Balzac, Jean-Louis Guez de [?] [1649], LA HARANGVE CELEBRE FAITE A LA REYNE SVR SA REGENCE. , françaisRéférence RIM : M0_1544. Cote locale : A_4_17.
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LA
HARANGVE
CELEBRE FAITE
A LA REYNE
SVR
SA REGENCE.

A PARIS,
Chez TOVSSAINCT QVINET, au Palais, dans la petite
Salle, sous la montée de la Cour des Aydes.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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A
LA REYNE.

MADAME,

Nous ne desesperons plus du salut de nostre Estat.
Nous ne voyons plus que les maux de nostre siecle
soient incurables. Le premier iour de vostre Regence
nous a promis vn aduenir bien heureux, & si le peuple
Chrestien chastié si long-temps & si exemplairement
par la Iustice du Ciel doit enfin auoir sa grace de
Dieu irrite, vray-semblablement il la recevra par des
mains si pures & si innocentes que les vostres.

La pluspart des Princes se preinent pour celuy qui
les a faits, & rapportent à leur bonne conduite la bonne
fortune de leurs Estats. Ils pensent estre la cause &
ne sont que les moyens, & encor des moyens si foibles
que Dieu s’en sert par bien seance plus que par
necessité, pouuant (s’il vouloit) gouuerner le monde
sans Impereurs, sans Rois, & sans Republiques.

Vostre Majesté, Madame, est tres éloignée de ces

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sentimens des Princes superbes. Elle a en horreur la
memoire de ces seruiteurs qui ont excité la ialousie
de leurs Maistres, ayans voulu vsurper sa gloire. Elle
se prosterne aux pieds des Autels sur lesquels ils ont
monté : & nous ne craignons point de l’offenser quãd
nous luy disons qu’elle n’est pas assez puissante pour
donner la paix à la Chrestienté, mais est assez bonne
pour l’obtenir du Dieu des Chrestiens. Que ce ne sera
pas de son Trône & en commandant qu’elle fera
pleuuoir cette benediction sur la terre, mais que ce
sera dans son Oratoire & en priant qu’elle l’attirera
d’vne region plus éleuée.

 

Cependant, Madame, le monde inferieur se promet
tout le reste de vostre sage conduite, & la regarde
comme celle qui a esté choisie pour contribuer
à l’œuure du Ciel. Il croit estre asseuré de tout le
bien qui est en vostre puissance, & qui se peut faire
humainement par la voye naturelle de la vertu, ou la
reformation des desordres est vne affaire impossible,
ou vous l’acheuerez.

Ce qui a peut-estre donné dans vn temps si pauure
& si sterile que cettuy-cy, la France l’a desia receu.
Elle a esté plainte, elle sera vne autrefois soulagée.
Pour le moins, Madame, de vostre grace elle a
des pensees moins tristes & moins funestes qu’elle
n’auoit. Elle est capable de consolation. Elle espere,
elle attend, elle iouyt en esprit du bien-heureux aduenir,
dont la promesse luy fut faite, & l’image luy fut
montrée lors que V. M. fut au Parlement.

Que ne feit point ce premier rayon de vostre Regence ?

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Il fist refleurir ce qu’il y auoit de plus languissant
& de plus sec dans l’ame de vos sujets. Il perça
ce long espace de terres qui nous separe du siege de vostre
Empire, & vint éclairer iusques à l’obscurité de
nos ombres & de nos cauernes. Il entra mesme dans
les lieux de douleur & de desespoir, & fut cause du
bon interuale qui arresta la vie sur les levres de ceux
qui mouroient.

 

Apres vne si salutaire apparition nous ne vismes
plus de suites dans nostre perte. Nous pleurasmes vn
grand Roy, mais nous ne trouuasmes point à dire son
gouuernement. Le Soleil ne se coucha que pour se leuer.
Les fantosmes du raisonnement humain disparurent,
& la fausse prudence se cacha. Les cœurs effrayez
oserent se rasseurer. Le peuple commença à prendre
courage. Ie parle, Madame, du courage que vous luy
donnastes.

Sans doute le progrez répondra au commencement ;
la lumiere nous amenera la chaleur. Les esperances
meuriront, & le courage deuiendra force ; mais
on va par degrez & par aages à la perfection de la force ;
la maturité des choses a besoin de la patience des
hommes, & le releuement de tant de pieces renuersees
n’est pas l’ouurage d’vn iour, ny le coup d’essay
d’vn artisan.

Que sert-il de le dissimuler ? la felicité publique est
encor l’obiet de nos vœux & de nos soupirs. Elle n’est
pas encor arriuee. On ne passe pas si viste d’vn contraire
à l’autre : mais elle doit arriuer. Mais elle ne sera pas
longue à venir, ou toutes les belles apparences sont
menteuses, & tous les bons presages sont faux.

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Nos bons presages, Madame, nous les prenons de
vos bonnes intentions, dans lesquelles il n’y a point de
si malicieux aueugle qui ne voye vne proche disposition
à vn meilleur temps, & le dessein formé de nostre
salut. Intentions ardantes & laborieuses qui veillent &
agissent sans cesse. Non pas oisiues & immobiles qui
ne font que songer & que souhaiter.

Le doux changement, Madame, a des yeux lassez de
spectacle hideux & terribles de considerer auiourd’huy
ces presages & ces signes fauorables. Ils promettent
apres tant d’autres signes qui ont menace. Ils consolent
les ames qui ne sont pas encor assez hardies
pour se réjouyr. Ils annoncent à la Chrestienté le repos,
la seureté, l’abondance, les biens qu’elle enuie à l’Empire
du Turc, & autres Royaumes Barbares.

Ces signes n’ont rien de commun auec la superstition
Payenne, ne se lisent point dans les Estoiles, ne se
foüillent point dans les Entrailles des bestes, ne sortent
point du bec d’vn oiseau qui a parlé, & qui a dit,
Tout ira bien. Ils sont épurez de la vanité des fables,
des faux sermens de la Grece, de la saleté de la flatterie.
Ils paroissent, & nous les remarquons, Madame, dans
la vie Religieuse de Vostre Majesté, dans ses continuelles
deuotions, qui ne sont pas seulement en veneration
aux peuples qui pourroient nous faire la guerre, mais
qui sollicitent & pressent pour nous le donneur de la
paix, & le bienfaicteur des Soúuerains.

