Anonyme [1649], LE CHEVALIER CHRESTIEN PARLANT DES MISERES DV TEMPS, A LA REYNE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_696. Cote locale : E_1_122.
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LE
CHEVALIER
CHRESTIEN
PARLANT DES MISERES DV
TEMPS,
A LA REYNE
REGENTE.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques, aux Colomnes
d’Hercules.

M. DC. XLIX.

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LE CHEVALIER CHRESTIEN,
parlant des miseres du temps, à la Reyne Regente.

MADAME,

La nature nous donne la raison comme vne
fidelle lumiere, qui doit conduire toutes nos actions ;
de sorte que si nous ne la consultons pas dans les grandes
difficultez qui ne se trouuent que trop ordinairement
dans la vie ciuille, nous nous trouuons souuent
accablez sous le poids des mesmes affaires, où nous attendions
de l’aduancement. Cette importante maxime
de vostre Morale, m’oblige de me ietter aux pieds
de vostre Maiesté, MADAME, pour vous dire, que Dieu
vous a faict raisonnable, non pas seulement afin que
vous le connoissiez comme le principe de vostre Estre,
ou comme le soustien de vostre Couronne, que vous employiez
vostre prudence à la iuste œconomie de vos mœurs, & que
vous commenciez dessus la terre vostre beatitude par les lumieres
de vostre raison, vnies aux certaines obscuritez de vostre croyance,
pour la consommer eternellement dans le Paradis, par les diuines
irradiations de la gloire des Saincts. Mais encore afin
que vous pensiez serieusement aux affaires de vostre
Royaume, aux miseres publiques de vos Sujets, & à la
sacrée Personne de nostre Monarque, que vous eleuez
si Chrestiennement à la conduite d’vne grande Monarchie,

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c’est tout dire ; vous estes raisonnable, afin que
vous reflexissiez chrestiennement & polytiquement
dessus l’estat horrible où l’on reduit la France dessous
vostre nom : C’est le dessein de la diuine Prouidence,
lors qu’elle vous a placée dessus le thrône, comme vne
des plus sages Princesses de cet Vniuers, si vous vous y
opposiez, i’ose dire que vous ne meriteriez pas cet illustre
tiltre de Regente, & que vous contribueriez à la
ruine generale de cet Estat, qui vous couste tãt de soins,
à la France tant de sang, & à vos Suiets tant d’inquietudes.
Vous auez trop de pieté, MADAME, pour resister à
vn dessein si iuste de la diuine Prouidence ; & si ie presente
à vostre Maiesté ces reflexions Chrestiennes &
Polytiques, ce n’est pas que ie me persuade qu’elles
vous soient extraordinaires, ie soulage seulement vostre
esprit, qui estant preoccupé des intrigues de quelques
vns, ne pense pas peut-estre assez solidairement aux miseres
qui ruinent ce grand Royaume.

 

Mais comme nous discernons mieux les traits d’vn
tableau, lors qu’on l’expose à nostre veuë, vous reflexirez
mieux dessus la triste image de nos affaires, si ie vous
faits librement connoistre l’estat, où toutes les choses
qui composent vostre Royaume, se trouuent reduites
au moment que nos ennemis empruntent l’Authorité
du Roy pour nous faire la guerre. La Religion qui est
la piece principale des Estats, y est menassée de plusieurs
desordres, parce que les Heretiques de nostre
temps peuuent former vne rebellion dessus les differends
des Catholiques, il leur est facile de faire vn troisiéme

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party dans la France, qui se deschire elle mesme
par ses propres confusions, & nous voyons dans
toutes nos Histoires, que les reuoltes des Heretiques
ont tousiours pris naissance, ou au moins de grands
accroissemens dans les guerres ciuilles. La sacrée Personne
du Roy, qui vous doit estre extremement precieuse,
comme la cause de vostre gloire, n’y est pas en
vne trop grande asseurance, parce que les fausses allarmes,
que quelques vns luy donnent, qu’on en veut
à sa vie dans Paris, quoy qu’il n’y ait point de Ville en
France, où on respandist plus volontiers son sang
pour sa cõseruation, sont capables de le faire malade,
ou de le contraindre au moins de se retirer en quelque
autre Ville, pour le mettre à couuert de nos rebelliõs.
C’est le glorieux tiltre qu’on donne à la iuste defense
que nous entreprenons de ses interests. Vostre propre
personne, MADAME, y doit craindre que le lustre de
vostre reputation ne soit obscurcy des tenebres de ces
confusions, par ce que les peuples qui ont esté si souuent
les admirateurs de vos vertus, diront faussement
qu’elles n’estoient qu’apparentes, & que vous fomentiez
sous ce masque de pieté la ruine de la France, puis
qu’ils seront assez hardis pour dire que vous estes la
cause de la desolation publique, dont vous ne voulez
pas ce semble le remede. Tous vos pauures Suiets y
sont exposez à toutes sortes de miseres, par ce que,
comme dit vn Polytique de nostre temps, les guerres
intestines d’vn Royaume seruent d’eschaffaut au courage
de la Noblesse, où elle perit ce semble glorieusement,

