Silhon [?] [1650], AVIS AVX FLAMENS. Sur le Traité que les Espagnols ont fait auec la Duchesse de Longueuille, & le Mareschal de Turenne. , françaisRéférence RIM : M0_485. Cote locale : D_1_17.
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AVIS AVX FLAMENS,

Sur le Traitté que les Espagnols ont fait auec la Duchesse
de Longueuille, & le Mareschal de Turenne.

MESSIEVRS,

Ie sçay que rien n’a iusques icy si fort flaté vos
souffrances, que l’esperance qu’on vous a toujours
donnée d’vne Paix prochaine. Quand les effets n’ont point
suiuy cette esperance, on vous a persuadé qu’il ne tenoit qu’à
la France, que ce don du Ciel ne descendit en terre, & que
l’Espagne n’oublioit rien pour tarir les sources de la guerre
qui desoloit la Chrestienté.

La guerre en general est vne chose si funeste que ceux qui
s’y trouuent embarquez sont obligez par toute sorte de
droits, de terminer le plustost qu’ils peuuent, celle-là mesme
qui se conduit sous la forme la plus humaine, & sous les loix
les plus moderées, qu’on appelle loix de bonne guerre. A combien
plus forte raison cette obligation s’augmente, pour les
guerres qui ouurẽt toutes les portes à la licence, & où tous les
crimes courent en foule ; comme est la guerre qu’on fait aujourd’huy.

De-là vient que ceux qui en sont les plus auides, & qui la
desirent auec plus d’ardeur, font plus de mine & d’ostentation
de vouloir la Paix, & employent plus d’art & de couleurs
pour faire receuoir cette creance dans le monde. Tels ont
esté iusques icy les Espagnols, comme vous l’auez esprouué,
MESSIEVRS, & il ne tiendra point à eux que vous ne l’esprouuiez
encore, & que la contagion de l’erreur ne passe par
tout ailleurs où elle pourra leur estre vtile.

C’est pourquoy i’ay iugé que ie ne rendrois pas vn petit seruice au
public, & particulierement à vous qui en auez plus de
besoin, si i’aydois à rompre vn charme si dangereux ; puis qu’il
est cause qu’on ne fait pas tout ce qu’on pourroit, pour obliger
les Espagnols à quitter les pensées de la guerre, par l’opinion
qu on a, que c’est plus par necessité que par choix,
qu’ils la continuent.

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Le Traitté qu’ils viennent de faire auec la Duchesse de
Longueville & le Mareschal de Turenne, est vne preuue si
conuainquante de ce que ie viens de dire ; qu’aprés cela ie ne
sçay s’il y a quelque personne si ennemie de la verité, ou si passionné
pour eux qui le puisse reuoquer en doute. Reprendre le
dessein de la guerre, apres la demonstration qu’ils ont faite
de vouloir la paix, & apres auoir conuenu de lieu pour la
traitter. Reprendre encore ce dessein, sous vn tel pretexte
que la liberté des Princes arrestez en France, & sur l’auis que
le Comte de Pigneranda leur a donné, que ce Royaume
s’alloit plonger si auant dans la guerre ciuile, qu’il ne luy resteroit
plus de puissance pour s’appliquer à l’estrangere ; Certainement
c’est ne vouloir point du tout la Paix, ou ne la
vouloir pas de long-temps.

Pour mieux s’asseurer de cecy, & auant que faire la discussion
du Traité preallegué ; Il ne sera pas hors de propos, que
ie vous represente en general quelque chose, & vous figure
quelque lineament & quelque trait de l’humeur & du genie
des Espagnols, sur le suiet de la paix & de la guerre.

