Anonyme [1649], LA SANGLANTE DISPVTE ENTRE LE CARDINAL Mazarin & l’Abbé de la RIVIERE. LE VISAGE DE BOIS AV NEZ DV MAZARIN, & son exclusion de la Conference de Ruel. ET LA SVPPLICATION FAITE AV ROY POVR auancer le procez des Partisans & Financiers. Sur l’imprimé à Paris. , françaisRéférence RIM : M0_3583. Cote locale : E_1_39.
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LA SANGLANTE
DISPVTE
ENTRE LE CARDINAL
Mazarin & l’Abbé de la RIVIERE.

LE
VISAGE DE BOIS AV NEZ DV MAZARIN,
& son exclusion de la Conference de Ruel.

ET LA
SVPPLICATION FAITE AV ROY POVR
auancer le procez des Partisans & Financiers.

Sur l’imprimé à Paris.

A ROVEN,

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LA SANGLANTE DISPVTE ARRIVÉE
sur le ieu entre le Cardinal Mazarin, & l’Abbé de la Riuiere,
à S. Germain en Laye.

Pvis que l’on voit ordinairement les esprits les plus sages & les
plus posez s’emporter dans la chaleur du ieu à d’estranges extremitez,
& sur la dispute d’vn foible auantage en venir iusques à des
inuectiues sanglantes, & le plus souuent veritables ; il ne faut pas
s’estonner si deux hommes qui sont esclaues de leurs passions & de
leurs vices, sont tombez dans cét inconuenient. Il n’y a personne
qui ne connoisse l’insatiable auarice du Cardinal Mazarin, & la
violente ambition de l’Abbé de la Riuiere, & qui ne s’estonne que
ces deux personnages ayent peu contracter quelque societé : aussi
comme les meschãs ne peuuent pas s’accorder long-temps ensemble,
& que leurs desseins estant souuent opposez par la contrarieté
que se rencontre entre les choses mauuaises, leur vnion n’a pas
beaucoup de durée, & ne sert qu’à les rendre plus mortels ennemis :
Ces deux fauoris qui ne s’accordoient que dans la fin de perdre
l’Estat, à la moindre circonstance qui a peu diuiser leurs interests
ont tesmoigné l’antipatie de leurs inclinations auec autant d’indiscretion
qu’ils ont de foiblesse & de lascheté : & la passion du ieu qui
attache ordinairement ces sortes d’esprits par le desir du gain, &
l’ambition de vaincre, les a fait rompre auec tant d’esclat & de violence,
qu’il n’y a point d’apparence qu’ils puissent iamais estre
reunis.

Le Cardinal Mazarin & l’Abbé de la Riuiere auoient passé dans
le ieu du Piquet la plus grande partie de la nuict, lors que quelque
dispute embarrassante qui estoit arriuée à la derniere main, leur fit
oublier l’ordre du ieu, & les enfonça dans vne plus grande contestation
pour sçauoir lequel des deux deuoir donner les cartes : Ils
auoiẽt bien quelques spectateurs, mais la crainte de desobliger l’vn
des deux, retenoit leur iugement en balance, & laissoit l’vn & l’autre
dans l’asseurance d’auoir la raison de son costé, l’vn disoit vous
auez ioüe la Reine de pique, & par consequent vous estiés le premier :

