Anonyme [1652], LA PIECE ROYALLE; OV LA DEFFENCE DE leurs Maiestez. Sur l’éloignement de Monsieur le Prince. , françaisRéférence RIM : M0_2761. Cote locale : B_6_24.
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LA PIECE
ROYALLE ;
OV
LA DEFFENCE DE
leurs Maiestez.

Sur l’éloignement de Monsieur le Prince.

A PONTOISE,
Par IVLIEN COVRANT, Imprimeur ordinaire
du Roy. M. DC. LII.

Auec Priuilege de sa Maiesté.

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LA PIECE ROYALE ;
ou la deffense de leurs
Maiestez.

Sur l’éloignement de Monsieur le Prince.

IL n’y a que le peuple le plus grossier, ou le
seditieux, qui se soit laisse surprendre & emporter
l’esprit à la revolte, pour suiure aueuglement
le party du Prince de Condé.

Ce Prince ambitieux, dont les desseins n’ont
autre but que son agrandissement, & de se rendre
Souuerain, s’est preualu de la bassesse & de
la lascheté de ce peuple, qui a trahy sa conscience
& son deuoir.

Personne ne peut ignorer que le Prince de
Condé pour auoir pretexte de se soustraire de
l’obeyssance & du respect qu’il doit à son Roy,
ayant demandé à leurs Maiestez, pour luy &
pour ses Partisans,des Dignitez, des Charges,
des sommes immenses, des Gouuernemens,
& plusieurs dons extraordinaires, lesquels il

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s’imaginoit que l’on luy deust refuser ; & les
ayant tous obtenus auec regret, contre ses intentions ;
enfin il a pris le pretexte de la seureté
de sa personne pour s’esloigner de la Cour, lors
de la Maiorité du Roy, afin de troubler le calme
de l’Estat, & d’aller à la teste des trouppes
qu’il assembloit long-temps aupatauant, pour
executer le Traitté qu’il auoit fait auec l’Espagne,
contre la fidelité & le seruice qu’il doit
à son Souuerain.

 

Sa Maieste le suiuit promptement, pour le
contraindre de mettre bas les armes, & l’empescher
de paruenir à ses intentions dés leur naissance ;
Mais son party qui estoit brigué de longue
main se rendit fort ; Le Roy fut obligé de
mander au Cardinal Mazarin de luy amener
des Trouppes pour ioindre aux siennes, & chastier
l’audace de ses subiets reuoltez.

Le retour en France du Cardinal Mazarin
auec des gens de guerre, par le commandement
de sa Maiesté, releua les esperances des
cœurs abbatus du Prince, & de ses Emissaires,
qui n’ayant iusques alors aucuns pretextes
plausibles, eurent celuy-cy tout à propos, qui
rechauffa les esprits des rebelles, dont le nombre
s’est accreu.

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Lequel des deux est le plus criminel en ce
rencontre, de celuy qui a introduit & amené
en France des trouppes Estrangeres ; l’vn pour
fortifier celles de sa Maiesté, contre les subiets
rebelles, ou l’autre pour combattre son Roy,
se rendre, s’il pouuoit, le Souuerain de ses Prouinces,
piller & ruiner impunement les Subiets
de sa Maiesté, sous le pretexte du bien public,
& de restablir l’Estat dans son premier lustre ?
C’est vous, Monsieur le Prince, qui en auez
vsé de cette sorte, personne n’en peut douter,
puis que c’est vn mal trop conneu.

Mais ne sçait-on pas encores, que comme
nostre seul ennemy, lors du blocus de Paris, soit
maintenant nostre protecteur pretendu, vous
auez fait traitter les peuples d’vne mesme façon ;
car dés-lors & à present, vous auez fait
piller & prophaner les Eglises, tuer & massacrer
les habitans des villes & des villages, desoler,
fourrager, & faire le degast par les campagnes,
destruire les maisons, & faire enfin tous
les actes d’hostilité imaginables.

Vos desseins & vos pretentions eschoüées
en Guienne vous ont fait accourir vers Paris ;
Vous y estes entré tout criminel, pour y faire de
nouueaux crimes, & vous rendre maistre des
volontez & des bourses des citoyens, en leur

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imprimant la crainte dans le cœur, par des violences
tyranniques.

 

Mais vous auez si bien desguisé toutes vos
intentions à son Altesse Royale, par les souplesses
de vostre esprit, que vous auez surpris &
trompé le sien, tout clair-voyant qu’il est ; car
elle a creu que comme elle estoit fort bien intentionnée,
& n’auoit autre fin que le bien public,
vous agissiez de mesme. C’est sa bonté
qui luy suggeroit cette pensée, se persuadant
qu’vn chacun doit auoir des sentimens aussi
bons, aussi genereux, & autant raisonnables,
que ceux qui partent de son ame Royale. Mais
nous auons connu le contraire, & que les autres
ne luy ressembloit pas.

