Anonyme [1649], LA QVERELLE D’VN PARTISAN AVEC SA FEMME, ET LEVRS REPROCHES, en forme de Dialogue. , françaisRéférence RIM : M0_2945. Cote locale : C_6_75.
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LA
QVERELLE
D’VN
PARTISAN
AVEC
SA FEMME,
ET LEVRS REPROCHES,
en forme de Dialogue.

A PARIS,
Chez Guillaume Saissier, proche Sorbonne,
aux deux Tourterelles.

M. DC. XXXXIX.

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LA
QVERELLE
D’VN
PARTISAN
AVEC
SA FEMME,
ET LEVRS REPROCHES,
en forme de Dialogue.

La Femme commence.

ET bien Monsieur de Bran, vous voila chargé
de femme & d’enfans, & l’ame au Diable,
& il ne vous reste pas vn rouge double
de toutes vos méchancetés.

Le Mary, Tay-toy ma femme, ie t’en prie, n’afflige
pas les affligés, pour te faire aller en Carrosse ie me
suis enfoncé dans les partis, tu m’en dois rester obligée,
ie t’ay éleuée de la poussiere, d’vne femme de peu, j’en
ay fait vne Dame d’importance, & tu me viens persecuter
à cet heure, c’est estre brutale.

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La Femme, C’est toy mesme qui est vn brutal, garsaillay
& gourmand, mercy de ma vie j’ayme bien les
bons morceaux : mais ie ne suis pas si âpre apres ma
gueule que ie ne m’en sçache tres-bien passer quand il
faut.

Le Mary, Mais il te falloit des bisques.

La Femme, Ie voudrois que tu en fusses creué, ie
n’aurois pas la douleur de me voir reduitte au pillage
& à la malediction de tout le monde.

Le Mary, Tu t’en prens à moy comme si j’estois cause
de tout ce desordre.

La Femme, C’est-mon, qui est-ce donc, ce n’est pas
nostre Chat, sont-ce pas tes belles inuentions diaboliques,
pensois-tu pas que tous tes planchers seroient
d’or à cette enragée inuention que tu eus de vouloir
oster au bon Dieu, le denier qu’on luy donne à chaque
conclusion de marché, miserable reste de gibet, t’imaginois
tu d’euiter la malediction qui t’est arriuée.

Le Mary, Helas ne suis-je pas à plaindre, j’ay vne femme
comme Iob pour me tourmenter.

La Femme, O l’homme de bien, vous diriés qu’il n’a
rien fait apres auoir ronge tout le monde, ie voy bien
que l’apetit ne la pas encore quitté, si tu eusses apris vn
mestier, de par Dieu, tu aurois gaigné ta vie honnestement,
mais il falloit vn Carrosse pour Monsieur, comme
si c’eust esté quelque grand Marquis, tu seras tout
heureux d’aller à pied demander vn denier à la porte
d’vne Eglise, voyons si le bon Dieu t’en donnera en
recompense de celuy que tu luy voulois prendre, il n’y
aura plus de grand miroir ny d’alcomme.

Le Mary, Ma femme arreste toy là, te souuiens tu pas
que tu fus la premiere à me dire que nos voisines en
auoient, & qu’il ne falloit pas faire moins, & se fut à
regret que j’y consentis, & ie pensay en moy mesme,

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est il possible qu’vne femme qui a serui à la charge
d’vne maison veüille monter si haut que les Presidentes,
mais comme tu és vne folle, ie n’ay songé qu’à te
contenter à quelque prix que ce fust.

 

La Femme, Et quand tu t’est aller yuroigner à quatre
pistolles par teste auec ces belles mijorées, estoit ce
pour me contenter ; vertu-chou, il ne falloit pas parler
de la femme, c’eust esté troubler la feste.

Le Mary, Mais pour cela malheureuse endiablée, t’en
ay-ie fait plus mauuaise chere, as tu manqué de point
de genes, d’estoffes de toutes façons, & de toutes couleurs.

La Femme, Oüy, mais j’aurois fait aussi comme les putains,
le pain blanc sera mangé le premier.

Le Mary, Et bien à cela il se faut consoler, qui a vn
jour de bon, ne les a pas tous mauuais.

La Femme, Il faut s’en aller en vn autre pays, & la
nous ferons ce que nous pourrons.

Le Mary, Ie pense que c’est t’on vray ballot de marcher,
tu as encore tes jambes de Laquais.

La Femme, Et s’il faut reuenir à ta premiere condition,
que diras tu.