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l’autre vous auez tout pris & n’auez laissé que ce que vous ne
me pouuiez pas oster : C’est pour quoy vous me donnerez s’il vous
plaist, c’est vn coup de partie respond l’autre, & ie n’ay garde de
quitter mon aduantage, enfin le Cardinal qui vouloit estre obey
dans sa maison, voulant forcer l’autre de broüiller les cartes, l’Abbé
les saisit auec furie, & luy dit en secouant la teste, ce n’est pas
d’auiourd’huy Monsieur que vous voulez l’emporter sur moy : ce
n’est pas d’auiourd’huy respond le Mazarin que vous me voulez disputer
la primauté, ie la cede pour ce coup replique l’Abbé : mais ie
seray premier à mõ tour ie l’emporteray bien, repartit le Cardinal,
car ie vay rompre le ieu, il faut que vous cõtinüiez reprit la Riuiere,
si vous ne voulez perdre la partie : l’auantage que i’ay sur vous respõd
Mazarin me la donne toute gagnée, vous n’en auez point d’autre
adiouste l’Abbé tout indigné, que celuy que ie vous ay donné, &
puis qu’il faut sortir des termes du ieu, si ie ne vous auois procuré
la faueur du Duc d’Orleans vous ne seriez pas à present en France,
Comment petit Beneficier interrompt le Cardinal, ozez-vous me
parler de cette sorte, auez-vous oublié ce que vous estes & ce que
ie suis : Et sous ombre que ie vous ay fait la faueur de rechercher vostre
amitié, pretendez vous en tirer quelque auantage, sçachez que
ie me moque de vostre credit, & que celuy de vostre maistre m’est
fort indifferent, vous ne parliez pas ainsi la veille des Rois, replique
la Riuiere, lors que vous m’obligeastes par vos prieres, & vos promesses
à faire sortir malgré luy le Duc d’Orleans de la ville de Paris,
pour venir à bout de vostre dessein : Il est vray respond le Cardinal,
que le besoin que i’auois alors de son A. R. m’emporta à des
supplications indignes de moy, & mesmes à quelques promesses
extrauagantes : mais le peril estant passé, ie me moque des vnes &
des autres : Cette maxime adiouste l’Abbé, que vous auez pratiquée
auec tous ceux qui ont eu affaire à vous sera fausse en mon
endroit ; & ie vous contraindray bien de me donner le chappeau
que vous m’auez promis tant de fois, & que vostre mal ce a si long
temps retenu : Les chappeaux rouges replique Mazarin ne sont
pas faits pour des teste, vertes comme la vostre il me sieroit mieux
qu’a vous respond la R. & ie le merite mieux aussi : Taisez-vous petit
insolent continuë le C. & contentez vous de n’estre pas obligé
d’en porter vn iaune comme vostre pere, le vostre repart l’Abbé,
bien qu’il en fist de toutes sortes fut contraint de porter vn bonnet

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vert, il ne vous laissa qu’vn capet gris comme le portent les estaffiers,
& vous fustes trop heureux de torcher le cul pourry du C. de
Richelieu pour l’esteindre dans les excremens de sa chaire percée :
C’est bien à vous Monsieur le Pedant interrompt Mazarin à me faire
ces reproches, vous dis-ie qui de petit cuistre estre deuenu Ministre
d’Estat, & qui par milles infames actions auez captiué l’esprit
trop facile de vostre maistre, vous qui vous faisant fort de sa foiblesse,
auez trahy ses interests autant de fois qu’il s’est agy des nostres,
qui espiant le temps qu’il auoit besoin d’argent dans le jeu,
par la dissipation que vous auiez faite de son reuenu auez gagné ses
bonnes graces en luy prestant vne partie de celuy que vous luy
auiez vollé, & dont vous vous payez apres auec interest, quoy
que vous fassiez souuent de moitié auec ceux qu’ils gaignoient,
vous enfin qui dans cette derniere conjoncture l’auez laschement
trahy sur vne esperance vaine & ridicule, Est-ce par ces belles
actions que vous croyez meriter vn chappeau rouge ? Et pretendez
vous obliger par ces bons seruices vostre maistre à vous seruir de
recours en cette occasiõ. Croyez moy M. l’Abbé, tenez vous à ce
que vous estes si vous ne voulez que luy découurants vos trahisons,
ie ne desabuse entierement son esprit desia à demy persuadé de vos
mauuaises intentions, & qu’au lieu de l’appuy que vous pretendez
tirer de luy, il ne s’employe luy mesme à vostre ruine. Auez-vous
suffisamment dechargé vostre bile, repart la Riuiere, apres vn peu
de silence, vrayement Seigneur Mazarin vostre eloquence est fort
industrieuse à découurir vos excellentes qualitez sous le nom d’vn
autre, Mais on y peut encore beaucoup adiouster, & les Colporteurs
de Paris sçauent biẽ encherir sur cette description, leurs boutiques
sont toutes pleines de vos Panegyriques, Et i’aurois mauuaise
grace de m’estendre sur vn sujet, où les harangeres sont plus
sçauantes que moy, souuenez-vous seulement de vostre illustre
naissance, de vos actions heroïques, & de l’affection que vous
portent tous les François, & generalement tous les peuples Chrestiens,
mais pour respondre à vous me puissiez mettre mal auec son Altesse
Royale. Irriter son esprit contre vous, & luy faire abandonner
vn party qu’il n’a pris que par mes conseils, & si ie ne me trompe,
il sera bien-tost suiuy du P. de C. à qui vous seruez de joüet, &
qui ne feint d’entreprendre vostre deffence que pour vous empescher
d’esquiuer, & retirer sous ce pretexte tout l’argent que vous
auez esloigné de la France pour vous remettre apres cela entre les

