Anonyme [1649], LA VOIX DV PEVPLE DE PROVENCE, Contre les armes de Monsieur le Comte d’Alais. , françaisRéférence RIM : M0_4059. Cote locale : A_7_68.
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LA VOIX DV PEVPLE
DE PROVENCE,
CONTRE LES ARMES
de Monsieur le Comte d’Alais.

BON DIEV, que tardez-vous de chastier aux yeux
de vostre peuple des attentats si execrables ? On vole,
on pille, on rauage, on viole, on embrase les villes & les
campagnes, on les fait nager dans les meurtres & dans le
sang, & vous differez Seigneur, d’escraser ces testes criminelles ?
Deliurez vostre peuple qui perit par la faim,
par le feu, par le fer, en faisant perir l’autheur de tous ses
maux. Vostre Iustice doit la punition d’vn coulpable à
la deliurance d’vn million d’innocens. Les cris de tant de
vefues à qui on a massacré leurs marys ; le desespoir de
tant de meres pour l’honeur qu’elles ont veu rauir à leurs
filles sans pouuoir les garantir : Les larmes de tant de peres
qui ont veu esgorger leurs enfans, & l’orreur de tant
de familles qu’on a reduit à l’extreme misere par les saccagemens
& les embrasemens, reclament incessament
vostre iuste vengeance.

Vous ne pouuez-pas, Grand Dieu, la refuser pour le
salut de toute vne Prouince malheureusement opprimée
par celuy qui estoit estably pour la deffendre, & qui
bien loin de la proteger des violãces estrangeres, paroist
en teste d’vne Armée pour la destruire luy mesme : Qui
bien loin de la faire jouyr des libertez esquelles la clemence

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du Roy venoit de la restablir, il veut la rendre son
esclaue, & luy rauir tous les Priuileges que la bonté de
son Prince luy a si liberalement accordés : Qui bien loin
de luy conseruer cette paix que les Declarations publiques
luy auoient redonnée, luy declare ouuertement la
guerre, y fait entrer hostilement des troupes sans les ordres
du Roy pour executer ses vengeances : & par vn redoublement
de crime il arme contre leur propre mere
les mains paricides des mauuais Citoyens, & les pousse
en frenetiques à se porter eux-mesmes la dague dans le
sein, & deuorer comme Dragons acharnez leurs enfans
& leurs freres, & les enseuelir soubs les ruynes ee leur patrie,
pour laisser à la posterité des marques de leur perfide
cruauté.

 

Et pour couronner ses oppressions, il traite de rebelles
& d’ennemis de l’Estat : Il menasse d’exil & d’incendie
tous les fidelles compatriotes qui s’opposent à ses rauages,
& qui exposent genereusement & leurs biens &
leurs vies pour le salut public. Il veut faire passer pour
le plus noir de tous les crimes la deffence de leur Pays, &
par vne profanation insigne condamner de trahison vne
si eminente vertu. Chose estrange ! de vouloir supprimer
vne loy que la Nature a grauee dans le cœur de tous
les hommes, de vouloir rendre criminel vn deuoir de
charité que les Payens mesmes reuerent, & effacer vne
obligation que toutes les parties se doiuent pour le soutien
du corps qu’elles composent ? C’a esté parmy tous
les peuples vne action heroïque & sacree de s’immoler
pour le salut de sa Patrie, & icy c’est vn attentat de ne
conspirer pas à sa ruyne : On ordonnoit des recompenses

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& de couronnes à ceux qui auoiedt sauué leurs Concitoyens :
& icy on prepare des supplices à ceux qui ne
protegent pas leurs ennemis, ou qui reffusent de signer
des ligues contre les libertez publiques : On mettoir parmy
les Dieux ces Heros qui auoient exposé leurs vies
pour garantir celles de leurs Compatriotes : & à present
on menasse du gibet, ou on punit d’vn exil ceux qui ne
conjurent pas à la perte de leurs Concitoyens.