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d’escueil à la soubmission de la populace où elle
fait vn dangereux naufrage, & de tombeau à la pieté
des Ecclesiastiques, où elle meurt dans le desordre d’vne
vie licentieuse, comme esteinte sous les difficultez
d’estre vertueux dans le tumulte des trompettes & des
tambours. Tout l’Estat enfin s’y trouue proche de sa
décadence, par ce que ses ennemis profiteront sans
doute de ses mutuelles contestations, cõme ces corps
qu’vne chaleur interieure consomme au dedans sont
plus exposez aux plus mauuaises influences d’vn air
contagieux, en sorte que nous pouuõs perdre à la prochaine
campagne, les Prouinces, les Villes, & les Sujets
que nous auons surmontez en dix ou douze ans ;
c’est le déplorable estat où cette Monarchie est reduire
sous vostre Regence, par les pernicieux conseils de
ses plus cruels ennemis, seroit-il possible que la plus
Chrestienne & la plus sage de toutes les Reynes ne
donnast pas à tant de maux ces suiuantes reflexions.

 

Considerez donc, MADAME, que tous les Sujets de
vostre Fils sont nais libres, & si les loix fondamentales
du Royaume assujettissent leurs biens, leurs fortunes,
& leurs personnes aux volontez d’vn Souuerain, leur
ame conserue tousiours les droicts de sa liberté, dans
les deuoirs de la seruitude. Cet appanage de nostre
nature graue sur nostre front l’image & le caractere
de Dieu, qui est extremement libre dans toutes ses
actions ; comme donc nous ne serions plus hommes,
si nous cessions d’estre semblables à nostre diuin Prototype,
nostre esprit se conserue tousiours ce tiltre

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d’independant sous les chaisnes les plus insupportables :
Le Dieu mesme qui nous a formez ne nous violente
pas, quoy que son Authorité souueraine luy
donne vn droict absolu dessus nos esprits, & si sa grace
demeure souuẽt victorieuse de nostre cœur, c’est auec
des charmes qui nous surprennent amoureusement,
& non pas auec vn Empire, qui nous assujettisse necessairement.
Quelle apparence donc que les Roys qui
ne sont que les Lieutenans de cette Maiesté infinie,
captiuent nostre esprit sous leurs volontez : C’est vn
secret toutesfois que vostre Maiesté tient entre ses
mains, MADAME, nos cœurs se laissent aisement lier
à l’amour, & cet agreable principe de nostre liberté
rend souuent les armes aux agréemens d’vne amoureuse
conduite qu’il auoit refusée à la violence du
gouuernement : Comme l’amour est le pere de l’amour,
il est impossible que nous n’aimions vn Prince,
qui nous honore de sa bien-veillance ; & comme nous
perdons librement la vie pour vn objet aimé, nous
baisons amoureusement les chaisnes qui nous captiuent
sous l’authorité d’vn Monarque misericordieux.
Vostre Empire doit donc estre doux, MADAME, si
vostre Maiesté desire regner esgalement dessus nos
cœurs, & dessus nos biens, vous nous mettez autrement
dans vn estat de violence, par ce que donnant
vn mouuement estranger à nostre esprit, vous empeschez
le libre exercice de nos facultez superieures ;
& comme la nature abhorre tout ce qui est violent,
tesmoins ces animaux qui meurent enragez plustost

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que de viure contents au milieu des fers, les hommes
ne souffrent pas volontiers les rigueurs du gouuernement,
& ils aiment mieux mourir au trauers des armes
que de viure sous vne domination violente. Iugez,
MADAME, des publiques emotions de vostre
Royaume, si vous pouuez pretendre à iuste tiltre, d’estre
la Souueraine des cœurs de tous vos Sujets, comme
vous estes la veritable Maistresse de leurs fortunes.