Et puis que nous connoissons auec verité
que vostre reuolte est l’origine de la guerre
dont nous esprouuons maintenant les desordres
& les maux, pouuons nous croire autre
chose, sinon que vos interests particuliers, vous
font pretexter sur les interests du bien public
vos entreprises rebelles.

Neantmoins vous faites vos efforts de nous
persuader par vostre Manifeste, que vous auez agy
parmy nous auec assez de sincerité, pour ne pas estre en
estat de redouter les atteintes que la calomnie pourroit
faire à vostre gloire, & que vostre conduite n’a iamais

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failly que dans l’excés de vostre moderation.

 

He ! de grace, quelle sincerité & quelle moderation
y a-t’il d’auoir esleué vne guerre ciuile
en France, contre son Roy & contre ses peuples,
y auoir fait entrer les Estrangers de toutes
parts, & les auoir attirez à l’entour de la principale
ville du Royaume pour s’en dire le protecteur,
& en mesme temps donner ordre, pour
piller, brusler, & faire toutes les destructions &
les maux, que l’on pourroit exercer en la terre
la plus ennemie. Mais de plus esmouuoir le
peuple François contre son Prince legitime, sur
des pretextes imaginaires, par des placards &
des libelles noircis de calomnies, & colorez de
desguisemens ; mettre les armes à la main aux
seditieux ; contraindre par violence ceux qui
hayssent la rebellion de s’vnir à son party ; y employer
le fer, le feu, & la mort ; violer sous les
droits les plus sacrez, comme vous auez fait à
l’Hostel de ville, & apres auoir ruiné les habitans
de Paris, les vouloir rendre taillables, en
leur demandant vne taxe imposée sur les portes
des maisons, pour subuenir aux despenses d’vne
guerre odieuse, c’est commettre tous les crimes
les plus detestables.

Quand le Cardinal Mazarin seroit tousiours
demeuré en France dans l’administration des

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affaires d’Estat, il est tout euident que les peuples
en auroient mille fois moins receu de ces
aduantages, que par cette guerre ciuile que
vous auez entreprise pour vous rendre Souuerain ;
& que vous auez continuée sous pretexte
du retour de ce Ministre, & d’estre le restaurateur
de vostre patrie, que vous auez rauagée
sans relache.

 

Ne parlez point de vos actions, elles nous
sont funestes, & le ressouuenir que vous nous
en donnez renouuelle nostre douleur. Si vous
auez prodigué vostre vie aux faux-bourg Saint
Antoine, nostre malheur vous l’a conseruée,
puis que combattant pour vous-mesme contre
nostre Prince, ce combat estoit iniuste & abominable.
Ceux qui monterent sur les remparts
de la ville pour vous voir en cette iournée, furent
autant de tesmoins de vostre crime. Enfin
l’orage ne menaçoit que vostre teste & celle
des rebelles, mais non pas les nostres, parce
que sa Maiesté sçait faire distinction des innocens
d’auec les coupables.

Nous connoissons vostre humeur, de dire peu, &
faire beaucoup. Dire peu, nous monstre vostre dissimulation,
& faire beaucoup nous a rendus
certains que vous nous auez fait beaucoup &
autant de mal que vous en sçauez faire. Cette

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victoire inouye dont vous vous vantez, n’est
qu’en peinture sur du papier, car certainement
si vous n’eussiez trouué vostre azile dans Paris,
vous eussiez receu dés lors le chastiment que
meritent vos crimes.

 

N’accusés point les sentimens de la Cour,
ceux de leurs Maiestés sont aussi iustes comme
les vostres sont odieux, ils souhaittent & recherchent
veritablement la paix, au contraire
vous la fuyés, & vous les contraignés à la guerre,
parce que vous esperés en remporter vn fruit
souuerain ; mais vous tesmoignés en apparence
& par ces escrits seulement que vous la desirés.
Vous aués fait des Declarations de mettre
les armes bas des lors que le Cardinal seroit
hors de France, & vous aués demandé vne
Amnistie generale. Le Cardinal est party, il est
hors du Royaume, le Roy a fait expedier cette
Amnistie en tres-bonne forme, & neantmoins,
Monsieur le Prince, vous aués tousiours
les armes à la main ; les trouppes Estraugeres
sont encores au cœur de la France qu’ils deschitent
de toutes parts ; vous estes party pour aller
vous mettre à leur teste à cause que vous n’aués
pû tirer de l’argent de Paris, & que vous
aués entendu les veritables François se plaindre
hautement de vostre desobeïssance enuers vostre

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Roy, & de la tyrannie que vous exerciez
à l’encontre d’eux. C’est ce qui vous a fait sortir
de cette Ville dans le dessein de vous vanger &
faire ressentir de plus en plus à ses citoyens les
effets de vostre ingratitude ; car vous les menacez
de leur empescher les viures, & de faire le
pillage des bleds de la France, cependant que
par ces belles paroles imprimées vous leur protestez
de l’affection & des vœux de seruice. A
la verité ils en ont receu par auance des témoignages
si pressans dans la perte de leurs biens,
que vous leur auez causée qu’ils ne doiuent pas
douter, que vous continuiez de mesme à l’auenir
nonobstant vos belles promesses.