Vous remarquerez donc, Messieurs, que lors qu’ils ont
quelque pretexte d’allumer ou de continuer vne guerre ; d’ordinaire
nulle consideration ne les empesche de l’allumer ou de
la continuer, pourueu qu’ils se promettent d’en tirer quelque
notable auantage. Il n’a point paru depuis long temps dans la
Chrestienté de guerre plus iniuste, que celle qu’ils firent, &
firent faire par l’Empereur au dernier Duc de Mantouë. Et
neantmoins ni la iustice de la cause de ce Prince, ni les offices
passez à Madrid & à Vienne en sa faueur, du costé de France
& de Rome ; ne peûrent diuertir l’orage qui tomba sur ses
Estats, à cause de l’asseurance que Gonzales de Cordoüa auoit
donnée en Espagne, qu’il se rendroit absolument Maistre de
Cazal, & que la force l’y introduiroit, quand bien l’intelligence
qu’il auoit auec le Maior de la Place, seroit euentée.

Spadini.

Auant que le Marquis de Leganez vint assieger cette mesme
Place, il y auoit dans le Conseil d’Espagne, tant de dispositions
& tant d’auances pour la Paix ; qu’il sembloit qu’elle ne
pouuoit manquer de s’esclorre, de ces dispositions & de ces
auances. Et neantmoins la certitude auec laquelle Leganezy

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donna à entendre, qu’il prendroit Cazal ; les enuoya toutes en
fumée, & fit venir l’esprit de guerre dans l’ame de ceux, qui
paroissoient n’auoir plus que l’esprit de la paix.

 

Qu’est-ce qui a tant fait roidir le Comte de Pigneranda,
contre les offices faits par le nonce du Pape & l’Ambassadeur
de Venise, pour faire succeder la paix des deux Couronnes, à
celles des Hollandois & à celles de l’Empire ; Que le fruit qu’il
s’estoit imaginé que son Maistre recueilliroit, des troubles
arriuez en France ? Il s’en expliqua assez clairement l’année
passée, par la response qu’il fît, à celuy qui luy fût enuoyé de
la part du Roy, pour sçauoir s’il vouloit se tenir aux conditions
arrestées à Munster pour la Paix, ou s’il pretendoit y aiouster
ou diminuer quelque chose.

Le Sieur
de Lyonne.

Cette responce fût, que les Affaires de France ayant changé
de face ; Il falloit que la negociation de la Paix en changeât
aussi : Que ce qui auoit esté traité en Allemagne, fût
comme non auenu, & qu’on choisît vn autre lieu pour traiter
tout de nouueau, & remanier les matieres qui auoient déia
esté decidées. Cela se passa à Cambray, & vous pouuez vous
souuenir, Messieurs, de l’alteration & du trouble, qu’il fît
naistre parmy vous, quand vous le sçeutes.

Cela fit bien voir que ce Comte n’auoit point de veine qui
tendist à la Paix : Et vouloir que ce qui auoit esté arresté en
Allemagne durant tant d’années, & apres de si grandes contentions
d’esprit ; fut comme non auenu, & qu’on ouurit vne
nouuelle carriere, apres qu’on estoit comme au bout de celle
sur laquelle on auoit desia couru ; si ce n’estoit vouloir toujours
la guerre, c’estoit au moins desirer qu’elle ne finist pas si
tost, & que la Chrestienté gemist encore long-temps sous vn
fais, dont il ne tenoit qu’aux Espagnols qu’elle ne fust deliurée.

Du depuis, le grand feu qui brusloit la France estant esteint ;
& les François ayant relasché à tous les partis que les Espagnols
pouuoient souhaitter, pour renoüer la negociation de
la Paix : ayant mesme accepté de l’aller traitter aux confins
d’Espagne, comme ils l’auoient proposé ; Vn accident inopiné
suruenu en France, à sçauoir l’emprisonnement des
Princes ; a dissipé cette belle apparence, & par les nouuelles

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esperances de prosperité qu’il a fait luire en Espagne a esté
comme vn coup de vent qui a rejetté au large le vaisseau qui
sembloit deuoir prendre terre.

