Anonyme [1652], LA MARCHE DE L’ARMÉE DE MONSEIGNEVR LEPRINCE Au deuant du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2408. Cote locale : C_12_33.
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REFLEXIONS.

LA premiere reflexion regarde la conduite
du Cardinal, qui par vn estrange
aueuglement trauaille à la iustification
de Monsieur le Prince, & qui semble

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auoit dessein de le secourir, quand il
vient pour le perdre. Tout le monde sçait
que Son Altesse, a pris les armes pour empescher
le retour de cét estranger, & qu’elle
a protesté solemnellement, qu’vne des
principales raisons qui l’ont obligé à cette
guerre, a esté pour deffendre auec sa liberté
celle de toute la France contre cét ennemy
commun. Cependant les ennemis de Mon
sieur le Prince ont publié hautement que
ce n’estoit qu’vn pretexte supposé pour
couurir des raisons plus odieuses : qu’au reste
le retour du Mazarin estoit vn danger
imaginaire, & auquel il auoit esté suffisamment
pourueu : Que les Declarations du
Roy & les Arrests des Parlemens auoient
mis des obstacles assez puissans au restablissement
de ce Ministre, sans qu’il fut besoin
de prendre les armes pour combatre vn ennemy
qui n’estoit plus. Et sur ce fondement
pretendu on declare Monsieur le
Prince criminel de leze Majesté, & on diffame
outrageusement la plus belle reputation
du monde. Mais voyla presque au mesme
temps que le Cardinal se presente comme
pour refuter cette Declaration, & pour
faire voir en reuenant dans la France, que
ce Prince auoit eu raison d’apprehender son
retour.

 

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Et il reuient aujourd’huy à la teste d’vn
armée, pour monstrer par l’insolence de
son retour, qu’il est resolu de rompre tous
les obstacles qui s’y opposent, & qu’il veut
rentrer en triomphe dans l’Estat dont il a
esté banny auec honte. Et il retourne apres
de longs preparatifs qu’il luy a fallu faire
pour leuer ses troupes, afin de faire voir à
tout le monde, que ce n’est pas vne saillie
soudaine, mais vn dessein premedité ; tellement
qu’à supputer les temps, il se trouue
que tandis qu’on publioit dans la France
que son retour n’estoit qu’vn pretexte, il
preparoit sur la frontiere les moyens de son
restablissement & les troupes necessaires à
son voyage. Enfin sa precipitation marque
la passion qui le transporte, puis que toutes
les raisons du monde le deuoient obliger de
differer son retour à vn autre temps, où il ne
fut pas si auantageux à Monsieur le Prince,
& où il peut reuenir luy-mesme en asseurance.
Ne faut-il pas que son aueuglement
aye esté prodigieux, s’il n’a pas veu le seruice
qu’il venoit rendre à son ennemy ? Ou
que sa passion soit bien impuissante, si ayant
preueu ses suittes, il s’opiniastre à ce dessein ?
Mais c’est la Iustice de Dieu qui se sert de la
fureur ou de l’aueuglement du Cardinal,

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pour iustifier ce Prince innocent par le
moyen de ce coupable.

 

La deuxiéme reflexion regarde la conduite
du Conseil qui conspire auec le Mazarin,
pour le faire reuenir dans la France,
au prejudice des Declarations qui ont esté
faites contre luy. Quand on ne scauroit
pas les ordres qui luy ont esté enuoyez, ou
les passeports qui ont esté expediez sous le
nom du Roy pour son voyage, comme on a
découuert depuis peu. N’est-il pas visible
que ce banny si odieux à tous les peuples,
n’auroit iamais formé le dessein de reuenir
sans le consentement de la Cour ? Quelle
apparence y a-il qu’il aye leué des troupes,
qu’il se vente de rentrer en France à la teste
d’vne Armée, que les Gouuerneurs des Places
frontieres soient d’intelligence auec
luy, pour faciliter son retour, ou qu’ils arment
pour se joindre à ce nouueaux General,
sans que tout cela se fasse sous l’adueu &
par l’ordre du Conseil.

Cependant Monsieur le Prince s’estoit
esloigné de la Cour, pour les justes defiances
qu’il auoit des mauuaises volontez de ce
mesme Conseil conjuré à sa ruïne. Il s’est
tousiours plaint que les principaux Ministres
qui le composent estoient interessez

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dans le retour du Mazarin, qu’ils entretenoient
des intelligences secretes auec luy,
& que l’esprit de cét estranger, bien qu’il
fut esloigné de la France regnoit au milieu
de la Cour. Sur cela on crie contre ce Prince,
on dit que ce sont des soupçons mal
fondez, & on fait passer pour vn crime le
soing qu’il prend de s’en deffendre. Et comme
il est mal aysé de iustifier publiquement
des soupçons, quoy que legitimes, parce
qu’ils sont souuent fondez sur des causes secretes ;
& que d’ailleurs on opposoit l’authorité
du Roy aux deffiances du Prince,
les penples qui estoient encore indifferens,
estoient en peine de se resoudre ; iusques à
ce qu’on a veu approcher le Cardinal, qui
vient decouurir luy mesme les suppositions
du Conseil, & justifier par son retour les
defiances de Monsieur le Prince.

