Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LA TVTELLE DES ROYS MINEVRS EN FRANCE. Auec les Reflexions Politiques sur le Gouuernement de l’Estat, de chaque Roy Mineur. PREMIEREMENT. Que tous les Roys qui ont esté dans la Minorité, ont eu des Tuteurs iusqu’à l’aage de 25. ans, soit par choix ou par vsurpation, mais tousiours par necessité. II. Que Charles V. n’a reglé la Maiorité à 14. ans, que pour changer de Regents, & non pas pour abolir la Regence. III. Que la Reyne contreuient formellement à la Constitution de ce sage Roy, & à la Loy Salique, faisant vn tort irreparable à l’Authorité Royale. IV. Quelle ne tient le pouuoir qu’elle a que par vsurpation, & le veut maintenir par la force des armes du Roy, desquelles fait mauuais vsage, & est tenuë d’en rendre compte à l’Estat. V. Qu’enfin il s’ensuit que sa Puissance est tyrannique, puis qu’elle subsiste contre toute sorte de Loix, & que toute la France est obligée de s’y opposer, pour l’interest de la Couronne. , françaisRéférence RIM : M0_3901. Cote locale : B_3_2.
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LES ROYS MINEVRS
EN FRANCE.

I.

THIBAVLT, GONTAIRE,
ET CLODOALDE.

Thibaut, Gontaire & Clodoalde
estoient, fils de Clodamire Roy
d’Orleans, & petits fils du Grand
Clouis, & de la Reyne Clotilde. Ils furent
éleuez sous la Tutelle de leur Grand-Mere,
apres la mort de leur Pere Cladomire, tué
en guerre par Gondemar Roy de Bourgongne.
Mais la cruelle ambition de Childebert
& de Clotaire Roy de Paris & de Soissons,
les priua bien-tost ensemblement du Royaume
& de la vie Ces oncles denaturez ayant
attirez en leur Palais ces trois ieune Princes,
sous couleur de se diuertir auec eux à la chasse,
ils les retinrent, & en leur place ils enuoyerent
à la Regente vn Ciseau & vn poignard.
Elle qui connût aussi-tost leur dessein

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pernicieux de ses enfans contre la vie
de ses petits fils, preferant à leur égard vne
mort honneste à vne vie méprisable, répondit
toute en colere, Aussi tost morts que Moynes.
A cette réponse, Clotaire possedé d’vn
esprit de fureur, prend Thibaut l’aisné de
ces ieunes Princes, & l’ayant porté par terre,
le perça aussi tost de son espée. Le Petit
Gontaire qui estoit le second arrousé du
sang de son frere, se iette aux genoux de son
Oncle Childebert, luy demandant la vie, &
il l’eust obtenuë sans doute, n’eust esté que
Clotaire furieux & escumant de rage, le menaça
de les percer tous deux d’vn mesme
coup. Ainsi il luy liura cruellement cette innocente
victime, qu’il sacrifia luy mesme à
sa fureur. Il fut aussi tost egorgé par cét Oncle
denaturé sur le corps encore souspirant
de son frere Le troisiéme échappa de leurs
mains, & quittant la Cour auec le monde,
embrassa l’estat Ecclesiastique, où il reussit
si parfaitement, que d’vn Roy il fit vn Saint,
& c’est le sainct Cloud que nous honnorons
aupres de Paris. Exemple fameux à la posterité
de l’ambition des Oncles, & du malheur des Neueux.

 

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Reflexions sur la vie de Thibaut, Gontaire
& Clodoalde.

LA foiblesse d’vne femme donna lieu à
cette vsurpation, les ayant irritez par
sa seuerité obstinée, si elle eust pû souffrir
vn Conseil bien estably pour la direction
des Estats de ces Pupilles, ou qu’elle eust esté
assez Politique pour leur en choisir vn elle
mesme, elle eust preuenu toute cette violence,
d’autant que par ce moyen ces Oncles
n’eussent osé entreprendre sur les biens & la
vie de leurs Neueux, ayant des gens en teste
capables de leurs resister, & auroient esté
obligez par cette bonne conduite, de rendre
de bons offices à ces Mineurs, du moins par
maxime d’Estat, ou s’ils auoient esté assez
temeraires pour faire quelque chose à leur
preiudice, ils eussent rencontré beaucoup
plus de d’oppositions dans des hommes sages
& vigoureux, que non pas dans le foible
esprit d’vne Regente.