 

Toute la France craint d’estre reduite au pitoyable
estat, où les dangereux conseils de quelques esprits
violens ont assujetty Paris, & comme toutes les
parties de nostre corps ont suiet de craindre, lors que
le cœur, qui en est la principale, est attaqué de quelque
cause estrangere : Toutes les autres Villes de vostre
Royaume ne peuuent pas estre asseurées, lors
qu’elles considerent que Paris, qui est leur metropolitaine,
est bloquée par des Estrangers. Paris, qui est
ordinairement le thrône le plus auguste de nos Roys,
est priué de l’aimable presence de nostre Monarque,
& on fait éclypser à nos yeux cette éclatante lumiere
au moment que nous attendions plus de secours de
sur amoureuses influences, & que nous estions sous la
Regence de sa bonne Mere. Paris, qui est tousiours
le siege de la Paix, est maintenant le funeste theâtre
de la guerre, sous la conduite d’vne Reyne pacifique,
& nous sommes contraints de dresser nos Citoyens à
l’exercice des espées & des mousquets, qui n’estoient
accoustumez qu’à manier des Palmes. Paris, enfin

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qui doit estre l’azile de tous les malheureux, est maintenant
sous le credit d’vne Reyne extremement charitable,
le triste tombeau où on veut enseuelir tous
viuans nos pauures Citoyens, si toutesfois la passion
de quelques factieux est assez puissante pour les faire
mourir de faim par l’esloignement des viures les plus
necessaires. Apres ces desordres, qui s’authorisent de
vostre nom, MADAME, vostre Maiesté pense estre
victorieuse des cœurs de vos Sujets, & les reduire aussi
facilement à l’empire de vos volontez, que ceux qui
vous trompent par leurs belles promesses, pretendent
assujettir leurs biens & leurs corps à la force de leurs
armes : Vous vous tromperiez sans doute dans l’attente
de cette glorieuse victoire, qui se gagne auec l’amour,
& non pas auec le fer. Ie ne me trompe pas,
quand ie dis que toutes ces rigueurs que vostre Authorité,
faussement vsurpée, rend plus insupportables,
ne donneront iamais à vostre Maiesté la possession de
nos cœurs, & ne la rendront iamais maistresse de tous
les esprits. En effect, il est certain que ceux qui nous
rauirent le Roy, lors que nous pensions le moins à vn
attentat si estrange, croyoient que ce dessein, ioint à
cet autre, de fermer à Paris tous les passages qui luy
fournissent des viures, desvniroit nostre Bourgeoisie
de nostre illustre Parlement, qu’on peut dire le Pere
des Peuples, dans l’absence de nostre Monarque ; &
de cette sorte la diuision estant dans Paris, l’on s’vniroit
plus facilement à l’autre party, par le sacrifice
sanglant que l’on feroit des testes les plus innocentes

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aux desseins de leurs ennemis. Toutesfois, ô secret
admirable de la diuine Prouidence ! ils ont esté trompez,
les effects n’ont pas suiuy la cause qui les vouloit
produire, & ce qu’on croyoit deuoir estre l’abbaissement
de nos Senateurs, & de nos Bourgeois, est le
soustien de l’Vnion, qui nous arme à la iuste defense
du Roy, de l’Estat, & de tous les Peuples, parce qu’on
nous contraint de conseruer auec la force, vne vie
qu’on nous veut oster auec le fer & auec la faim. Ce
ressort admirable de la diuine conduite qu’on n’attendoit
pas, m’oblige de conclure à l’aduantage de la
clemence, & de dire à vostre Maiesté MADAME, que
si elle veut estre victorieuse des esprits de ses suiets, il
est necessaire qu’elle les combatte auec des armes
d’amour, & non pas de crainte, par ce que pensant les
vaincre, elle les aigriroit dauantage par son courroux.