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mains des Parisiens vos bons amis, desquels il regaignera par ce
moyen l’affection qu’il auoit perduë par ses dernieres hostilitez :
Ainsi Seigneur Cardinal vos pretentions s’en iront en fumée, &
les beaux desseins que vous auez de le perdre & de renuerser cette
Monarchie pour vous retirer en Italie auec ses plus riches debris,
periront auec vous par vn supplice digne de vos crimes & de vos
trahisons. Auant que cela soit, interrompit Mazarin en se jettant
sur l’Abbé, i’auray la satisfaction de te faire pendre, ou d’arracher
de mes propres mains cette langue qui me vomit tant d’iniures,
la Riuiere ne peut repliquer, pource que le Cardinal venant des
paroles aux effets, le saisir au gosier, & l’auroit infailliblement
estranglé, si l’autre faisant vn effort ne se fust degagé de ses mains,
& ne luy eust en mesme temps cassé le nez d’vne gourmade, le
Cardinal voyant son sang respandu deuient enragé contre l’Abbé,
& d’vn coup de poing luy ayant poché le luminaire, il le saisi à force
de corps, & par vn tour de croc en jambe où il est extremement
adroit, le porte rudement par terre : Ils se roulent quelque temps
l’vn sur l’autre malgré le foible effort que faisoient les assistans de
les separer, rauis de voir ces deux illustres Ministres de la France
dans ce venerable estat : A la fin quelques gardes de la Reyne accourus
au bruit les arracherent l’vn de l’autre, & mirent ces deux
beaux champions pleins de poussiere meurtris de coups & barboüillé
de sang en des chambres separées, iurans hautement de
tirer raison de cét affront, & de faire decider leur debat par les
Princes leurs suppots, Nous verrons quel succez aura cette contention,
mais il y a beaucoup d’apparence quelle ne sçauroit reüssir
qu’à nostre auantage & à la confusion de ces mauuais Ministres,
qui seront les premiers confumez au feu qu’ils ont allumé : & qui
s’esteindra miraculeusement apres auoir deuoré ces infames victimes

 

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LE VISAGE DE BOIS AV NEZ DV MAZARIN,
& son exclusion de la Conference qui se tient à Ruel.

Bien que les vertus qui sont opposées aux vices les tiennent
tousiours sousmis à leur éclatante superiorité, & que ce cõbat
dõt l’issuë n’est iamais incertaine, fasse incessamment triõpher
les filles du Ciel, des monstres qu’engendre la terre : Toutesfois
ces foibles & lasches ennemis de la gloire de Dieu, les
vices osent bien encore armer des Geans de temerité pour déthrôner
les puissances Souueraines.

L’insolence & l’effronterie qui depuis la naissance du monde
persecutent incessamment la prudence & la retenuë, n’ont
point encore rougy de la confusion qu’ils remportent tous les
iours de leurs vains & ridicules efforts. Herennius qui par ses
dissolutions & ses desbauches enormes perdit les bonnes graces
de Cesar Auguste, se voyant honteusement chassé de l’Armée
de ce sage Empereur, eust encore assez d’effronterie pour
se plaindre de ce iuste traittement, & demander de quel pretexte
il couuriroit la honte de son prompt retour prés de son
Pere, dis luy, respondit l’Empereur, que ie ne t’ay pas esté
agreable : Et Ciceron voyant que Laberius l’ennemy des bons
Senateurs, auoit encore l’impudence de se presenter pour auoir
seance aupres de luy. Ie te receurois, dit-il, si ie n’estois placé
si à l’estroit. Ce Prince de l’Eloquence voulant témoigner par
cette responce, & le demerite de cét importun, & la trop grande
facilité de Cesar, qui admettoit pour lors trop de monde au
Senat.