 

C’est dommage que vous ne soyez encore en
Guienne, Monsieur le Prince, vos rodomontades
seroient bien receuës parmy les Cascons,
quant à vous, qui pendant cinq mois vous auons
veu faire la Cour plus souuent à Madame
de Chastillon, que combattre à la teste de vos
trouppes, si ce n’estoit en retraitte, viuement
attaqué que vous estiez par celles du Roy, nous-nous
persuaderions que vous effectuez tout ce
que vous dites, mais nous voyons que vous dites
beaucoup, & faites peu ; neantmoins vous
nous voudriez faire croire par vostre Manifeste
que vous dites peu & faites beaucoup. Il faut

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aduoüer qu’autrefois vous auez remporté l’aduantage
en quelque batailles, & auez fait rendre
plusieurs villes. A la verité vous n’estiez pas
seul, Messieurs de Gassion, de la Meilleraye, de
Turaine, de Ransau, de Grammont, & quantité
d’autres grands Capitaines vous seruoient de
bras droit pour vous en faire remporter les
loüanges ; car les actions d’autruy passent souuent
pour celles des Princes, veu que l’on presume
que celles des Princes doiuent tousiours
estre belles Si les vostres auoient suiuy les regles
qui leur sont prescrites, vous seriez dans le
respect, dans l’obeyssance, & dans le deuoir où
vostre naissance vous oblige, au lieu que vous
mettez en vsage toutes les qualitez contraires ;
mais vous les déguisés par de feints pretextes,
que l’inuention fait trouuer, parce que toutes
choses ont deux faces.

 

L’Estat n’est point aueugle, quoy que vous
offusquiés sa clarté ; Le Roy dans son ieune âge
a toutes les lumieres conuenables pour gouuerner
des Subiets, il se peut conseiller de qui
il luy plaist ; ce n’est pas à ceux qui doiuent
estre dans l’obeyssance à censurer ses actions,
contreuenir à ses volontés, & les armes à la
main imposer de loix a luy qui en doit donner
à ceux que la Toute-puissance a soûmis à la

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sienne. Les peuples ne peuuent faire que de
tres humbles Remonstrances à leur Prince, &
a res ils doiuent luy obeyr aueuglement ; toutesois
vous choqués son authorité, & la voudries
destruite pour vous en reuestir.

 

Laduis que vous nous donnés de nous precautiónner
pour estre tousiours à l’espreuue des artifices
de nos ennemis, est vn artifice de vostre esprit.
Il est inutile de nous monstre ce que nous de
uons faire pour receuoir sa Maiesté dans Paris
& en mesme temps de nous dire que si nos ennemis
estoient encore assez effrontez de se presenter deuant
nous, il ne faut pas marchander leur perte, & qu’il leur
faut montrer en nous vnissant pour nous en defaire, que
nous ne sommes pas insensibles, au cruel resouuenir de
tous nos maux passez : Nous connoissons bien vos
ruses, mais nous ne connoissons pas d’autres
plus grands ennemis que vous ; & l’vnion que
vous nous recommandez nous remet deuant
les yeux, la cause de la haine que nous deuons
auoir pour vous, puisque par vne violence effroyable,
vous nous contraignistes malheureusement
à signer cét vnion pour garentir nos
vies du peril que les exemple funeste de nos
concitoyens nous faisoit voir & nous faisoit apprehender.

Enfin, nous sçauons, Monsieur le Prince,

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quelle veneration nous deuons auoir pour son
Altesse Royale, sans que vous nous l’appreniés,
mais nous ne sommes pas d’aduis de nous
abandonner entierement entre ses mains comme
vous nous conseillez, puis que nous auons
vn Roy legitime, de l’authorité duquel nous
attendons nostre repos, estans resolus de ne
suiure point d’autres mouuemens que ceux de
la raison, du respect, & de l’obeyssance.

 

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A MONSIEVR
LE PRINCE.

SONNET.

 


Grand Prince pardonnez au transport de mon zele,
Qui m’a fait syndiquer vos belles actions :
Ce n’est pas là le but de mes intentions
De rendre la vertu fascheuse & criminelle.

 

 


I’ay deffendu mon Roy, car ie luy suis fidele,
Et luy fais vn present de mes affections :
Mais i’ay laissé trop loin courir mes passions,
Pour ne pas encourir le titre de rebelles.

 

 


He ! tout beau ; c’est trop dit, non, non, ie ne veux pas
Flestrir vostre renom, ny vous porter si bas
Qu’il paroisse en mes vers que ie vous sois contraire :

 

 


Consentez seulement à receuoir la paix,
Et vous me reuerrez, grand Prince, à l’ordinaire,
Estre dans le respect, & n’en sortir iamais.

 

FIN.

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