Anonyme [1649], CODICILE TRES-VERITABLE DE IVLES MAZARIN FAIT PAR LA PERMISSION DV ROY, DANS S. GERMAIN EN LAYE. , françaisRéférence RIM : M0_706. Cote locale : B_12_53.
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CODICILE
TRES-VERITABLE
DE IVLES
MAZARIN
FAIT PAR LA PERMISSION
DV ROY,
DANS S. GERMAIN EN LAYE.

A PARIS,
Chez CLAVDE MORLOT, ruë de la Bucherie, aux
vielles Estuues.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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CODICILE TRES-VERITABLE
de Iules Mazarin, fait par la permission du Roy
dans Sainct Germain en Laye.

CETTE guerre ciuille dont i’esperois
vn succés plus fauorable à mes
desseins, m’oblige auec iuste raison
de songer ou plustost d’examiner
l’estat de ma condition & de ma
personne ; & parce que ie vois clairement que ie
suis dans vn grand danger de ma vie, & que la
mesme fortune qui m’a eu esleué dans le plus haut
point de la felicité est preste de me plonger dans le
plus profond abisme des miseres, & ainsi i’experimente
que nostre Prouerbe est tres veritable, qui
est en ces termes, quanto maior es la fortuna tanto
es menos segura es mal y el bien la prosperitad y aduersitad
la gloria y pena toto piede con el trempo la
fuerca de su a celerato principio. Ie crois que ie dois
songer à mettre ordre à mes affaires, preuoyant
bien qu’à l’issuë de cette conferance de Ruël, ie seray
contraint de m’esloigner de la France, & ainsi
ie courray risque de mille dangers à cause de l’excés
de mes richesses qui m’obligent d’aduoüer
que ce Sage auoit tres-bonne grace de dire que
les grands tresors seruent à la felicité humaine,

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comme le bagage à vne armée, qui l’empesche de
marcher, & luy fait perdre bien souuent la victoire,
ainsi les grandes richesses empeschent vn homme
de marcher en seureté dans le monde, & le plus
souuent luy font perdre la vie. Salomon pour
monstrer qu’elles ne sont pas dans vn estre parfait
ny réel, dit simplement qu’elles sont comme vne
fortesse dans l’imagination du Riche, & si nous les
examinons de prés, nous trouuerons qu’elles ont
remply de malheurs les personnes dont elles ne
peuuent remplir les desirs, & qu’elles en ont beaucoup
plus vendu qu’elles n’en ont iamais rachepté ;
Si ie n’en auois pas tant ramassé, ie serois sans doute
en plus grande trsnquillité, & ne craindrois pas
de souffrir vn semblable destin en France, que Lycurgus
dans la Lacedemonie, & Solon auec Arstide
dans Athenes, dont ils furent bannis par la
commune deliberation du peuple. Apres auoir
meurement consideré l’estat present, où ie me vois
reduit, i’ay deliberé de faire le present Codicille
pour faire participer de mes biens-faits, & de mes
tresors plusieurs personnes de condition & de merite,
dont ie n’auois pas fait mention en mon testament
datte du 29. Aoust de l’an dernier, dans lequel
i’auois premierement donné au Roy mon
Maistre ma grande Escurie, dont les cheuaux sont
du prix de quatre cens mille liures, & à la Reyne
Regente, vn reliquaire de la valeur de cent mille

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liures. A Monsieur le Duc d’Orleans vn vase d’argent
enrichy de figures, & graué de diamans : Et à
Monsieur le Prince de Condé vn Cupidon d’or,
couuert de pierreries, & vn Mars d’argent parseme
d’Emeraudes & de saphyrs ; & en second lieu, apres
auoir fait plusieurs legats à mes domestiques &
fauoris, i’auois fait & constitué heritieres vniuerselles
de tous mes biens, Marie & Anthoinette
Mazarin mes deux niepces, & auois esleu pour
executeur de mon testament Monsieur de la Meilleraye
& Monsieur le Chancelier, lesquels i’eslis
aussi pareillement pour executeurs de mon present
Codicille ; par lequel ie n’entens point reuocquer
ny annuller mondit testament, voulant qu’il
sorte en son plein & entier effect ; mais ie desire
recognoistre le merite de plusieurs grands personnages
de la France ; Si bien que ie supplie Monsieur
le Prince de Conty d’agréer la resignation
que ie luy faits de tous les benefices que i’ay en
France du reuenu de quatré cent mille liures.