Iamais nostre Roy de France Louys Hutin, n’eust permis que
l’on eust fait le procez à Enguerand de Marigny Grand-Chambellan
de France & Sur-Intendant des Finances, bien qu’il fut
accusé d’auoir eu intelligence auec les Flamans ennemis de cét
Estat, s’il n’eust eu l’audace de respondre insolemment à Charles
Comte de Valois, Oncle du Roy, lors qu’estant appellé au
Conseil pour rendre compte de l’administration des Tresors du
Royaume, il iura insolemment, que c’estoit ce Prince qui les
auoit enleuez.

Mais qui peut conceuoir vne temerité plus insupportable,
que celle d’auoir veu ces derniers iours le Mazarin à Ruel, se
presenter pour entrer dans la Conference, où les Deputez de

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nostre auguste Parlement se sont trouuez pour trauailler aux
remedes de l’Estat, & au recouurement de la Paix ? qu’elle arrogance
sans exemple, que le Criminel qui est desia mort ciuilement,
ose pretendre seance auec les Iuges qui l’ont condamné,
que ce coupable à qui toute l’Europe dénie la protection,
ose se presenter deuant ce Tribunal où la Iustice preside
auec tant de majesté ? cherche-t’il d’estre combatu par leurs paroles,
apres auoir esté vaincu par la force de leur integrité ? ou
bien, veut-il entrer dans cette Conference comme vn pecheur
humilié, qui veut rendre autant de larmes de repentir, qu’il a
fais répandre de ruisseaux de sang des meilleurs sujets de ce
Royaume ? Mais qui pourroit estre touché des pleurs de celuy
qui a fait verser sans horreur le sang de tant de bons François ?
Non, non ; il faut bien plus de temps à consummer la roüille,
dont la pratique des crimes a desia défiguré son esprit : quoy
donc ? veut-il voir le premier appareil que ces illustres Senateurs
estiment necessaire pour consolider les playes dont il
nous a navres ; & cette ame artificieuse croit-elle faire changer
de face à la bonace presente ? cét Hidre enuenimé contre la pureté
des intentions de nostre Parlement, veut-il r’alumer vn
nouueau flambeau de desordre & de rebellion, veut-il destrui-
la Nation Françoise s’il n’en peut empieter le gouuernement ?
mais il faut auparauant qu’il fasse perir tous ceux qui sont affectionnez
à cette Couronne, & le Roy n’a point de sujets qui
ne se sacrifient pour la conseruation de son authorité, si bien
qu’il faut massacrer tout vn peuple, pour occuper cette Monarchie.

 

Mais non, ces Illustres Heros dont les armes appuyans la
cause de la Iustice, trauaillent pour nostre commun repos,
prodigueront encore leur vie pour trouuer dans la continuation
de leurs trauaux la paix que nous demandons depuis si,
long-temps. C’est par eux que les murs de cette Ville sont hors
de l’escalade & ne redoute plus l’aproche de ce Tyran ; Ils ont
guaranty nos testes du coup qui les menaçoit : nous n’auons
plus à craindre pour nous ny pour nos familles, tandis que ces
viuans Boucliers des oppressez veilleront pour nostre deffense,
Decernons des triomphes à ces dignes Liberateurs de la Patrie,
faisons des vœux pour la longueur de leurs années, partageons
leur nos cœurs, & ne refusons rien à la gloire de ceux qui nous,
donnent tout.

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Mais tres-prudente, & auguste Compagnie, n’admettez point
dans vostre Assemblée ce Tyran qui s’est tant de fois efforcé de
vous diviser ; Ce monstre qui n’a point épargné le fer ny le poison
pour destruire cét auguste Corps, auquel sont aujourd’huy attachées
les plus nobles parties de l’Estat. Faites ressentir à ce Barbare,
que c’est la douceur & non pas la cruauté qui gaigne les cœurs
genereux. L’vne ne s’exerce iamais sans acquerir de nouuelles
creatures, & l’on ne se sert point de l’autre qu’elle ne suscite la haine
de tous les peuples. Qu’il vse à son gré de ses forces, nous aurons
assez de generosité pour ne point plier sous les honteux liens
de sa Tyrannie : la Vertu souffre trop de contrainte sous le gouuernement
des meschans, c’est lors qu’elle n’agir pas selon ses sentimens,
& qu’elle est forcée de ceder à la corruption des vices.
Celuy qui ne sçait pas corriger le déreglement de ses passions, est
inhabile à l’administration de la Monarchie Françoise.

