Anonyme [1652], LE CARACTERE DV ROYALISTE A AGATHON. , français, latinRéférence RIM : M0_633. Cote locale : B_17_20.
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LE CARACTERE DV
Royaliste à Agathon.

Vous demandez, Agathon,
si vous deuez employer
pour les mouuemens de
l’Estat, cette prudence &
ce courage qui ont affermy son repos ;
parce que dites vous, la Iustice en est
inconnuë, le succez incertain, & le
triomphe criminel ; Peut-estre brûlons-nous
du feur que nous auons porté
chez nos voisins, & le Ciel punit
l’impatience que nous auions de commander
aux Estrangers, par les maux
qui accompagnent vne desobeyssance
domestique ; Adorons, dites-vous, ce
que nous ne pouuons destourner, laissons
les faux imprudens se debattre

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dans leur supplice, le repos soulage
les chaisnes que le mouuement appesantit,
& dans la necessité d’executer
ou de souffrir les ordres de Dieu,
soyons plustost les victimes de sa Iustice,
que les instrumens de sa vengeance ;
Que si vous voulez poursuiuez-vous,
que le succez ait legitimé
l’entreprise de nos armes, & que l’emotion
qui nous agite, soit vne maladie
naturelle à vn grand corps, qui
ne peut pas tousiours se bien porter,
du moins vous m’aduoüerez que la teste
ne souffre riẽ des humeurs qui l’ont
suscitée, que le Throne n’est point
offusqué de ces influences malignes, &
que le particulier doit regarder auec
indifference la querelle de deux partis,
où le Souuerain est également respecté ;
Et puis quel triomphe esperer en
vne guerre, qui renuerse les Loix du
Sang, du deuoir, & de l’amitié, où le
fils poursuit à mort son pere, où le
pere arme contre le fils, & oû l’vn &
l’autre ne prestẽt point de sermedts de

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fidelité, qu’ils ne soient perfides à la
Nature ; Vn Citoyen deliuré est vn
ornement plus pompeux que des Rois
esclaues, & vn mal-heur sans consolation
est d’assister à son massacre : Prenez
garde, Agathon, que vostre pieté
ne soit cruelle, & vostre main complice
du mal, dont vous estimeriez la
veuë mesme criminelle : Les factions
dechirent l’Estat, le feu brusle de toutes
parts, son éclat inuite l’Estranger
à profiter du debris & de nos dépoüilles.
Hé ! quelle difference mettez
vous entre la negligence à l’esteindre
& la rage à l’allumer ? Si vous auiez
rencontré deux ennemis vuider leur
different auec l’espée, aprez auoir
ouy le sujet de leur démeslé, seriez vous
pas plustost le protecteur de la raison
que l’arbitre de leur combat ? Ie vois
bien que vous estes prest de rendre au
public ce que vous accorderiez au particulier,
& que rien ne balance vostre
Iustice, que l’incertitude de la cause.

 

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Pour vous en éclaircir, Agathon,
les troubles presens sont ou sedition
contre le Prince souuerain, ou dissention
des Princes sujets ; Ie rougis d’ab
baisser à ce dernier rang, vne Reyne
que la Nature & l’Alliance ont couronnée
dans ses Ayeux & dans ses Parens,
dans son Espoux & dans son Fils.
Le premier est d’vne croyance difficile.
Le François qui est né pour commander
à l’Vniuers, se glorifie de disputer
à ses nations l’obeïssance à ses
Monarques, aussi voyons nous les
deux camps retentir d’vn mesme cri
de Viue le Roy, & la difference des
deux partis, semble en ce que l’vn le
desire, & que l’autre le possede ; Il y a
deux choses, Agathon, à considerer
dans le Roy, sa Sacrée Personne, &
son Auguste qualité, & c’est ce qui
abuse la populace, & l’ignorant, qui
ne sçauent pas discerner le suppost d’auec
l’attribut, ils ne croyent point rebelles
ceux qui parlent hautement de
leur sujettion ; mettez le nom d u Roy