 

De cette conduite qu’on voit estre constante & inuariable
dans l’ame des Espagnols, on peut tirer cette consequence
infaillible (& ie diray cecy par occasion) que puis qu’ils se
sont tousiours portez aux resolutions de la guerre, sur des
esperances si peu fondées que celles qu’ils establissoient sur la
discorde des François, qui se broüillent & se racommodent si
facilement ; il y a lieu de s’imaginer qu ils n’ont point eü la
moindre disposition pour la Paix, pendant que la guerre de
l’Empire a esté en chaleur, & qu’ils ont veu que le gain d’vne
Bataille par l’Empereur sur les Suedois ; l’eust rendu Maistre
de toute l’Allemagne, & luy eust donné moyen de les aller retirer
par tout ailleurs, de leurs pertes & de leurs disgraces.

Ils se souuenoient de la reuolution que le gain de celle de
Nortlinghen, apporta à tout le Party Confederé, qui auoit
auant cela vn si grand ascendant sur l’Imperial, & il leur estoit
euident, que la France n’estoit point en estat comme elle auoit
esté, de releuer vne seconde fois ce Party, s’il eust esté vne seconde
fois abbatu.

Aussi que n’ont-ils pas fait pour destourner la Paix de l’Empire,
qui sappoit le plus certain fondement qu’ils eussent de la
ressource de leurs affaires ? Que ne firent-ils point pour estouffer
en sa conception la Treue d’Vlme, qui en deuoit estre le
prelude ? Et n’ayans pû empescher qu’elle ne se conclud auec
les Bauarrois ; Ne firent-ils point en sorte qu’elle ne se conclud
pas auec l’Empereur, & que le Theatre de la guerre demeurast
au moins ouuert de ce costé-là, puis qu’il se fermoit
pour quelque temps du costé du Duc de Bauiere, & de quelques
autres Princes ses Alliez.

Que n’ont-ils pas fait depuis la conclusion de cette Treue,
pour reculer la Paix de l’Empire, à laquelle elle acheminoit,
& combien de machines occultes & manifestes n’ont-ils point
fait joüer, pour en empescher l’accomplissement, & pour perpetuer
la guerre de l’Allemagne ? Et cette mesme Paix, n’est-elle
pas encore aujoud’huy malade, & ne traine-t’elle pas vne
vie languissante & mal-asseurée, par leurs artifices & par leurs

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procedez obliques, par le refus qu’ils font de restituer Frankendal,
& par les obstacles qu’ils ont fait mettre au sequestre
de Hermanstein.

 

Enfin ils ne trauaillent à rien auec tant de vehemence,
qu’à faire mourir cette Paix, qu’ils n’ont pû empescher de voir
le iour, & de réioüir le monde. Et tout cela sur l’esperance
qu’ils ont, que de sa rupture il deriuera dans leurs affaires vn
bon-heur qui les mettra plus haut mesme qu’ils n’estoient,
quand la fortune leur estoit propice.

On peut encore iuger, Messieurs, sur ce fondement, s’ils
meditoient la Paix generale, lors qu’ils trauailloient à celle de
Hollande, & s’il y a de l’apparence que le Comte de Pignerarda,
qui n’estoit proprement venu à Munster que pour traitter
celle-cy, & qui se l’estoit proposée comme la couronne de sa
negociation, & vn grand moyen pour restablir les affaires de
son Maistre aux païs-bas ; eût voulu conclure la generale, sans
auoir auparauant esprouué, quelle seroit la moisson de tout ce
qu’il auoit semé, pour faire conclure l’autre. Eust il voulu
faisant autrement, priuer son Maistre des auantages que luy
apportoit cette Paix, en le deschargeant d’ennemis si considerables
que les Hollandois, & affoiblissant la France par la
defection de tels Alliez, donc elle estoit sans doute fort appuyée ?
Iugez, Messieurs, si cela peut estre.

