V. S. B. [signé] [1649], LA METAMORPHOSE DE LA FRANCE, ENVOYEE A VNE DAME DE LA CAMPAGNE. , françaisRéférence RIM : M0_2462. Cote locale : A_6_29.
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LA METAMORPHOSE DE LA FRANCE,
enuoyée à vne Dame de la Campagne.

MADAME,

Ie cray que lorsque vous apprendrez que Y
est esloigné de Paris de quatre cens lieuës, & que
pour vous aller voir maintenant, il faut passer
l’Allemagne & la Pologne : Vous accuserez plutost mon malheur,
& plaindrez dauantage l’inconstance & le changement des
choses humaines, que vous ne condamnerez ma negligence, &
ma paresse. Tout est tellement ruyné & bouleuersé à l’entour
de Paris, qu’on y remarque plus rien de ce que c’estoit autresfois.
Ce n’est plus la Seine cette agreable riuiére qui couloit si
doucement au milieu de Paris ; c’est vne coureuse & vne débordée,
qui occupe maintenant son lict, qui a estouffé tous ses enfans
sur ces bords, & qui a fait vn dégast & vn rauage vniuersel
dans tous les lieux où elle a passé où seiourné. Ce n’est plus la
Marne cette chaste matrone, qui donnoit à l’escart & hors de la
ville tous ses biens à la Seine pour nous en faire part, & pour
nous les apporter iusques dans le plus secret de nos maisons.
Elle est à cette heure vne pauure vefue à qui on a osté tout son
bien, qu’on a forcée sur ses propres bords, & violée iusques dans
son propre lict ; elle est maintenant si diserteuse & si affligée,
que la seule chose que Paris pûst esperer d’elle pour lors ce sont
des pleurs, des larmes, & des eaux troubles & ameres. Dans le
voisinage de cette ville l’on y voit plus rien de ces beaux lieux,
ou l’art se seruant adroitement de la nature, se faisoit admirer
de tous ses spectateurs. Tous ces beaux bourgs sont ruynez, &
tous ces riches ornements de la France, ont changé de face & de
situation. Saint Denys ce precieux mausolée de nos Roys a esté
enseuely sous ces tombes sacrées : Syracuse est venuë prendre
la place de ses fondements, & Denys le Tyran au lieu du grand
Sainct Denys, y exerce encore auiourd’huy sa cruauté & sa fureut :

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Mont-martre & le Mont-Valerien ces sacrez theatres, où
les Parisiens montoient par fois, comme Moyse faisoit sur le Tabor
pour parler, & conferer auec Dieu, Sont au moment que ie
vous écris, Vn Etna & vn vesuue qui vomissent sans cesse cendres,
feu & flammes. Saint Germain ce sejour agreable qui faisoit
le diuertissement innocent de nos Roys, n’est plus vn chasteau
de plaisance, mais vne tour de Babylone remplie de feu & de
colere ; ce bois & ce parc qui faisoit toute sa beauté, & ses delices
ne sont qu’vne forest noire & obscure, plaine de bandis, & de
Voleurs, & ces grottes où l’on faisoit admirer l’eau, prendre milles
figures differentes, & contrefaire tous les chans & le ramage
des oiseaux, ne sont plus qu’vne cauerne à demie découuerte,
dans le creux & le fond de laquelle lestin tombant fait vn bruit,
& forme vn croassement semblable à celuy d’vn corbeau. Tous
ces beaux Temples & toutes ces anciennes Eglises qui entretenoient
la deuotion des peuples, & qui estoient aux enuirons
de Paris, comme les Autels sacrez où l’on alloit porter ses sacrifices
& ses offrandes à Dieu, ont esté polluez, prophanez & ruynez.
Les Protestans y font leur Cene fantastique & imaginaire,
les Sarmates leur sacrileges & leurs impietez honteuses. Ce n’est
plus la maison de Dieu, mais le lieu de leurs débauches & de leur
saletez : C’est la dedans qu’ils blasphement, & qu’ils disent que
le Dieu des Chrestiens est trop vieux & trop chagrin, qu’il faut
qu’ils en fassent vn nouueau plus doux, plus joyeux & plus complaisant :
Le mont de Parnasse où les Escoliers aloient s’entretenir
de leurs estudes auec leur maistre, est changé, & deuenu le
Mont causaque, à cause des Aigles & des Vautours, ou plutost
des Polonnois & des Allemands qui dépouillent & arrachent le
cœur d’vn Promethée, & de quelque pauure pedan. Gonnesse,
Poissy & le Bourg la Reyne, qui seruoient comme le Corbeau
d’Elie à apporter le pain & le viure à Paris, sont maintenant obsedez
par les harpies qui ruinent & deuorent tout. Enfin tout ce
que l’Afrique a de plus monstrueux, l’Armenie de plus cruel, la
Barbarie de plus feroce, & l’enfer le plus épouuentable, s’est se
semble assembler pour bloquer & pour rauager Paris. Cependant
MADAME, parmy tous ces assaus & toutes ces inondations
des Barbares : cette chere cité de Dieu demeure ferme,

