Anonyme [1649], LA LIBERTE DE FRANCE, ET L’ANEANTISSEMENT DES MINISTRES ESTRANGERS. , françaisRéférence RIM : M0_2299. Cote locale : A_5_20b.
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LA LIBERTE
DE
FRANCE,
ET
L’ANEANTISSEMENT
DES MINISTRES ESTRANGERS.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LA LIBERTÉ DE LA FRANCE
& l’aneantissement des Ministres estrangers.

C’EST maintenant, infortunée France, que le Ciel
prend pitié de tes maux ; Qu’il te veut deliurer de
l’oppression, sous laquelle tu gemis depuis vn si long-temps,
si tu sçais profiter des moyens qu’il te donne :
Garde toy bien de laisser eschapper vne si belle occasion,
& de perdre le Nom, duquel les priuileges ont esté anneantis.

L’apprehension que i’ay, que ta foiblesse ne t’empesche de
prendre cœur, m’oblige pour te donner courage, de te representer
le mal-heureux estat auquel sont tes enfans. Ie m’asseure
que leurs cris pitoyables te feront reuenir de cette lethargie, où
ie te voy plongée. Sus, sus, reprends vn peu haleine ; pour oüyr
les iustes remonstrances de tant de bons François, qu’vne teste
estrangere a reduit à l’extreme ? Son nom ne t’est que trop conneu,
sans que ie le repete ; & si pourtant tu veux que ie le nomme,
ie te diray qu’on l’appelle Tyran, & peut-estre venu de ceux de la
Sicile ; dont voicy les maximes : Emprisonner les Grands qui
ayment le public, de peur qu’ils ne s’esleuent contre sa tyrannie :
Bannir les gens de bien, pour empescher qu’ils ne fassent
connoistre au peuple tous ses vices : Mespriser les vertueux, afin
que la vertu ne puisse estre conneuë : Ruiner le Parlement, craignant
qu’il ne preuienne tous ses mauuais desseins : Auoir des
espions dans toutes les Prouinces, pour luy donner aduis de tout
ce qui se passe : Semer la ialousie entre les Princes, afin qu’ils se défient
les vns des autres, & qu’il n’y en ait aucun qui entreprẽne sa
ruine : Piller les bons François, pour leur oster les forces, sous pretexte
de les employer contre leurs ennemis : Rendre la guerre immortelle,
pour se rendre à iamais necessaire : Espouser le party de
quelque mescontent, pour establir vn traistre : Soustenir cette
damnable peste de Partisans, qui se gorgent de la substance des

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Peuples, & lequel puis apres les fait seruir de proyẽ é son insatiable
auarice.

 

Voila, ma chere Patrie, le vray Pourtrait de la Tyrannie, ie
veux dire de celuy qui t’opprime : mais voicy les cris de tes Peuples,
qui demandent vengeance. Car que penses-tu qu’ils se
puissent imaginer, se voyans ainsi desolez par des gens infames ?
Se voyans, dis-je, eschorcher aux yeux de ceux qui les deuroient
defendre ? Auec quel cœur peuuent-ils entendre parler de leurs
acquisitions, qui se font de leurs ruines ? Comment peuuent-ils
souffrir leurs voleries publiques, sous l’authorité d’vn Roy qui
les ignore ? Et comment se peut-il faire qu’vne racaille de gens
que l’on connoist assez, font bastir auiourd’huy des Palais plus
superbes que ceux des Grands Seigneurs, applanir des montagnes,
& combler des vallées, comme s’ils estoient les Maistres
de la terre. De quel œil croys-tu, pauure France, que ta Noblesse,
voye l’orgueil de leur maisons, la pompe de leur habits,
l’insolence de leur train, la vanité de leur depense, & leur reuenus
qui égalent ceux de nos premiers Roys ? Cependant elle
ieusne, ses chasteaux ruinez, sans auoir dequoy les releuer, ses
terres engagées pour auoir dequoy viure : C’est pourquoy elle
dit à present auec iuste raison ; où estoient donc ces gens-là, en
ces memorables iournées, esquelles i’ay versé tant de sang pour
ta conseruation ? Faut-il que ie sois oubliée apres tant de seruices,
& que ces Financiers iouïssent du repos que i’auois merité ?
O ennemis, que ie me repens bien de vous auoir défaits ? Que
puissiez-vous deuenir plus puissans que iamais vous ne fustes,
vous donnant à combattre des gens si redoutables.