 

Car en premier lieu, il paroist maintenant
que ses soupçons ont esté bien fondez,
& ses plaintes legitimes, & qu’il a eu juste
raison de se deffendre & de se plaindre.
Toute la France est aujourd’huy persuadée
des passions du Conseil, & des intelligences
secrettes qu’il auoit auec le Cardinal,
voyant qu’elles vont se produire auec tant
d’esclat. D’ailleurs on voit dans cette occasion

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que les Ministres abusent de l’authorité
du Roy, comme Monsieur le Prince
auoit allegué dans ses plaintes, parce qu’ils
se seruent du nom de Sa Majesté pour rappeller
cét Estranger, contre le bien de l’Estat.
N’est-ce pas affoiblir par ces visibles
abus le respect & l’obeyssance que les peuples
doiuent à ce nom sacré & a cette authorité
Souueraine ? Et puis que ce mesme
Conseil se sert également de ce nom & de
cette authorité Royalle, & pour condamner
Monsieur le Prince, & pour rappeller
le Mazarin, comme il n’est pas receuable
quand il absout le coupable, il ne doit pas
non plus l’estre quand il condamne l’innocent.
C’est ainsi que les Conseils où les passions
president, se destruisent eux-mesmes.
C’est ainsi que le Cardinal vient deffaire
aujourd’huy par son retour, ce qui auoit
esté fait pour son retour mesme. Et ce
qui paroist encor de plus estrange dans la
conduitte du Conseil, c’est que quelques-vns
des Ministres qui sont encor à Paris,
comme entr’autres Monsieur le Coadjuteur,
apres auoir traicté publiquement auec
le Cardinal, ont eu la hardiesse de faire courir
le bruit que Monsieur le Prince estoit
d’intelligence auec cét Estranger pour le

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faire reuenir. Il est vray que ce retour est si
aduantageux à Monsieur le Prince, qu’il
semble que son ennemy soit d’intelligence
auec luy pour fauoriser sa cause : Mais l’euenement
faira voir la fausseté de cette inuention.

 

Enfin la troisiéme reflexion qu’on fait sur
les affaires presentes, regarde la conduite
du Parlement de Paris, qui apres auoir enregistré
la Declaration contre Monsieur le
Prince, s’assemble contre le Cardinal, &
prononce des Arrests pour empescher son
retour : Enquoy certainement il semble
comme des-aduoüer ce qui a esté fait contre
l’Innocence de l’vn, par ce qu’il fait aujourd’huy
contre les crimes de l’autre. Car
outre que ces assemblées & ces Arrests rendent
publique à toute la France la verité de
ce retour, & qu’on ne peut plus douter du
danger, quand on voit que cét Auguste
Senat se haste d’y apporter de si puissans remedes.
Encor peut-on dire que ce sont
comme des tacites iustifications de Monsieur
le Prince, dont les desseins sont declarez
innocens, puis que les causes en paroissent
si legitimes. Ou pour le moins faut-il
aduoüer qu’on s’est vn peu trop hasté à
verifier cette Declaration, contre vn Prince

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dont la naissance & les seruices rendus à
l’Estat, meritoient bien qu’on suspendit encor
ce coup ; & dont enfin l’euenement
montre clairement l’innocence.

 

Mais sur tout le zele que ce Parlement témoigne
pour empescher le retour du Mazarin
iustifie celuy de Monsieur le Prince.
Ces deux Puissances conspirent ensemble
contre cét Ennemy commun, elles ont vn
mesme dessein, & ce que l’vn fait par ses armes,
l’autre le poursuit par ses Arrests. Comment
est-ce que les Arrests de l’vn peuuent
condamner les Armes de l’autre ? Certes si
le Parlement de Paris veut efficacement
empescher le retour du Mazarin, il ne peut
pas condamner Monsieur le Prince qui s’oppose
à ce dessein : Ou si ce Parlement condamne
Monsieur le Prince, il aura de la peine
à persuader la France qu’il veüille sincerement
s’opposer au Mazarin. Il vaut mieux
croire que ce premier sentiment qui a verifié
la Declaration contre ce Prince a esté
vne surprise, que les passions interessées de
quelques vns ont fait à la sincerité des autres :
au lieu que ces derniers Arrests sont
des effets d’vne Iustice pure & libre, & du
zele que cét Auguste Parlement a tousiours
montré pour le bien de l’Estat.

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Mais apres toutes ces Reflexions sur ces
differentes conduites, il faut faire vne derniere
consideration sur la conduite de Dieu
Et conclure que cette Prouidence qui sçait
tirer la lumiere des tenebres & produire les
contraires par leurs contraires mesmes, fait
seruir les ennemis de Monsieur le Prince à
sa gloire & à son bien : Tellement que les
mesmes causes qui ont contribüé à faire, ou
à verifier la Declaration contre son honneur,
cooperent aujourd’huy à iustifier son
Innocence.

FIN.

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