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à la teste d’vn traitté auec ses mortels
ennemis, dépoüillez-le pour ainsi
dire, de son Empire auec humilité, le
respect de la langue cache à leurs yeux
l’irreuerence de la main ; Ce n’est pas
assez que la France n’ait point de monstres
pour attenter sur vn Prince, dont
la naissance est vn Miracle, le Couronnement
vn Triomphe, & la Vie vn
glorieu meslange de l’vn & l’autre, il
est l’oinct de Dieu, l’enfant de nos
vœux & de nos l’armes, & d’vn âge à
espuiser toute la tẽdresse de nos cœurs,
si les Vertus qui la soustiennent, ne
remplissoient nos esprits de veneration ;
Mais comme Dieu, qui est le Roy
inuisible de la Nature, comme les Rois
sont les Dieux visibles de la terre, n’est
pas seulement satisfait qu’on ne luy
dispute point par vn attentat impossible,
la possession de son estre & de
sa vie, & rejette ces amours faineantes
qui se bornent dans vne simple
complaisance pour ses grandeurs, sans
se reflechir sur les Lois de sa souueraineté

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& le deuoir de leur sujettion, aussi
les Rois ne se contentent pas que
leurs sujets ne deuiennent point leurs
parricides, Est-ce estre innocent que
de n’estre pas grand criminel ? ny que
ces voix confuses d’acclamation, & de
salut les accompagnent en public, si
la des obeїssance les suit : l’authorité
est l’ame des Roys, crier à vn Prince,
qu’il viue, & mépriser ses commandemens,
C’est proprement souhaitter
vne longue vie à vn cadavre inanimé,
Que si la soûmission du sujet est la mesure
de l’esleuation du souuerain, &
l’obeїssance le caractere de l’amour,
il est aisé de reconnoistre à ces couleurs
le veritable party, & discerner dans
vne communauté de nom la difference
du merite : E parce que la des-obeїssance
commence par le mépris
de la personne qui commande, & que
l’estime est le premier culte qu’exigent
de nous les Dieux & les Rois, examinons
les Princes, & les Mazarins, par
les sentimens qu’ils ont des puissances
couronnées.

 

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Ie ne parleray point des horribles
médisances contre la Reyne mere du
Roy, ce seroit aux Princes, vn argument
sans consequence, elle est estrangere,
nostre auersion, disent-ils, secondent
les Loix de l’Estat, elle est suiette,
la guerre que luy faisons : n’est
donc pas ennemie du Throsne, ils diront
vn iour que le Roy n’est pas de
leur Nation, qui eust vne mere Espagnolle ;
Ne pouuant retrancher son regne
entierement, ils le racourcissent
autant qu’ils peuuent dans les limites
de son aage, il y a huit mois qu’il
estoit mineur, auiourd’huy il ést encore
enfant, comme si les Roys pour
estre grands auoient besoin de croistre,
& que l’enfance & la ieunesse du
Prince fust vn interregne d’Estat, Le
Roy interdit sa domination suspenduë,
n’arrestent point leur insolence, elle
va iusque dans sa source en empoisonner
le cours, l’education Royale est
le fondement du bonheur ou de la calamité
publique, à leur aduis que deuons

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nous esperer du Roy, qu’ils ne
nous representent sçauant, que de ce
qu’il doit ignorer, instruit qu’aux exercice
de cheual, & assiegé déja des douces
& mortelles sollicitations de la volupté,
Ce n’est pas le langage des pretendus
Mazarins : c’est à dire des veritables
Royalistes Cét auguste Caractere,
disent-ils, qu’imprime la diuinité
sur le visage des Monarques, n’est pas
du nombre de ces chiffres imparfaits,
que l’amour graue sur l’ecorce, & qui
croissent auec leur insensible depositaire,
la Majesté est toute entiere dans
le berceau, son aurore la met dãs la plenitude
de son éclat, sa naissance dans
sa perfection, sa petitesse dans toute
l’estenduë de sa grandeur, attendre
qu’elle croisse pour luy obeyr, égaler
nos respects à ses années : c’est racourcir
son regne, & croire de l’intermission
dans le mouuement de sa puissance,
vn Roy d’vn iour est aussi souuerain
qu’vn vieux conquerant, & celuy
que nous ne deuons regarder que par

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nos sousmissions, est tousiours grand &
éleué : A vostre auis, Agathon, qui
est plus amy de l’authorité, où le Prince
qui ne la reconnoist qu’aagée, où le
Mazarin qui s’y soûmet dés le moment
de sa naissance, l’vn ne parle que du
malheur des Estats qui ont vn Roy enfant
ou tyran, l’autre, qu’il faut souffrir
auec vn égal respect, sa violence
& sa foiblesse, il met sa Reyne parmy
les, obiets de sa veneration, il éleue
son Roy au dessus de ses esperances,
& publie qu’il ne manque plus rien à
ses belles inclinations, aprés l’exemple
de sa mere.

