Anonyme [1652], LA VERITABLE FRONDE DES PARISIENS, Frondant IEAN FRANCOIS PAVL DE GONDY, Archeuesque de Corinthe, Coadjuteur de Paris. Et dépuis le vœu du Mazarinisme, indigne Cardinal de la sainte Eglise, ennemy juré des Princes du Sang, & Amy du Mazarin, & des Mazarins. Auec des Auis necessaires à Messieurs les Princes, au Parlement, aux Parisiens, & à Monsieur de Penis. , français, latinRéférence RIM : M0_3934. Cote locale : B_10_11.
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La veritable Fronde des Parisiens, frondant
Iean François Paul de Gondy, Archeuesque
de Corinthe, Coadjuteur de Paris : & depuis
le vœu du Mazarinisme, indigne Cardinal
de la sainte Eglise, Ennemy juré des Princes
du Sang, & Amy du Mazarin & des
Mazarins.

Auec des Auis necessaires à Messieurs les Princes au Parlement,
aux Parisiens & à Monsieur de Penis.

Prouerb.

MESSIEVRS les Bourgeois de Paris,
c’est à vous particulierement à qui i’addresse
cette Fronde Corinthienne, afin
que par elle vous soyez instruits pour vne derniere
fois, des mauuais desseins qui font agir vostre Coadjuteur,
& des pernicieuses resolutions que prend
son Eminence Mazarinée pour destruire Monsieur
le Prince de Condé, & pour rendre les actions de
Son Altesse & son zele, plein de soupçon, d’interest,
d’auarice & d’intelligence, auec le Cardinal Mazarin,
le tyran de la France & le fleau de Dieu Pour
ce dessein ie ne recherche aucun raisonnemẽt Philosophique ;
il me suffit de dire la verité, & de vous
faire connoistre familierement, & plutost par vn
simple entretien que par vn discours estudié, que si
ce Prestre Cardinal estoit dans le Ministere, ce seroit

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le boureau des François, le destructeur des Princes
& l’ennemy du repos public. Tyrannus cuncta ferit
dum cuncta timet.

 

Ie croy qu’il n’y a personne si peu versé dans l’histoire
qui ne sçache fort bien l’origine de Iean François
Paul de Gondy : son Pere veritablement est
connu dans Paris, auec vne sainte reputation qui égale
autant son merite que sa vertu. Mais il a eu le
malheur d’estre fils d’vn pere qui en partie a excité
sous Henry III. les Guerres Ciuiles qui mirent toute
la France en vne confusion horrible & à la veille
de sa ruine totale, si vn Henry le Grand de Glorieuse
memoire n’eut dompté par son courage & par sa
bonté la force des vns & l’obstination des autres.

C’est Albert de Gondy Mareschal de Retz, fauory
de Catherine de Medicis qui fut le grand Pere du
Corinthien de Paris & qui fut fils d’vn Antoine de
Gondy Italien Fermier de l’Abbaye de Lisle Barbe
dans le Lionnois, & de Marie de Pierre viue sa mere,
laquelle par ses intrigues pariculieres fut cause
que son Mary s’estant fait Banquier à Lyon, fit deux
fois banqueroutte à la honte & à la ruine de quantité
de familles, cette disgrace obligea Albert de
Gondy leurs fils de se mettre en seruice chez vn
Tresorier de France à Lyon, qui le donna à Monsieur
le Camus intendant des viures au Camp d’Amiens,
où il acquit quelques habitudes, par le moyen desquelles
il apprit à estre fourbe, dissimulé, & de quelle
façon il falloit deuenir riche en peu de temps, sans
se donner beaucoup de peine. Il n’y a que ces fortunes

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larronnesses qui naissẽt en vn jour lesquelles
sont à craindre dans vn Royaume aussi bien pour
les Princes que pour les Peuples, hoc maiores nostri
questi sunt, hoc nos querimur, hoc posteri nostri querentur.

 

Pendant que le fils trauailloit à sa
fortune, la Mere estudioit à se donner du plaisir,
& à en faire reçeuoir aux autres, sa jeunesse
fauorisoit ses intentions, lesquelles n’estant plus
si échauffées, & hors d’âge de donner de l’amour,
il falut dans sa vieillesse seruir la ieunesse des autres :
c’est en quoy elle fut si grande maistresse,
qu’elle fut estimée (sans en faire la petite bouche)
la plus entenduë & la plus artificieuse Maquerelle
de l’Europe, cette occupation luy donna
encore assez de loisir pour nourrir quantité de
petits chiens qu’elle vendoit aux vns & aux autres,
auec tant de bon heur, que Catherine de
Medicis estant à Lyon eust la curiosité de les voir
& d’en achepter quelques vns, à la conseruation
desquels aussi bien qu’à la nourriture, elle fut
commise par la Reine auec quelques gages fort
mediocres.