I’aiouste qu’on peut inferer de là par la raison des contraires,
que si le procedé de l’Espagne dont nous veuons de parler,
n’a visé qu’à la guerre ; La conduite de la France qui lui a esté
toute opposée, n’a respiré que la Paix. Et puis que c’est elle
qui n’a rien obmis pour faire arrester celle de l’Empire, que
les Espagnols ont si opiniastrement combatuë ; Que peut-on
dire sinon qu’elle a absolument desiré la generale, à laquelle
l’autre seruoit de planche : Comme celuy qui employe les
moyens, veut necessairement la fin qu’ils ont coustume de
produire, & celuy qui plante vn arbre, se propose de recueillir
les fruits qu’il a coustume de porter.

En suite de cela vous remarquerez, Messieurs, que rien n’a
tant fait voir iusque icy, l’inuincible auersion que les Espagnols
ont pour la Paix, & l’ardente soif qui les trauaille d’immortaliser
la guerre ; que le Traité qu’ils viennent de faire

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auec la Duchesse de Longueuille ; & le Mareschal de Turenne.

 

Iusqu’à ce Traité, ils auoient si finement deguisé leur intention
par des demonstrations contraires, & ietté vne poudre si
imperceptibles aux yeux du monde, pour l’empescher de l’apperceuoir ;
que les plus clairuoyans l’auoient à grand peine
apperceuë.

En effet aprés auoir conuenu de lieu d’assemblée, & de
Mediateurs pour traiter la Paix (l’vn estoit Munster, & les
autres le Nonce du Pape & l’Ambassadeur de Venise) après y
auoir enuoyé des Deputez auec pouuoir de la conclure. Aprés
auoir veu qu’on n’y auoit point remué de matiere si contentieuse,
qui ne se peut accommoder : Aprés mesme que de cinquante-quatre
Articles qu’il y auoit à decider, les quarante-huit
auoient esté decidez ; Il y auoit lieu de presumer, qu’ils
pouuoient desirer la Paix, pour la quelle ils faisoient de telles
auances.

Mais par le Traité dont nous venons de parler, Ils ont tout
à fait leué le masque. Ils ont donné l’entiere exclusion à la
Paix, & l’ont chassée du monde, comme par vn ban public.
Car qu’est-ce autre chose, l’obligation qu’ils se sont imposée
par ce Traité, de ne metre point les armes bas, que la liberté
ne soit renduë aux Princes arrestez en France ? Et qui ne voit
que cela ne peut arriuer, que toute la France ne perisse, & que
le Roy ne soit dépoüillé de tout ce qui luy appartient : Ce qui
n’est pas vne chose si aisée.

Il pourroit bien rendre des Places conquises, & des Prouinces
subiuguées, par quelque consideration plus puissante,
que la conuersation de ces Places & des Prouinces. Mais de
souffrir que les Princes arrestez, reçoiuent iamais leur liberté
que de sa main, & soient redeuables d’vne si grande grace,
qu’à sa bonté seule ; c’est ce qu’il n’y a point de consideration
qui l’oblige d’y consentir, tant qu’il le pourra empescher : ni
d’extremité qu’il ne tente, auant que de tomber en celle l’à,
qui est la derniere où il pourroit tomber, aprés auoir assayé
toutes les autres.

Ie ne deuine point l’auenir, & ne sçay pas quels seroient les
sentimens de ces Princes, pour le Roy vostre Maistre, s’il
deuenoient leur liberateur. Mais ie sçay qu’il y auroit touiours

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de la part des François, vn iuste suiet de craindre, que du ressentiment,
soit de la disgrace soufferte, soit du bien-fait receu ;
ne se formât quelque liaison entre ces Princes & luy qui seroit
fatale à la France. Et par consequent vous voyez quel grand
obstacle les Espagnols ont mis à la Paix par ce Traité, & quelle
longue fusée ils ont entrepris de deuider, auant que d’y
arriuer.