Il n’est point de signes plus visibles & plus éclatans,
plus certains & plus infaillibles que ceux là, au moins
il n’en est point de plus raisonnable & de plus iustes,
puis qu’ils meritent la chose qu’ils signifient, & qu’ils

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la procurent en la marquant.

 

Dieu nous promet, Madame, de deuiner de la sorte.
Il approuue & ratifie cette espece de diuination. Et s’il
ne se fache d’estre bien & fidelement seruy, c’est vn inconuenient
qu’il ne faut pas craindre, si la pureté des
mœurs & l’innocence de l’ame ne luy déplaisent, si les
sacrifices des Cours des Princes, & les majestez humiliées
deuant la sienne ne luy sont desagreables, il ne
vous refusera pas vne grace que vous luy demandez si
pieusement, auec de si dignes & si efficaces preparatiõs.

Mais de plus, Madame, compteroit-il pour rien ces
bontez versees à pleines mains, cette Iustice obligeante
& liberale qui a fait raison de tant de personnes interessees,
qui a reconcilié tant de particuliers auec l’Estat,
ces tresors de misericorde & de clemence, par l’ouuerture
desquels V. M. a signalé l’entrée de son administration
de si grandes aduances de charité, ie dis de
charité héroïque, ne seroient-elles point considerees
par celuy qui paye vn verre d’eau de la derniere felicité,
& à qui les hommes prestent à vsure tout le bien qu’ils
font ?

Seroit-ce en vain, Madame, qu’apres auoir pris soin
des innocens affligez vous n’auriez point voulu chercher
de coupables dans la memoire du siecle passé ? Seroit-ce
en vain que vous auriez peu dire ces paroles que
Rome a leuës autrefois auec des larmes de ioye, & que
l’Histoire a grauées en lettres d’or, Qu’on épargne les vies
les moins precieuses ; Qu’on ménage le bon & le mauuais
sang ; Que les prisonniers ayent liberté ; Que ceux qui sont
fugitifs reuiennent. Et pleust à Dieu pouuoir faire reuiure
ceux qui sont morts.

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Non, Madame, il n’est pas à croire que tant de merite
soit perdu pour nous, & qu’vne telle bonté n’ait
point de credit en l’autre monde, puis que c’est le monde
iuste & recognoissant. Il n’y a point d’apparence
qu’vn autre Ange que vous nous apporte ce que Dieu
nous doit enuoyer, & que ce ne soit pas la personne la
plus voisine du Ciel, tant par sa pieté que par sa naissance
qui soit la mediatrice si desirée & si necessaire entre
le Ciel & la Terre pour l’œuure qui doit embellir &
suiure la paix, & à quoy le Ciel entend que vous trauailliez,
les mesmes presages & les mesmes apparences
nous en respondent. L’inclination bien faisante de
V. M. n’est pas vne fougue de vostre vertu qui produit
des actions aueugles & fortuites. Vous auez dessein
d’estre bonne & de l’estre par tout & tousiours. Le débordement
des graces que nous auons veu, coule d’vne
source qui iette beaucoup, & qui ne tarit iamais. Il
y en a pour les nations & pour les siecles. La posterité
en puisera aussi bien que nous ; & vous obligerez le public,
apres auoir obligé les particuliers.

Vous ne vous contentez pas, Madame, d’auoir rompu
les chaines de quelques-vns de vos subiets, & rendu
à quelques autres leur païs, leur fortune, & leur
honneur. Il faut deliurer de plus grands captifs, & sauuer
de plus nobles malheureux. Il faut que les Rois &
les Estats soient vos affranchis & vos creatures. Il faut
que toute l’Europe se sente de vostre protection ; Et
vous prefererez ie m’asseure le nom de Mere de la
Patrie, à celuy de Mere des Armées.

Ce dernier nom me semble farouche, & peu conuenable
à vn sexe dans lequel les Amazones sont

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considerées dans la Morale comme des monstres de
la police. L’autre nom, Madame, est plus digne de
l’ambition de V. M. & s’accommode mieux auec la
modestie d’vne bonne Reyne.

 

La femme d’Auguste neantmoins (la sage & vertueuse
Liuie) a pris l’vn & l’autre nom, ou pour mieux
parler elle les a receus tous deux de la faueur de son
siecle. Il se voit mesme encor auiourd’huy des medailles
d’argent auec sa figure, qui disent quelque chose
de plus, & qui l’appellent la Mere du Monde. La mere,
dis-je, qui a porté le monde dans ses entrailles, &
de laquelle il est nay, car la force du mot des medailles
va iusques là.

Ce beau mot ne vous fait il point d’enuie ? Ne voudriez-vous
point disputer de la gloire & de la bonté
auec la femme d’Auguste ? Vous pouuez estre, Madame,
encore mieux qu elle la mere du monde, si vous
voulez estre sa tutrice, & si vous l’adoptez par vos
bienfaits, il semble que vous soyez predestinee pour
cela, & le monde s’y attend, mais particulierement la
plus noble partie du monde, vostre chere France,
Madame, qui toute victorieuse qu’elle est n’est pas
moins lasse, que glorieuse de ses victoires, s’affoiblit
& s’épuise par les grands efforts, & par la continuelle
action a meilleure mine qu’elle n’a bonne santé.

Vous la soustiendrez, Madame, vous la fortifierez,
personne n’en doute, vous la receurez entre vos bras,
vous la mettrez dans vostre sein, vn chacun se le promet.
Et certes en l’estat où elle est debile & abbatuë à
l’extremité, elle ne doit pas estre seulement aimée, elle
doit estre appuyee auec indulgence. Elle ne demande

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pas seulement vostre simple protection, elle a
besoin encor de vos caresses.

