Anonyme [1649], LE COMBAT DES FVEILLANS. , françaisRéférence RIM : M1_65. Cote locale : E_1_123.
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LE COMBAT DES FVEILLANS.

 


PVisqu’a present vn chacun Rhime
Bien ou mal, & que l’on Imprime
Le mauuais ainsi que le bon
Contre Mazarin & Bourbon ;
(C’est à dire, Monsieur le Prince
Qui ruina nos Prouinces)
Ie voudroit bien aussi Rhimer,
Mais non pas le faire Imprimer :
Car des Rhimailles si mal faites
Ne vallent pas qu’on les acheptes,
Et ce n’est pas contre la Cour
Que i’en veux, mon glaiue est trop court
Pour faire vne telle entreprise,
Ie veux vous parler d’vne Eglise
Où se passa ces iours passez
Grand conflit pour les Trespassez.

 

 


Vous sçauez qu’vn soir à sept heures
Chacun sortit de sa demeure
Pour rendre le dernier deuoir
A vn homme dont le pouuoir
N’estoit pas peu considerable,
Car tousiours chez luy à sa table
Il auoit quelques Conseillers
Maistres des Comptes Tresoriers,
Et viuoit comme vn sainct de Rome ;
En effet c’estoit vn bon homme,
Mais la mort qui n’espargne rien
Luy fit laisser icy tout son bien.
Ainsi tous les amis s’assemblent
Dedans la grande salle ensemble,
(Ie veux dire les Conuiez)
Et furent beaucoup ennuyez
En attendant Curez & Prestres ;

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Enfin on les vit tous paroistre ;
Ils arriuerent on chanta
Deprofundis, on alluma,
Puis l’ayant pris on s’achemine
Aux Masculins des Fueillantines,
Où estoit dedans la Maison
Monsieur le Duc de Monbazon,
Qui attendoit prés de la porte
N’ayant pû estre de l’escorte.
Cependant les Peres Fueillans
Qui ont Arrests & Reglemens
Pour empescher Curez & Prestres
D’entrer chez eux comme les maistres,
S’estoient tous mis dessous le sueil
De l’Eglise, attendant le Dueil,
Et pour receuoir la harangue
De ce bon Curé, dont la langue
Iadis le fit faire Curé,
Par Maistre Simon, & Messire André,
Par Dame Ieanne la Tripiere,
Dame Alizon la Harangere,
Toinette, Barbe, & Marion ;
(Qui donna si bel Orion
A vn certain Messire Suisse
Qui demeuroit chez cher Epice)
Par les vendeurs de poissons
Et dont ie ne sçay point les noms ;
Mais n’y auoit en leur cabale
Que des muettes de la Halle
Et qui ont si bien procuré
Qu’enfin il y est demeuré.

 

 


Or reuenons à nostre histoire,
Et nous mettons en la memoire
Que quand le Conuoy arriua,
Contre les Moines se trouua
Le Porte-Croix auec vn autre
Qui estoit aussi bon Apostre ;

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Voulant aller au Benistier,
Le Prieur, fit lors le portier,
Les repoussa de bonne sorte
Et se tint ferme sur la porte
Disant n’entrez pas plus auant,
Car nous auons vn Reglement :
Mais Messire Iean sans response
Cria tout haut en fonce, enfonce,
Ie me moque du Reglement,
Par courtoisie ou autrement
nous entrerons dedans l’Eglise :
Huit ou dix par cette surprise
Forcent ces bons Religieux
Qui iusques là baissoient les yeux ;
Mais à ce coup ils les leuerent,
Et tout aussi-tost ils fermerent
La porte qui est au dedans,
Leur criant sortez de ceans.
Messire Adrien vn grand Prestre,
Qui estoit vn peu sou, peut-estre,
(Car il sentoit bien fort le vin)
Fut donner dessus le groin
D’vn pauure frere qui sans doute
n’en auoit pas beu vne goutte
Depuis disner, car ie vis bien
Qu’en son ventre il n’y auoit rien,
Ou qu’il n’y auoit pas grand chose ;
Ainsi pour sa foiblesse il n’ose
Contre vn Prestre se reuanger,
Ou pour la crainte de pecher
Il eut crû faire vn sacrilege
De se battre sans priuilege,
Messire Oudart fort peu discret
En surprend vn autre au collet,
Iurant d’vne voix grosse & forte,
Si tu n’ouure viste la porte,