Marie de Pierre viue gouuernante des chiens
à la suitte de la Cour, & la plus adroitte personne
à les peigner, vsa de toutes les cõplaisances imaginables,
pour faire connoistre aux courtisans
de ce temps qu’elle estoit d’humeur à seruir ses
amis en toutes occasions, conciliari nisi turpi ratione

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amor turpium non potest. Plusieurs seigneurs receurent
par son moyen de tres bons offices, &
entr’autres le Duc de… & le Comte de…
par la faueur desquels elle se rendit maistresse
absoluë des bonnes graces de la Reine, dont
l’humeur & l’ambition ont esté la cause des desordres
du temps passé. Cette pierre viue animée
d’vn desir déreglé d’auancer la fortune de
son fils, qui depuis peu auoit quitté Monsieur le
Camus, pour se rendre aupres d’elle à la suitte de
la Cour, n’eust pas beaucoup de peine à le faire
connoistre de la Reine, qui estoit obligée par
des considerations secrettes, à faire du bien au
fils de celle qui la seruoit si fidellement, sa Maiesté
luy donna la charge de premier valet de sa
garde robbe, & quelque mois apres elle obligea
le Roy contre son inclination, à le faire Grand
Maistre de la sienne, successu nuda remoto inspicitur
virtus, quicquid laudamus in vllo maiorum fortuna
fuit. Apres tous ces biens de fortune Henry III.
ou plutost Catherine de Medicis sa mere, le fit
Mareschal de France, mais auec aussi peu de raison
que Louys XIV. ou plutost Anne d’Autriche
sa mere, a fait en Ianuier 1651. d’Hoquincourt,
la Ferté Senneterre & Grancay, dignes plutost
de porter des bastons sur leurs espaules, qu’en
leurs mains, & à leurs armes, apponit stemmata
virtus : mais pour le Mareschal de Retz & ses

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trois Mazarins à gages, apponit stemmata virus.

 

Voila la naissance & l’extraction de vostre
Corinthien Mazarin qui trouble par ces intrigues
seditieuses non seulement l’vnion de la Ville
de Paris : mais encore celle de tout le Royaume.
Les braiettes Italiennes n’ont iamais fait que
du mal à la France, & il ne faut point que le Coadjuteur
se picque d’estre bon François puisque
son bisayeul est Italien de nation, la semence de
ce païs ne perd point sa mauuaise nourriture, pour
changer de Climat : les Serpens de la Libye ne
perdent point leur venin en changeant de terre,
ils portent par tout la peste & la mort, quoy qu’il
soit meslé de l’air François. Marie de Pierre viue
n’oste point le poison qu’Antoine de Gondy a
apporté de son pays en France ; au contraire, ecce
manet virus iussumque exire repugnat, par son moyen
il est communiqué à Albert de Gondy qui le
substituë à son petit fils Iean François Paul de
Gondy, comme plus habile & plus propre à s’en
seruir, que ny son Pere ny son Oncle.

Vous auez desia eprouué l’effet de cette
substitution dans les barricades de Paris, ou vn
mescontentement seul & non la pensée du bien
public le fit déclarer ennemy du Mazarin, cette
mal-heureuse iournée qu’il a feint de donner au
repos de cette Ville, n’a-t-elle pas priué tout le
Royaume de son plaisir & de sa tranquilité ? S’il

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ne se fut point meslé de vos affaires, n’estiez vous
pas dans la resolution de perir, ou d’auoir le Mazarin.
Il charma vos armes, empoisonna vos
cœurs, & fit tant d’ennemis à la Cour que dés
ce moment lœta dies rapta est populis, concordia mundo
nostra perit. Apres cela ses cabales ne vous ont
t’elles pas causé le blocus de Paris, où à la honte
de la religion, on l’a entendu prescher dans
saint Paul, que l’on pouuoit engager le saint Ciboire
pour soustenir la Guerre qu’il vous auoit
procurée : Ce n’est pas que ie blasme le zele d’vn
Prelat qui veut soulager la misere de ces Diocesains,
tant s’en faut il est à loüer, lors qu’il s’employe
pour eux par les voyes de consolation &
de prieres : mais luy-mesme mettre la main à
l’espée en sortant de l’Autel, sanguis erant preces
luy-mesme leuer vn Regiment de voleurs & de
poltrons en excommuniant les autres, sanguis
erat charitas c’est vne impieté digne du dernier,
& tout à fait Italienne, puis qu’on peut dire auec
tres grande raison & iustice que pour s’aggrandir
iuit, it & ibitin omne nefas.