 

Il y a vne certaine amour de pitié qui commence
par la douleur, & qui s’allume des larmes & des maux
d’autruy ; mais quand les maux nous touchent de
prés, & qu’en vn mesme sujet nous rencontrons ce qui
souffre & ce qui est en nous, la nature se sentant alors
frappee par vn second coup redouble sa chaleur auec
sa compassion. Et d’ordinaire nous cherissons dauantage
nos enfans malades, que nos enfans qui se portent
bien.

V. M. Madame, cognoist ce foible de la nature, sans
lequel elle tiẽdroit plus du sauuage que de l’humain,
& ces relasches de la vertu qui ne s’opiniastre pas
tousiours dans la fermeté. Elle sçait que les peres
sont quelquefois durs & rigoureux, & ne sont pas
pourtant mauuais peres, mais que si les meres manquent
de tendresse & de douceur, elles manquent des
qualitez qui leur appartiennent de droit naturel, &
qu’elles ne peuuent perdre sans perdre le nom de
bonnes meres.

Sur ce fondement nous appuyons nos coniectures
& nos discours, & peu s’en faut que nous n’écriuions
l’Histoire des choses qui ne sont pas encor arriuées.
V. M. estant tres sensible aux afflictions de ses sujets,
& souffrant le mal qu’elle void souffrir, elle sera tres-aise
de s’oster de deuant les yeux des obiets qui luy
blessent egalement les yeux & le cœur, & son interest
luy doit conseiller de faire cesser les miseres que sa
compassion luy approprie, qu’elle luy porte iusques
au fonds de l’ame, qu’elle luy rend communes au milieu

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mesme de sa grandeur, auec les miserables qui les
endurent.

 

Le peuple, Madame, est composé de ces miserables, &
ne presentent iour & nuit à vostre veuë & à vostre imagination
que des infirmitez & des playes, que des gemissemens
& de la douleur. Il ne se nourrit point des
grandes nouuelles qui viennent de vos armées, ny de
la haute reputation de vos Generaux, ses appetits sont
plus grossiers, & ses pẽsees plus attachees à la terre. La
gloire, est vne passion qu’il ne cognoist point, qui est
trop déliee & trop spirituelle pour luy. Il voudroit
plus de bled & moins de lauriers.

Il pleure souuent les victoires de ses Princes, & se
morfond auprés de leur feux de ioye, parce que les
aduantages de la guerre ne sont iamais purs, ny les victoires
entieres, d’autant que le deüil, les pertes & la
pauureté se trouuent souuent auec les triõphes. Quelque
heureux succez qui accompagne nos armes sur la
frontiere & hors du Royaume. Cet Estat du dehors ne
guerit point les incõmoditez domestiques. Apres auoir
braué l’ennemy sur la frontiere & hors du Royaume,
chacun se trouue malheureux chez soy, & l’estat où
nous sommes n’est pas vne vraye prosperité, c’est vne
misere que l’on loüe, & qui est en bonne reputation.

Mais, Madame, pour nous mieux preparer à gouster
les douceurs de l’aduenir, qui seront les fruits de
vostre Regence. Il me semble qu’il ne seroit pas mal de
cõsiderer de plus prés les amertumes presentes qui sont
les restes du siecle passé, V. M. me fera bien l’honneur de
voir en cet endroit vn crayon de ma façon, & de souffrir
que ie luy figure vne chose qui n’est supportable qu’en

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peinture. Elle ne sera pas faschée que i’accuse la guerre de
tout, & s’il m’est possible que ie n’accuse personne de la
guerre. Les hommes ne veulent point estre blâmez, ne les
blâmons point, ayons quelque égard à la delicatesse de
leur humeur, & attaquons vne idole qui ne sent pas plus
le blâme que la loüange.

 

Ce Mars, Madame, dont on se plaint chez les victorieux,
aussi bien que chez le vaincu, est vn demon bizarre
& capricieux, qui n’a ny foy, ny constance, ny raison. Auiourd’huy
il est deserteur de la cause de laquelle il estoit
hier partisan, & ne sçait non plus pourquoy il la quitte,
que pourquoy il la soustenoit. Il prend plaisir de faire receuoir
des affronts à la prudence, apres les meures deliberations,
& de des-honorer les bons conseils par les mauuais
éuenemens. Il couronne la temerité, les fautes & les
folies. Mais regardez la malice de son amitié, c’est afin
d’attraper quiconque se fie en luy, car presque tousiours
ses presens sont les hameçons, & ses fauoris ses victimes.

S’il n’emporte les braues du premier coup, à tout le
moins il les erre & s’en asseure pour vne autrefois. Nulle
teste priuilegiée, nulle vie exempte. Quand il s’agit de
prendre son droit, le sort de Mars tombe sur le General
de l’armée comme sur vn des enfans perdus. Personne ne
luy échape, non plus l’heureux que le malheureux, & à la
fin les Gustaues n’en ont pas esté mieux traitez que les
Tillis.

Vous plaist il que ie die encor quelque chose à V. M.
de ce spectre malfaisant, Rome & Athenes, Madame,
mais Rome & Athenes aussi vaillantes que sages, luy ont
chanté publiquement des iniures dans les Cantiques qui
se recitoient aux grandes festes. On ne parloit point de

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rappeller la felicité bannie, & les vertus fugitiues, qu’auparauant
on ne parlast d’enuoyer Mars en exil, ou de le mettre
à la chaine. Il a esté maudit de ceux mesmes qui l’ont
adoré, à l’heure mesme qu’ils l’adoroient, entr’autres beaux
noms qu’on luy donne, Orphée au commencement de
l’Himne qu’il luy a faite, celui de patricide n’est pas oublié,
furieux, impie & sacrilege sont ailleurs ses Epithetes perpetuels.
Et ainsi vous voyez, Madame, que dés ce temps il
estoit ennemy de la Religion & des choses sainctes, vous
voyez qu’il ne pardonne ny à pere, ny à mere, ny à patrie,
qu’il mangeoit les siens apres auoir deuoré les estrangers.