 

Ces diuers sentimens pour leurs
Maiestez, disposent le Mazarin à vne
obeyssance genereuse, & le Prince à
vne lasche rebellion, & afin que vous
ne disiez point que pour desobeyr, il
faut estre commandé, qu’on parle bien
de par le Roy : mais que son aage ne
luy donne, ny la liberté, ny le choix
du commandement, establissons le
dans cét Estat, ou vous le voulez pour

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estre capable de discerner le bien d’auec
le mal, & d’ordonner auec vn empire
independant & raisonnable, &
concluons que si ce qu’il deffendroit
alors, est le mesme que ce que le Prince
fait à present ; celuy cy se iustifie
inutilement par la distinction des
temps, & qu’au contraire le Mazarin
est innocent, & merite la grace du Roy,
en obseruant par aduance ce qu’il n’exigeroit
de ses seruices que dans sa plus
haute souueraineté.

 

Ie tyre ma premiere raison, de l’exẽple
de l’echolle qui permet de conclure
de l’acte par la puissance, & ie
dis, il se peut que le Roy dans vne âge
plus auancé condamneroit l’action
presente du Prince, & soustiendroit
ce qu’il combat, le Prince n’est donc
pas si absolument innocent, la consequence
est hors de preuue, & la majeur
sous vne experience recente, Son
Altesse Royalle sçait elle mesme qu’elle
à souffert pour vne pareille occasion,
& que le feu Roy d’Heureuse Memoire

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prefera la protection de son
Ministre aux tendresses de la nature &
de l’amitié : Le Ministre odieux n’est
donc pas vne victime si acquise à l’enuie
des grands, & à la hayne des peuples :
C’estoit les mesmes plaintes, si
vous n ostez la qualité d’Estranger
qui n’est qu’vne illusion que ie dissiperay,
si tost que la licence aura degagé
la liberté des sentimens, qu’il obsedoit
l’esprit du Roy, que ses artifices
abusoient de sa credulité, qu’il
esloignoit les Princes du Conseil, la
Paix des deux Royaumes par la Guerre,
la Iustice des Parlemens par les prisons
& les exils, le repos des familles
par vn desir insatiable de s’enrichir de
leur pauvreté, & cent autres discours
aussi vieux que les reuoltes, & que nous
voyons renouueler ; le n’insisteray
pas sur vn point qui ne peut que mettre
en doute l’innocence de Monsieur
le Prince par l’incertitude de la volonté
du Roy âgé, ie passe à vne seconde
& plus forte raison qui le declare criminel

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par la consideration de ce que
les Roys veulent tousiours, l’authorité
de leurs ayeux, l’obeyssance de leurs
peuples, l’abbaissement de leurs ennemis.

 

La nature les fait naistre Souuerains,
la Majorité les met dans la possession
de leur pouuoir, la Loy les establit
Maieurs à quatorze ans : Cét âge peut
donc expliquer leur volonté par leur
plaisir, & disposer independemment
des années, autrement la Loy auroit
inutillement trauaillé, le Roy seroit
plus Maieur vn temps qu’en l’autre,
ce qui n’est pas, la Maiorité à quatorze
ans estãt la mesure d’vn certain temps
aussi complete à quatorze années qu’à
cinquante ; Cecy est confirmé par l’vsage
qu’ont fait les Rois du Benefice de
cette Loy, depuis sa premiere institution,
par le consentement des Estats
qui l’ont receuë, des parlemens qui
l’ont verifiée, & des peuples qui se
sont armez pour sa deffense, contre
ceux qui la faisoient seruir de pretexte

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à leur ambition : Le Roy a il moins
de droit ou de suffisance que ses ancestres
pour innoüer à son preiunice la
forme de son gouuernement, & ne se
doit-il pas ressentir d’vn affront qu’effleure
sa Couronne. & qui diminuë
son authorité le plus auguste ; & le plus
precieux heritage de ses peres.

 

Les Princes diront qu’ils ne retranchent
point l’authorité du Roy, mais
qu’ils la retirent des mains d’vn depositaire
infidel ; qu’ils ne font de breche
à sa Couronne : mais qu’ils l’arrachent
d’entre les bras d’vn gardien qui la
laisse choir ; il me semble qu’ils en doiuent
moins accuser sa foiblesse que
leurs obstacles, & la nouuelle pesanteur
qu’elle reçoit de leur resistance ;
D’où vient la des obeїssance des peuples ?
De ce langage seditieux, que le
Roy ne commande pas ; qui leur apprend
ces subtile distinctions d’Estat ?
Les Princes qu’ils reconnoissent les
organes de la Majesté, les vns seront
dans le douoir si les autres n’en sortent

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point, la populace est comme la mer,
immobille de sa Nature, & orageuse
par vn accident estranger, ne l’exitez
pas, & elle demeuse dans ses bornes ;
nous serions encore en estat de donner
à l’Espagne, 1er Loix de la Guerre,
& de la Paix, de receuoir ses hommages
ou de luy vendre nostre alliance, si
la diuision n’eust arresté le cours de
nos Triomphes, & nous serions vnis si
le Prince n’eust destruit cette mutuelle
intelligence qui est l’ame de cét Estat,
& le destin de sa durée.

