Anonyme [1649], LE BON BOVRGEOIS DE LA PARROISSE DES SAINCTS INNOCENS, A MESSIEVRS DE & cætera. , françaisRéférence RIM : M0_584. Cote locale : B_17_7.
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LE BON
BOVRGEOIS
DE LA PARROISSE
DES SAINCTS
INNOCENS,
A MESSIEVRS DE & cætera.

Qve diable pensez vous faire, Messieurs,
à qui en voulez vous ? à quoy bon toutes
ces broüilleries, qui ne seruent qu’à diminuer
l’affection que nous deuõs auoir pour
nostre ieune Roy, & pour cette bonne
Princesse sa Mere ?

C’est grand cas, qu’il n’est pas iusques aux porteurs
d’Eau, lesquels entretiennent auiourd huy nos Seruãtes
de tant de fatras d’escritures, ou plustost de tant de
torches-cul que l’on debite & que l’on vend sur le
Pont Neuf : Mais comme disoit il y a deux ou trois iours
la femme de Maistre & cætera, mon voisin, laquelle
estant en colere, mercy Dieu, dit-elle, si telles gens
ont tant de démangeaison que de mettre leur nez par
tout, & qu’ils veüillent pestrir & repestrir le monde à
leur phantaisie, qu’ils commencent par eux-mesmes.
Qu’ils cassent du grais à la piaffe & à la vanité de Madame
la & cætera ; Qu’ils enuoyent au Landy les superfluitez

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d’habits de tant de muguets & de coquetes,
& entr’autres de Madamoiselle la & cætera. Qu’ils ne
mangent plus à present qu’il fait chaud tant de Pain
d’épice, lequel leur altere si fort le gozier, qu’ils boiuent
à tire larigot le sang & la substance du pauure palot.
C’est par saint friant ce qu’ils deuroient faire, &
non pas s’amuser aux memoires de Martin & de Gautier,
fourant pesle-mesle dans leurs briborions tout ce
qu’on leur baille sans sçauoir bonnement s’ils sont
vrays ou s’ils sont faux ; Car, qu’est ce ie vous prie (disoit-elle)
tout ce qui est contenu dedãs tãt de Libelles
& tant de papiers moulez, sinon que ces beaux escriuasseurs
n’ont autre desseing que de drapper les plus
gens de bien, & de les traitter comme si c’estoient des
faquins.

 

Elle en vouloit bien dire dauantage, mesme en pleine
ruë, où tout le monde commençoit à s’amasser, si ie
ne luy eusse tiré sa quenoüille du costé pour la faire
entrer dans ma boutique, luy resserrant dans le bec ce
qu’elle auoit enuie de débagouler touchant l’honnesteté
de certaines personnes, qui pour les garder du
rheume & du cathare, on leur a mis sur la teste des bonnets
pesans comme vn Mortier.

Pour moy qui suis simple homme, & de la Parroisse
S. Innocent, Ie ne me mesle guere des affaires d’autruy,
& tout ce qui entre par vne de mes oreilles sort
par l’autre ; Ie iuge du bien ou du mal de la France, non
par ces Almanachs, ny par des discours forgez à plaisir,
mais seulement par ce que mes yeux en voyent, & ce
qui passe par mes mains.

Pourueu que ie voye la Vallée de Misere, & la ruë

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de la Cossonnerie aller leur train ordinaire, les Ports de
la Gréve & de l’escholle bien garnis de Bled, de Vin,
& de Bois, la Place aux Veaux mieux remplie que iamais,
auec la douce & friande odeur de nos Rotisseries :
Que ie rencontre en fin quantité de boucs gras par la
Ville, & que i’entende crier, tant aux grands comme
aux petits, gare la Corne, Messieurs, ie me persuaderay
pour lors que tout est bien gouuerné dedans ces Prouinces ;
Ce sont-là les raisons sensibles que nostre Curé
appelle Arguments, ad hominem. C’est à dire, tirez de
la marmitte ; Ma foy, quand l’exercice des machoires
manque, il n’y a remonstrance, fut-elle du style du
plus grand Docteur de Sorbonne qui ne me fasse croire
que tout n’aille tres-mal par tout.

 

Pendant ces dernieres Barricades, i’ay tousiours
roullé & fait ripaille comme les autres ; mais en mesme
temps que ie vis à nos portes, Monsieur & cætera, armé
comme vn sainct George, & que ie fus reduit à
manger du pain bien bis, & encores à leche doigt ; Ie
commençay à considerer, que de ce que l’on fait souuent
à l’étourdy, on s’en repent tout à loisir ; hé de
pardieu quand i’y songe ? i’en ay grand deuil, mes meubles
& les bagues de ma pauure defunte femme Iaqueline,
& ses beaux ouurages au petit mestier y ont
bien paty, & n’ont pas esté bastants pour me nourrir
long temps en cette calamité, en laquelle tout mon
pauure corps est deuenu sec & havre comme vne des
carcasses de nostre Cimetiere.