 

L’aage ne l’a pas rendu meilleur, il ne s’est point conuerty
de son ancienne impieté. Il viole encor la Religion
& prophane les Autels, le desordre, la licence, l’impunité
marchent encor à sa suite. Il se mocque encor de la Iustice
& de l’equité, des parentez & des alliances, & brise d’abord
les plus sainctes chaines qui lient les hommes auec
les autres hommes. Il ne fut iamais plus impitoyable ny
plus cruel. Mais chose estrange, Madame, il est plus prodigue
& plus affamé qu’il ne fut iamais. Vne nation de donneurs
d’aduis trauaille sans cesse aux inuentions de luy
trouuer de l’argent, & il en demande tousiours dauantage.
Les richesses du vieux & nouueau monde ne suffisent pas à
ses excez. Il destruit les vaincus par les pertes, & ruine les
victorieux par la dépense. Il se montre contraire en vn
lieu, il paroist fauorable en l’autre, mais par tout il est mauuais.

Voila bien des plaintes contre ce fantosme, & bien veritables
& bien iustes. Voila bien dequoy hayr ses faveurs,
qui ne sont gueres meilleures que ses disgraces. Si ne faut-il

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pas abandonner tout d’vn coup à la censure publique
quinze ou seize années de nostre Histoire, ny blâmer nous-mesmes
nostre party, ny décrier le merite d’vne cause,
quoy que sa longueur & ses espines nous ennuyent.

 

Il ne seroit pas impossible, Madame, de purger les
armées du Roy de la pluspart des reproches que l’on fait
à Mars. Pour le moins il se pourroit dire à leur iustification,
qu’elles n’ont pas cherché l’ennemy, & que ce n’est
point à la France à qui l’on doit imputer les miseres de
l’Europe. Il se pourroit dire mesme à la décharge de la
conscience des Rois, qui pensent estre obligez de croire
Conseil, que celuy qui leur conseilla de s’opposer à main
armée au droict le plus clair qui fut iamais, & de faire assieger
Cazal sans aucune couleur de raison, doit estre accusé
de toutes les mauuaises suites qu’a produit ces mauuais
commencemens.

Mauuais certes, & visiblement iniutieux, plein d’iniustice
& de violence deuant quelque tribunal que se traite
l’affaire de Mantouë, car si estre né François n’est vn vice
qui rende vn homme incapable de succession, n’est vne
tache qui efface les droits de la nature, les loix escrites, &
les coustumes receuës, personne ne sçauroit douter que la
protection qu’a donné la France au legitime heritier
n’ait esté iuste, & que l’oppression qui luy est venuë d’ailleurs
ne l’ait pas esté.

Que si apres cette action si peu soustenable & si vniuersellement
condemnee, vne guerre a attiré plusieurs
guerres, si la contagion d’vne partie infectee a gagné
tout le corps de la Chrestienté, & si tous les Chrestiens
sont deuenus ennemis, comme s’il n’y auoit plus de

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Turcs ny de Mores à haïr. Que diray-ie dauantage, si
toute l’Europe est noyée de sang, & tous ses Estats sont
languissans & malades à la mort. Ce siege fatal, Madame,
a fait tout cela, il a conceu, il a enfanté toutes
les miseres qui nous trauaillent. Cette premiere iniustice
est coupable de toutes les iniustices que nous auons
receües.

 

Grands Dieux souuenez-vous de l’Autheur des maux,
& ne le laissez pas impuny, s’écria le plus homme de
bien de Rome apres la bataille de Philippes, & estant
prest de rendre l’esprit, car quoy qu’il fust naturellement
vertueux, neantmoins il auoit esté forcé par la
violence du temps, & par la tempeste des affaires, de
s’éloigner quelquefois de son naturel & de sa vertu. Il
n’auoit peu oster à la guerre la licence ny la cruauté,
mais par ces dernieres paroles, il creut se pouuoir décharger
sur autruy de la faute des choses passees, & estre
assez innocent, puis qu’il n’estoit pas le premier coupable.

Celuy donc qui a premierement abusé des armes d’Espagne
en Italie, celuy qui nous a ouuert la lice, & qui
a mis aux mains des deux Nations le conseiller de la
guerre de Montferrat, sera responsable des ruines & des
embrazemens de la Chrestienté, des blasphemes & des
sacrileges de nos armées, aussi bien que de celles de
son Maistre, il sera chargé de ses iniquitez & des nostres,
il portera la peine des crimes de l’vn & l’autre party. Il
rendra compte à la Iustice Diuine non seulement de
tout le mal que les Croates ont fait, mais aussi de tout
celuy que peuuent faire les Suedois.

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Ainsi à peu prés, Madame, se pourroit iustifier & entreprendre
elle-mesme son Apologie. Mais parce que si
nous soustenions si affirmatiuement qu’vn Espagnol
qui est hors de la Cour, a commencé la querelle, on
nous repartiroit presque auec autant d’affirmation qu’vn
François qui n’est plus au monde ne l’a pas voulu finir,
& qu’ayant dessein de perpetuer nos maux pour rendre
eternelle son authorité, il a tousiours meslé son ambition
dans la Iustice de la cause de la France. Ie ne suis pas d’aduis
que nous examinions cette question auec trop de curiosité,
puis que nous auons protesté de n’accuser qui
que ce soit. Souuenons-nous de nostre protestation, ne
cherchons ny qui a allumé le feu, ny qui l’a nourry
d’huile & de soulfre, ny la main qui a entamé le corps
de la Chrestienté, ny celle qui a empoisonné ses blesseures.
Respectons l’azile de la mort, & laissons en repos
l’affliction, ne faisons le procés à personne en vn temps
où vostre Majesté a témoigné vouloir faire grace à tout
le monde.

Il est encor mieux de courir apres de nouueaux fantosmes,
& de s’egarer dans des pensees vagues, que d’aller
trop droit à la vray-semblance, il vaut mieux souffrir,
Madame, que les speculatifs aillent prendre plus
loing & plus haut la cause de nos malheurs, qu’ils disent
que c’est si bon leur semble, ou vne supercherie de la fortune,
ou vne necessité du destin, ou la conionction de
plusieurs estoiles malfaisantes, ou la comette qui vint
menacer la terre l’annee 1618. & dont le venin a duré &
la malignité s’est fait sentir iusques à l’année mil six cens
quarante trois.