 

Ie faits suiure à cette premiere reflexion, de la liberté
naturelle des Sujets, cette seconde : que les Roys
sont establis de Dieu dessus les Royaumes. Cette
Maiesté infinie qui est la dispensatrice de toutes sortes
de biens, ne priue pas la societé des hommes, des
secours d’vn Prince qui leur est vtile ; & comme elle
donne immediatement vne ame à chaque corps, qui
regle tous les mouuemens, elle ne refuse pas à tous
les Empires vn Monarque, qui anime tous ses Suiets,
comme la forme vniuerselle du corps de son Estat :
cette Ame generale d’vn Royaume, qui vnit des
nations differentes par le commerce, des esprits dissemblables

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par les affaires, & des conditions inesgales
par les alliances, est d’vne condition superieure
aux autres ; & ie ne vois pas qu’il fust possible
qu’vn Monarque fist tant de prodiges dans son
Estat, si le caractere de Dieu qu’il porte graué sur le
front, comme vn de ses principaux effects, ne le
rendoit venerable à tous ses Peuples. Cette verité,
MADAME, s’establit encore dessus les premiers fondemens
du monde, Dieu fait Adam superieur à Eue, afin d’obseruer
vn ordre dans l’augmentation de nostre esprit, qui dependoit
de l’vn & de l’autre : Comment donc ce mesme Dieu
n’establiroit-il pas des Roys sur la terre, où les peuples se
sont multipliez à milliers, puis que le gouuernement est autant
necessaire à la conseruation de nostre esprit, que la production
des Indiuidus ?

 

C’est sans doute de ce principe que nos Roys
empruntent cette pieuse coustume, de mettre
tousiours au frontispice de leurs Priuileges, & de
leurs Lettre patentes, ces Royales paroles (Louis
par la grace de Dieu Roy de France & de Nauarre)
comme s’ils publioient hautement à tous les
hommes, que s’ils sont Souuerains, c’est Dieu qui
leur met le Sceptre à la main, & la Couronne dessus
la teste : Tellement si vostre Maiesté soustient
par sa prudente conduite le Sceptre de la France,
que l’aage delicat du Roy son Fils ne luy permet
pas encore de porter, auec la force & la Maiesté
que nous attendons de son rare esprit, & de sa
pieuse education ; c’est Dieu qui la constituë sa

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Lieutenante dans cette grande Charge. Vous tenez
donc sa place lors que vous estes assise sur les
fleurs de lys, & par consequent vous deuez suiure
les maximes de vostre Maistre, dans le gouuernement
de tous vos Sujets.

 

Nous experimentons tous les iours qu’il nous
gouuerne auec vne douceur extréme, qu’il nous
donne fidellement tout ce qui est necessaire aux
fonctions de nostre esprit, & à l’entretien de nostre
corps ; que s’il nous punit quelquesfois, c’est
apres vn long temps de patience, apres de grands
pechez, & auec des peines qui ont tousiours leurs
mesures.

Prenez-vous ce diuin modele, pour la forme de
vostre conduite ? la douceur est-elle le premier
mobile de vostre Regence ? Permettez de dire à vostre
Maiesté, MADAME, que nos suiuans & la posterité
ne croiront iamais cette verité, que vous
soyez vne des plus douces Princesses du monde,
lors qu’elle lira dedans les histoires, qu’en l’année
mil six cens quarante neuf, à la guerre de Paris,
on pilloit les Eglises, on violoit les filles, & on forçoit
les femmes, presque à l’ombre, si i’ose ainsi
dire, de vostre Couronne. Donnez vous à vos Sujets
tout ce qui est necessaire à leurs entretiens : on
dit souuent en vostre presence à S. Germain, que
quatre onces de pain valent vne pistole dãs Paris, &
vous souffrez ces bouches flatteuses qui se moquent
de vous ? Cõment donc estes vous la plus charitable

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de toutes les Reines : comment enfin chastiez vous vos
pauures subiects ? helas ! au moment que quelques personnes
ont dit quelques legeres paroles au desauantage
d’vn Ministre estranger, faut que toute vne grande ville,
la campagne prochaine, & mesme toute la Frãce en ressente
le chastimẽt ; faut perdre les Innocẽs auec les coupables,
& reduire les vns & les autres à l’extremité de la
faim & de la mort : ô differente conduitte du Souuerain
des hommes, & de sa lieutenãce dans la France ! Ne vous
estonnez donc pas, MADAME, si le grand Dieu porte
des Princes, des Seigneurs, & de Mareschaux de France,
de la Noblesse, & presque tous les Peuples à prendre
les armes pour se deffendre de l’oppression qu’on
vous persuade estre juste contre vos Subjects. Dieu
dans ce rencontre protege sa propre cause, & considerant
que vous ne satisfaictes pas assez fidelement à la
commission, qu’il vous donnoit d’estre misericordieuse
à l’endroit de vostre Peuple, il met les armes à la main
de nos genereux combattans, pour nous donner auec
le fer, le repos que nous attendions de vostre clemence.
Iugez si nostre dessein est iuste, apres que Dieu l’authorise
pour ses propres interests, & pour la tranquillité
Publique de tout ce Royaume. Que vostre Maiesté
(MADAME) prenne donc la peine de reflexir elle
mesme, lors qu’elle est dans son Oratoire, les deux genoux
en terre deuant vn Crucifix, à la place qu’elle tient
dans la France ; elle y est la Lieutenante d’vn Dieu-homme,
affin qu’elle y gouuerne auec douceur les Peuples
qu’il a commis à vostre conduitte. Il est des agitations