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II.

CHILDEBERT.

Childebert fut fils de Sigebert Roy
d’Austrasie, & de la Reyne Brunehaut.
Son pere Sigebert ayant esté cruellement
assasiné au siege de Tournay par les artifices
de Fredegonde, il fut preserué du peril
par la conduite de sa Mere, laquelle le fit
descendre de nuict des murailles de Paris,
dans vne Corbeille d’osier entre les mains
de Gondebaut son allié, qui luy fut fidele,
iusqu’au poinct de luy conseruer son Estat
& sa vie. Dés-là s’estant fait couronner à
Mets, comme Roy d’Austrasie, il arme aussi-tost
contre Chilperic & Fredegonde, les
meurtriers de son pere auec vn succez aussi
peu heureux, que sa cause estoit iuste. Il fut
plus heureux a vanger la mort de son Oncle
Chilperic, tué par Fredegonde, la reduisant
au poinct, ou de reconnoistre Gondebaut,
qui se portoit pour fils du Grand Clotaire,
comme successeur du Royaume, en la
place de Clotaire second son fils, ou de luy

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ceder le Royaume d’Orleans, dont il auoit
esté fait heritier par le Testament de Gontran
son Oncle. Il ne suruesquit gueres à ses
Conquestes, estant mort peu de temps apres
qu’il fut declaré Maieur, laissant à tous vn
iuste doute s’il estoit mort de regret ou de
poison, & s’il estoit plutost opprimé par le
courage de Fredegonde, que par la malice
de Brunehaut.

 

Reflexions sur la vie de Chilperic.

C’est l’ordinaire d’vne femme qui regne,
de recourir bien tost à la fureur
& aux artifices malicieux, parce que la Politique
luy manque tousiours, la raison est,
qu’elle est naturellement foible d’esprit, &
qu’il faut qu’elle appelle bien tost la passion
à son secours, laquelle outre qu’elle est aueugle
d’elle mesme, elle obscurcit encor le peu
de raison qui preside dans ce Sexe, de maniere
que n’ayant plus de discernement du
bien & du mal, elle mesle l’vn auec l’autre
par vne estrange confusion, ainsi que Brunehaut,
qui s’est trouuée quelquefois bonne,
& le plus souuent tres meschante, ou
bien, si l’esprit feminin reconnoit encor ce

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qui est bon & iuste ; pour ne sçauoir pas les
voyes & le chemin qu’il faut tenir pour y
arriuer, il employe & met en vsage toutes
les ruses & toutes les malices pour arriuer à
sa fin comme Fredegonde, & tout cela aux
dépens des Couronnes des Roys Mineurs,
de leurs propres enfans, des grands du Royaume
& des peuples, qui estant suiets à leur
domination deuiennent esclaues de leurs caprices.

 

III.

CLOTAIRE SECOND.

Clotaire second nasquit de Chilperic
& de Fredegonde. Son berceau fut
couronné doublement, en ce qu’il gaigna
vne fameuse victoire estant encore dans les
langes, & a la mammelle de sa Mere. Elle le
portoit ainsi en teste de ses escadrons armés,
contre Childebert le Fils de Brunehaut qui
par vne mesme atteinte osoit bien attaquer
la vie du Fils & l’honneur de la Mere. Mais
l’innocence de l’vn & la conduite de l’autre,
les reduisent bien-tost au point de demander
eux mesmes la paix, qu’ils auoient reiettée

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& d’aduoüer pour parent celuy qu’ils ne
vouloient point reconnoistre auoir pour
amy. Ce Prince fut eleu en partie sous la sage
conduite de Gontran son oncle Roy
d’Orleans, & en partie sous les soins de sa
Mere Fredegonde à laquelle il est incertain,
s’il deuoit plus d’amour que de haine, & s’il
luy estoit plus sensiblement obligé de l’auoir
mis au monde, que iustement offensé
d’en auoir osté Chilperil son Pere, dont il
tenoit le Royaume & la vie.

 

Reflexions sur la vie de Clotaire Second.

LA bonne conduitte de Gontran Roy
d’Orleans, qui gouuerna en paix les
dix premieres années de la minorité de
Clotaire, fait assez voir l’auantage du commandement
des hommes par dessus celuy
des femmes, car Fredegonde n’eut pas plutost
vsurpé ce pouuoir par son ambition
dereglée, qu’il fallut le maintenir par la
guerre, au grand preiudice du repos de l’Estat,
& au mecontentement de tout le monde,
qui sçauoit bien quelle n’auoit en teste
que la vangeance contre Brunehaut qu’elle
vouloit executer au depends mesme de tout

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le Royaume qu’elle exposoit pour cette passion.
Malheureuse fo blesse qui n’est iamais
appuyée que par des méchancetés execrables.