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Ie ne les empesche point de parler de cette sorte, mais
pour moy qui ne suis pas speculatif & qui suis Chrestien
i’ay appris à parler vne autre langue. Ie monte encor plus
haut que les Cometes & les Estoilles, ie dis que c’est Dieu
déguisé en tant de façõs par les speculatifs. Que c’est Dieu,
Madame, qui de temps en temps chastie son peuple, &
fait des exemples de ses enfans, à cause que son peuple ne
l’honore que des levres & donne son cœur à vn autre Dieu :
à cause que ses enfans sont des rebelles & des ingrats, qui
non seulement n’vsent pas bien de ses graces, mais qui les
gastent & qui les corrompent, & qui s’en veulent seruir
contre luy.

Il ne faut point s’expliquer plus clairement ny estaller
des veritez odieuses : mais si les Grands du monde examinoient
bien leur conscience sur cét article, ils verroient
eux-mesmes de combien de miracles ils sont redeuables à
Dieu ; & de quelle felonnie ils se sont rendus coupables à
l’heure mesme que les miracles ont esté faits en se les attribuant
à faux comme s’ils en eussent esté les autheurs, quoy
qu’ils n’en fussent que les tesmoings ; Empereurs & Roys.
Conseillers & Ministres, tous ont desrobé la gloire de
Dieu.

Or, Madame, puis que la Iustice n’a point en ce
monde de plus rude supplice que la guerre, & qu’elle s’appelle
le fleau de Dieu, vray semblablement ce fleau est
entre ses mains & non pas entre les nostres, nous ne pouuons
pas estre battus à nostre discretion, estre affligez autant
qu’il nous plaist, auoir la disposition de nos mal-heurs,
on n’a point encor ouy parler qu’vn criminel fust
arbitre de sa propre peine, que les miseres fussent en la

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puissance des miserables, que la fantaisie du malade reglast
la longueur de ses accez.

 

Et par la ie conclus, Madame, de la mesme sorte que
i’ay commencé, ie m’affermis sur les propositions que i’ay
aduancées d’abord : ie me fortifie dans ma premiere raison
apres auoir detesté la guerre auec tous les gens de bien, ne
puis ie pas dire derechef à vostre Maiesté que la paix se
propose sur la terre, mais qu’elle ne se fait que dans le Ciel,
que les assemblées indiquées en Alemagne, les passeports
en forme & les plenipotentiaires des Roys sont de grands
mots en la bouche de leurs peuples & paroissent de grandes
machines quand vn conteur de nouuelles les remeuë, mais
ne sont que des petisiongs quand la prouidence diuine les
veut renuerser.

Ce que nous desirons auiourd’huy auec tant de challeur
& tant de besoing, vient immediatement du creu de
Dieu ; est absolument de sa façon, se nomme par son Eglise
vne chose impossible au monde : & partant ie redis,
Madame, que nous l’attendons beaucoup moins de vostre
puissance que de vostre pieté. Et en le redisant ie ne crois
rien dire de desauantageux à vostre puissance, ny de rude
à vos oreilles.

Vous ne voulez pas estre traictée de Deesse, non pas
mesme par les Poëtes qui font largesse de Diuinité, vous
n’exigez point de vos suiets d’Hymnes ny de festes en vostre
nom, la vertu de vostre Maiesté reietteroit bien loing
l’adoration de nostre flatterie, & c’est sa vertu de qui nous
sommes partisants en cette occasion, & pour qui nous tenons
contre sa puissance, c’est vostre vertu, Madame, de qui
nous nous promettons plus que de vos armées, quoy que

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tousiours victorieuses, que de vos alliances quoy que
puissantes & en grand nombre, que de vos Ambassadeurs
quoy que tres-sages & tres-habiles, toute leur politique
peut trauailler iniustement, mais vn de vos soûpirs peut
trauailler auec succez.

 

Que ne peut la saincte douleur de la charité quand elle
blesse le cœur d’vne Reyne, la grandeur quand elle se fait
petite deuant les Autels, l’humilité quand elle descend de
si haut & quand elle met si bas les Sceptres & les Couronnes
qu’elle en apporte, ce sera elle qui persuadera, qui
forcera la bonté de Dieu, à qui Dieu se laissera vaincre, à qui
la paix doit estre accordée.

Et cettes il y a bien de l’apparence que par vne particuliere
eslection, cette persone a esté choisie pour receuoir
la paix, qui la receura dans les mains nettes de toute sorte
d’iniustice, auec vne esprit vuide de tout l’aigreur & de
tout l’animosité des parties, pur & innocent de toute la
violence des choses passées, qui n’a eu aucune part à aucun
mauuais conseil.

La paix cherche la bonté & se plaist auec les vertus humaines
& sociables, elle est attirée par la douceur, par la
clemence & par la pitié, vous auez ces attraits, Madame,
vous auez ces charmes, capables de l’euoquer & de la faire
descẽdre du lieu où elle est. Redisons dõc ce qui ne sçauroit
estre redit trop souuent, tous les speculatifs & toutes les
dispositions necessaires pour la reception d’vn si grand
bien se trouuans en vostre Maiesté, elle obtiendra la grace
qu’elle demande, par ce qu’elle la demande comme il faut,
elle aura la paix, par ce qu’elle la veut tout de bon, & s’il
y a quelque François ambitieux qui desire le contraire, ie
ne pense pas qu’il y ait de secte mediocrement raisonnable,

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qu’il y ait de sauuage tant soit peu appriuoisé, qui ne blâme
le desir de ce François, & qui ne puisse trouuer estrange
vostre bonne volonté pour la paix, & vostre auersion
pour la guerre.