C’est pourquoy, Messieurs, ayant encores la caboche
toute estourdie du coup, i’apprehende grandement
de me reuoir vne autrefois à telles nopces, où ie

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vous asseure, que les Parisiens auoient plus de fluttes &
de tambours pour danser la Pauane & la Sarabande,
que de jambons & de ceruelats pour leur exciter l’appetit.

 

On ne mãquoit point de beaux pretextes pour nous
mener par le nez comme des buffles, le bien public, les
desordres du Royaume, tant en la Iustice qu’aux Finances,
la faueur des vns à la Cour & le mescontentement
des autres furent les ingrediens du boüillõ qu’on
nous fit aualler, pour au bout de la carriere mourir de
malle-rage de faim.

Tréve au Nom de Dieu, Messieurs, Tréve de telles
drogues lesquelles sont vrayement agreables à l’odorat,
mais tres-ameres au goust ; Pas vn de vous, pour
versé qu’il soit és Langues n’en pouuant plus proprement
reprimer l’energie que par ce beau mot que les
Grecs appellent galimathias.

Car quand bien il y auroit autant à r’habiller au gouuernement
de l’Estat qu’au pucelage d’vne ieune fillette
qu’vn verd galand auroit surpris en dormant, si
en faudroit-il attendre la reformatiõ sans petiller d’impatience,
ne plus ne moins que quand vous voyez, Messieurs,
vos enfans morueux vous excusez ieunesse, & ne
leur arrachez pas le nez pour cela.

Pour moy, si i’estois aussi bien Licentié és Loix que
ie suis simple & cætera, & que par la bonne opinion
de ma suffisance ie m’ingerasse de dire ma ratelée des
affaires du Royaume ; Ie serois bien d’aduis, pour tout
reformer à la nouuelle mode, que les Chartreux iugeassent
les procez en dernier ressort, que les Sergents
du Chastelet passassent les Docteurs en Theologie ;

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Que les Curez & simples Prestres fussent autant que
les Euesques & Cardinaux ; Que les Mareschaux fissent
les Medecins, les Apoticaires les Escuyers, & les Nottaires
les Maistres d’escrime ; En vn mot, afin que tous Estats
depuis le plus grand iusques au plus petit, se ressentissent
de ma belle reformation ; ie serois d’aduis
que chacun changeant de robbe vos bons amys fussent
vendeurs de fuzils ou crieurs d’allumettes, & que les
Financiers ou autres Officiers payans eux-mesmes les
Tailles, les Laboureurs en fussent les Receueurs sans
rendre compte ; Ie voudrois aussi, & serois d’aduis, que
les vallets deuinssent Maistre, ou qu’au moins pour enrichir
la table les Secretaires d’Estat se contentassent
d’estre Marguilliers des Parroisses ; Ne seroit ce pas là
vne reformation digne d’vn braue Iurisconsulte &
aussi bien entendu à la Politique que Dame Guillemette
ma grand’mere.

 

Or laissant toute raillerie à part, & vous donnant
tousiours vne meure entre deux vertes ; Où en serions-nous,
Messieurs, si le Roy estimoit vne fois Paris indigne
de son sejour & que nous plantans là pour reuerdir
il allast asseoir sa Cour ailleurs, ou que raccourcissant
& reformant iusques aux fesses la robbe des Procureurs
& Aduocats, il establit vn Parlement à &c. &
vn autre à &c. pour le soulagement des pauures Plaidans
qui viennent de cent lieuës loin pour solliciter vn
procez de triquenique Ceux qui seroient cause de l’Eclypse
du Soleil qui fait esclorre les roses & les tulippes
de nos iardins seroient-ils mieux pour cela aux bonnes
graces des Parisiens, ains plustost ne les maudiroient-ils
pas comme herbes ameres ? Que deuiendroient les

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galleries & la Salle du Palais, où les rats & les souris
courroient la lance en plein midy ? Ces Gentils hommes
à lieure tant Gascons, Normans, Picards que Perigordins
ne s’y promeneroient-ils pas tout le iours bottez
& esperonnez pour brauer les Clercs ? Helas ! si le
Roy nous quittoit que deuiendroient tant de marpaux
qui ne viuent que du gain de la Cour & des Courtisans ?
Que deuiendroient nos Chambres garnies & nos
maisons à loüer ? La charité commençant par soy-méme
& estant fol qui s’oublie, que deuiendroit aussi le
pauure &c. vendeur de noir à noircir ? Pourroit-il pas
bien trousser ses quilles & prendre sa route ailleurs
qu’à Paris, vne hotte sur son col, ses petits enfans dedãs,
comme vn quarteron d’Angelots de Brie ? A qui recourroient
en fin tant de pauures filles de ioye qui aiment
mieux qu’vn fendeur de nazeaux qui porte la
dague sur le roignon, les baise gratis, que tout ce qu’elles
pourroient pigeonner ny de l’enfant de Ville, ni de
la sottane, ny du bonnet quarré.