 

IV.

THEODEBERT ET
THIERRY.

Theodebert & Thierry furent Fils de
Childebert Roy d’Austrasie & de
Falembe. Apres la mort de leur Pere la Reyne
Brunehaut fut leur Tutrice, & diuisa entre-eux
les deux Royaumes d’Austrasie &
de Bourgongne, que Childebert auoit seul
possedés. Ces deux freres sous la conduite &
par le conseil de leur ayeule, firent vne guerre
irreconsiliable à Fredegonde & a Clotaire
second Roy de Paris, voulant punir l’vne
du meurtre de leur grand Oncle le Roy
Chilperic & declarer l’autre fils illegitime
de Fredegonde, & ainsi incapable de la succession
du Royaume de France. Mais cette
femme artificieuse racheta la vexation quelle
craignoit de ces deux Princes par la cession

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qu’elle leur fit d’vne partie des Royaumes
d’Orleans, & de Soissons. Depuis encore
tandis que Theodebert regnoit paisiblement
à Mets, & Tierry en Bourgongne,
Fredegonde & Brunehaut abusans de la Minorité
de leurs enfans, se firent vne guerre
d’autant plus cruelle, que l’vne combatoit
pour l’honneur, & l’autre pour la vie. Aussi
dans la suite de tant d’euenemens, dont leur
vie fut embarassée, l’ambition de l’vne ne
peut estre dignement punie que de sa ruine,
& la cruauté de l’autre iustement vengée
que de sa mort & la malice de toutes les
deux, suiuie de la desolation entiere de leurs
Royaumes.

 

Reflexions sur la vie Theodebert & Thierry.

Cette Histoire me semble le plus naif
tableau de la cruauté des femmes qui
represente assez bien leur pernicieuse conduitte.
De si effroyables manquements se
presentant si souuent aux yeux des François,
deuoient bien leur auoir fait trouuer dequoy
les corriger, car ie ne sçays comment
il est possibles qu’ils se soient tousiours deffendus
des vsurpations des plus puissants du

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monde, & qu’ils n’ont pû se garentir de
celles des femmes ambitieuses, ils font teste
à la valeur, & mesprisent des lachetés qui
leur sont plus preiudiciables.

 

V.

SIGEBERT, CHILDEBERT
CORBE ET MEROVEE.

Sigebert, Childebert Corbe & Merouée
estoit fils de Tierry, Roy de Bourgongne
& d’Austrasie qui les eut de diuerses
femmes, & par vn exemple remarquable à
la posterité dans la premiere race de nos
Roys, ils luy succederent en ses Royaumes,
bien qu’ils fussent nés de mariage illegitimes.
Encore auiourd’huy en Portugal, en
Sauoyé & dans tous les Estats qui sont Fiefs
de l’Empire, cela se pratique. Ils furent esleues
sous la conduite de Brunehaut leur bisayeules
apres la mort de leur pere Thierry,
tué, en guerre par Clotaire second Roy de
Paris. Mais peu apres par vn exemple de
lascheté qui treuue peu de pareils dans l’Histoire,
ils furent trahis par leurs Maires Varnier

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& Albon, & liurés auec leur bisayeule
la Reyne Brunehaut à l’ancien ennemy de
leur maison, le Roy Clotaire ; lequel n’ayant
point encore du tout satisfait à sa colere
d’auoir fait supplier indignement la Reyne
Brunehaut, il porta encore sa rage iusqu’au
point de les priuer eux mesme du Royaume
& de la vie.

 

Reflexions sur la vie de Sigebert, Childebert
Corbe & Merouée.

Voila le malheur que cause vne femme
ambitieusement enragée elle ayme
mieux tout perdre que de prendre de
bonnes resolutions qui ne flattent point assez
son humeur passionnée, il faut tout perdre
pour regner selon les caprices, la vie des
Roys & le salut des Estats ne luy sont rien
au prix de ses obstinations, mais tousiours
elle treuue chastiment pareil à ses crimes qui
la conduisent infailliblement a vne fin malheureuse,
ce qui est de plus fascheux, c’est
qu’elle ny arriue qu’apres la perte de beaucoup
de personnes.