 

Aprés cette funeste guerre esteinte contre
son sentiment, il s’vnit estroittement auec la
Cheureuse, & fit son possible pour engager dans
le party de la Fronde, Monsieur le Prince de
Condé, qui auoit eu quelque different auec le
Mazarin. Cét effort fut inutil à l’vn & preiudiciable

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à l’autre : le Coadiuteur se voyant frustré de
son esperance, retourne à ses intrigues ordinaires
contre Monsieur le Prince ; le Mazarin commence
à se deffier de celuy qui l’auoit tousiours
protegé ; il fait faire quelques propositions au
Coadiuteur par la Cheureuse, il conspire contre
la liberté de Monsieur le Prince, & le fait arrester
prisonnier dans le Palais Royal auec vn applaudissement
general de tous les Corinthiens,
plus que des Frondeurs : mais à sa gloire ayant
les mains liées, la veuë bornée, la parole estouffée ;
plus in carcere spiritus acquisiuit quam caro amisit.
Pendant cette detention les plus éclairés premierement
& en suite les plus grossiers de la populace
ont reconnu l’insolence de ce bras victorieux :
Son Altesse Royale & le Duc de Beaufort
ont procuré sa liberté auec vn cœur genereux
& magnanime, le Coadjuteur s’en est vn
peu meslé : mais auec vn esprit feminin, interessé,
& qui depuis a fait connoistre à toute la
France, que ces intrigues estoient ambitieuses,
qu’elles regardoient le Cardinalat, & qu’elles
n’auoient pour but que la place du Cardinal Mazarin.
Quod ambitione exbaustum, perscelera supplendum.

 

N’est-ce pas auec grande raison que Monsieur
le Prince doit se donner de garde d’vn esprit
si superbe, & d’vn Italien naturalisé François

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par ses alliances seules, & non point par son
humeur ni par sa franchise ? Les peuples ne sont
t’ils pas interessés de s’opposer à la fortune du
Coadjuteur de Paris, nommé au Cardinalat par
la Reyne & par son fauory le Cardinal Mazarin ?
Ne doit t’on pas croire de luy ce que l’on a repeté
tant de fois, qu’il ne faisoit aucun pas pour
le peuple & contre la Cour, que pour gaigner
les affections des premiers, & se rendre necessaire
au second ; pour disposer de l’vn à sa volonté,
& se faire rechercher de l’autre auec presents ?
Vacua pudetire manu, Et enfin pour donner de la
terreur à tous les deux, & faire connoistre à la
honte des Prelats qui voudront suiure sa trace
& imiter son orgueil, que acceptatio munerum prauaricatio
est veritatis, qui luy a donné la hardiesse de
se declarer ennemy de Monsieur le Prince si ce
n’est la Cheureuse ? Qui l’a porté à prendre les
armes contre vn Prince du Sang, & à tirer l’Espée
dans la grande Salle du Palais, contre ceux
qui venoient escorter son Altesse, si ce
n’est la Reyne ? Qui l’oblige à present de trahir
la ville de Paris & tous ceux qui sont dedans, sans
excepter personne, si ce n’est son fidel amy le
Cardinal Mazarin ? Ouy perfide Corinthien &
traistre Forentin, c’est toy qui trouble l’vnion
qui deuroit estre parmy les François, c’est toy,
qui cabale toutes les nuicts auec les Mazarins

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qui sont à Paris, c’est toy seul qui veut oster la
Couronne de dessus la teste de nostre Monarque,
puisque par tes intrigues criminelles tu fauorise
en France le sejour de ce maudit Sicilien,
pour perdre malheureusement le Protecteur du
Royaume, deuenu ton ennemy par ce qu’il est
trop eclairé dans tes desseins & dans ton ambition.
Si ce grand Prince tout glorieux de Conquestes
& tout plein de clemẽce n’auoit vne generosité
au dela de l’imagination, il luy seroit biẽ
facile de faire perir vn homme qui luy doit toute
sorte de respect & d’obeïssance, vn homme qui
n’oseroit le regarder qu’auec le chapeau à la
main, & le genouïl presque en terre, vn homme
qui ne possede rien que par la bonté des Bourbons,
dont il fait vne des principales branches,
vn homme qui est Estranger d’origine, du Païs
du Marquis d’Ancre, voisin du Tyran, qui nous
fait à present la guerre sous le nom du Roy. Ne
pourroit-t’il pas luy dire huc Antae cades ? & aussitost
on le verroit d’vne facon ou d’autre aux
pieds de son Altesse : mais cette vengeance est
indigne d’vn Prince du sang que n’attaque ses
ennemis qu’auec l’espée, & qui mesprise les efforts
d’vn seditieux interessé contre son propre
honneur, en depit de tous les reproches & affronts
qu’on luy puisse faire.