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d’vn estat, comme des symptomes d’vn malade ;
vn sage Medecin ne s’oppose pas tousiours opiniâtrement
à ses inclinatiõs, il cede quelques fois à ses appetits,
quoy qu’ils soient contraires aux regles de son art, & s’il
cognoist que la seuerité de la medecine alteroit trop
notablemẽt son repos, il ne craint pas de condescendre à
sa foiblesse, par quelque relache d’vn rude regime. I’accorde
que les peuples ne sont pas tousiours entierement
sains, c’est l’office des Princes d’entreprendre leur cure,
mais elle doit estre quelques fois accommodante à leur
foiblesse, si principalemẽt la rigueur est capable d’aigrir
vn mal qui s’irrité souuent par de fortes medecines : les
souleuemens qu’on croit justes, sont de cette nature ; ils
s’augmentent par opposition, & on les assoupit plustost
par la clemence que par la colere. C’est ce que Paris attend
de vostre bonté, MADAME, on ne pourroit pas dire,
que cette grande ville est malade par les agitations
de quelque reuolte, puis qu’elle souspire plus que iamais
apres l’heureux retour de son Roy, & de sa bonne
Mere, ie suppose toutesfois qu’elle paroist coupable à
quelques esprits dans la iuste deffense, qu’elle entreprend
de sa liberté opprimée de ses ennemis ; vous ne la
soulagerez pas de ce mal apparent, par les aigreurs de
vostre colere, mais par les agreémens de vostre clemence :
cette maxime sent trop la Politique dangereuse de
Machiauel, que la rigueur est le soustien des Sceptres &
l’appuy des Courõnes ; parce qu’elle captiue de sorte des
sujets, disoit cet impie, qu’il est impossible qu’ils secoüent
le ioug de l’obeyssance. Le gouuernement d’vn

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Royaume est semblable à la conduitte d’vn nauire, vn
Pilote experimenté cede quelquesfois à la tempeste qui
le menace d’vn prochain naufrage, il se laisse souuent aller
au gré du vent, qui le pousse à cent lieües du port, où
il alloit prendre terre, & souuent il abbaisse les voiles
de son vaisseau, pour faire passage à la bourasque qui
s’irriteroit par sa resistance, de cette sorte attendant le
calme, il ne perit pas au milieu des eaux. Comment dõc
vne sage Princesse comme vous, MADAME, ne cederoit-elle
pas dans le gouuernemẽt de son Estat à la tempeste,
qui luy prepare vne ruine ineuitable : comment
ne vous laisseriez vous pas aller au torrent qui vous emporte
au delà de vos desseins ; & comment enfin ne plieriez
vous pas les voiles de vostre courroux au tumulte
d’vne guerre intestine, qui se fomenteroit par vn opposition ;
c’est le secret d’arriuer au port, où vous aspirez,
comme vne tres bonne Princesse, c’est à dire, au repos de
vostre Royaume, c’est encore ce que nous attendons de
ce tiltre de Lieutenante du Sauueur du monde, que
vous possedez si sainctement, MADAME.

 

Dessus cette reflexion, que les Roys sont les Lieutenans
de Dieu dans le monde, i’establis cette derniere,
qu’ils doiuent auoir vn grand soing de leur renommée,
parce que comme la gloire d’vn Ambassadeur est commune
au Maistre qui l’enuoye, la reputation d’vn bon
Prince retourne à Dieu, qui le charge de ses volontez :
les peuples se sousmettent plus facilement à vn Monarque,
qu’ils estiment vn homme de bien, & au contraire
la soumissiõ leur est vn supplice, lors qu’ils sont obligez