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VI.

CLOVIS SECOND.

CLOVIS second, fut fils de Dagobert &
de Nantilde. Par vn exemple remarquable
en la succession de nos Roys, il fut
preferé à son aisné dans le droit de succeder au
Royaume de France, soit par la raison de son
merite, ou par l’inclination de son Pere qui
le prefera en ce choix à Sigebert, auquel il
donna la Couronne d’Austrasie. Apres la mort
de Dagobert, le jeune Clouis fut esleué sous
les soins de sa mere Nantilde, declarée Regente
par le Testament de son Mary. Aussi
son plus grand soin & son premier Eloge fut
de maintenir ces deux Freres en vnion & en
paix dans vne si grande inégalité de fortune,
& dans vne si notable disproportion de volontez.
Ce Prince regna auec beaucoup de
douceur, n’ayant au surplus rien laissé de memorable,
sinon de n’auoir rien laissé de soy
qui fust digne de memoire.

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Reflexions sur la vie de Clouis second.

Celle-cy seroit assez loüable si elle ne s’estoit
fait voir dénaturée par vn exemple
de seuerité inouye, auparauant aussi-bien
qu’apres elle. Cette Femme dans la prodigieuse
auidité qu’elle auoit de gouuerner l’Estat,
fit chastrer ses autres enfans qui s’y vouloient
opposer. Furieuse foiblesse d’vn esprit
noblement ambitieux, qui veut regner en
dépit de la Nature, qui luy a refusé toutes les
qualitez & tous les auantages pour vn si glorieux
employ, afin de faire voir qu’elle ne luy
a point donné l’estre à cette intention.

VII.

CHARLES LE SIMPLE.

Charles le Simple, fut fils de Louys second,
dit le Begue, & de Adelaïde ou
Alix. Il nasquit apres la mort de son Pere, &
fut salüé des François, comme leur Roy mesme,
dés deuant le jour de sa naissance. Sa Minorité
fut fort trauersée par l’ambition des
Regens, qui vsurperent en France l’autorité

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Souueraine de commander. Louys & Carloman
ses freres Bastards diuiserent premierement
l’Estat par leurs brigues. Apres leur
mort, Charles le Gros fut couronné Roy de
France par les Estats. Eudes Roy de Bourgogne
en suite choisy par le Testament du feu
Roy, & par les Estats comme Regent du
Royaume durant cette Minorité. Il l’a fit durer
iusqu’à vingt & deux ans, dans de si estranges
confusions d’affaires, qu’elles ne peurent
estre démeslées dans tout le regne du Simple ;
& ne permirent pas qu’il fust jamais paisible
possesseur de son Royaume, ayant esté tousjours
aussi mal-heureux en son regne que dans
sa Minorité.

 

Reflexions sur la vie de Charles le Simple.

LE déreglement des Regentes auec impunité,
donna de la hardiesse aux Princes
qui furent appellez au maniment des affaires,
d’empieter sur l’authorité Royale, & comme
ils auoient vn peu plus de conduite que ces furies,
ils porterent aussi leur ambition plus ouuertement
jusqu’à la Royauté. Les Femmes
qui les auoient precedés auoient donné lieu à
cette temerité qui ne faisoit que suiure les

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voyes que ces ambitieuses leur auoient si bien
tracées.

 

VIII.

LOVIS D’OVLTRE-MER.

LOVIS surnommé d’Oultre-Mer, nasquit
de Charles le Simple, & d’Ogine
fille d’Edoüard Roy d’Angleterre. Cette Princesse
ayant sceu que son Mary auoit esté surpris
& arresté prisonnier à S. Quentin, par Hebert
Comte de Vermandois, son allié & son
subjet ; & que Raoul Duc de Bourgogne
auoit esté proclamé Roy de France en sa place :
Elle prit aussi-tost son fils Louys encore
fort jeune, & auec luy se retira seurement en
Angleterre vers son frere Aldestan, lequel y
regnoit alors, cedant ainsi au mal-heur de sa
fortune & à la force de ses Ennemis. Mais enfin
tous ces troubles estans heureusement dissipez,
elle fut rappellée en France par les Estats
neuf ans apres qu’elle en estoit sortie, & son
fils restably en suite dans le thrône de son Pere,
lequel estoit mort durant sa prison, plutost
du sentiment de sa misere que de la violence

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d’aucune maladie. Ce fils succeda au Royaume
de son Pere, auec autant de mal-heur &
aussi peu de vertu.