 

Ie croy qu’il n’y a pas vne personne d’honneur

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à Paris qui ne deteste auec iustice le procedé de
cette nouuelle Eminence : on l’a veu embrasser
tous les partis qui depuis trois ans se sont
formés dans l’Estat & on ne l’a iamais veu constant
dans aucun tant frequens migratio instabilis
animi est & diabolici. Il n’est pas iusques au plus petit
des Bourgeois qui n’ait remarqué son humeur
cabaliste & detesté son infidelité : tantost
il a eu conferance auec de Lionne, & le premier
President, tantost auec Chasteau neuf &
la Cheureuse, tantost auec le Mareschal de
l’Hospital, & Saintot, tantost auec le Preuost
des Marchands & les Escheuins, tantost auec
Boüillon & Turenne, tantost auec la Princesse
Palatine, & la de Rhodes sa parente, tantost auec
Noirmostier & de Legue ses deux Emissaires qui
sont à present à la Cour, pour arrester le Mazarin
tantost auec quatre presidents au Mortier & dix
ou douze Conseillers de la Cour, tantost auec des
Prelats & des Abbez, tantost auec le Pere Faure,
& dautres Moines. Enfin il n’y a point de personne
d’intrigues qu’il n’ait visité contre Monsieur
le Prince, & apres cela on croira qu’il est Ennemy
du Mazarin quoy qu’il le publie, c’est à sa
honte & à sa damnation, s’il en ose parler, turpe
est aliud loqui, aliud sentire, quanto turpius aliud scribe
re, aliud sentire.

 

Tout le monde sçait qu’il fait semer des Billets

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par Paris, afin qu’il ne soit point crû Mazarin,
& qu’il a des personnes interposées pour
parler en sa faueur : Vita & mors in manibus linguæ :
Mais toutes ces ruses sont des ruses Mazarines
aux quelles il ne faut point adiouster foy, non
plus qu’au visites qu’il rend à son Altesse Royale
qui a la bonté de le souffrir dans son Palais, parce
qu’il à l’effronterie de s’y presenter sans ordre &
sans commandement : Et de plus la porte n’est
refusée ny aux Crocheteurs ny aux porteurs
d’eau, comment la refuseroit on à vn homme
qui a quelque dignité dans l’Eglise, & que l’on
ne considere que dans ce rang, & non point par
sa vertu qui est morte dans les esprits & de toutes
façons ; Qu’il interoge à present sa conscience
à l’exemple de Sextius en luy demandant, quod
hodie malum sanasti ? cui vitio obstitisti ? qua parte melior
es. Ha ! que ie crains de luy faire dire la verité,
car elle parlera hardiment, elle n’apprehende
point la colere de vostre Coadjuteur : mais
elle repugne d’ouurir la bouche de peur d’en
dire trop : neantmoins en soûpirant elle lachera
ses mots, vndiquè vitia me circumde derunt, vndique
vitia me vicerunt.

 

Le Cardinal de Retz (car il est juste qu’on le
connoisse par tous ses noms & qualités) ayant
negligé de combatre ses ennemis interieurs,
apres auoir attaqué les Princes du sang, a voulu

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attirer sur luy la hayne de Monsieur l’Archeuesque
de Paris son Oncle & son bienfacteur,
en imitant le Cardinal Mazarin qui ne veut point
estre esclaue de sa parole : il l’a retractée a l’imitation
de ce maudit Sicilien, & c’est vne marque
veritable de la corruption de ses mœurs, parceque
nec fama nec conscientia gratus est, les plus grands
amis du Mazarin en parlent auec cette reputation.
Ils auouent que c’est vn esprit brouillon,
interessé, entreprenant, vindicatif & cruel : les
plus moderés Frondeurs confessent la mesme
chose, & toute la France dit que s’il estoit dans
le Ministere, il faudroit perir ou l’en chasser. Il
ne faut ny Corinthiens ny Mazarins pour gouuerner
les François, il faut le Roy, & les Princes,
les femmes mesmes ne doiuent point entrer
dans le Conseil, quand elles auroient la Couronne
sur la teste, car c’est lors qu’elles sont plus
à craindre : les vns doiuent dire leur Breuiaire
dans leurs Archeueschez, & trauailler iour &
nuict à la sanctification de leurs troupeaux, & les
autres faire leur retraitte dans vne Religion, &
expier par vne penitence iusques à la mort, les
maux que les pauures Frãçois ont souffert & ceux
qu’ils souffriront encore plus long temps si Dieu
ne fait vn Miracle pour ce Royaume. Vous n’aurez
jamais la paix si les vns ou les autres gouuernent :
car tous se voudront vanger & des Princes