 

Mais, Madame, que cét ennemy de nostre repos ne iette
point d’irresolution dans l’esprit de vostre Maiesté, de quelque
specieuse apparence que ses parolles soient colorées,
defiez vous d’vne Rhetorique qui veut embellir les precipices
& les abismes d’vne Rhetorique de feu & de sang,
conseillere de mort & de misere, ruyneuse à vostre Estat,
mal affectiõnée à vostre personne, elle fait sonner bien haut
la reputation de vos armes, vos aduantages sur l’ennemy
& la dignité de vostre Couronne, mais ne l’escoutez pas
au preiudice de la voix publique, qui vous asseure que la
vraye dignité de la Couronne, c’est le salut du Royaume
qui vous coniure de cesser de vaincre, de ne plus faire de
conquestes, de mettre fin à vos bons succez, puis qu’vne
victoire a tousiours besoin d’vne autre victoire, puis que
vous estes obligée de payer & de nourrir vos conquestes,
puis que vos bons succez ne finissent point nostre mauuaise
fortune, & que le gain augmente la pauureté.

Vostre puissance, Madame, n’a que faire du desordre
pour se maintenir, il n’est bon qu’à ceux qui doiuent leur
authorité au mal-heur du temps & à la confusion des choses,
ce n’est point icy l’interest d’vn vsurpateur qui s’est
ëmparé d’vne Tutelle contre la resistance des loix, & qui
r’apporte tout à luy seul, qui ne recherche que de l’embarras
& ne veut donner que des procés à son pupille, pour
profiter auec les autres de la disposition de son bien, c’est
la passion d’vne mere que les loix & la nature authorisent
qui vit plus en son fils qu’en elle-mesme, qui ne prend de

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la peine que pour luy laisser du repos, qui ne songe qu’à
luy esclaircir ces affaires & à luy nettoyer sa maison.

 

Vostre Maiesté est sage : ces pensées ne sont donc pas vastes
& infinies : elle est bonne, son cœur n’est donc pas d’acier
ny de marbre, estant sage elle doit apprehender l’inconstance
des choses humaines, & la reuenche des malheureux :
& quand il n’y auroit point d’ennemy à craindre.
Elle sçait que souuent on a leué des armées pour les dõner
en proye à la dissenterie & à la perte, que quelque fois on
a équippé des flottes pour les enuoyer cõtre les rochers &
contre les vents, mais d’ailleurs, Madame, n’estant pas
moins bonne que sage, vous pouuez vous representer sans
horreur tant de sang Chrestien & baptisé qui coulle à torrent
en vne infinité d’endroits de l’Europe : & l’espouuantable
image de cette cruelle guerre, de cette guerre plus
que ciuile, ie ne dis pas au hazard plus que ciuile, veu
qu’en effect nous sommes tous domestiques d’vne mesme
Foy, & que les estrangers auec lesquels la Religion nous
vnit, nous sont plus proches en quelque façon que les
François desquels elle nous separe.

La politique prophane a beau declamer sur le chapitre
de la reputation & des aduantages. Elle a beau preferer
vn peu de bruit & vn peu d’esclat à la solidité du bien public ;
ce n’est point, Madame, & ce ne peut point estre vostre
dessein d’acharner contre les fidelles, de donner vn si
agreable passe-temps aux peuples de Mahomet, & aux
ennemis de l’Euangile ; de souffrir plus long-temps que la
terre de IESVS-CHRIST soit leur amphiteatre de gladiateurs.
Ce n’est point vostre plaisir. Nous le sçauons bien,
de nous sacrifier à vostre ambition, de consumer les nations
& les aages, de lasser & d’vser dans vos querelles la

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meilleure partie du genre humain.

 

Asseurement vous auez pitié de ceux qui meurent, vous
auez regret de ceux qui sont morts : & quand ce ne seroit
que pour sauuer ce qui nous reste de testes Illustres, &
pour empescher ce petit nombre, cette solitude d’hommes
excellents, dont nous menace la continuation de la guerre,
quand se ne seroit que pour conseruer à la France, vne vie
qui luy est infiniment chere & qui se hazarde tous les
iours, vn Heros de la race de nos Dieux, le Duc d’Anguien,
vostre admirable General de 20. ans. Sans doute, Madame,
sans doute vous desirés la fin de la guerre, vous deuez
craindre l’infidelité de Mars, & le destin de Gustaue
pour vn Prince qui va au peril comme il y alloit, vous
estes obligée de n’exposer pas dauantage à la funeste adresse
d’vn carrabin toutes les vertus naturelles & acquises,
ciuiles, & militaires, & d’essayer de conduire en seureté
sques à la maiorité du Roy vostre fils, vn merite qui doit
faire tant d’honneur à son Regne & estre si vtile à son
Estat.

Mais, à plusieurs autres raisons de desirer vn autre
temps que cestui-cy qui se presentent à vous d’elles mesmes,
adioutons, Madame, celle qui vous presse plus viuement,
& qui donne le plus d’inquietude à vostre bonté,
ie parle de la passion que vous auez pour la France, & du
vœu que vous auez fait de la rendre heureuse, qui ne peut
estre accõply que la guerre ne soit terminée : car de se figurer
que la felicité precede la paix au lieu de la suiure, c’est
rẽuerser l’ordre des choses & se figurer qu’vne fille est plus
vieille que sa mere, c’est penser moissonner au mois de
Mars, c’est vouloir loger en vn Palais des le iour que le
plan en est dressé & se fascher que le dome ne soit pas plutost

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fait que les fondemens.

 

Voicy vne proposition d’eternelle verité, il ne peut y
auoir de felicité publique sans vne paix generale, vous la
meritez, Madame, de plus en plus par la continuation de
vos bonnes œuures, vous la demandez incessamment dans
la ferueur de vos deuotions, vous faites entrer en cette solicitation,
les Sts. & les Stes. de l’vne & de l’autre Eglise, de
celle qui triomphe & de celle qui combat, vous employés
des troupes entieres de Vierges amantes de IESVS-CHRIST,
pour luy recõmander nostre cause, vous employés
la Pureté mesme & la Blancheur mesme pour luy recommander
la cause des Lys, en vn mot vous nous donnez
vos souhaits, vos prieres, & vostre credit, iusques icy
vous n’auez pas peû donner dauantage, il faut auoir de
la patience pour le reste, & laisser faire le Ciel & Vous.