 

Reflexions sur la vie de Louys d’Oultre-Mer.

LA Regence eut si peu de credit en cette
Reyne, qu’elle n’eut point le pouuoir de
faire comme les autres : Elle fait pourtant assez
juger qu’elle n’auroit pas mieux gouuerné,
ayant eu neuf ans vn pouuoir absolu sur
son fils, sans luy auoir donné aucune Education
digne d’vn grand Monarque. Voilà par
où elles commencent à mal gouuerner ; car de
la mauuaise instruction de leurs enfans & de
l’incapacité qu’elles fomentent dans l’esprit
de ces jeunes Princes, vient la necessité qu’on
a de quelqu’vn qui prenne le soin de ses affaires,
desquelles elles se saisissent, aussi-tost courant
où leur ambition les appelle, & non pas
leur propre merite.

IX.

PHILIPPE PREMIER.

Philippe premier fut fils de Henry premier,
& de Anne fille de Georges l’Esclauon

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Roy des Russiens. Son Pere le fit couronner
Roy de France dés son viuant, suiuant
la coustume de ce temps-là, estant alors seulement
âgé de sept ans ; & pour dresser sa jeunesse
à tous les exercices des Lettres & des Armes,
il luy donna pour Tuteur & Regent du
Royaume, Baudoüin Comte de Flandres.
Ce Prince suruescut de fort peu le couronnement
de son fils, lequel il hasta à cause de son
indisposition, & apres sa mort suiuant son
ordre, Baudoüin prit le gouuernement de
l’Estat auec la conduite du jeune Roy. Cette
Minorité fut fort heureuse, & n’ayant eu à
combattre que quelques Gascons reuoltez,
elle se passa fort doucement par la sage moderation
du Regent, lequel auec la faueur de
tous les Princes & Seigneurs François conduisit
son Pupille jusqu’à l’âge de quinze ans, où
il luy laissa en terre son Royaume paisible
temporellement, tandis qu’il alla joüir de
de celle qui est dans le Ciel eternelle & bienheureuse.
Il fut vniuersellement regretté d’vn
chacun, ayant laissé vn exemple illustre d’vn
bon Tuteur, de Roy, & d’vn sage Regent du
Royaume.

 

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Reflexions sur la vie de Philippes Premier.

Voylà vn exemple assez fameux de la
bonne conduite & de la legitime Education
d’vn Roy de France, qui deuoit seruir
à toute la posterité dans l’establissement de la
Regence, pour le bon ordre du Royaume.

X.

PHILIPPES SECOND
DIT AVGVSTE.

Philippe second surnommé Auguste, fut
fils de Louys septiesme, dit le jeune, &
d’Adelle fille de Thibaut Comte de Champagne.
Il fut sacré & couronné à Rheims du
viuant de son Pere, dans vne celebrité si Auguste
qu’il en a retenu le nom. Il y adjousta depuis
celle de Conquerant & de Victorieux,
pour les heureux succés de ses armes contre
les Infideles de la Terre-Sainte, que contre
les ennemis de l’Estat, en Angleterre & en
Flandres. Sa Minorité qui fut sagement gouuernée
par Adele sa Mere, & par son Oncle
Guillaume Archeuesque de Rheims, il commença

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heureusement par le reglement Ciuil
& Politique de son Royaume. Il bannit de
la Cour, le jeu, & la comedie, & n’admist auprés
de soy que des hommes capables & vertueux.
Il s’associa en sa jeunesse de Richard
Duc de Guyenne, auec lequel il fit depuis le
voyage de la Terre-Sainte, & passa auec luy
dans vn âge plus auancé d’vne confidence extrême
à vne irreconciliable amitié. Prince
autant recommendable pour auoir esté condescendant
en toutes choses à sa Mere pendant
sa Minorité, comme pour auoir commandé
absolument aux Estrangers & aux
François durant son regne. Par tout heureux,
horsmis en sa Maison.

 

Reflexions sur la vie de Phillippe II. dit Auguste.

CE partage de l’authorité qui fut entre la
Mere & l’Oncle pendant le jeune âge de
ce Prince, & cette concorde & vnion de volontez
au seruice du Roy & de l’Estat, est vn
prodige de moderation admirable dans l’vn
& dans l’autre, qui a depuis esté desire en de
pareilles conjonctures ; mais qui ne s’est pourtant
pas pû rencontrer de nostre temps, c’est
vn miracle qu’vne femme forte, & son merite
est d’vn prix inestimable.