Pourrois-tu bien, trop debonnaire France, demeurer insensible
apres tant de miferes, ayant les moyens de les pouuoir finir ?
Il ne faut pas que tu en cherche d’autres, que l’establissement
d’vne Chambre de Iustice, pour presser ces esponges remplies
de ton sang ? Tu as encore assez des Fabrices & des Catons
dedans tes Parlemens qui la composeront ? Ils ont assez
de pouuoir pour empescher qu’on ne nous traitte plus ny en
chiens, ny en asnes, pour nous apprendre à parler à force de
nous battre, comme l’asnesse de Baalam : Ce qui ne nous est
point aduenu, pour nous estre vantez de porter l’image de quelque

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que diuinité, comme à l’asne de Lucian, mais pour nous estre
laissez tromper à des renards, tels que celuy d’Esope. Tu n’as
pas fait comme cette chevre d’Alciat, laquelle ne se contentoit
pas d’allaicter vn seul louueteau, tu en as nourry plusieurs,
qui deuorent tes peuples ? Veux-tu rompre tes fers, & mettre
en liberté tant de mal-heureux esclaues ? Il ne faut qu’esloigner
des Ministres odieux, & sur tout l’estranger, comme ont fait
autresfois plusieurs de tes Monarques, entr’autres, Childeric
premier de ce nom, lequel au commencement de son regne se
laissoit gouuerner par des gens de neant, que les François chasserent ;
ce qui l’estonna tellement qu’il sortit du Royaume : mais
quelque temps apres ayant esté rappellé, il prit des Conseillers,
par les conseils desquels il regna heureusement. Tels ont esté les
Roys Charles le Sage estant encore Dauphin, Charles VI. son
fils, Louis II. & Charles VII. lesquels furent contraints de se
défaire de leurs mauuais Ministres.

 

Les anciens Romains se gardoient bien de donner les Offices
& le Gouuernement de leur Republique aux estrangers, ny
mesmes à leurs alliez. Apres la iournée de Cannes, en laquelle
furent tuez quatre vingts Senateurs : Le reste du Senat s’estant
assemblé, il fust proposé par Marcus Æmilius Preteur, qu’il
falloit pouruoir aux charges de ceux qui estoient morts ; & comme
President du Senat s’estant leué pour prendre les auis, Spurius
Caruilius dit hautement, qu’on en deuoit eslire quelquesvns
des Latins, qui estoient leurs alliez ; tant que pource que
dans Rome il y auoit faute d’hommes, que par cette vnion, la
Republique seroit plus asseurée : Mais Manlius qui opina apres
luy fust bien d’vn autre auis, iurant qu’il tuëroit de sa main le
premier des Latins, qui voudroit entrer au Senat en cette qualité.
Apres luy le sage Quintus Fabius Maximus dit, qu’il n’auoit
iamais veu opiner si mal à propos, qu’auoit fait Caruilius, principalement
en vn temps, auquel nous sommes reduits en vne
tres-grande extremité, & que nous auons besoin plus que iamais
d’auoir des Senateurs fideles ; & que l’on sçait assez qu’on ne
peut se faire aux estrangers, qui mesurent la Foy par le gain & la
perte : & qu’il falloit mettre sous les pieds l’opinion de Caruilius,
afin que les Sabins ne prissent de là occasion de [1 mot ill.], s’ils en

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auoient le vent : Bref, toute la compagnie fust de ce sentiment,
& furent esleus cent septante-sept Senateurs des Romains, lesquels
auparauant auoient fait cognoistre leur vertu, sans par trop
s’arrester à la noblesse du sang.

 

Il n’y a pas de quoy s’estonner, si les Romains en ont ainsi vsé ;
car mesmes auiourd’huy, il n’y a si petite Republique où cela ne
soit obserué. Regarde Venise, Gennes, & quelques autres villes
de l’Italie, qui sont en Republique ? Voys Strasbourg, Nuremberg,
Ausbourg, Franc-fort, Madebourg, & toutes les villes
Imperiales de l’Alemagne, qui se gouuernent en Republiques,
& les treize Cantons des Suisses ; tu trouuerras que partout l’on
garde cette Maxime, de n’admettre les estrangers aux Offices &
aux Charges publiques ? Ie veux encor adjouster icy vn exemple
tiré de nostre Histoire, du temps de la Regence de la Reyne
Brune-haut, laquelle estoit estrangere : Elle donna la charge de
Maire du Palais à vn Lombard, appellé Proclaide, qu’elle aymoit
grandement. Cét estranger se voyant esleué si haut, il deuint si
superbe, qu’il méprisoit les Princes, & leur faisoit souffrir beaucoup
d’indignitez ; estant aussi deuenu fort auare, comme c’est le
naturel des Lombards, il mangeoit tous tes peuples : En vn mot,
il fist tant par sa mauuaise conduite, qu’il fust hay de tous ; & la
paix qu’il voulust empescher entre Theodoric Roy d’Orleans, &
Theodoret Roy de Mets, acheua de le perdre : Car les Barons
des deux Couronnes s’estans assemblez pour cét effet, ils le firent
mourir comme l’ennemy des deux Roys, le perturbateur
du repos publique, & autheur de toutes les miseres.