 

Ie donne à Monsieur le Duc de Beaufort auec
vn desplaisir extréme de l’auoir offencé, vn buffet
d’esmail auec toute la vaisselle d’argent qui s’y
trouue renfermée, que i’auois acheté pour le festin
où ie traitay les Ambassadeurs de Suede.

Ie supplie Monsieur le Duc d’Elbœuf de me
ouloir pardonner, & d’agréer le present que ie
luy faitt, d’vn baudrier chargé de perles, & d’vne

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espée de Damas, dont la garde est de fin or, enrichie
& semée de rares pierres precieuses.

 

Ie prie & conjure Monsieur le Mareschal de la
Motte-Audancourt de vouloir oublier le mauuais
traitemẽt que ie luy ay fait, & de me pardonner :
L’enuie que j’auois d’auoir la Duché de Cardonne,
& de faire feu mon frere Vice-Roy de Catalogne,
estoient les motifs qui me suggeroient
des inuentions pour le faire detenir dans le Chasteau
de Pierre-en-Seize de Lion, ie luy donne de
grand cœur vne Rose de Diamant, dont les Messieurs
de Barcelonne me firent vn present à ma
premiere arriuée du prix de cinquante mille escus.

Ie donne à la Sorbonne cent mille escus que
j’ay à Rome dans le Mont de Pitié : mais ie veux &
entends que le reuenu de cette somme soit employé
pour seruir de subuention à des pauures
estudiants.

Les Poëtes de cette tres-fameuse ville de Paris,
pour recompense de tant de vers qu’ils ont eu
faits à ma loüage, agréeront le present que ie leurs
faits de mon Hostel, ou i’entends qu’ils demeureront,
& lequel ils ne pourront vendre ny alliener
pour quelque raison que ce soit : Au contraire, seront
tenus d’y receuoir tous les autres Poëtes
François durant vn mois : Et les Estrangers, Grecs,
Latins & Italiens quinze iours tant seulement ; Et
pour ce sujet, ils jouyront du reuenu de cinquante

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mille escus que i’ay mis entre les mains des Bancquiers
de Lion.

 

Ie desire reconnoistre auec passion le merite
des hommes illustres de la France, que ie supplie
tres-humblement de me vouloir pardonner si ie
n’ay pas fait beaucoup d’estime de leur condition,
ie donne & legue à chacun d’iceux cent mil francs,
qui seront tirez des quatorze millions que i’ay
presté à la Republique de Venise.

Ie desire reconnoistre les imprimeurs & Vendeurs
de placarts & libelles, pour tesmoigner que
ie n’ay pas aucune animosité contr’eux, bien qu’ils
ayent mis en lumiere vn nombre infiny de pieces
contre moy, ie donne à chacun vingt escus, lesquelles
sommes seront tirées du tresor de mon
espargne.

Et parce que i’ay besoin en cette presente occasion
de la grace particuliere du Ciel, ie donne à
tous les Cloistres & Monasteres des Mandiants de
Paris & des Faux-bourgs d’iceluy, à chacun la somme
trois cens mil liures, afin que par leurs prieres,
jeusnes & disciplines, Dieu me comble de ses benedictions.

Ie donne & legue la somme de cens mil liures
que le Senat de Naples me doit, à des pauures filles
nubiles, laquelle dite somme sera distribuée par
les Peres Iesuites, comme ils iugeront à propos.

En dernier lieu, le donne & legue au grand

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Hostel-Dieu la somme de quatre cens mil liures,
que ma grande Niepce sera tenuë de bailler & deliurer
entre les mains de Messieurs les Administrateurs
& Recteurs dudit Hostel-Dieu à leur premiere
requisition, à condition que tous les passans
de Sicile, bien qu’ils soient en bonne santé, y seront
receus & nourris durant quinze iours.

 

Ie veux & entends qu’au commencement de ce
present Codicile soit escrit ce vers,
Fronte capillata occasio vertice calua.

Et que l’on adiouste foy à toutes les copies de
mesme qu’à l’original.

Ie supplie tres-humblement ces grands personnages
du tres-illustre Parlement de me vouloir
pardonner, & particulierement monsieur de Brusselles
à qui ie suis tres-obeïssant seruiteur ; ie luy
faits present d’vne montre d’horloge, enrichie de
diamans & d’autres pierres precieuses, l’asseurant
que ie n’ay point d’autre plus grand desplaisir
dans le monde que celuy de l’auoir offensé.

Le present Codicile a esté faict en presence de
Monsieur le Chancelier, & de plusieurs tesmoins
signez dans l’original, le septiesme iour de Mars
mil six cens quarante neuf.

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