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clause & debout, comme cette Arche du Iuste Noé, dont elle
est la parfaite Image, à cause des glorieux Reparateurs de la
France qu’elle r’enferme dans son sacré Vaisseau. Autant que
les autres parties de ses terres ont souffert de vicissitudes & de
changement ; d’autant plus Paris a-il demeuré dans vne assiete
inébranlable, & dans vne vnion toute miraculeuse. Elle
a veusans crainte ces orages, elle a regardé sans frayeur ces
changemens, & elle a consideré sans émotion toutes ces
fureurs. Sa conscience ne luy reprochant rien, elle a creu
pouuoir esperer tout. Sa synderese ne l’inquietant point,
elle a pensé ne pouuoir estre troublée de quoy que ce soit.
Et les sacrez & venerables Ministres de son Dieu, la secourans
& l’accompagnans par tout, elle n’a point douté du
glorieux succés de la victoire : elle se laisse bloquer de toutes
parts : elle se souffre assieger de tous cotez sans murmurer &
sans dire mot, parce qu’elle est prudente & discrette. Elle
n’ignore point que ce n’est pas contre elle que Dieu est irrité :
& elle sçait tres-bien qu’il feroit plûtost des miracles, qu’elle
manquasse de quelque chose. Si Beaufort, la Mote-Houdancourt,
Vitry, Noirmoutiers & la Boulaye, ne faisoient venir
des Convois de quatre cens charettes & de quinze cẽs bœufs
de Beausse & de Brie, malgré leurs embuscades & leurs obstacles
de corps de gardes, il feroit encore pleuuoir la Manne du
Ciel dans ses Halles & dans ses marchez ; mais par sa grace vn
peu plus puissante qu’à l’ordinaire, par la conduite du Sage
Parlement, & par la valeur & le courage de nos Princes & de
nos Generaux illustres, certainement par leurs combats &
fameux, par leurs victoires & leurs triomphes, nous mangeons
du pain meilleur & plus blanc qu’à l’ordinaire, nous
beuuons du vin de plus de sortes & de plus genereux qu’accoutumé,
& nous auons des viandes plus rares, plus grasses
& plus delicates que nous n’auions les autres années ; la bonté
de Dieu augmentant ainsi l’excellence & la qualité des choses,
pour qu’elles fussent plus vtiles & plus agreables à l’estomac,
& au goût de son fidele peuple de Paris.

 

Aussi, MADAME, à la veüe de tant de faueurs de la part
de Dieu, ce ne sont par tout Paris que loüanges & qu’actions