 

En effet, nostre persecuteur au prejudice d’vn droict si
legitime & si naturel, & à la honte du Christianisme, n’a
il pas porté ses armes contre Draguignan pour forcer sa
fidelité. N’a-il pas proscrit de Tarascon & de Tholon les
plus importantes familles pour auoir tesmoigné leurs
iustes sentimens à l’interest public, comme si ce zele
pour la patrie estoit vn mal contagieux. N’a il pas exilé
de Brignolle auec scandale tous les Officiers de Iustice, &
fait emprisonner honteusement l’vn de ses principaux
Chefs ? N’a il pas en teste de ses trouppes menassé Tretz
de degast s’il ne luy ouuroit ses Portes, que ce genereux
village luy a si constamment fermées en veuë de toute
son armée sans s’esbranler de ses courses ny de ses menasses ?
N’a il pas tasché de surprendre par des Lettres de
cachet anterieures aux ordres subsequents qui les reuoquent,
dont Monsieur d’Estampes est le porteur, deux
cens principales villes de la Prouince qui ont paru inesbranlables
au seruice qu’elles doiuent au bien de leur
Païs ? Enfin, n’a il pas non seulement descrié dans l’vne
de nos capitales villes ceux qui vouloient deffendre ses
libertez, & les garantir de la seruitude à laquelle il la sousmet
insensiblement par des apparences trompeuses :

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mais encores fait dresser plusieurs fois des embusches
pour les y faire assassiner, les preuues en estans dans des
lettres qu’on a interceptées & enuoyées à sa Majesté
pour luy demander Iustice, en faueur de ceux qui pour
auoir sellé de leur sang leur fidelité inuiolable au seruice
de leur Prince, & de leur Patrie, sont traitez de factieux
& de rebelles dans ses Manifestes, parce qu’ils se sont opposez
à ses rapines & à ses injustes desseins.

 

Et que n’a il tenté contre cette illustre ville d’Aix,
pour auoir monstré tant de zele & de chaleur à la cause
publique ? Ne l’a il pas blasmée d’intelligence auec l’Espagne,
parce qu’elle n’en a point voulu auoir auec le perturbateur
du public ? N’a-il pas donné le nom de rebellion
à sa fidelité ? N’a il pas poursuiuy l’exil de ses Cours
souueraines, parce qu’elles n’ont pas voulu fléchir aux
iniustes demandes qu’il a fait au Païs ? N’a il pas demandé
le demantelement de ses murailles, afin qu’elles fussent
ouuertes au pillage de ses funestes trouppes : & tout presentement
ne vient il pas de rauager ses terres, brusler
les granges, enleuer les grains & les bestiaux, declarer la
guerre aux bœufs, aux asnes, & aux poules, & laissé par
tout son terroir l’horreur, la famine, les cris, & la mandicité
par des exploicts illustres & dignes d’vn si grand
conquerant.

Ce sont là les effets de la vangeance qu’il a depuis long
temps iuré contre la ville d’Aix : les Propheties qu’on
auoit hautement publié dans sa maison à sa sortie d’Aix,
qu’il n’y reuiendroit iamais qu’à main armée, sont enfin
accomplies. Il ne niera plus maintenant qu’il n’aye commandé
la guerre, puis que ses desseins paroissent à découuert,

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& que tant d’apareils ausquels on trauailloit depuis
plus de quatre mois, iustifient clairement qu’il l’auoit
preparee, & les vains pretextes qu’il prenoit de l’escorte
des Commissaires, sont entierement dissipez, puis que
ses troupes estoient comme de personnages qu’on tient
cachez soubs la tapisserie qui parurent le mesme iour, &
coururent à leur passage pour les sacrifier à sa rage s’ils
n’eussent esté en estat de deffence.

 

Quoy donc ! la ville d’Aix estoit elle criminelle d’auoir
pourueu à la seureté de ses Magistrats ? Estoit-ce bien vn
suiet legitime de proclamer la guerre, de faire deuorer la
Prouince, de porter par tout le fer & le feu, & de declarer
les Corps de la Iustice souueraine rebelle ? Est ce rebellion
de conseruer au Roy sa Patrie, & d’y appuyer la Iustice ?
Est-ce reuolte de vouloir maintenir contre la violance
les Priuileges de son Pays, & les Declarations de
son Prince ? Est ce perfidie de defendre d’oppression ses
Iuges legitimes, & d’empescher la Iustice d’estre esclaue
des volontez d’autruy, ou d’estre administree par les supposts
d’vne authorité iniustement vsurpee.