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d’obeyr à vn Souuerain qu’ils ne croyent pas, ou assez
puissant pour les deffendre de leurs ennemis, ou assez
parfait pour les instruire à la vertu par ses bõs exemples.
Il est certain que l’estime que nous auons d’vn Prince,
ne le rend pas plus vertueux, puisque la vertu se regle
plustost dessus nos actions, que dessus le penser des
hommes : mais comme nous voyons par experience, que
si la lumiere d’vn beau jour ne fait pas les beautez des
couleurs, des pierres precieuses & de tous les metaux, elle
les mõstre au moins aux yeux auec tous leurs aggréemens,
la reputation de mesme qu’acquiert vn bon
Prince dans l’esprit de ses subiects, donne de l’esclat à
toutes ses vertus, & recognoist mieux la perfection de
son ame lors qu’elle esclatte par l’estime d’vn honneur
parfaict, quelle doit estre la fin principale de ceux qui
commandent. C’est sans doute le sentiment de tous
les Politiques Chrestiens de rendre vertueux leurs
subiects par leurs bons exemples, par ce que la vertu
estant le premier mobile d’vn Estat, elle nous doit
estre persuadée par le Prince qui en est le Chef
Or aduoüez qu’vn Souuerain qui passe pour sage, pour
liberal, & pour veritable Chrestien, fait bien plus d’impression
dessus les esprits de son peuple ; d’où vient
qu’au moment que nous reflechissons dessus les vertus
du Grand sainct Louys, l’Auguste predecesseur du Roy
vostre fils, MADAME, il est bien difficile, que nous ne
taschions d’estre les imitateurs d’vn Monarque que
nous estimons si vertueux : tellement que la reputation
est vne semence de vertu, qui estant iettée dans nos

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cœurs par vn bon Prince, y produit les fruicts d’vne vie
veritablement Chrestienne. La renommée donne donc
le prix à la perfection d’vn Monarque, comme son
image donne la valeur à nostre monnoye, & quand
mesme il possederoit toutes les vertus dans vn haut degré,
s’il n’est pas estimé de ses Peuples, cét esclat s’eclypse à leurs
yeux, par les contrarietez de leur esprit, comme la lumiere
du Soleil s’eclypse souuent par l’exposition de la Lune :
Toutes ces preuues sensibles obligent Vostre Maiesté de
conclure, MADAME, que les Princes & les Princesses
doiuent auoir vn grand soing de leur renommée, comme
du principal ornement de l’Authorité souueraine. I’ose
dire toutesfois qu’il semble que vous mesprisiez la vostre
dans les presens malheurs où nous nous trouuons accablez
par les ennemis domestiques de ce florisant Estat.

 

Quelle apparence en effet, que leurs Politiques vous
estiment sage, comme vous estes, lors qu’en considerant les
surprises de vostre Conseil, qui auoit reduit à vos pieds,
les Parisiens par vne ruine de leur Ville, qui les irrite
dauantage à la deffendre des attaques de leurs aduersaires ;
quelle apparence que les plus desinteressez vous croyent
liberalle, lors que sous vostre nom, l’on ne donne point
d’autre subsistance aux soldats que les vols, & que les despoüilles
de tous nos villages ; quelle apparence enfin que
les plus vertueux se persuadent que vous aymez la pieté
qui vous est si chere, lors que vous ne vous touchez pas,
ce semble, de tant de familles qui meurent de faim dans
Paris, de plusieurs Religieuses, que la crainte de tomber
entre les mains de vos trompeurs insolents, & d’estre les

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tristes compagnes de l’infamie de tãt d’autres filles, a chassée
cruellement de leurs Monasteres, ny mesme de plusieurs
Innocens qui se trouuent enseuelis comme des
coupables soubs la ruine des miseres publiques ? Mais MADAME,
quelle reputation attend Vostre Majesté, Siecles
futurs, lors que dans les histoires qui n’espargnent pas
mesme les Roys dans la suitte du temps, la posterité lira
que soubs la Regence d’Anne d’Autriche, Fille, Femme &
Mere de trois Roys, Paris se trouua reduit à cette extremité
de mourir de faim, par la passion de quelques Ministres,
qui ne souffroient pas la reproche que le plus auguste
Parlement de France, faisoit à leurs iniustices, que
les Parisiens furent traittez comme des rebelles, parce
qu’ils s’opposerent à l’insolence des Partisans, qui ne viuoient
que du sang du peuple, & que tous les François
furent lors neustres dans leurs propres pays, par ce qu’ils
ne se soubmirent pas assez profondement à ceux qui s’estoient
esleuez dessus leur ruine. Que la Reyne, diront nos
successeurs, qui auoit alors la Regence de l’Estat, n’arrestoit-elle
par son authorité le cours de tant de miseres ? elle
estoit sans doute, ou bien impuissante, si elle ne pouuoit
pas remedier aux desordres du Royaume de son Fils,
ou peu affectionnée au bien de sa conscience, & de ses sujets,
si elle ne vouloit pas les soulager au temps, que la
Famine, que la Guerre, & que la mort les menassoient
dans leur propre Ville ? C’est la pensée, MADAME, que
les siecles suiuans formeront de vous. Iugez donc si estant
desaduantageuse à vostre reputation, vous ne deuez pas y
apporter le remede, par l’heureux retour de nostre Prince