Ie luy aduouë, Madame, dés l’entrée de ce discours, &
ie ne crie autre chose à ceux que ie voy, ie crie de toute
ma force qu’il faut que la pauureté soit humble & obeissante,
& non pas fiere ny sedicieuse, qu’elle inuoque, &
non pas qu’elle menace, qu’elle agisse aupres de V. M.
par la modestie de sa douleur & non pas par les murmures
de son chagrin, il ne suffit pas que le peuple ait la fidelité
dans le cœur, il la doit porter sur le visage, il doit éuiter la
mine mesme & la ressemblance de la reuolte, il ne doit pas
estre extrauagant dans la mauuaise fortune, ny demander
l’embonpoint premier que la guerison.

Nous deuons considerer, Madame, que d’autres ont fait
les maux, que vostre Maiesté les a trouuez, que la guerre est
cause de la despence, & que vous n’estes point cause de la
guerre, qu’il n’y a point moyen que les charges cessent
tant que durera la necessité, nous deuons considerer que

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cette necessité est vne chose violente & imperieuse, que les
conseils sont absolus & sans condition, qu’elle iustifie ce
qu’elle conseille, que non seulement elle fait ietter dans la
mer rouge les lingots d’or & les caisses de pierreries, mais
qu’elle fait fondre les vases sacrez pour battre de la monnoye
quand on en manque, mais qu’en certain cas elle
peut legitimement & sans scrupule mettre à l’encan tout le
tresor de Lorete, toute la pompe & toute la magnificence
de Rome.

 

Nous deuons & nous ne sçaurions trop considerer la
qualité du temps d’auiourd’huy, ie veux dire vn perpetuel
esbranlement causé par vne perpetuelle action, vne extreme
foiblesse apres d’extrêmes efforts, les soins, les couruées,
les faix des autres Estats sur la pauure France, le peril tousiours
voisin de la seureté, le but qui semble s’esloigner de
nous, plus nous voulons approcher de luy, les difficultez,
les labirinthes, & les tenebres des choses presentes.

Quelqu’vn s’est plaint autrefois de n’auoir à gouuerner
que le naufrage de la republique, Dieu nous garde de n’estre
iamais obligez de nous seruir de ce mot, mais il est tres-vray
que le vaisseau qui nous porte est estrangement fracassé
à force d’aller & de venir, & que s’il ne trouue bientost
le port, la nauigation, voire tres-heureuse acheuera de
le briser. Il est tres-vray, Madame, que vous auez pris le
gouuernail en vne tres-mauuaise saisõ, & que si V. M. eust
fait faire inuentaire de la France, en l’estat où elle l’a trouuée,
le denombremẽt de nos maux & de nos desordres, eust
espouuenté toute la prudẽce humaine, & eust fait fuir tous
sages du lieu où l’on s’assẽble pour deliberer de nos affaires.

Nous considerons tout cela, & ne laissons pas d’auoir bõne
opinion du salut de nostre Estat, dans cette infinité de

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& de maux, nous ne songeons point aux moyens &
aux remedes humains ; Nous ne nous fions ny à la
science, ny en la pratique ; Nous nous asseurons en
quelque chose de diuin qui accompagne vostre personne,
& qui porteroit bonheur à des affaires encor
plus déplorees que les nostres ; Nous nous imaginons,
Madame, que vous auez le secret de rendre
les peuples heureux ; que vous estes née pour le restablissement
des Estats, & pour la consolation de
l’Europe. Qu’estre à vous & n’estre pas à son ayse,
implique contradiction morale, & nous l’imaginons
de telle sorte que vous auriez bien de la peine à nous
oster vne pensee à laquelle nostre esprit s’attache si
fort.

 

Quand Vostre Majesté nous defendroit d’esperer
par vne deliberation expresse, nous desobeirions à
l’expresse declaration de vostre Majesté, quand les
mauuaises nouuelles arriueroient en foule de Munster,
& qu’il naistroit dans la negociation de la paix
mille difficultez qui n’ont point esté preueuës, quand
vn demon de discorde entreroit dans l’esprit des Deputez
pour rompre l’affaire sur le poinct de sa conclusion,
encor pis que cela, ne nous rendroit pas l’affaire
douteuse, nous nous persuaderions, Madame,
que nostre bon Ange seroit plus fort que le mauuais
Demon, & qu’il r’habilleroit autant de choses que
l’autre en auroit voulu gaster.

Il n’est pas possible à la crainte, à la defiance, &
aux autres froides passions, de nous mettre de leur
glace dans le cœur, de rabattre tant soit peu de la

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premiere asseurance que nous auons prise de nous
donner seulement vne fausse alarme, nous possedons
desia vos bienfaits par la force de vostre imagination,
& nostre esperance nous en saisit. Pour le moins
nous sommes gens à signes & à presages, & auons
appris à parler de l’aduenir, comme du present vous
nous auez fait trouuer vne nouuelle sorte d’Astronomie,
par vostre moyen nous sommes iudiciaires
dans la morale, nous faisons, Madame, l’horoscope
de la paix.

 

Ce sera donc vne paix ferme & solide, pleine
d’honneur, de bien seance, & de dignité ; car autrement
elle ne seroit pas digne de vous, & ce ne seroit
pas vostre paix, Madame, ce sera vne paix qui
vous acquerra tous les esprits, qui obligera toutes
les bouches à vous loüer, qui benira vostre memoire
par la gratitude de tous les siecles, qui par la voix
de toutes les nations appellera ANNE D’AVTRICHE
la mere de la commune patrie, la liberatrice du monde
Chrestien, la tutrice de la France.

Ce sera vne paix par consequent qui ne fera pas
les maux de la guerre, qui ne sera pas soüillée de
nos larmes, ny noire de nostre deüil, qui ne versera
pas sur les échaffaux le sang que les batailles auront
épargné, ce sera vne paix qui ramenera dans le monde
la douceur & l’humanité, les vertus & les maximes
Chrestiennes qui donnera au peuple de la respiration
& de la chaleur apres de longues & de si continuelles
defaillances.