 

Outre cela, la promesse que la Duchesse de Longueuille &
le Mareschal de Turenne leur ont faite de ne desarmer iamais,
qu’on n’eût contraint la France de venir à vne Paix égale auec
l’Espagne ; c’est à dire que les choses ne fussent au mesme estat,
qu’elles estoient auant la guerre. Cette promesse, dis-ie, ne
monstre-t’elle pas assez par le grand chemin qu’il y a à faire, &
les mauuais pas qu’il y a à franchir, auant qu’on en vienne là ;
que ce Traité a plustost esté vne conspiration pour rendre la
guerre immortelle ; qu’vne association pour acheminer la
Paix, & pour rompre les obstacles, qui l’ont iusques icy si
fort trauersée ?

D’ailleurs ne vous imaginez-vous point, de quel aiguillon
nouueau ce Traité poussera les François, qui ne sont pas ennemis
de leur partie, à s’opposer au dessein de ces autres François,
qui luy veulent procurer la Paix, en fortifiant la guerre
estrangere qu’on luy fait, & en suscitant dans ses entrailles la
ciuile. Qui la veulent rendre heureuse, & la mettre en vn
poste plein de seureté & d’honneur, en ouurant ses frontieres
à des Ennemis animez à la vengeance, par tant d’affrons & de
pertes receuë : en leur sacrifiant (& c’est vne des fins de la
guerre) les succés obtenus sur eux, & le fruit de tant de sang
répandu, & de tant de tresors consumez, l’espace de tant d’années.
Bref en la noyant au dedans de ce deluge de maux que la
guerre ciuile verse, & y destruisant par ce moyen les principes
& les organes de sa force & de sa vie. C’est proprement vouloir
rendre la santé & la beauté à vn corps malade & defiguré,
en le couurant de blessures, & le nourrissant de viandes empoisonnées.
C’est vouloir assurer vne place en mettant ses dehors
entre les mains de ses ennemis, en iettant le desordre dans
la garnison, & faisant entretuer les soldats qui la composent.

Vne Paix
égale seure
& honeste ;
ce sont les
termes du
Traité.

Ie passe outre, & vous dis, Messieurs, que les Princes arrestez

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n’ayant point dans la verité & par effet, de plus dangereux
ennemis, ny qui s’esloignent dauantage de la fin qu’ils semblent
s’estre proposée ; que ceux qui trauaillent auec les armes,
au recouurement de leur liberté, comme nous venons
de le prouuer ; il ne se peut que ceux-cy ne se trouuent bien-tost
reduits à vn si petit nombre, qu’il ne demeurera dans leur
faction, que ceux qui poursuiuent d’autres interests sous ce
pretexte. D’où il s’ensuit que les remuëmens qu’ils ont excitez
en ce Royaume, ne pouuant estre ny grand ny de durée ; les
auantages que les Espagnols s’en sont promis, ne seront pas si
considerables qu’on leur a donné entendre.

 

Ie vous donne, Messieurs, cét aduis, afin que vous sortiez
de l’erreur où les Espagnols vous tiennent embourbez, &
qu’estans bien éclaircis de cette verité qu’ils ne veulent point
du tout de Paix, & qu’il ne leur est pas aysé de finir si tost, ny
si auantageusement qu’ils vous figurent, la guerre à laquelle
ils viennent de s’engager tout de nouueau ; vous auisiez sur ce
fondement, ce que vous aurez à faire. Vous sçauez quels sont
vos deuoirs : vous connoissez vos interests, & vous voyez les
playes de la Chrestienté qui souspire apres cette Paix, laquelle
seule les peut former.

Vous-vous souuiendrez que les autheurs de la guerre sont
responsables deuant Dieu & deuant les hommes, du plus
grand scandale que le monde ayt iamais receu, dans l’injure
faite à vn Prince, que le seul respect des autres Princes ses voisins
& ses Alliez auroit detournée, s’ils eussent esté en paix.

