ayant dit qu’il n’estoit pas besoin de s’asseoir, puisque tout le monde n’y
estoit pas, & qu’on asseuroit qu’ils y seroient dans la iournée. Ainsi la Conference
a esté remise à demain Lundy huit heures du matin. Mais on sçeut que
le iour precedent Monsieur le Prince de Conty auoit declaré au Parlement, que
tant luy, que tous les Seigneurs qui estoient auec luy, ayans enuoyé pour faire
des Propositions, on pourroit croire qu’ils n’auoient autre but que leurs interests,
& qu’afin que tout le monde sçeust qu’ils ne songeoient qu’au bien public,
ils protestoient qu’ils se departoient volontiers des demandes qui les pouuoient
regarder en particulier, pourueu que le Cardinal Mazarin se retirast, qui
estoit vne chose qu’ils estimoient necessaire pour l’vtilité publique, aussi bien
que pour la leur : Que neantmoins s’il y auoit tant de difficulté, que cela ne se
pûst obtenir sans mettre l’Estat en danger, ils s’en remettoient à ce que le Parlement
trouueroit bon, de quoy il auoit demandé acte, qui luy fut enuoyé, &
des Extraits du Registre enuoyez tant à Monsieur le premier President pour en
estre auerty, qu’au Comte de Maure, pour en faire la Proposition.

Les Deputez du Parlement ayant preslé pour le passage libre des huit batteaux
de Soissons, ont enfin obtenu auec beaucoup de peine, & contre les ordres
de quelques vns, qu’on en laisseroit passer six, qu’ils ont eux mesmes fait
partir, & donné ordre qu’on en amene dauantage des mesmes lieux. Ceux là
seront demain à Paris, s’il n’y a eu ordre de les arrester à S. Cleu.

Il y a eu auiourd’huy dans quelques maisons des principales de la Cour,
des cheuaux sellez, & des Cochers & postillons auertis de se tenir prests, sans
toutefois auoir ordre de partir, ce qui fait croire que le Roy ne sera pas long-temps
icy.

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La suspension doit finir demain au soir : il n’est pas croyable combien de
gens en profitent, on ne void autre chose sur le chemin de Paris que des carrosses
pleins de personnes de condition, & des charriots chargez de bagage, qui sortent
de la Ville.

FIN.

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