Non, non fidelle ville d’Aix, ce n’est pas là ton crime,
c’est qu’il te teste encore du sang dans tes vaines que l’on
veut espuiser iusques à la derniere goutte ; on veut que tu
payes en vne seule fois ce que les autres villes ont payé
depuis vnze annees de son Gouuernement : Il a espuisé
les ruisseaux, il veut en prendre dans les riuieres, il veut
ouurir toutes les veines, il en veut auoir de toutes parts :
Les huict monstres par an payees à son Regiment lors
mesmes qu’il tiroit la solde du Roy, ne l’ont pas rassasié :
l’vsure de dix pour cent pour chaque Compagnie, les

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cent escus par iour pour sa Compagnie d’Ordonnance,
& les rançonnemens exigez pour les logemens des Soldats
ne le satisfont pas : les deniers reuenans bons les
sommes immenses que les passeports des bleds, & la participation
au cartier d’Hyuer ont ietté dans ses coffres ne
suffisent pas : les vingt-huict mil liu. du siege de Tholon,
les soixante quatre mil d’assignation sur le Semestre, ny
enfin les leuees indicibles sur le peuple que les Comptes
du Païs & ceux de toutes les Communautez iustifient,
n’ont pas esté suffisantes pour assouuir son auarice : Il luy
faut le pillage d’Aix, les rauages de son Terroir, & de
toutes ses villes voisines.

 

Et parce que les Compagnies Souueraines sont les seules
digues qui peuuẽt s’opposer à ce torrent qui entraine
le reste de nos biens, il les descrie dans son dernier libelle
plus digne du feu, que de response, comme remply d’inuectiues
infames & de calomnie punissables : Il publie le
Parlement apres l’auoir traicté d’impie, de sacrilege, d’Athée,
d’infame, & de corrompu, pour Autheur des Edicts
qui furent subrogez aux Presidiaux, & l’accuse mesmes
d’y auoir profité de grandes sommes : Mais les Registres
du Conseil du Roy & ceux du Parlement, tesmoins irre
prochables de son innocence, conuainquent de faux cette
imposture ; car ils iustifient que le Roy ayant veu l’Edict
qui luy estoit ruineux & à tout le public, soit pour
la multiplicité des Offices, soit pour la diuision de la Iustice
Souueraine, laquelle eust entrainé vne infinité de
desordres & de contentions dans toutes les villes, sur
tout en vn ressort de si petite estenduë. Le Roy meu de
ses raisons accorda la suppression de cet Edict, mais il

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voulut pour la necessité de ses affaires que le Traictant
qui luy auoit fait des aduances, eust son rembourcement
sur des autres Edicts.

 

Parlez Declamateur à gages, en quoy le Parlement est
il coupable ? n’est ce pas au Partisan de l’Edict des Presidiaux
que tous les Edicts doiuent estre iustement imputez,
puis qu’il en sont les Autheurs & les Parties qui les
ont poursuiuis pour leur interest & leur remboursement.
Tout le monde les connoist, ces infames Compatriotes
deserteurs de la ville d’Aix, d’où les remors de
leurs conscience les a chassez pour s’aller ioindre à celuy
qui les a tousiours protegez, & auec le quel ils conspirent
maintenant de la ruine de leur Patrie : Tout le monde
sçait que ce sont ceux-là mesmes qui ont trempé à toutes
les nouueautez, & qui ont esté employez pour les
Partisans des Requestes.

C’est à eux qu’il faut s’en prendre pour tous ces Edicts,
& non pas au Parlement qui n’en est ny l’autheur, ny la
cause ; & pleust à Dieu qu’il eust dépendu de luy de les
empescher, & d’en soulager la Prouince ! Qui peut douter
qu’il ne l’eust fait auec ioye ? car quand le zele que
ses Officiers ont au soulagement du peuple, quand leur
conscience & leur honneur ne seroient pas des motifs
assez pressans pour les porter à ce deuoir, n’y seroient-ils
pas assez obligez par leur interest propre, & par celuy
de leurs enfans, de leurs freres, & de tous leurs parents,
qui s’y trouuent interessez dans l’interest public : Peut-on
desoler la Prouince qu’ils ne se trouuent enueloppez
dans cette desolation ? Peut-elle perir qu’ils ne perissent
auec elle, comme estans des principaux membres de ce

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corps, & leurs biens, leurs terres, & leurs maisons y
estans enclauées.