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Par la mort ie t’étrangleray ;
Viue le bon Dieu non feray,
Luy repartit lors le bon Pere,
Qui commẽçoit d’estre en collere,
Le colletant fort bien & beau.
Là dessus vn frere Chappeau
Vint auec vn baston de torche
Qui l’espousta, & vous le torche
En enfant de bonne maison,
Luy criant auez vous raison
Si vous me mettez en collere
C’est icy vostre heure derniere.
Messire Iean auec la Croix
Fut en attaquer deux ou trois ;
Mais sa fureur fut preuenuë
Et sa pauure Croix fut rompuë.
Quand il vit cela de dépit
Son raisonnement se perdit,
Il se tourmente, il fait le Diable,
Il n’a plus rien de raisonnable,
Se fait tenir à deux ou trois,
Se mordans le pouce & les doigts :
Mais ces bons Peres l’appeserent
Et plus de cent fois le baiserent.
Vn Prestre de la Trinité
Qui est Normand en verité
Ie le connus à sa parolle,
Fut saisir vn Moine assez drolle
Qu’on nomme Pere Dom Marin,
Criant tu es vn Mazarin,
Faudroit piller ce Monastere,
Ce bon Moine tout en collere
De ce qu’on vouloit l’offencer,
Pensa pour lors desesperer
Il se depestre de son homme,
Luy donnant vne tarte en pomme

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Là dessus le reste s’emut,
L’on se frotta tant que l’on put,
L’on se donna force gourmades,
L’on fit foce rodomontades,
Sans respecter ny la maison,
Ny Monseigneur de Monbazon
Qui fut present à cette affaire,
sans que cela fut necessaire.
Il eut beu dire arrestez vous,
Messieurs, au moins respectés nous
Saint iour de Dieu & par mõ Ordre
Vous reparerez ces desordre,
Vous apprẽdrez sur mon honneur
A craindre vostre Gouuerneur :
Mais de tout ce qu’il leur pût dire
La pluspart ne s’en fit que rire ;
Ainsi le combat se passa
Sans que pas vn recommença.
Les Prestres n’ayant plus d’enuie
De recommencer de leur vie
Vn conflit si mal à propos,
Et trouuant que pour leur repos,
Il estoit besoin de retraitte,
Se retirerent greque nette,
Criant comme desesperez
De voir leur surplis dechirez.
Le corps fut porté dans l’Eglise,
Chacun s’emeut parle & deuise
De cet accident impreueu,
Qui n’estoit encore connu
De personne de l’assemblée,
La porte ayant esté fermée
Iusques alors que l’on l’ouurit ;
L’on y faisoit tousiours grãd bruit ;
Mais ce n’estoit rien que canailles.
Que menu peuple & que racaille

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Qui crialloit & qui pestoient
Sans sçauoir ce qu’ils demãdoient
Le Curé hors du Monastere
Crioitt, se mettoit en collere
Contre son mutin de Clergé,
D’auoir ainsi fait l’enragé,
Protestant que contre son ordre
Les prestres auoiẽt fait ce desordre,
Il cria tant qu’il ramassa
Son troupeau, & le bruit cessa,
Ils s’en allerent de la sorte,
Sans qu’aucune croix ils emportẽt,
Et furent contrains cette fois
De retourner chez eux sans Croix ;
Qui est chose extraordinaire,
Aussi cela n’arriue guere.
Plusieurs vous estoient sans surplis,
Et auoient besoin de leurs lits :
Bref, en ce combat estrange
Il y eut bien de la meslange.
Ainsi le Conuoy s’acheua,
Puis apres chacun s’en alla,
Laissant ce pauure corps en terre,
Qui nous a causé cette guerre,
Disons pour luy qui est passé
Vn Requiescant in pacé.

 

AMEN.

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