 

Ie sçay bien que la vengeance est la
satisfaction de l’iniure : & qu’vn monde
captif est vne legere reparation à vn
Conquerant deliuré ; mais il deuoit
considerer la disgrace de ses chaisnes
parle malheur de sa suietion, son ressentiment
par ses effets, & ses ennemis
par leur asile ; Falloit il renuerser le
Thrône, pour en retirer la victime,
falloit il violer le droit du tombeau,
& renoncer aux derniers deuoirs de la
nature, pour brauer son souuerain auec

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vn éclat indecent ; Falloit-il cabaler
dans la capitale du Royaume, demander
le Gouuernement d’vne Prouince,
à dessein de la sousleuer, & changer
ainsi la grace du Prince, en vne matiere
de punition ; Tout le temps qui
s’écoula depuis sa sortie de prison, iusque
à sa retraite de la Cour, ne fust
employé qu’à suborner la fidelité des
grands, & débaucher le respect & l’obeyssance
des peuples ; Nous auons vû
ce Heros à la veuë du Roy marcher
en triomphe par les ruës, attirer le
cœur & les yeux par vne magnificence
hors de saison & vne liberalité nouuelle,
s’abbaisser à captiuer auec soin le
Colporteur & le Marinier ; Et cét esprit
fort qui ne pouuoit plier sous les veritez
de la Foy, s’humilier à des apparences
Religieuses, frequenter parmy
la foule les Sacremens, par vne detestable
hypocrisie, & à la sortie de ce
Sacré banquet, non pas comme Dauid
deuant l’Arche de l’Alliance, dancer
auec l’artisant & la Bourgeoise,

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tandis que ses affidez faisoient remarquer
aux Spectateurs la bonne grace
de son port, la iustesse de ses cadences,
sa douceur mélée à la Maiesté, ses
Triomphes surnaturels auec ce diuertissement
familier, interrogeoient chacun
de sa qualité, de sa demeure & de
son nom, qu’il falloit oublier le passé,
éprouuer l’aduenir, & luy pardonner
le siege de Paris, qu’il estoit prest d’expier
auec son Sang pour leur seruice,
& qu’il n’auoit entrepris que par vne
aueugle obeyssance aux volontez de
la Regente ; En bonne foy, Agathon,
cela n’est-il pas ridicule & seditieux,
& auriez vous créu qu’on eust coniuré
au son de la musette & du chalumeau.

 

Train de
Mr. le
Prince
trop magnifique
pendant le
düel d’vne
mere.

Fait largesse
d’argent
sur
les Ports
& places
publiques.

Le iour
de la Peutecoste
fait
ses deuotions
aux
Iesuittes
de saint
Louys, &
le soir va
au Iardin
du Roy,
où vn de
ses valets
de pied
ayant porté
vne
Musette
ce Prince
fit danser
les Bourgeoises
qui
y estoient
tandis que
quelques
Seigneurs
de sa suitte,
demandoient
aux Bourgeois
leur
nom, leur
qualité,
leur demeure.

Cependant Son Altesse Royalle
l’ayant insensiblement amusé, la Maiorité
le surprit, & le Roy qu’il ne consideroit
que comme vne statuë couronnée,
luy parut terrible tout à coup,
il s’eclypsa la veille pour ainsi dire,
que ce Soleil deuoit sortir hors des

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nuages de son Aurore : Chacun remarqua
lors la difference qu’il y auoit entre
le regne du maieur & la Regence
du pupille, iusque là Monsieur le Prince
estoit demeuré dans Paris, sans auoir
seulement salüé le Roy, depuis son
équippée de saint Maur, il se trouuoit
à la pourmenade du cours és mesmes
heures que sa Maiesté, il y soustenoit
sa presence aussi hardiment, que si
ses seruices & sa soumission eussẽt merité
des graces & de l’amour, & le premier
iour de la Maiorité n’auoit pas encore
éclairé que toute sa pompe disparust,
ou par ialousie de la voir obligee
de seruir d’ornement au Triomphe de
son Roy, ou par vne reconnoissance
publique que les ombres est oient dissipées,
le Monarque absolu, & que la
seule fuitte seroit dorénauant à vn suiet
mécõtent la deffense legitime ; Aussi
les premieres Lettres qu’il écriuit au
Roy ne cõtenoient que des témoignages
d’obeyssance & de deuoir, & sa retraitte
sembloit plutost euiter le differend