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& des peuples. Ie dis mesme quand le Mazarin
seroit mort, celle qui le protege à present
n’oublira iamais la haine qu’elle porte aux Princes
qui ont pris les Armes pour se deffendre de
la tyrannie du Mazarin, ny à ceux qui ont fauorisé
vne si juste cause, sa colere trouuera tousiours
des sujets de vengeance & de rage, Mutrebre est
furere in ira. Euitez donc le malheur de sa puissance
& de ceux qui sont attachés a ses interests,
aussi bien qu’à la fortune du Mazarin & du Coadjuteur.

 

La Paix Corinthienne est mil fois plus dangereuse
que la Paix Italienne de mil six cens
quarante neuf, celle cy à eu des apparences de
douceur & des suites de vengeance, pax illis cum
peste data est : mais celle la en ce temps cy auroit des
images de fureur & des effets de cruauté, & on
diroit auec infamie des Frãçois crux illis cum morte
data est. Il est impossible de donner vne veritable
Paix au peuple, si on ne congedie tous ceux
qui composent maintenant le Conseil du Roy,
sans ce changement la Guerre est plus auantageuse,
iustum bellum, quibus necessarium : & pia arma,
quibus nulla nisi in armis relinquitur spes. vostre
nouueau Cardinal ne vous montre t’il pas le
chemin de la Guerre ? ne va-t-il pas iour & nuict
incognito dans vn carosse emprunté chez ses Cabalistes,
suiuy de quantité d’hommes armés de

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Mousquetons & de poignards ? Ne les a t’on pas
veu sortir de son carosse, quand il versa proche
de Nostre Dame, il y a quinze jours : & apres
cela on voudra dire de son Eminence, qu’elle
est sage, qu’elle ne trauaille point pour le Ministeriat,
qu’elle souhaitte auec sincerité la Paix
au peuple, & qu’elle employe en secret & en
particulier son industrie pour l’esloignement du
Mazarin, c’est ce qui ne passera iamais pour veritable
dans l’esprit mesme des Mazarins, si ils ont
vn peu la conscience Chrestienne, ie veux dire
desinterressée du mensonge & de la fourberie.

 

Il y a fort peu de persõnes dãs Paris, qui ne sçachent
ce qui s’est passé à Melun dans vn conseil
secret, qui s’y est tenu par la Reine, lors qu’elle
apprit que le Duc de Loraine estoit vers Lagny,
dans la resolution de passer la Seine pour
aller ioindre l’Armée des Princes, qui estoit
dans Estampes : Sa maiesté pour empescher le
passage des Lorrains, resolut auec le premier
President, qu’il falloit mander au Duc de Lorraine,
que le Mareschal de Turenne auoit ordre
de leuer le Siege d’Estampes, & de plus que le
Mazarin estoit prest à quitter le Royaume,
& que cela estant il n’estoit pas besoin de
faire auancer l’Armée de son Altesse, puisque
la Paix estoit asseurée dans le Royaume
par la rettraitte du Mazarin, l’execution de

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l’vn & de l’autre dessein s’en seroit ensuiui, si
vostre Coadjuteur qui est icy l’espion du Mazarin,
n’eust promptement auerti la Cour, qu’il
y auoit diuision entre Monsieur le Prince &
Monsieur le Duc de Lorraine pour le commandement
de l’Armée ; cét auis donné au Mazarin
dans vne conioncture si pressante, a retardé la
leuée du siege de deux jours, & la sortie du Mazarin,
a laquelle on ne pense plus, puis que l’on
reconnoist la fidelité du Corinthien, enuers vn
si abominable tyran : ou bien la Procession de la
Chasse de sainte Geneuiefue faitte pour la prosperité
du Roy, pour la Paix du Royaume, &
pour l’esloignement de ce cruel fleau des François,
changera l’esprit de la Reine, pour luy en
donner vn de concorde & d’vnion, entre les sujets
du Roy, qui le iour de cette belle ceremonie,
ont tous prié sa diuine bonté d’exterminer
ce Ministre Sicilien, & d’esclairer ceux qu’il plaira
au Roy de choisir pour entrer dans son Conseil,
au nombre desquels le Corinthien n’aura point
de place.