 

De penser nous mettre le cœur au ventre & nous
faire faire les Rodomons, comme si le Roy ne se pouuoit
passer de sa Ville capitale, ou qu’en nous mutinant
par la caiollerie d’autruy, nous fussions assez vaillans
pour resister à la colere de sa Majesté, ce seroit nous
tromper bien lourdement : car outre que de tant de
gens que nous pouuons estre pour faire le colin-tampõ
sur le paué, à peine s’en trouueroit-il le quart qui voulut
aller voir le loup seulement à demy-lieuë au delà de
Vaugirard Il ne faut mesme que dix perches de terre le
long de la Seine au dessus ou au dessous de nostre Ville
pour nous mettre à la faim & nous faire manger les

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vns les autres comme topinambous & margaiats : Ioint
que si nous autres Messieurs de la populace par excez
de reformation, faisions vne fois des ieusnes non commandez
de l’Eglise, par où pensez vous, en conscience,
que nous commencerions à trinquer du meilleur ? que
du vin de la caue de Messieurs de &c. Dieu sçait mesme
s’il y auroit pas tel de nous qui de paresse & pour épargner
la chandelle chez soy, voudroit apres auoir bien
haussé le temps, coucher auec la femme ou la fille de
Monsieur &c qu’il recognoistroit auoir lits & mattelas
dans vne chambre bien tapissée.

 

Pourtant, Messieurs, comme bon Bourgeois pacifique
qui aime mieux pour deux liards de cailletes chez
soy, qu’vn chappon roty dans le trouble & dans la guerre,
ie vous proteste au nom de tous les bons compagnons
mes semblables, que ie ne déroüillerons iamais
nos hallebardes que pour le seruice de la Maiesté du
Roy, & par son seul commandement, quand mesme
Lucifer, Astaroth & tous les Vents du Septentrion s’en
mesleroient.

Il ne seroit pas tant de courir auec la procession des
Capucins apres nostre Roy irrité, s’il se vouloit esloigner
de sa bonne Ville, comme fit de sa grace Henry
III. Chose qui toutes fois n’est pas propre pour la conseruation
de son authorité nous estant si pretieuse qu’il
n’y a Paroissien qui ne creuast tripes & boudin pour
vne si iuste querelle.

Et comme il n’y a personnes qui ayent plus d’interests
que vous, Messieurs, à conseruer cette mesme authorité,
ie ne doute point que vous ne soyez des premiers
à la maintenir nette comme le bassin d’vn barbier

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& sans equiuoques, puisque l’Aduocat Orthodoxe
& Catholique les blasme fortés Iesuites, suiuant les
memoires addressez à l’assemblée du Clergé par Monsieur
&c. pour la reception du Concile de Trente, auec
ampliation de l’authorité du Pape & de la Iurisdidiction
des Ecclesiastiques, sauf, dit il, à modifier les
Canons du Celibat en faueur de ceux qui n’ayans point
de femelles à eux, s’accomodent par charité de celles
de leur prochain.

 

Viuans gaillardement comme cela & sans tricherie
comme font les Sages d’entre vous, vous aurez part du
fruit qui naistra de la continuation de la paix soubs l’obeyssance
de nostre bon Roy, l’innocence duquel, dit
le Curé de &c. crie vengeance deuant Dieu de ceux qui
broüillent son seruice, les benedictions d’vne telle paix
seront grandes, les chapons du Mans pour vostre bouches,
la moutarde de Dijon auec les andoüilles de Troye
pour entretenir l’appetit de mes Dames les &c. n’oublieront
point le grand chemin de Paris, non plus que
les Chasse marées de Dieppe, le blanc & le clairet y
entreront de toutes parts & caressant le papa comme à
l’accoustumée nous estimerons y receuoir tout le bien
l’honneur & le support que nous deuons esperer de nostre
bon Roy, & la galle vienne comme à mon petit
chien à ceux qui seront d’vne opinion contraire.

Et pour conclurre ce petit discours, quoy que ie ne
sois Prophete ny fils de Prophete, si vous annonce-je
pourtant que la France n’aura iamais qu’vn Maistre
pleinement absolu, toute autre grandeur qui le voudroit
culbuter estant soubmise à ses pieds : Et quand
mesme il faudroit conuertir les affaires en vn procez

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par escrit, ne refrenant pas les malins le bastõ à la main
si est ce que ce bon Prince protegé de Monsieur saint
Yues n’acquiescera iamais, ains gagnera sa cause nonobstant
opposition quelconque & auec despens, dommages
& interests.

 

Ce consideré grand Roy, & vous ma bonne Princesse,
faites ce que bon vous semblera, dites seulement, qui
nous aymera nous suiue, qui ne voudra venir auec nous
se tienne chez-soy, vous auez des Princes, des Grands,
& quantité de noblesse, qui ne vous abandonneront
non plus, que i’ay d’enuie de perdre de veuë les cloches
de Paris.

Dieu vous conserue & face viure le Roy en ioye & en
benediction. Ainsi soit-il.

FIN.

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