Le Mary, Ie suis trop vieux pour cela, mais j’ay assés
fait d’ordonnance de cuisine, pour gaigner ma vie au
mestier de Cuisinier.

La Femme, Et que toute ta cuisine & toy fussiés dans
vne riuiere, & vne pierre à ton chien de col : & ta
femme & tes enfans que deuiendront-ils.

Le Mary, Mon exemple les doit obliger à mesme chose,
ta fille seruira à la Chambre, & toy tu reprendras la
charge à quelque grand maison, & tiendras comme
vn songe le temps de nos opulances passées.

La Femme, Et bien, mes pauures enfans, aués vous pas
là vn digne Pere, qui vous a mis au monde, & ne vous

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laisse que des poux ; que pleut à Dieu m’eusse-je brisé
tous les os quand ie fis dessein d’épouser ce gros mal-basti,
qui ne ma donné que de, l’ennuy, & plus de poires
dangoisses que de pommes d’amour : lors qu’il estoit
en chance il eust mieux aimé ma tombe que mon ombre,
& à cet heure il me donne autant de coups mortels
qu’il dit de paroles.

 

Le Mary, Que veus-tu que ie dise, il n’y a personne
plus empesché que celuy qui tient la queuë de la poile.

La Femme, Tu aimes la fricassée, c’est ce qui te fait souuenir
de la poile, j’ay bien toûjours recogneu que ton
ventre estoit plus ton maistre que ta teste.

Le Mary, Il faut bien le seruir à peine d’estre exterminé.

La Femme, C’est ce qui ta perdu que les ragouts &
les dépences folles, l’enuie t’a sucité des ennemis ; &
pour dire vray, ie pense que tu és vn chien de voirie
qui ne croy en Dieu ny en sa Mere, tu serois bien heureux
de mourir à vn cul de prison, peut-estre se seroit
le seul moyen de te sauuer.

Le Mary, Ma femme tu te trompe, ie suis plus Chretien
que ie n’ay paru ; car toutes ses goinfreries que j’ay
faites, & les impietés que j’ay commises, c’estoit plus
pour faire l’esprit fort, que par inclination que j’eusse à
l’Atheisme, ie croy vn Dieu.

La Femme, Mais tu las tres mal seruy, aussi tu vois ce
qu’il t’en reste.

Le Mary, Que veus-tu.

La Femme, Ie veux que tu sois la proye d’Enfer.

Le Mary, Et qui gaignerois-tu.

La Femme, Ie serois deliurée de ta chienne de peau,
mais va que ie ne te voye iamais non plus que mes tripes.

Le Mary, Sans mentir tu es vne méchante vilaine,
vne honneste femme seroit plus douce, mais tu n’as jamais

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rien valu.

 

La Femme, Ie n’ay pas valu grand chose, puis que ie
n’ay eu qu’vn pendu ; Va retourne encore chercher
quelque voleur comme toy, va faire toiser les maisons,
on te toisera les épaulles, demande encore le quart du
loüage, & tant d’autres maltotes que tu as faites.

Le Mary, Ie m’en iré puis qu’il le faut à la garde de
Dieu, ie seruiré.

La Femme, Mais si ces Dames font les petites reines de
quarte auec moy, ie leur donneré sur leur groin, &
leur paumeré la geule comme il faut, qui se rait Brebis
est d’ordinaire mangé du Loup.

Le Mary, Ma pauure femme tu auras bien du mal, si
tu n’adoucis ton naturel.

La Femme, Et baille moy du sucre de ta cuisine.

Le Mary, De grace laisse moy, & fais ce que tu voudras,
ie ne te demanderé pas cette permission, nous ferons
à nostre fantaisie, & tu te feras pendre à la tienne.

La Femme, Voila les belles amitiés de ces personnes
interessées, qui abandonnent tout dans la decadence,
c’est ce qui nous aprend à bien viure, puis que dans le
vice toute societé se change en horreur, le luxe pert la
plus grande partie du monde, c’est pourquoy dans les
lieux qui ont esté jadis bien policés les grandes dépences
en ont esté bannies & en France mesme on ignoroit
l’vsage de plusieurs superfluités auant que ces sangsuës
du sang du peuple s’y fussent introduits ; heureuse l’heure
qui les a bãnies auec tous leurs festins & leurs ameublemens
exquis & pretieux : les Princes auoient moins
de bombances que ces affamés, mais Dieu permet que
nos calandriers marquent en lettre rouge leur extermination,
& que seulement la memoire de ces loups rauissans
restera pour estre la terreur de nos neueux, comme
elle est la ruine des meilleures maisons du Royaume.

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