 

Ne sçait on pas qu’il a dit depuis quelques
iours à des Bourgeois de Paris, que les Princes
pour lesquels le peuple se passionnoit si fort, seroient
les premiers à signer l’accommodement
auec le Mazarin, & que pour luy, il auroit l’auantage
de ne point signer ce que les autres

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voudroient desja auoir signe ? Voila les paroles
auec lesquelles il pretend gaigner l’affection
de quelques gens qui sont ses voisins & qui l’ayment
plus par interest qu’autrement : mais ceux
qui seront plus éclairés dans ses intentions, iugeront
que ce discours est vne pure dissimulation
née auec luy, pour alterer le zele & l’affection
des Bourgeois de Paris enuers Monsieur
le Prince. Si les Parisiens par leurs prieres pouuoient
obtenir de Son Altesse Royalle que la
porte de son Palais luy fut fermée, & à tous ceux
que i ay nommés, il est sans doute que le party
du Mazarin ne subsisteroit pas long temps, les
creatures qu’il a dans Paris le maintiennent autant
dans le Royaume que celles qu’il a dans
la Cour, & si en voulloit aller plus auant, vos
maux trouueroient bien tost vne fin : Tous ces
Mazarins la hors de Paris chasseroient en vingt-quatre
heures le Mazarin hors de France.

 

Ah ! Parisiens il ne faut point craindre de
vous parler, puis que vous ne craignez point de
mourir en poltrons : vostre lâchetté vous perd,
& est la seule cause des maux que vous souffrez
à present. Vous dites qu’il faut auoir vne Armée,
qu’vn fonds considerable est necessaire pour
deffendre vostre Ville, qu’on deuroit faire main
basse sur tous les Mazarins ; mais dequoy seruent
tous ces discours sans aucun effet, vous

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parlez beaucoup & executez peu. Pleust à Dieu
que le peuple de Paris en prenant vne bonne resolution
d’abbatre le tyran de la France, & l’ennemy
de leur Ville, pust dire auec autant de
raison que d’effet, Nil actum est bellis, si nondum
comperit istas omnia posse manus. Ie souhaitterois de
tout mon cœur que les Parisiens deuinssent des
Cesars contre le Mazarin aussi bien que contre
l’Espagnol, il n’y a plus de generosité en vous,
quoy que l’on brusle & viole par tout, vous vous
mocquez des desordres dont vous estes menacez,
muris clau saiuuentus exultat : quoy vous serez
capable d’vn endurcissement si contraire à vostre
propre conseruation ? Vous serez chastiez
quelque iour auec iustice, puis que les miseres
voisines ne vous touchent, point vos voisins n’auront
point de compassion de celle que vous
endurerez. Le Christianisme souffre de vostre inference,
l’Eglise ne peut plus pardonner aux
soldats dont le crime est dans l’excez, le viol est
l’esperance de leurs conquestes, le larcin la recompense
de leurs peines, le meurtre la gloire
de leurs actions en quelque lieu qu’il s’execute,
stat cruor in templis, & si i’osois dire l’impieté qui s’y
commet, ie voudrois en mesme temps faire le
procez aux Autheurs de cette malheureuse
Guerre, entreprise pour la protection du plus infame
& du plus ignorant de tous les hommes.

 

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Quoy vous sçaurez que le Mareschal de Turenne
permet que l’on viole toutes les femmes
que ses soldats peuuent prendre ? quoy vous
sçaurez que les Polonois de son armée ont la liberté
de voller toutes les Sacristies des Villages
par où ils passent ? quoy vous sçaurez que les
Allemands emmeinent auec eux des Religieuses,
pour seruir à leur passion brutale & enragée ?
& vous ne ferez aucunes plaintes de ces enleuemens,
de ces impietez, de ces incestes, & vos de
isto crimine perpesso, nunquam satis mali : & ii qui magnum
facinus ausi sunt committere, venia non potest mutari.
Monsieur le Duc d’Orleans, dit la veille de
saint Barnabé, à Messieurs du Parlement assemblés,
que quand on auoit esté faire des plaintes
à la Cour, que les soldats du Turenne auoient
violé des Religieuses : on auoit fait response, que
les femmes estoient faites pour seruir aux hommes,
Son Altesse Royalle n’a point nommé la
personne qui auoit fait ces plaintes, ny celle qui
auoit fait la response : mais tout Paris sçait que
c’est vn Religieux qui a parlé & que c’est la Reyne
qui a repondu. Ha ! Seigneur est t’il possible que
vous endurcissiez le cœur d’vne femme comme
celuy d’vn Pharaon, alienœ luxuria ignoscit qui
nihil suæ negauit.