Nous ne pouuons souffrir que le gouuernement de nos Roys,
qui n’a point de raport auec la seruitude, puisque la liberté des
bons sujets se conserue dans la iustice de leur Prince, & que l’iniuste
peut mesme quãd il veut se rendre libre sous vn semblable gouuernement :
En effet, la sujetion peut durer sous le regne d’vn Monarque ;
mais il n’en est iamais l’autheur : & si la liberté consiste
à faire ce que l’on desire, ce n’est que le mauuais sujet qui peut deuenir
Esclaue, pource que ne faisant ce qu’il veut, il n’agit que par
la crainte de la iustice de son Souuerain ; Mais si celuy-là n’est pas
libre, il est aussi indigne de l’estre & s’il deuient serf, ce n’est pas
par le gouuernement du Prince, puisque c’est le seul effet de son
peché qui change sa condition.

Cét Ennemy de tous les gens de bien, veut-il en s’approchant
de vous, combattre vostre prudente ciuilité, de son arrogance &
outrecuidance ? Ose-t’il encore se presenter deuant ceux qui ne le
peuuent iustement regarder que dessus la Selette ; vostre generosité
seroit-elle satisfaite de perdre l’inimitié sans perdre aussi l’Ennemy ?
Non, non, Messeigneurs, qui écrase la teste du Vipere
n’apprehende plus d’en este picqué : & vous ne pouuez separer le
venin de ce corps infecte de crimes, pour en composer vn bon antidote,
qui vous asseure contre la morsore de tous vos autres Ennemis.
Conseruez tousiours, Messeigneurs, cette mesme rigueur
contre l’approche des coupables. N’admettez iamais le Cardinal
Mazarin dans vostre illustre Assemblée, & tels que cet autre Senateur

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Romain, refusez vn siege à ce meschant qui nous tient assiegez
auec tant de cruauté. Il ne faut point donner lieu de repos à
celuy qui l’oste à tout vn Royaume. Fermez les portes de Themis
à celuy qui ayãt déchaisné tous les crimes que vostre iustice auoit
écartez, les fait aujourd’huy marcher en foule contre l’honneur
des Autels, contre la pureté des Vierges, & contre l’innocence des
oppressez, & que sa perte serue pour iamais de dictame aux blesseures
que vous trauaillez de guarir.

 

SVPPLICATION FAITE AV ROY, POVR
auancer le procez des Partisans & Financiers de son Royaume.

SIRE, Le titre de Roy Tres-Chrestiens vous estant essentiel, &
qui par les vertueuses actions que vous pratiquez dans vn a age
qui semble n’auoir aucun commerce auec la vertu, promettez à
toute la France d’estre le plus iuste de tous vos predecesseurs : C’est
à vostre Majesté que s’adresse cette supplication pour la prier de
jetter son œil de misericorde sur la face de ce Royaume, & de parcourir
toutes ses Prouinces, & s’arrester vn peu de temps à contempler
le deplorable estat dans lequel sont reduits tant de millions
de vos pauures sujets qui nuict & iour gemissent accablez sous le
faix de tant de miseres & de malheurs. Mais aussi qu’il luy plaise
dé tourner d’vne autre part celuy de sa colere & de son iuste courroux
sur ces infames Partisans, & sur tous les fauteurs & adherans
de ces inhumains Financiers, pour faire examiner leurs actions &
mœurs desreglez.

N’est-ce pas vne chose monstrueuse, Sire, de voir des personnes
de neant & de vile condition d’auoir fait en si peu de temps de si
grandes acquisitions, de si merueilleuse despenses, & de si superbes
bastimens qu’ils surpassent en magnificence vos Louures &
vos Palais. N’est-ce pas, dis-je, vne chose bien prodigieuse que ces
mesmes personnes se voyans esleuées au plus hautes charges & dignitez
de vostre Royaume foulent aux pieds le respect qu’ils doiuent
à vostre Majesté, saccagent & destruisent vos villes, bouleuersent
& ruinent vos Prouinces, desolent tout vostre Royaume,
volent vos tresors & vos finances, & enfin taschent d’arrester le

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cours heureux de vos armes & de renuerser vostre couronne
& vostre sceptre.