 

Aussi qu’on parcourre les registres de l’vne & l’autre
Cour, & on y trouuera plus de soixante Edicts pernicieux
à la Prouince rejettez, nonobstant les iussions reiterées,
voire depuis dix ans combien les Officiers de ces
deux Compagnies ont ils souffert de creuës, de citations,
& des interdictions sur le refus de quantité d’Edicts,
mesmes de l’Eslection, des Auditeurs des Comptes,
des taxes sur les aisez, du cinq pour cent, de la Comptabilité,
des taxes sur chaque ville, & de tant d’autres
dont les registres sont foy, qui alloient à la subuersion
entiere du Pays, à la conseruation duquel ces deux Cours
sont trop attachées par toute sorte de deuoirs & d’interests
pour s’en départir iamais.

Et pleust à Dieu que celuy qui les accuse fust interessé
comme eux dans nos pertes & dans nos souffrances il ne
les causeroit pas comme il fait ! Pleust à Dieu qu’il eust
des freres, des enfants, & des parents engagez dans les
malheurs qu’il nous procure, il se laisroit toucher à la
compassion ! Pleust à Dieu qu’il eust des biens & des maisons
que l’embrazement peust reduire en cendres, il ne
l’auroit pas excité comme il a fait.

Mais ses interests sont bien differents des nostres, tant
s’en faut qu’il perde dans nos pertes, ny qu’il souffre dans
nos souffrances, qu’il en rit & en profite, il ne peut s’enrichir
que de nos despoüilles, il ne peut grossir que de nostre
substance, il ne peut s’esleuer que sur les ruines de
nos villes & de nos murailles qu’il tasche d’abattre, il ne
peut se fortifier qu’en nous affoiblissant, il ne peut nous

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sousmettre à son ambition qu’en nous diuisant, ny
s’vsurper cette authorité souueraine à laquelle il vise si
ouuertement, qu’en deprimant toutes les puissances qui
peuuent luy resister, qu’en eslongnant des emplois les
personnes zelées pour le public, & des interessées ; & jet
tant le schisme dans tous les corps pour nous perdre par
nous mesmes.

 

Et c’est pour cela qu’il auoit forgé cette funeste Chambre
des Requestes pour se faire vn Party dans le Parlement,
& sousmettre les trois Estats de la Prouince en leur
donnant des Iuges dependans de sa volonté : C’est pour
ce mesme dessein qu’il transforma cette Chambre en Semestre
pour nourrir des contentions perpetuelles dans
ce corps, & se rendre le Maistre de la Iustice, & des Arrests,
& de a verification de toute sorte d’Edicts sur le
peuple, ayant tousiours mis en vsage cette pernicieuse
politique qui veut diuiser pour regner, de laquelle se sont
seruis tous ceux qui ont voulu vsurper vne authorité tyrannique
sur les peuples, & affoiblir le pouuoir des Princes
legitimes, ou opprimer le droict des Sujets : car ils ont
tousiours visé là de jetter la diuision dans les Cours Souueraines,
que nos plus Grands Roys ont auec raison establies
comme les rampars de leur puissance, les Depositaires
de leur Iustice, & l’ostage de l’amour qu’ils ont
pour leurs Sujets, ayant iugé que la grandeur de leur
Estat, & la fidelité de leur peuple ne pouuoit estre conseruée
que par ces nobles Corps de Iustice qui dispensent
les supplices & les recompenses, & defendent les peuples
des injures & des malheurs bien loin de les y precipeter.

Aussi n’a-on iamais entrepris d’abattre ces Corps Illustres

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que pour faire ouuerture aux Edicts sur le peuble,
enuahir les biens des Prouinces, & rendre la fortune publique
dependante de l’ambition d’vn seul.