-- 20 --

que courir à la reuolte, il est vray
que parmy les termes de fidelité & de
respect assez souuent reïterées, ie remarquay
peu de sens & beaucoup de
desordre dans la suitte, ce qui me faisoit
apprehender que sa grande patiẽce
ne fut conuertie en fureur & cõme
la passion est vne mauuaise confidente
du secret, ie ne pouuois interpreter
ces paroles benignement, Permettez
moy, SIRE, de me consoler dans l’esperance
que i’ay de l’accompagner bien tost dans
le triomphe : qu’ou luy preparera pour auoir
deffait ses ennemis : Dans quel Triomphe
disois ie, croit il accompagner le Roy,
de quels ennemis espere il la deffaite,
fera t’il des leuées sãs ordres & à ses depens,
& a la teste de ses Troupes, ira t’il
cõtre l’Estranger affermir vne autorité
qui le menace dans sa patrie, & iustifier
sur les ruines de l’Espagne, & sur la breche
de ses tours, vne fidelité que la
France accuse iniustement ; Puis ioignanr
ce qui suit, Apres luy auoir fait
connoistre, que si ie n’expose pas ma personne

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Parlement qui croit plustost l’aueu
qu’elles ont de Monsieur le Duc d’Grleans
que leur commission, leur Passeport,
leurs meurs & leur langage, & se
contente ainsi du témoignage d’vn
complice pour absoudre vn criminel.

 

Monsieur
le
Prince
sort de
Paris
la veille
de la
Maiorité

Elcrit au
Roy.

Sa Lettre.

Le Parlement
ne s’y
oppose point,
comme il luy
auoit esté commandé
par[illisible]ne
lettre de cachet,
sur la
parole que
leur dõna son
A. R. que ces
trouppes luy
appartenoient

Le Mazarin est innocent de ces trois
genres d’accusation, il enseigne aux
peuples le respect, il attaque leur rebellion,
il combat l’Espagne dans le
cœur du Royaume, & sur la Frontiere,
il adore la Majesté dans elle mesme independente
des annees, Puisque les
Rois ne meurent point, & que leur caractere
est comme vne ame tousiours
actiue, aussi-tost dans le successeur
qu’elle a quitté le deuãcier, que si vous
soupçonnez son obeїssance d’interest,
& qu’il soustient dans l’authorité, le
fondement de sa fortune ; quand cela
seroit, vaut il pas mieux faire regner le
Roy & se maintenir, que se fortifier sur
sa foiblesse.

Ces raisons, Agathon, si vous ouurez
les yeux à la verité, vous tireront

-- 22 --

aisement du doute ou vous estes de
la Iustice des deux partis, qui nous diuisent
& termineront l’indifference
qui vous enseuelit dans le repos au milieu
de nos mouuemens ; Que si vous
croyez que l’intention innocente de
Monsieur le Prince excuse les moyens
illegitimes dont elle se sert, & le mauuais
effect qui la suit, que tous ses desseins
tombent au pied du throsne, &
qu’à le bien prendre la Guerre presente
est vne querelle de Courtisan, ie ne
vois pas qu’on puisse mettre en vne iuste
balance le party de la Reyne & du
Prince, que l’vn ait lieu de contester à
l’autre la souueraineté de ses desirs, la
Reyne est Mere du Roy, & chef de
son Conseil, par le premier acte de Iustice
qui a signalé la Majorité, en presence
des Grands du Royaume & du
Parlement, quelle Loy assujettit donc
le choix de ses Ministres au caprice, &
à l’approbation du Prince, celuy cy
veut venger son hõneur en esloignant
son ennemz, & la Reyne se deffendre