Le Sieur de Commines dit, qu’il n’y a rien qui soit plus odieux
au peuple, que quand il void les grandes Charges, les Benefices,
& les Dignitez, possedées par les estrangers. Et quant aux Charges,
on n’à gueres veu qu’on les leur ait données, sinon depuis
quelque temps, qu’ils ont trouué les moyens d’auoir les plus
grandes, & de plus grand profit ; car anciennement on ne leur
donnoit que celles de Capitaines, afin que sous ces noms-là ils
amenassent plus aisément des hommes de leur pays au seruice
du Roy : Mais pour les Benefices, il y a long-temps que les Italiens
ont tenu les meilleurs de ton Royaume, qu’ils se faisoient
conferer par le Pape, auquel tes Roys n’osoient pas contredire.

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Si est-ce toutesfois, que cela donna occasion au Roy Charles
VI. de faire vn Edict en l’an 1365. par lequel il defendoit qu’aucuns
Benefices de ses Estats, fussent donnez aux estrangers ; ce
qu’auparauant & du depuis par plusieurs Edicts des Roys, a esté
souuent ordonné, lesquels Edicts meriteroient bien d’estre remis
en vsage.

 

C’est maintenant à nous que ie parle, François, s’il nous reste
quelque desir de recouurer nostre ancienne liberté, & telle que
nos Roys nous ont de tout temps accordée, monstrons nostre
valeur ? Si nous auons encor quelque soin de la terre qui nous
nourrit, faisons-le paroistre en cette conjoncture ? Et s’il nous
demeure quelque idée de ce que nous auons esté, réueillons nos
courages pour défaire nos ennemis communs, lesquels sont
en campagne, tiennent nostre Roy prisonnier, & nous menassent
d’vne totale ruine ? Considerons vn peu le tort que
nous nous faisons, de souffrir que nous soyons estrangers
en nostre Patrie, & par ce moyen reculez de tous les emplois ;
Car cét Italien qui gouuerne nostre France, tient
pour vraye la Maxime de Machiauel, qu’on ne se doit pas
fier aux estrangers, estant tres-veritable : Et c’est pourquoy
il ne veut auancer que gens de sa Nation, ou quelques mauuais
François, qui sont façonnez à sa mode, & qui luy seruent
comme d’esclaues, & d’infames Ministres de ses perfidies,
de ses cruautez, de ses rapines, & de ses autres vices ; mais
pour les bons François il les laisse en arriere, parce qu’ils luy
sont estrangers, & par consequent suspects, suiuant sa methode
ordinaire. Où est donc maintenant la generosité des anciens
François, qui se faisoient tant craindre parmy les estrangers ?
Où est la vertu de nos ancestres, qui a fait trembler le Leuant,
porté la terreur iusques dedans l’Asie, & chassé les Goths, &
les Sarrazins de la France, de l’Espagne, & de l’Italie ? Il semble
qu’auiourd’huy nous ne tenious rien de la valeur de nos Peres,
en souffrant qu’vn estranger nous commande, & nous rauale
si bas, que de nous traitter en esclaues, & nous mettre sur
le dos des fardeaux iusupportables. Vrayement c’est bien loin
de nous faire obeïr és païs estrangers, lors qu’vn seul Italien,
nous contraint de luy obeïr en nostre propre terre ? C’est bien

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mal imiter nos Ancestres, que de nous rendre à ceux qu’ils ont
si long-temps dominez ? Les François estoient estimez francs
& libres, & maintenant nostre stupidité, nostre nonchalance,
& nostre lascheté, nous font esclaues d’vne nation la plus lasche
du Monde. Nos deuanciers ont tant de fois vaincu les Italiens
en batailles rangées, & nous nous laissons vaincre par vn seul,
qui n’est armé que du fuzeau, de la quenoüille, & de l’escritoire.
Excitons donc en nous la generosité de nos vaillans Saxons
& faisons voir que nous sommes issus du sang de ces braues
François, qui conquirent tant de nations, & qui tant de fois passerent
sur le ventre de cette race Italienne, qui nous veut asseruir ?
Ne laissons pas pour quelques François qui ont dégeneré
de defendre nostre reputation de fideles, de francs, & de vaillans,
laquelle ces Italiens bastards ont soüillée par leurs massacres,
par leurs trahisons & par leurs volleries ? Allons pour exterminer
vn Tyran, dont la pourpre est teinte de nostre propre
sang ? Courons pour donner le trespas à celuy qui veut perdre
l’Estat, mais volons s’il se peut, de crainte qu’il n’eschape.

 

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