 

Coutez donc, Sire, & ne vous arrestez point à escouter la
voix charmante de ces Sirenes, qui par leur chant trompeux
taschent de vous surprendre si vostre prudence ne resistoit à
leur charmes, & ne vous faisoit éuiter leurs pieges.

Que vostre Majesté, Sire, ne traite point ce corps par compositions,
ny de main-morte, qu’elle n’esbranle point cét Arbre
par abolitions, mais qu’elle porte la coignée à la racine
qu’elle extirpe & foudroye cét imfame troupeau.

Vostre Majesté, Sire, n’ignore pas qu’il ne soit tres-dangereux
de mignarder de semblables Monstres qui suiuent apres
estre appriuoisez s’efforcent de perdre & de ruiner ceux mesmes,
ausquels ils sont redeuables de leur vie & de leurs biens.

Cette maudite race doit estre comparée à ces rats qui sont
dans ses minieres d’où l’on tire l’or, lesquels deuorent la mine,
& desquels neantmoins on ne peut tirer aucun seruice, sinon
qu’estans morts on en fait des anatomies. Et ie prie vostre Majesté
de considerer qu’vsant de sa clemence ordinaire à l’endroit
de ces sangsuës du peuple, & que leur conferant de nouuelles
faueurs, ils ne s’en seruiront que pour authoriser leurs
mauuais desseins, & pour entretenir leurs vices. Car si vous
pensez les obliger pour en auoir du secours en quelque extreme
necessité, vous experimenterez bien tost là verité du dire
de ce fameux & celebre Philosophe de l’Antiquité Crates, qui
asseure que l’argent de telles gens ressemble aux figues qui
croissent dans les hautes montagnes & lieu x inaccessible, ausquelles
les hommes ne peuuent attaindre, mais seulement les
Corbeaux & les Milans, & les autres oyseaux de cette nature
qui sont les viues Images de ces cruelles Harpies.

Toutes ces veritez, Sire, sont si connuës que personne n’en
peut douter, estans confirmées par vne infinité d’exemples qui
se rencontrent dans les Histoires, on remarque qu’Henry le
Grand vostre ayeul, quoy qu’il eust reconneu les tours ordinaires
de ces pestes de Royaume, esprouué au plus fort de
ses affaires leur infidelité, & receu les plaintes de leurs abus,
neantmoins par vn excez de bonté leurs auoir octroye le pardon
& l’abolition qu’ils luy auoient requise, mais ils sçeurent

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si mal vser de la clemence de ce grand Monarque que deuenans
de iour en iour plus insolens. Ils ne continuerent pas seulement
leurs maluersations, mais s’estudierent à les augmenter & à les
fomenter auec plus d’artifice qu’auparauant.

 

Tant il est vray, Sire, que telles personnes n’ont point d’autres
inclinations qu’au mal, qu’elles sont tout a fait incapables
de faire aucun bien, & bien qu’ils ayent espuisé toutes les finances
de vostre Royaume pour se rendre riches & puissans, ils
sont toutefois si barbares qu’ils ne sont touchez d’aucunes calamitez
publiques, mais tout au contraire ne respirent que le
sang & le carnage de vos peuples, & la ruine entiere de vos Provinces
pour accroistre leurs richesse, establir leur puissance, &
affermir leur souuerainetez. Ie diray de plus (si vostre Majesté
me le permet) que leur insatiable auidité est si grande que si vostre
personne estoit sur le penchant d’vn precipice de malheur
(dont Dieu la veille preseruer) tout vostre Royaume bouleuersé
ces traistres & perfides les laisseroient miserablement perir
plustost que de vous donner aucun secours.

Nous ne doutons point, Sire, que vous n’ayez assez de bonté
pour prester l’oreille aux iustes plaintes de vos pauures sujets, &
que bien tost ces malheureux & abominables ne ressentent les
effets de vostre Iustice, commencez donc, Sire, sans plus tarder
à l’ancer vos foudres sur ces testes criminelles, afin que par leur
aneantissement vous puissiez rendre à vostre Royaume cette
paix qui est desirée depuis vn si long-temps.

FIN.

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