-- 23 --

d’vn affront en conseruant sa creature,
il veut disposer du Conseil du Roy,
elle ne veut pas en estre chassee, elle
preuoit bien que l’abandonnement du
Cardinal sert de Prelude à sa disgrace,
& qu’on essaye sur le seruiteur, les persecutions
de la Maistresse : l’illustre &
infortunee marie est son exemple, de
ce qu’elle doit craindre & esperer du
changement de fauory : La perte du
rang ou la Nature l’a esleuee, n’affligeroit
pas tant nostre vertueuse Princesse
que le regret d’estre esloignee de la
presence de son Fils, & de le voir possedé
par des ambitieux qui deuiendroient
peut estre, & se tuteurs posthumes,
& ses successeurs anticipez,
C’est ce mesme sentiment qui a arraché
Monsieur-le Cardinal de sa solitude,
& employé en la leuee d’vn armee
les liberalitez du Roy, il n’a pas
escouté cette prudence ingrate & timide
qui luy conseilloit le repos ; que ses
biens & sa qualité luy donnoient hors
de la France vne subsistance glorieuse,

-- 24 --

qu’ayant dissipé son argent en vn amas
de gens de Guerre, il demeuroit exposé
au sort des armes & à l’infidelité du
Soldat, qu’il alloit en vn Royaume,
où par vn Priuilege inouy tous les sujets
pouuoient estre ses Bourreaux, &
fa teste la richesse d’vn assassin, que
quand son entreprise reüssiroit, il cher
choit par plusieurs dangers vn plus
grand peril, ayant appris de son experience
que le precipice est le voisin de
la grandeur, qu’vne fortune éclatante
est vne aduersité masquee, & que
l’enuie engendre tout ce que suppose
la compassion ; son courage n’a point
balancé entre la crainte & l’asseurance,
sa reconnoissance à regardé l’vn &
l’autre par les necessitee de ses bien-faicteurs,
il a creu son argent le depost du
Prince, sa fidelité, la veneration du
Soldat, son restablissement, le Regne
de la Majesté, & sa mort le plus bel vsage
de sa vie ; Il a armé & est venu ; Cependant
il est scelerat. & la Reyne parjure,
tandis que Monsieur le Prince à

-- 25 --

l’applaudissement des ordres du Royaume
pour auoir violé son serment
dans son intelligence auec l’Espagne,
& la Foy de l’Estat dans l’abandon des
Catelans ; Ce retour est donc bien funeste
qu’à son égard, la trahison est fidelité,
& les plus grands crimes n’ont
besoin pour leur expiation que de luy
seruir d’empeschement ; En effet, il
ramene vn Estranger chargé de la haine
du peuple & des imprecations du
Senat, en tout cela l’on ne parle non
plus du Roy, que si son Estat estoit
populaire, & que la Majesté reposa
dans le peuple & le Parlement.

 

Marchin
abandonne la
Catalogne,
Barcelone assiegé
en estant
Viceroy pour
amener ses
troupes à M.
le Prince.

Ces accusations sont si friuoles que
ses luges craignent de l’entendre de
peur que son innocence ne les oblige
à le iustifier : mais quand il seroit coupable,
il n’y a pas moins d’injustice à
le condamner sans l’ouyr, que l’innocent
qui s’est deffendu : Ces Messieurs
traittent les loix comme certains malades
le Soleil, ils ouurent les yeux à la
lumiere qui les flate, & les ferment au

-- 26 --

iour qui les offense ; quand on arreste
leurs collegues, & qu’on emprisonne
vn Prince suspect, ces violences sont
tyranniques, & contre les formes que
la Iustice a establies dans les matieres
criminelles : Faut-il se deffaire de leur
ennemy, guerir la crainte que leur
donne le restablissement du Cardinal,
ils declarent criminel, le bonnissent à
perpetuité, proscriuent sa teste, sans ordre,
sans procedure, sans preuue, sans
accusateurs & sans complices, sur la renommée,
sur le bruit cõmun, sur la voix
du peuple qui est la langue du mésonge
& le témoin des ignorans, s’il falloit
abãdonner à sa fureur les victimes que
demande sa passion, ie ne sçay s’il n’en
chercheroit point sur les tribunaux &
sur le throsne, estant las de sa seruitude
& commençant à reconnoistre le Parlement,
la cause de la Guerre qui luy
promettoit inutilement la liberté : Verifiez
les crimes du Cardinal, leurs circonstances
& leur qualité, en quel tẽps
en quel lieu, de quelle sorte il les a commis,

-- 27 --

informez contre ses complices,
marquez nous son ingratitude à trahir
son Maistre, en faueur de ses ennemis,
son insuffisance ou sa malice à balancer
la Guerre par des pertes imprudentes
ou volontaires : Et nous le croirons
criminel de leze Majesté, perturbateur
du repos public, & puny trop legerement
par vn bannissement eternel.

 

Iniustice du
Parlement de
ne vouloir pas
que le Cardinal
se iustifie.