 

Et sans que nous cherchions ailleurs, chers Patriotes,
des preuues de cette verité, nos miseres presentes nous la
rendent trop insensible : Nous nous abusions de croire
que Mr. le Comte d’Alais eust introduit ces nouueautez
à dessein d’abatre le Parlement, car il sçait assez que ce
Corps est trop vaste & trop estendu pour perir de ses
coups, & que la Iustice n’est pas moins inébranlable que
la Majesté Royale qui en est le principe & l’appuy, c’est à
nous seuls qu’il en veut, quand il tasche d’ébranler ces
Colomnes qui soustiennent nos fortunes & nos familles ;
c’est à nos biens, à nos personnes, & à nos libertez
que ses desseins visent, quand il s’en prend aux Pasteurs
qui veillent pour nostre defence, & qui s’opposent à ces
Loups rauissans qui cherchent de nous égorger.

Si le Parlement eust voulu estre complice de ses pernicieux
desseins, s’il eust voulu consentir à ses demandes,
s’il eust voulu se rendre souple à ses volontez, & abandonner
l’interest du puplic, il n’y auroit iamais eu de
Requestes, nous ne connoistrions pas seulement le nom
de Semestre, & le Parlement n’eust pas esté vexé par
tant de citations, de pertes, & d’exils, il eust vescu auec
luy dans vne estroite vnion ; mais parce qu’on n’a pas
voulu flechit à ses intentions contraires au bien public,
il a voulu subroger d’autres Iuges de sa dependance, sans
se soucier de profaner la Iustice par le choix de Docteurs
de huict iours, sans estude, & sans experience, & de
personnes mesprisables, ou par leurs naissances, ou par

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leurs humeurs, pourueu qu’ils fussent des ministres de
ses volontez, & des executeurs aueugles de ses desseins.

 

Aussi d’abord qu’il eut ietté dans ce Corps ces partisans
de ses interests, & qu’il y eust mis par ce moyen la
diuision, il fit clairement connoistre que tous ces artifices
qu’il auoit employez n’auoient autre obiect que l’esleuement
de son ambition ; & l’assouuissement de son
auarice.

Nous recogneumes à l’instant dans nos Hostels de
Ville nos Priuileges cassez, nos libertez violees, nos Eslections
Consulaires aneanties, & en suite nos contributions
accreues, nos deniers enleuez, & nos fortunes
espuisees. Nous trouuasmes dans toutes nos villes & nos
Campagnes des vestiges sanglans de ce funeste Regiment,
des Contracts passez par les armes, des Transactions
escrites auec le fer de vangeances, de meurtres, &
des hostilitez effroyables.

Et si nous donnons la liberté à tous les oppressez de se
plaindre, nous trouuerons vne infinité de gens de bien
de tous endroits qui ont porté le joug de sa domination,
& souffert ses oppressions dans le silence, pource que les
plaintes les plus iustes estoient [1 mot ill.], iusque la qu’il
nous a souuent empesché d’aller porter nos remonstrances
aux pieds de leurs Maiestez par des menaces qu’il a
souuent fait à diuers Deputez, & depuis trois iours n’a il
pas fait arrester nos Courriers, & enleuer nos pacquets
contre tous les droicts de la Sauue-garde publique pour
preuenir le Conseil du Roy, & nous oster le moyen de le
detromper de ses calomnies.

Quoy donc serons nous tousiours insensibles à nos
miseres ? ce Tonnerre qui vient d’esclatter n’est-il pas assez

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resonnant pour nous éueiller, & nous obliger de reuenir
à nous mesmes ? Qu’attendons nous de rendre à
nostre Patrie la fidelité que nous luy deuons ? Il n’est
plus temps de luy differer nostre secours, & de nous
mettre en defẽse ; Car enfin cette espaisse nuee auec qui
s’estoit enflee du sãg innocẽt & des larmes des peuples,
degorge le sang qu’elle auoit attiré, & verse les larmes
dont elle est abbreuee : Elle a enfin paru cette armee des
vangeances pour nous fouler aux pieds, & exterminer
vn nombre d’innocens.