Enfin peuples songés à vostre conseruation
& à vostre deffence, les remises de iour en iour

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vous mettront en vn estat si pitoyable que ny
vous ny vostre posterité ne s’en releuera iamais,
Suppliés Messieurs les Princes de continuer la
guerre contre le Mazarin & de ne point accorder
la conferance pandant le seiour de ce maudit
Cardinal : mais aussi secourés les d’hommes
& d’argent, l’vn & l’autre est necessaire, ils ont
épuisez leurs bourses & celles de leurs amis, ils
empruntent, ils engagent, ils vendent tout pour
chasser ce detestable Sicilien. Monsieur le Prince
n’en est pas quitte pout cinq millions, on void
la depense qu’il faict tous les iours à leuer des
gens de guerre, sans lesquels on peut dire auec
verité que les faux bours de paris seroient bruslés :
car qui vous a deffendu de leurs approches ?
si ce n’est la Caualerie qu’il auoit dans paris ? qui
a obligé les Mazarins à quitter Saint Denis &
les enuirons de cette ville ? si ce n’est le soin que
Monsieur le Prince se donna de faire dire à tous
les villageois qu’ils eussent a mettre en seureté
leurs meubles & leurs bestial, s’il n’auoit vsé de
cette preuoyance, ils seroient encore à vos
portes à s’engraisser du bien & de la vie de ces
pauures païsans & apres tous ces biensfaits
Monsieur le Prince ne sera pas chery & honoré
de toute la France, & apres toutes les cruautez
des Mazarins on voudra faire passer pour vne
grande grace la retraitte de leurs Troupes : s’ils
auoient trouué de quoy subsister, ils ne vous
auroient pas abandonnez si promptement. Le

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nom, le courage, & les victoires de Monsieur le
Prince, n’ont-elles pas donné suiet à toute la terre
d’admirer la vertu & le bon-heur de son Altesse ?
Ne pourroit t’il pas se reposer auec plaisir,
& dire à son aage sans estre accusé d’aucune oisiueté,
hæmanus suffecere desiderio meo & gloriæ meæ :
neantmoins vous le voyez à la teste des Trouppes
exposer sa vie pour vostre seruice, & pour le
salut de la France : apres auoir vaincu vos ennemis
estrãgers, il veut encore vaincre vos ennemis doméstiques.
Victori præstate fidem : il vous dit, patriæ
perit omne decus : plus est quam vita, salusque quod perit.

 

Quelles louanges ne deuez vous point donner
à l’amour d’vn si grand Prince & qu’elle haine
ne deuez vous point porter à ses ennemis qui
sont les vostres : ne l’accuseroit on pas d’insensibilité
s’il estoit capable de donner sa protection
à celuy qui l’a mis dans les fers, & au Coadjuteur
qui a voulu le rendre criminel apres vne
Declaration d’innocence si authentique ? Et
vous Parisiens, vostre ingratitude ne seroit t’elle
pas extreme & vostre ignorance aueugle, si vous
ne teniez l’vn pour vostre protecteur, l’autre
pour vostre tyran, & le dernier pour vn traistre
perfide ? Le premier trauaille à vostre conseruation,
& celuy la s’estudie à vous faire mourir
aussi bien que celuy cy vous auez veu la mort de vos
Citoyens, vous auez veu les Ordres executez auec
cruauté, vous n’en pouués plus douter, il est donc
temps sciant bac cœde tyranni nil venia plus posse dari.

Mrs. d’Etempes n’ont point espargné leur vie pour

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ce suiet, ils ont fait perir plus de six mille Mazarins, &
ont obligé les autres à leuer honteusement le siege
qu’ils auoient mis deuant cette ville, auec autant d’imprudence
que d’iniustice, c’est Monsieur le Prince qui
dispose de tous ces euenemens auec son courage ordinaire,
c’est à luy apres Son Altesse Royalle à qui vous
en auez l’obligation, & non à d’autres, priez le decontinuër
sa bonne volonté pour la Ville de Paris, & sa
haine contre le Coadjuteur, afin qu’il ne puisse iamais
esperer aucune place dans les Conseils du Roy. Monsieur
le Duc d’Orleans y donnera les mains, & il ne voudra
pas faire cette iniure au peuple, connoissant la perfidie
de son esprit, vous deuez esperer de sa bonté qu’il
ne parlera iamais en sa faueur, puis les Bourgeois luy
demandent cette grace à genoux, en luy protestant que
leurs biens & leurs vies ne seront que pour son seruice,
apres celuy qu’ils doiuent au Roy, par deuoir, par Iustice,
& par affection.