Qui statut
aliquid parte
in audita altera
æquum
licetstatuere,
haud æquus
tamẽ, Senec.

De s’exẽpter
des formes
ausquelles il
veut que le
Roy [1 mot ill.].

Peut-estre croyent-ils toutes ces
formes inutiles où le Roy a donné sa
Declaration publiquement, & que la
volonté du Prince est la souueraine
Loy Helas, Agathon, ils se seruent
de ce bouclier quand ils les couure, &
le foulent aux pieds quand il les charge,
si ils se picquent d’entretenir la Declaration
du Roy qui l’a chassé, pour
quoy ne reçoiuent ils pas les mesmes
ordres qui le r’appellent, le mensonge
a cela de propre, qu’il ne va pas loin
sans se dementir, iusques-là ils n’auoient
consideré le Roy, que comme
l’organe de son Conseil, incapable de
deliberer & d’agir, éloigne-t’il le Cardinal,

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il est Majeur, raisonnable, &
d’vn aage a estre obey, le reprend-il en
sa protection, il est retombé dans l’enfance,
& peu s’en faut que ne le remette
en tutele, il est vray qu’il a achepté
sa Majorité à ce prix-là, qu’on luy a
vendu le droit de ses Predecesseurs, &
que pour estre absolu, on l’a contraint
de donner cette marque de sa dépendance :
Car qu’elle autre vtilité pouuoit
il tirer d’vne Declaration qu’il
supprimoit dans sa pensée ; il n’appaisoit
ny le Prince, ny les Peuples, Puisque
la seconde blessure détruisoit l’effet
du premier remede, & que la punition
du retour effaçoit la grace du
dépare. Aussi n’employent-ils point
de plus douces paroles dans leurs plaintes,
que les reproches d’infidelité de
fourbe & de parjure : Où vous remarquerez,
Agathon, que la deception ne
se fait pas tousiours auec fraude, &
qu’elle est quelquesfois l’effet d’vne
prudence déliée, que le philosophe
appelle vne faculté de l’entendement

-- 29 --

moyenne & indifferente, bonne ou
mauuaise, selon les qualitez de sa fin &
S. Basile vne action de l’esprit auec attention
& artifice, & vne loüable recherche
des choses qu’on doit faire ;
Or ie vous prie, Agathon, la Majorité
du Roy estant le priuilege de ses
ayeux, le terme de son authorité, & le
Caractere de son esprit, pouuoit-il eluder
par vn moyen plus innocent, que
par vne Declaration contre le Cardinal,
Les brigues de ceux qui l’auroient
empeschée, & ne valloit-il pas mieux y
opposer l’adresse du Conseil, que la violence
des armes ; Le sçauant Lipse reçoit
à bras ouuerts le procedé qui prefere
à la violence la tromperie, & à la
force l’artifice, & sa Majesté selon le
Conseil de ce Politique est preste d’épurer
par la clemence, ce qui seroit de
moins legitime dans vne conduite où
l’on peut dire, que la bonne foy se détourne
plustost qu’elle ne s’égare. Le
Roy seroit bien malheureux, si voulant
rendre sa Majorité vn regne de

-- 30 --

grace de Iustice & d’amour, on l’obligeoit
à renfermer les effets de ces precieuses
qualitez, dans le pardon des ennemis
& des coupables, sans les pouuoir
estendre à la conseruation d’vn
Ministre fidel & innocent, qui porteroit
en son bannissement parmy l’éclat
d’vn Monarque restably, les honteuses
marques d’vne Minorité deshonorée,
& apres le calme de l’Estat,
en souffriroit encore les restes de l’orage.

 

Se sert des
Declarations
du Roy autãt
qu’elles luy
sont auantageuses.

Le Roy contraint
de dõner
sa Declaration
contre
le Cardinal
pour estre declaré
Maieur.

Non est fraudis
sed prudentiæ
decipere.
Plin. 1.
b. 8. Epist. v.
Arist. mor.
liu. vi.

Lip. pol. lib.
vi.