 

Iamais marche des Empereurs Romains a esté plus
pompeuse, & iamais l’Histoire nous a marqué des
haults saits plus celebres d’vn General d’Armee. Il fit son
premier logement dans Auriol pour s’auancer à Tretz
qu’il auoit menassé d’vn siege, mais la genereuse resolution
qu’il vid aux habitans de se vouloir deffendre, luy fit
tourner ses armes triomphantes toutes chargées de despouïlles
des pauures Laboureurs, de bœufs & de mulets
qu’on emmenoit captifs vers les pres de Gardanne d’où
il vint le lendemain faire sommer la ville d’Aix de se rendre,
& apres auoir pillé & bruslé son terroir, il fila à Aguilles,
& de là à la Fare petit Bourg du Sieur President
d’Oppede, où il fut repoussé auec la perte de quelques-vns
de ses Caualiers, laquelle il creut de venger en luy
faisant brusler vn gerberon de bled. Le iour suiuant s’estant
presenté à Sallon qui est au Sieur Archeuesque
d’Arles, il y fut reffusé & contraint de se ietter dans Pellissans
village voisin, où il s’est retranché.

Il a durant toute sa marche rendu durant dix iours des
combats si illustres, & fait de si glorieuses conquestes,
qu’on ne doit pas taire à la posterité les plus importantes,

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qui sont, Qu’on a par tout forcé la bourse des pauures villageois.
Qu’on a violé les filles en l’âge de neuf ans : Massacré
les rentiers de la grange du Sr. de Fuueau : Enleué
deux femmes d’entre les mains de leurs maris : Assommé
à force de coups trois païsans d’Auriol apres auoir rauagé
tout ce pauure village appartenant à Mr. le Cardinal de
Lyon, auquel il rend par là l’eschange des signalez bienfaits
qu’il auoit reçeu du feu Cardinal son frere : Qu’on a
chassé les habitans de leurs maisons, ou contraints de les
abandonner pour ne pas voir de si funestes spectacles :
Qu’apres s’estre gorgez de vin & de viandes, & de toute
la substance de leurs miserables hostes, on a verse confusément
dans les ruës à Gardanne les farines, les grains, les
huiles & le vin, & bruslé les fourrages qu’ils n’ont peu cõsumer :
Qu’on a emmené tous les bestiaux, emporté les
matelats, les linges & vaisselle, & bruslé dans les places les
meubles qu’ils n’ont pû emporter : Et qu’enfin on a exercé
toutes les hostilitez que les Chrestiens ne pourroient
pas mesmes apprehender du Turc s’il entroit dans nos
villes.

 

Ne sçait on pas qu’vne pauure femme d’Aubagne luy
ayant porté plainte du cruel & brutal violemẽt de sa fille
âgée seulement de neuf ans, il fit en apparence condamner
à la mort le coupable, mais par vn ordre secret il le fit
tirer du gibet par vn mespris ouuert à la Iustice de Dieu
& celle des hommes : Aussi tant d’autres filles rauies par
ses trouppes, & tant d’autres femmes violees, ne demandent
plus Iustice qu’à Dieu de ces horribles crimes, puis
qu’elles n’en peuuent auoir des hommes.

Faloit il moins esperer de cette armée qui n’a point
d’autre subsistance que le larrecin, n’y d’autre sujet qu’vne

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injuste vengeance, aussi tous ses progrez les plus illustres
sont les bruslemens & les saccages des metairies
dans le terroir d’Aix, & l’incendie des gerbes & des moissons
qui sont encores aux champs : l’enleuement des besteaux,
le couppement des arbres, enfin la desolation
vniuerselle de la campagne.

 

Aussi à voir le bagage de cette armee composé d’vn
nombre infiny de bœufs, de brebis, d’asnes, de mulets,
de poules, de iuments, de toute sorte de hardes, meubles,
vstancilles, & habilemens des pauures habitans qu’on a
impitoyablement despoüillez : ne diroit on pas que c’est
vne armée de frippiers dans vn marché infame de larrecins
& de brigandages, conduit par des picoreurs qui
sont insensibles aux larmes des Villageois & des Labours
qui les reclament : On y voit vendre comme à vn inquant
public, toute sorte de meubles & de danrées, &
comme dans vne Foire on y voit impunément vn debit
ouuert de toutes leurs voleries.

On a veu cette glorieuse armee camper deuant vne
mestairie du Sr. Barate d’Aix, qui s’est attaché courageusement
aux interests de sa Patrie, & quitté ceux de Mr.
le Comte d’Alais, qui par vn acte memorable de vengeance
commanda qu’on y mist le feu en sa presence,
pour auoir le mesme plaisir que voulut auoir Neron de
voir brusler la ville de Rome, n’ayant pas mesmes espargné
au terroir d’Aix les maisons de plaisance où il auoit
souuent aux despens du maistre pris ses recreations.