Ne voila que l’enfance de vostre paix, mais auec

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le temps ce sera vne paix riche & liberale, inuentiue
& spirituelle, fleurissante en arts & en cognoissances.
Pompeuse & superbe par la magnificence publique,
couronnée des mesmes rayons de gloire &
de la mesme splendeur que la paix du Roy Salomon,
que celle de l’Empereur Auguste, que celle de Henry
le Grand, beau-pere de vostre Majesté.

 

Il y a bien du chemin à faire pour en venir là. Mais
cependant cette paix, Madame, remettra les choses
en leur place, tiendra en parfaite vnion la Maison
Royale, sera ialouse de sa grandeur, & soigneuse de
ses aduantages, la fera reuerer par toutes les autres
Maisons souueraines ; elle ne souffrira point de comparaison
auec la race & le sang de S. Louis ; elle sçaura
separer de tout ce qui s’appelle Prince, Monseigneur
le Prince de Condé, & recognoistra par des
marques singulieres & par des honneurs choisis, le
sacré caractere de sa naissance, son affection au bien
de l’Estat, l’assiduité, le merite & la necessité de ses
seruices.

Elle tirera particulierement hors de pair la personne
de Monseigneur le Duc d’Orleans, de la vertu &
fidelité duquel vostre Majesté a tousiours esté asseuree,
comme auiourd’huy personne n’en doute, car il
est certain que le premier iour de vostre Regence
iustifia glorieusement sa cõduite & ses actiõs passees ;
les paroles qu’il dit au Parlement en vostre presence
feront taire à iamais la calomnie, & condamneront
la memoire des calomniateurs. Et qui ne veit ce iour
là par le bon exemple qu’vn si grand Prince donna

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à toute la France, qu’il ne s’estoit éloigné de la Cour
à diuerses fois que pour se conseruer à l’Estat, &
qu’il faisoit mesme le seruice du feu Roy, lors qu’il
sembloit ne pas faire sa volonté.

 

Cette paix, Madame, n’estonnera point le monde
par des prodiges & par des spectacles de terreur,
plutost que de Majesté ; elle ne formera point de
Meteores qui obscurcissent les Astres & qui cachent
le Soleil ; elle n’agrandira point de domestiques qui
chassent les enfans de la maison, ny de fauoris qui
choquent les Princes ; elle ne produira point de
corps d’estrangers monstrueux & tumultuaires pour
les opposer aux legitimes & naturelles Iurisdictions,
aux Corps immortels des Compagnies Souueraines.

Cette paix laissera la liberté aux Oracles, & rendra
au Parlement son authorité, qui est la vostre, Madame,
& qui ne court point de fortune entre ses mains,
mais c’est vne chose desia faite, & que la France ne
devra point à la paix. Ce Parlement, qui plus d’vne
fois a sauué l’Estat, qui de la memoire de nos peres
a esté le fidele gardien de la Loy Salique, qui nouuellement
a témoigné tant de zele & de deuotion à
vostre seruice, & a receu aussi de vostre Majesté l’honneur
qui luy auoit esté rauy, & le pouuoir de sauuer
encor l’Estat vn iour de tempeste.

Cette paix fera regner la Iustice aussi absolument
que le Prince, & ce regne absolu sera également éloigné
de la violence & de la foiblesse. Cette paix chassera
l’abus de l’authorité, comme vn tres-grand mal,

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mais elle en étouffera le mespris, comme le plus grand
de tous les maux, elle donnera des yeux au commandement,
& les ostera à l’obeissance ; elle n’oubliera
rien à preuoir, ayant des lumieres infaillibles qui la
guideront : elle n’oubliera rien à entreprendre, estant
animee par tout, & en toutes choses de l’esprit de vostre
sage conseil, qui n’a garde de fauoriser la confusion,
puis qu’il est luy-mesme le premier effect de l’ordre
que vostre Majesté nous vient d’apporter.

 

Ainsi, Madame, vous & vostre paix nous apportant
peu à peu de salutaires nouueautez & vne saincte
reformation, ce ne sera pas la France de dernierement
& d’auiourd’huy que nous regardons auec pitié ;
Ce sera la France du temps de nos peres, la France purgee
& rajeunie que nous considererons auec merueille,
vous seruant de ceux qui sçauent seruir, & employant
les artisans qui sont propres au dessein que vous
auez, vous conduirez heureusement vostre ouurage
iusqu’à la derniere perfection, permettant au Chef
de la Iustice d’agir de toute sa force, & d’vser de toute
sa vertu, quelle discipline & quels reglemens ne doit-on
attendre d’vne probité si intelligente que la sienne,
d’vn homme qui se peut nommer le 4. ou 5. Aristide
de sa race.

Mais quelle grandeur & quelle reputation, quels
appuis & quels ornemens d’vn nouueau regne ne
faut-il esperer de cet esprit du premier ordre & de la
plus haute eleuation des Esprits, si digne de l’election
que vostre Majesté en a faite, si sçauant en l’art de
conduire les Estats, qui a vne si belle maniere de

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seruir les Rois, pour lequel la France est si obligee à
l’Italie, & que l’Espagne enuie si fort à la France ?

 

Ie ne finirois iamais si ie voulois compter tous les
aduantages qui doiuent naistre de cette bien heureuse
paix. Il faut conclure par le plus grand & par le plus
considerable, c’est, Madame, qu’elle fournira à vostre
Majesté des iournees tranquiles, & vn beau loisir
pour l’employer à la nourriture du Roy vostre fils.
Vos pensées qui se diuisent auiourd’huy en autant
d’endroits que la Chrestienté a de besoins, & qui embrassent
en mesme temps plusieurs Prouinces & plusieurs
Royaumes, seront alors toutes recueillies &
toutes arrestées à ce seul obiet. Apres nous auoir donné
vn Prince, vostre Majesté nous fera vn second present
de ce mesme Prince, & par vne excellente instruction,
elle nous le donnera le meilleur & le plus
vertueux de son siecle.

FIN.

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Balzac, Jean-Louis Guez de [?] [1649], LA HARANGVE CELEBRE FAITE A LA REYNE SVR SA REGENCE. , françaisRéférence RIM : M0_1544. Cote locale : A_4_17.