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dans Paris, où tout le peuple verse des larmes de sang
dessus son absence. Ce beau Soleil, dissipant les tenebres
de nostre tristesse, & les obscuritez qui terniroient vostre
renommée dans les siecles à venir, y doit faire estimer Vostre
Majesté vne des plus sages, vne des plus vertueuses &
vne des plus Chrestiennes Princesses du monde.

 

On vous entretient peut-estre dans ces pensées, MADAME,
que l’authorité du Roy se trouue enfermée dans
la ruine de Paris, que le Parlement n’authorisant pas par ses
Arrests les Declarations du Conseil, qui auoient mis les
tailles en party, s’opposé à l’authorité du Roy vostre Fils,
& que le peuple, prenant les armes soubs la conduitte de
plusieurs Princes donne lieu à vne guerre ciuile, qui ruineroit
l’Estat, & que par consequent vous deuez au peril de
vostre honneur & de vostre vie, conseruer au Roy l’authorité
dans son Royaume par la perte mesme de plusieurs
particuliers. Ne vous laissez pas surprendre à ces fausses
lumieres, elles vous conduiroient tres asseurement dans vn
estrange precipice de des honneur & de blasme. Ce grand
Cardinal de Richelieu qui estoit plus grand Politique, &
plus zelé seruiteur du Roy, que ceux qui sont aupres de
Vostre Majesté, croyoit tellement que l’authorité de Loüis
treizieme dependoit de la conseruation de Paris, qu’il ne
pensa iamais à sa ruine, quoy qu’il eust esté souuent choqué
par les menaces de ses sujets, & par les oppositions
de son Parlement. Le refus que la Cour a fait de condescendre
au party des tailles est necessaire aux finances du
Roy, puisque de plusieurs millions qu’on tiroit tous les
ans de ses sujets, il n’en vient pas le tiers dans les coffres

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de son Espargne, par les secrettes intelligences des Partisans,
& de leurs protecteurs. Les armes enfin, que nous
esprouuons sont des liurées à la deffence de l’authorité
Royale, vsurpée par le grand pouuoir des Ministres que
nous combattons. Ne vous laissez donc pas surprendre,
MADAME, à l’apparente conseruation d’vn phantosme
d’authorité, dont on designe à vos oreilles les veritables
traits par la perte de Paris, par le refus du Parlement, &
par les iustes desseins de nostre deffence. L’authorité
Royalle se maintient par le respect des peuples, par la grandeur
des tresors, & par la multitude de la Noblesse, & des
autres sujets d’vn Estat, où il est certain, que si on demeure
ferme dans vne resolution de ruiner Paris, ou de le reduire
par la force, & non pas par l’amour, on diminuë beaucoup
du respect, que nous deuons à nostre Monarque, & à vostre
propre personne, par ce que si les peuples ne s’irritent
pas contre leur Prince qui est trop bon, & trop
ieune pour leur faire du mal, toutes leurs coleres retombent
dessus Vostre Majesté, qui n’est pas, disent ils, assez
misericordieuse pour les soulager dedans leurs miseres. On
affoiblit extremement les tresors du Roy, parce que la
guerre qui subsiste soubs vostre nom, contre nostre Ville,
est vne lime sourde, qui consomme le bien de la France,
qui ruine nostre voisinage, par vne generalle destruction
de ses plus belles maisons de plaisance, & qui reduit nos
Paysans, à cet estat, de ne point payer de tailles de plus de
dix ans. L’on perd enfin, sans y penser, vne bonne partie
de vostre Noblesse, & ce sang illustre qui coule des veines
de nos Gentils hommes pousse sa voix iusques au throsne