Bref, luy qui proteste dans ses Manifestes qu’il ne declare
la guerre qu’à la seule ville d’Aix, pour quoy a il desia
desolé toute cette Prouince, & reduit à l’extremité de
a misere & de la faim tous les lieux qui l’ont reçeu ? il en a

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a emporté plus de trois cens mil liures : il a gasté tout ce
qu’il n’a pû emporter, & ruiné indifferemment tous les
lieux ou par les subsistances, ou par ses logemens.

 

Helas ! quels crimes auoient commis ces pauures villageois
pour estre punis de la sorte ? Que deuiendront tant
de pauures familles errantes dans dans les champs qui
broutent l’herbe pour viure ? Ne sont ils pas Chrestiens,
& fideles sujets du Roy ? Pense on que Dieu n’écoute pas
leurs plaintes, & que leurs cris n’attire la colere du Ciel.

Mais ce n’estoit pas assez à cette armée criminelle de
s’en estre prins contre les hommes, elle a voulu s’en prendre
contre Dieu mesme : C’estoit trop peu d’auoir corrompu
la virginité des filles, d’auoir pollué la saincteté
des Mariages, de s’estre souillee du sang des innocens, &
d’auoir laissé par tout les marques sanglantes de sa cruauté,
elle a encore voulu prophaner la saincteté des Autels,
& commettre vn sacrilege le plus horrible qu’on puisse
conceuoir dans la Chappelle d’vne maison aux Champs
du Sieur de Gauthier Conseiller au Parlement, ou apres
auoir porté leurs mains impies sur vn Calice qu’ils ont
emporté, ils acheuerent leur sacrilege par le brisement à
coups de marteaux de la pierre sacrée de l’Autel par cent
coups de poignard, dont ils percerent vne Image qui representoit
la saincte Vierge tenant Iesus entre les bras, &
par le deschirement des ornemens Sacerdotaux qui furent
mis en pieces, & iettez dans le feu qui acheuoit de
brusler tout le bastimẽt & tous les meubles de cette belle
maison qui fut reduite en cendres, & apres les vignes arrachees,
les arbres couppez, les gerberons brûlez, & tous
les bestiaux & les meubles precieux enleuez.

Grand Dieu ! qui auez voulu estre appellé le Dieu des
Armees, souffrirez vous qu’on prenne les armes contre

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vous mesmes, & qu’on les employe pour commettre des
impietez & des sacrileges si execrables ? Permettrez-vous
qu’on en abuse en des vengeances si inhumaines ? & que
le pauure dont vous auez prins tant de soin, que vous recommandez
si estroitement comme vostre propre personne,
& que vous auez rachepté de vostre sang aussi
bien que les Princes, perisse sous le fais de tans de persecutions ?
Et cette voix qui s’esleue de la terre sera elle pas
portée iusques à vostre Throsne pour attirer sur les infracteurs
de vos loix les carreaux de vostre indignation.

 

Il le faut esperer, & cependent defendons nos biens
auec honneur, ne les abandonnons pas à la mercy de cette
multitude de voleurs, qui sous le nom d’vne armee du
Roy exercent vn vilain brigandage : Defendons la cause
commune, puis qu’il nous monstre que c’est à toute la
Prouince qu’il en veut : Nous en auions vne preuue litterale
par les demandes qu’il fit à Messieurs les Deputez
du Languedoc, dont il n’y en a pas vne seule qui ne regarde
l’interest du Corps du pays : Mais nous en auons à
present vne conuiction plus pressante par les effects de
ses armes, puis qu’il traicte auec tant d’inhumanité iusques
à ses hostes, & ceux qu’il appelle ses amis, & qu’il
rauage par tout indistinctement.

Ce n’est pas icy, Cher Peuple, vne querelle particuliere :
Ce n’est pas l’interest singulier d’aucune ville ny d’aucune
Compagnie, tout l’interest de cette guerre est public,
il touche toutes les villes & toute la Prouince esgalement.
Et neantmoins ô aueuglement estrange ! toutes
ne conspirent pas esgalement au salut de la cause publique :
Ouurez les yeux enfans qu’on a desbauchez d’vn
deuoir si naturel, reuenez à la voix de la Prouince vostre
Mere qui vous rappelle & vous demande secours.