Vous considererez quelle honte il y a pour ceux qui en sont
coupables, que la Republique de Venise soit aux mains depuis
tant d’années, auec le plus formidable ennemy du nom Chrestien ;
sans qu’elle reçoiue aucune subuention des autres Princes
Chrestiens, & sans qu’ils l’aident à soustenir vn faix, qui
ne seroit pas trop petit pour la force d’eux tres-tous ; mais
qu’elle a soustenu iusques icy toute seule comme par miracle.

Vous tournerez enfin les yeux du costé de la iustice diuine,
qui ne manque iamais de se reueiller, quoy qu elle semble
quelquefois dormir, contre les perturbateurs du repos du
monde : Et vous n’aurez pas oublié, que la reuolution qui
changea les affaires du feu Empereur, si florissantes & glorieuses

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auant cela ; proceda de la guerre qu’il fut forcé par les Espagnols
de faire au Duc de Mantoüe, Que l’empeschement
que Leganez apporta à la Paix, qui estoit aux termes de les
conclurre, fût suiuy de la defection de la Catalogne & du
Portugal, qui ne seroit point arriué, si la Paix eût esté concluë.
Que les Espagnols n’eussent point perdu le Roussillon,
ny tout ce qu’ils ont depuis perdu en Flandres & en Italie, s’il
ne l’eussent rebutée en vne autre occasion, ou ils esperoient
de profiter de nos broüilleries.

 

Prenez garde que quelque chose de plus funeste, ne suiue la
resolution la plus contraire à la Paix, qu’ils ayent encore prise.
La France n’est pas si malade qu’on vous l’a dépeint. L’Espagne
l’est bien dauantage, & a beaucoup plus mauuais jeu,
bien qu’elle fasse meilleur mine. Son mal ressemble à celuy
qui mine lentement vn corps, & qui l’affoiblit tous les iours,
quoy que sans violence qui paroisse. Celuy de l’autre est semblable
à ces cathertes impetueux, qui tombans en vn corps
sain & robuste, y font des rauages fort sensibles : mais qui
estans passez luy laissent sa premiere force.

Il s’est fait à la verité vne grande émotion dans ce Royaume,
par les troubles intestins qui l’ont agité, Mais ces troubles
n’ont eü ni guerre de durée, ni beaucoup alteré les principes
de sa bonne constitution. Ce qui reste de ces mouuemens s’escoulera
bien-tost (comme nous l’auons designé) & la force
ou la raison, y rameneront les choses au poinct où elles y doiuent
estre. Le desordre qui est arriué aux finances, a plus empesché
les sources où elles se puisoient, de couler ; qu’il ne
les a épuisées L’abondance d’argent n’y est que cachée, & y
est aussi grande qu’elle ait jamais esté. Elle se manifestera auec
le temps, n’en doutez point, & il luy arriuera le mesme qu’à
certains fleuues qui s’enseuelissans dans la terre ; en ressortent
aussi rapides & aussi gros, qu’ils estoient auant d’y entrer.

Et neantmoins en cét estat où la continuation de la guerre
luy peut promettre beaucoup ; La France desire la Paix, & en
a fait toutes les auances qu’elle a pû faire auec honneur : Et
l’Espagne qui n’a point les mesmes resources & les mesmes
auantages qu’elle ; n’en veut point oüir parler : s’est dedite du
lieu d’assemblée qu’elle auoit choisy pour la traiter : a sait rappeller

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Monsieur Contarini de la meditation, à cause qu’il auoit
demeslé ses artifices, & qu’il luy reprochoit sa dureté pour la
Paix auec connoissance. En vn mot comment veut-elle que
le monde croye, qu’elle la desire si elle euite de la traiter : ou
qu’on la puisse iamais conclure, si l’on ne s’assemble point
pour en agiter les matieres. N’est ce pas le mesme, que qui
pretendroit de nauiger sans s’embarquer, & de passer vne
carriere sans se metre sur les rangs. Faites, Messieurs, vostre
profit de ces Veritez.

 

FIN.

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