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de la Majesté diuine, contre ceux qui le prodiguent si
inutilement en des occasions si indignes de leur courage,
tesmoin cét incomparable Duc de Chastillon, qui mourant
à l’attaque d’vn meschant village enseuelit le glorieux
reste de sa famille auec sa personne dedans vn tombeau :
On expose encore plusieurs de vos subjets dans
cette malheureuse guerre, tesmoin tant de braues
Officiers, & tant de bons soldats qui sont morts à cette
prise abandonnée de Charenton. O guerre de Paris,
que tu me semble cruelle ! tu prepare vn tombeau à tant
de Princes, à tant de Seigneurs, & à tant de braues hommes,
qui periront peut-estre & à l’attaque & à la deffence,
tandis que ceux qui les animent diuersement par
leurs Conseils, & qui ne les esgalent pas en naissance, en
merite, ou en vertus, sont à Sainct Germain, dans les delices
de la Cour, libres des apprehensions de la mort, &
des rigueurs de la famine. O espouuentable guerre ! où
des millions d’Innocens se trouuent engagez par la prochaine
ruine de toute la France : ô guerre inhumaine ! où
ceux qui gagneroient, perdroient peut estre les premiers.
Ouy, MADAME, l’ose dire à vostre Majesté que
Paris est blocqué par des trouppes, presque toutes
estrangeres ; mais considerez s’il vous plaist vne verité
tres-certaine, que vous estes plus assiegée, que Paris,
puisque presque toutes les Prouinces, toutes les Villes &
tous les Sujets de vostre Royaume, s’arment contre
vous à la deffence de la liberté publique desolée. Que si
la victoire estoit à nous, comme on le peut pretendre de
la iustice de nos desseins, qui ne tendent qu’à la gloire du

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Roy, & à la cõseruation de son Estat, vous estes en danger
ou d’estre trompée dans vos pretentions ou blasmée
dans le procedé de vostre conduite.

 

MADAME, ouurez donc les yeux aux maux qui
nous pressent, affin que vous ouuriez plus volontiers la
bouche à nostre soulagement, reflexissez serieusement
à ces entretiens politiques & Chrestiens, que ie vous
presente, & à ces maximes infaillibles que tous vos sujets
sont nais libres, que les Souuerains sont establis de
Dieu dessus les Royaumes, & que les Princes doiuent
trauailler à leur reputation, affin que vostre Majesté en
tire plus facilemẽt cette consequence, que vous ne vous
rendrez pas si tost maistresse de vos sujets par la rigueur,
que par la clemence, & que vous deuez par consequent
rendre à Paris, le Roy, que nous y souhaittons
comme l’heureux terme de tous nos mal-heurs. Permettez
le passage des viures, qui sont necessaires à la conseruation
de cette grande Ville, & terminez enfin, par
vn seul mot de vostre sage bon-heur, vne guerre qui ne
s’esteindroit qu’auec le sang de plusieurs François.
Toute la France attend ces faueurs de vostre pieté, MADAME,
& elle ne croit pas qu’vne Reyne vertueuse
comme vous, se plaise dauantage au massacre, au pillage,
& à la ruine de ses pauures sujets : La Majesté d’vn Dieu
vous demande cette preuue de vostre soubmission à ses
volontez. Le Roy vostre Fils, l’exige de vostre prudence,
affin qu’à sa majorité vous ne luy rendiez pas vn reste
d’Estat tout designé par des guerres ciuilles, mais le
corps entier d’vne florissante Monarchie. Vous deuez

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cette faueur à vous mesme, puisque vostre reputation
se trouue notablement engagée dans la tranquillité
publique : Tous vos sujets, Ecclesiastiques, Nobles &
roturiers aspirent à ce bien, d’vne bonne Paix, par ce
que les vns ne sont pas libres dans les fonctions de leurs
charges, pendant les tumultes d’vne guerre ciuile, les autres
y perdent leur sang, & les derniers y souffrent mille
calamitez. Ne vous opposez donc pas à tant de veux que
tout le monde fait à Paris, pour fleschir amoureusement
la bonté Diuine, à nous accorder vn repos, qu’il
laisse entre vos mains, affin que vostre Majesté la respande
abondamment dessus tout son Royaume.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LE CHEVALIER CHRESTIEN PARLANT DES MISERES DV TEMPS, A LA REYNE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_696. Cote locale : E_1_122.