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de grace, chacun loüant Dieu & le remerciant de ce qu’il
augmente son secours, à mesure que la malice & la fureur de
nos ennemis & de nos persecuteurs redoublent & se renforsent.
Et parce que ce peuple deuot sçait que la chose du monde
que Dieu desire le plus des Chrestiens, c’est l’vnion ; &
qu’il n’y a rien qui luy soit plus agreable que les cœurs liez &
que les volontez jointes ensemble, pour donner ce contentement
à Dieu qu’il souhaite mesme dans la souueraine possession
de sa felicité, cette fidele Ville a fait vn mariage & vne
alliance auec le Parlement. L’Eglise la Mere commune de
tous deux, les a benis comme ses chers enfans ; les Princes &
les Seigneurs veritablement François, comme les Peres & les
Protecteurs communs de tous les deux parties, ont signé leur
contract, & Iesus-Christ comme Souuerain Prestre de tous
les Chrestiens, l’a scellé de son propre Sang. Apres cela,
MADAME, que pretendent maintenant faire ces geans,
qui mena cent contre vne Ville si bien alliée, si bien munie,
qui a des parens si illustres & si nobles, & qui a esté asseurée
d’vne eternité de durée par vn oracle plus veritable que celuy
des Romains ? Pourquoy faire tant de forts, creuser tant de
fossez, & éleuer tant de terre, puisque c’est vouloir arracher
la massuë d’Hercule, c’est pretendre escheler le Capitole, &
c’est auoir l’audace d’escalader le ciel, de vouloir prẽdre Paris ?
A quoy bon appeller toutes les Nations estrangeres pour la
bloquer & pour l’assieger, jamais sa prise ne sera dans aucune
Histoire, jamais Conquerant n’aura la gloire de l’auoir prise
par force ; & si elle s’est renduë autre-fois, c’est que son Roy
a cessé d’estre opiniâtre. Elle a esté sa sujette quand il l’a
appellée sa bonne Ville, & elle s’est soumise entierement à
luy aussi-tost qu’il a obey au Pape, quoy qu’en puisse dire ces
petits maistres débauchez, Paris est cette Dame de l’Escriture
qui doit estre eternellement chaste & incorruptible, il
n’y a que le Roy de l’Vniuers qui en puisse jouïr, & c’est
seulement au Ciel qu’il est reserué de l’auoir & de la posseder
comme la Danaë des Poëtes. Aussi, MADAME, je ne
doute point que tous leurs efforts ne se rencontrent inutils,
de mesme que ces anciens Titans dont ils imitent le procedé,

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& que vous n’en voyez dans peu de temps d’enseuelis soubs
la mesme terre que leur temerité aura éleuée contre son honneur
& sa pureté. Beaufort, la Mote-Houdancourt & Clanleu
ont désja lancez leurs foudres & le feu de leurs pistolets si
auant dans les entrailles & dans les poitrines de quelqu’vns
de ces petits audacieux, qu’ils fument encore par tous les
endroits où leurs corps se peût euaporer, plus que ne feroient
les bouches de nos canons & les ouuertures de nos fourneaux
quand on y a mis le feu. I’entend désja dire que cette Tour
de Babylone se creuasse & s’écroule, & que cette boutique
pleine de feu & de flammes, où ie ne sçay combien de dolops
& de mirmidons, comme autant d’Artisans, sont sans cesse
occupez auec cét infame Vulcain à forger des armes & fabriquer
des hameçons pour prendre ces Heros & ces Mars, que
toute la Cour envisage auec regret esclaues & captifs dans les
retz & les pieges d’vn meschant boute-feu, qui ne leur donne
pas plus de liberté, qu’vn Comite en accorderoit à vn forçat
dans son vaisseau ; cette boutique, disje, tremble & menace
ruïne. Nos gens y sont désja entrez par des bréches & des
ouuertures. Melian, Talon & Bugnon, comme d’autres Persez
ont penetré jusques dans le fond & l’obscurité de la cauerne
où se monstre tenoit nostre grande Reine captiue comme
vn autre Andromede, ils ont désja rompu presque toutes ses
chaines, & reduit à l’agonie & à l’extremité cette peste de
l’Vniuers. Nostre Roy qu’il nourissoit comme Chiron faisoit
son Achille de carnage & de moële de Lyon, ne veut plus
viure soubs la conduite de cét infame Centaure. I’espere en
fin que nous crierons bien-tôt, VIVE LE ROY, VIVE LE ROY,
& que ce Soleil de la France remis dans son ciel & dans son
trône de Paris, éloignera & écartera bien-tôt ces Cometes
affreux & ces feux volages d’alentour de nous. Cela estant,
MADAME, vous pouuez croire si i’iray vous voir, puisque
vous ne serez plus esloignée de Paris que de quatre petites
lieuës, & peux vous asseurer que ie suis toûjours,

 

MADAME,

V. S. B.

De Paris ce 21. Février 1649.

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