 

Vostre Altesse Royalle est toute puissante dans la ville
de Paris, vn mot de sa bouche, fera perdre le courage
à tous les Mazarins, & fortifiera les bonnes intentions
de ceux qui apprehendent le mauuais succez de
cette Guerre funeste quoy que juste & raisonnable,
le Parlement n’oseroit reietter les propositions que
vous luy ferez, parce qu’elles ne peuuent estre qu’auantageuses
à l’Estat, & vtiles au public, Vostre A. R. voit
la detention manifeste du Roy par le C. Maz. il est tres
facile de la prouuer en quatre paroles : les Roys ont
touiours écouté les remõstrances de leurs Parlements,
ils ont eu pitié de leurs Peuples, lors qu’ils ont pleuré
deuant leurs Majestez, ils ont tousiours eu la bonté
d’accorder à leurs prieres & supplications les graces
qu’ils ont demandé a genoux, & les mains iointes, comme
on pourroit faire à Dieu : & auiourd’huy toute l’Europe
voit que Louys XIV. de Dieu-donné Roy de Frãce
& de Nauarre n’a plus d’oreilles pour écouter les
plaintes de ses Officiers, qu’il n’a plus d’yeux pour voir

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les larmes de ses Suiets & qu’il n’a plus de langue pour
dire à son peuple, ce qu’il luy voudroit donner. Le Cardinal
Mazarin, n’est il pas ce miserable Geolier qui a
bouché ses oreilles, qui a fermé ses yeux, & qui a lié sa
langue ? Le Parlement ne doit il pas trauailler à cette
liberté, & donner Arrest par lequel il sera dit que les
peuples armeront pour ce suiet arma tenenti, omnia dat
qui iusta negat, si Son A. R. vouloit appuyer cette proposition,
elle est seule capable de deliurer la France
des maux qui la menacent, & de produire vn miracle
qui rendoit la liberté au Roy, le Roy à Paris, & la France
à elle mesme.

 

Messieurs les Parisiens cét auis est si peu estudié que i’oubliois celuy
que ie veux dõner à Mr. de Penis lequel vous deuez tous considerer
comme vne personne desinteressée qui s’expose pour le public,
& pour le salut de vostre ville. Certes on peut bien iuger desia
que vous estes fort inconstants : mais au moins si on vous accuse
auec quelque raison de ce deffaut, vous estes obliges en le connoissant
de corriger vne si mauuaise habitude, il est encore temps
de l’aller trouuer chez luy & le prier de suiure ce qu’il a si bien
commencé ; vous en receuerez autant d’auantage que de profit : ie
ne puis pas finit qu’auparauant ie n’auertisse ledit sieur, d’vn fauxbruit
que les Mazarins font courrir par la ville, pour eluder la confiance
que l’on pourroit prendre en luy, ils disent Mr. que vous
estes Corinthien : faites leurs s’il vous plaist connoistre qu’ils en
ont menty & tesmoignez aux Frondeurs qui auront l’honneur de
vous voir & de vous parler que le Cardinal de Retz n’est pas assez
puissant pour vous donner vne qualité si preiudiciable à vostre
honneur, & que vous detestez auec iustice ses intrigues ses cabales
ses parti litez & toutes les fourberies dont il se sert pour
desvnir Son A. R, & Mr le Prince, & pour faire triompher son
party qui est celuy du Mazarin & de la Cheureuse. Ie ne crois pas
que Dieu vous afflige si sensiblement : peutestre que les Prieres
publiques les Processions generales, & celle de Ste. Geneuiefue &
S. Germain qui ont esté faites dãs Paris depuis dix ou douze iours,
seront capables d’appaiser la colere de Dieu & de confondre
tous les Mazarins qui regardent vos souffrances auec ioye, & se
consolent de la perte de leurs soldats, par la perte de vos Confraires,
Hilaresque nefas, spectare cruentum (O mala libertas) cum
Gasto lugeat, audent.

FIN.

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Anonyme [1652], LA VERITABLE FRONDE DES PARISIENS, Frondant IEAN FRANCOIS PAVL DE GONDY, Archeuesque de Corinthe, Coadjuteur de Paris. Et dépuis le vœu du Mazarinisme, indigne Cardinal de la sainte Eglise, ennemy juré des Princes du Sang, & Amy du Mazarin, & des Mazarins. Auec des Auis necessaires à Messieurs les Princes, au Parlement, aux Parisiens, & à Monsieur de Penis. , français, latinRéférence RIM : M0_3934. Cote locale : B_10_11.