La Constance que témoigne le Parlement
à maintenir son Arrest, n’est
qu’vne opiniastreté deguisee, aussi vicieuse
que la legereté dans la Morale,
le changement d’opinion n’est pas seulement
exempt de blasme, si la cause
est legititime, il y a mesme de la gloire
& de la constance, il n’appartient qu’au
Sage qui suit constamment l’honeste
& le deuoir, de se retirer à propos d’vn
sentiment passionné, mauuais, ou pernicieux ;
Ce seroit vne injustice dans le
Iuge que les témoins auroient surpris

-- 31 --

d’opiniastrer vne sentence de mort apres
l’éclaircissement de la calomnie :
& la preuue de l’innocence ; On a liberté
tous les iours de reprendre son aduis
dans les deliberations publiques,
il y a peu de Loix eternelles, l’occasion
les fait naistre & mourir. Louys le Iuste
a chassé du Royaume les Estrangers
dans la personne du Marquis d’Ancre,
il les a receu à la participation de ses
Conseils, dans le Cardinal Mazarin ; le
Parlement a cassé le mariage de Monsieur
le Duc d’Orleans, il honore aujourd’huy,
les Princes & les Princesses
qui en naissent, le traité de 1649. n’a t’il
pas annullé les procedures injurieuses
de l’vn & de l’autre party, Ie seul Arrest
contre le Cardinal Mazarin, sera t’il
attaché auec vn clou de diamant, qu’il
ne puisse estre ébrãlé ny par l’authorité
d’vn ieune & aimable Souuerain, ny
par les furieuses secousses d’vne guerre
domestique ; On n’a iamais loüé, dit
l’éloquent Romain, dans les grands
hommes de la Republique, leur opiniastreté

-- 32 --

a demeurer attachez à vn mesme
sentiment ; mais comme dans la Nauigation,
il est de l’adresse du Pilote qui
regarde tousiours son Port, d’obeyr
aux vents & à la Mer qui l’en éloignẽt,
& de sa prudence de changer auec succez
la route qu’il continueroit auec peril,
ainsi, poursuit-ce Sage Consul,
nous pouuons accommoder nos parole
aux temps & aux affaires, & suiure
tacitement le but que nous nous sommes
proposez dans l’administration du
public. Le Parlement a-t’il d’autre intention
que le bien des peuples, l’authorité
du Souuerain & le repos de sod
Estat, qu’il supprime l’Arrest contre le
Cardinal Mazarin, & il estouffe la semence
de la guerre qui abandõne nos
Prouinces au pillage de quatre armées,
& le Royaume à l’inuasiõ des ennemis,
le Roy regnera par la soûmission volontaire
de ses subjets, la Paix rétablira
le Commerce & l’abondance, & Paris
que vous me representez, Agathon,
comme vne place d’armes, & vn lieu de

-- 33 --

peril & d’effroy, reprendra la face qu’il
auoit, quand le sejour de son Monarque
couronnoit sa grandeur & sa magnificence,
que seroit ce de cette superbe
Cité, la merueille de l’Vniuers, ou plûtost
vn monde renfermé, si elle voyoit
ses maisons nottees ses riches proscrits,
son Senat méprisé, ses forteresses &
places publiques occupées, par des Allemans,
des Lorrains & des Espagnols,
vingt mille Estrangers qui sont les restes
de ce que la fuite a sauué en diuerses
rencontres, où la pitié & la lassitude
de nos Soldats, sont-ils moins dangereux
qu’vn Estranger naturalisé, & qui
nous a l’obligation de sa fortune, Sans
mentir, Agathon ; cette preference est
vn charme puissant, & vn aueuglement
déplorable ; Et ne dites point que le
traité de Paix seroit vne loy de seruitude,
& qu’on a trop auancé pour reculer
auec gloire, vn bien-fait present efface
vne injure passée, & l’accueil merite la
grace du refus, il n’y a point de Paix auec
son Citoyen, qui ne soit meilleure que

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la guerre, le mal est pire que le remede,
pour guerir veritablement, laissons nous
tromper à l’apparence : que ce qui s’est
passé depuis 1649. soit l’illusion d’vn
sommeil inquiet, & le songe d’vne longue
nuict, & comme la derniere instauration
du monde viendra, quand les
Astres retourneront au poinct de leur
premier départ, remettons chaques
choses au lieu naturel où elles estoient
à la naissance de nos troubles, les Peuples
dans l’obeyssance, les Princes & le
Ministre dans le Conseil, le Roy dans
l’authorité, & la France ainsi renouuellée,
sortira plus pure de son embrasement,
plus saine de ses maladies, & plus
vnie de ses diuisions.

 

Cic. à Lentul
Epist. ix.
Lib. 1.

Omnis pax
cum ciuibus
bello ciuili
[1 mot ill.] vide
[1 mot ill.] Cic.

FIN.

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Anonyme [1652], LE CARACTERE DV ROYALISTE A AGATHON. , français, latinRéférence RIM : M0_633. Cote locale : B_17_20.