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Posez les armes criminelles que vous veulent enfonser
dans son sein : Que croyez vous de pouuoir recueillir
des cendres de vostre Patrie dont vous poursuiuez
l’embrasement Pensez vous bien vous engraisser des
cadavres de vos Compatriotes que vous allez immoler
à la vengeance d’vn ennemy public. Pretendez-vous de
vous enrichir du pillage que vous sçauez estre promis
aux estrangers ? Enfin voudriez vous esleuer vostre fortune
& vostre maison sur les ruines de celles de vos freres
& de vos parents ?

Vous voyez la ville d’Aix, quoy que la moins interessee
en toutes les surcharges qu’on veut remettre sur
le Païs contre la foy des Traitez solemnels, qu’elle n’espargne
ny soins, ny perils, ny les biens, ny les vies de ses
habitans pour le seul zele du bien de la Prouince : Vous
voyez l’exemple de la pluspart des villes qui s’épuisent
& se sacrifient pour le salut public : Reuenez donc à
vous-mesmes, & conspirons tous également au maintien
de nos libertez, secouons le joug d’vne infame seruitude
auquel on nous veut enchaisner, & ne soyons pas
nous-mesmes les autheurs de nos maux, & les instruments
de nos supplices, nos diuisions ont causé toos nos
malheurs, & ont douné tout l’aduantage à nos ennemis :
Nous estions trop puissant pour estre abbatus, si nos
brouilleries intestines ne nous eussent affoiblis.

C’a fideles Compatriotes, ioignons toutes nos forces
contre les perturbateurs de nostre repos, leur perfidie
est trop noire, nostre querelle est trop iuste, nos sentimens
sont trop legitimes, & les inrerests de nostre Païs,
& de la gloire de nostre Grand Roy y sont trop engagez
pour ne pas concourir à l’vnion de nos forces, & au restablissement
de nostre repos,

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Tesmoignons à nostre bon Prince qu’il est le vray
centre de nos affections, le seul obiect de nos desseins, &
l’vnique but de nos seruices, faisons luy connoistre auec
esclat que nos armes ne visent qu’à luy conseruer vne
Prouince qui a esté tousiours inebranlable en sa fidelité,
nonobstant que ce Calomniateur l’accuse dãs son Libel
d’auoir fait de vingt en vingt ans des reuoltes contre la
verité de l’Histoire qui luy rend ce tesmoignage public
d’auoir esté durant mil six cens ans qu’elle a esté sous diuers
Maistres, & mesmes depuis enuiron deux siecles
qu’elle a son choix du Maistre qui la gouuerne à present,
irreprochable en son obeyssance, & qu’elle en a
donné des preuues tres illustres en faisant perir vne armee
composee de cinquante mil hommes sans auoir
apprehendé les deplorables suites du delaissement de
ses biens, & de ses maisons ; en nos iours n’a on pas
veu ce peuple fidele courir en foule à main armee
sur ses costes d’vne extremité de la Prouince à l’autre
pour repousser l’ennemy qui y auoit fait dessente
en diuers endroits, & n’a il pas monstré en la reprise des
Isles que la Grandeur de l’Estat luy est mille fois plus
chere que tous ses biens qu’il y versera si liberalement
auec le sang de tant be braues Citoyens.

Grand Roy, nous protestons hautement à vostre Majesté
que nous ne defendons nos biens, nos vies, & nos libertez
que pour les consacrer entieremẽt à vostre seruice : Que nous
ne respirons que la paix de nostre Estat, celle de cette Prouince,
& la gloire de vostre Courõne, & que quelques efforts
que puisse faire nostre Persecuteur pour nous pousser dans le
precipice de la desobeïssance par vn effet de desespoir dans
la violance des maux qu’il nous fait souffrir, il ne sçauroit iamais
tant soit peu nous esbranler en l’obeïssance que nous
vous deuons, ny en la fidelité que nous vous auons voüée.

FIN.

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Anonyme [1649], LA VOIX DV PEVPLE DE PROVENCE, Contre les armes de Monsieur le Comte d’Alais. , françaisRéférence RIM : M0_4059. Cote locale : A_7_68.