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XI.

SAINCT LOVIS.

Sainct Louys fut fils de Louys huitiesme
& de Blanche de Castille. La pieté
& la vertu de ce ieune Prince, furent deslors
les presages asseurés du bonheur de son regne.
La douceur de sa minorité qui se passa
sous la conduite de la Reyne blanche sa mere,
fut vn preiugé certain de la paix qui deuoit
estre durable en toute sa vie. Apres son
Couronnement à Rheins, la Reyne qui auoit
fait confirmer sa Regence par les Estats Generaux,
s’opposa courageusement aux Princes
liguez qui s’efforçoient de la troubler, &
les ayant premierement separés l’vn de l’autre
par le Conseil, elle les deffit encore plus
vigoureusement par la force de ses armes.
Déja le ieune Roy receut l’hommage du
Duché de Bretagne qui luy fut rendu par
Pierre de Dreux surnommé pour ce suiet
Maucler : si apres auoir fait vne visite generale
des villes principales de son Royaume,
en laquelle il receut par tout les hommages

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& les vœus de ses suiets, ou il retint dans le
deuoir les peuples sousmis ou il reduisit les
reuoltés a son obeyssance. Ensuite il introduisit
la pieté auec la paix en son Royaume
& y fit florir par tout la Iustice auec l’abondance,
auec tant de douceur de moderation
& de sage conduite dans cét âge, que toutes
ses vertus ensemblement vnies luy firent
deslors meriter la qualité de sainct.

 

Reflexions sur la vie de sainct Louys.

IL seroit difficile de blasmer l’ambition de
cette Regente, puis qu’elle estoit si bien
appuyée de la pieté, elle est pourtant accusée
d’auoir excedé en ses desseins, mais le
reüssi qu’elle en a eu l’excuse beaucoup, outre
qu’elle auoit vne conduitte saintement genereuse,
& que si elle affectoit de regner elle
s’estudioit par tous moyens de s’en rendre
capable. C’est auoir assez fait pour le sexe
d’auoir fait vn Roy sainct, par ses bonnes
instructions.

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XII.

IEAN PREMIER.

Iean premier nasquit de Louys dixiesme
surnommé Hutin & de la Reyne Constance
qu’il laissa enceinte a sa mort. Toute
la France estoit en attente & en desir de receuoir
vn Roy, lors que la Reyne accoucha
d’vn fils posthume qui fut surnommé Iean
au Baptesme. Mais cette ioye fut bien-tost
interrompuë par la mort de ce ieune Prince,
lequel n’ayant vescu que huict iours, ne
treuue presque point de nom ny de place
dans l’Histoire. Il fut pourtant enterrée à S.
Denis auec toute la pompe que l’on â coustume
de garder aux funerailles des Roys, &
par sa mort son oncle Philippes dit le Long,
changea la qualité de Regent qu’il portoit
en celle de Roy de France qui luy estoit legitimement
acquise par le droit de sa naissance.

Reflexions sur la vie de Iean Premier.

LA minorité de ce Roy fut la plus heureuse,
puis qu’il deuint tout d’vn coup

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Majeur, & fut mis en possession d’vn heritage
que les factions des ambitieux ne luy
peuuent iamais faire perdre.

 

XIII.

CHARLES SIXIESME.

Charles sixiesme fut fils de Charles cinquiesme
dit le Sage, & de Iean ne fille de
Pierre Duc de Bourbon. Sa Minorité fut
fort trauersée par l’ambition de ses oncles
qui se porterent pour Regens en France l’vn
apres l’autre ou tous ensemble. Louys Duc
d’Anjou, Iean Duc du Berry, Philippe Duc
de Bourgongne, causerent en ce siecle d’estranges
brouilleries dans l’Estat, par leur
intelligence & par leurs querelles particulieres.
Ils s’accorderent pourtant tous a faire
Sacrer & Couronner le Roy a Rheims aussi-tost
apres le deceds de son pere & a donner
la charge de Connestable a Oliuier de Clisson
vn des Heros de ce siecle, choisi pour cét
employ par le feu Roy dans son Testament.
En ce temps, les troubles de Flandres bien
moins à craindre que les emotions ciuiles
des Princes entre eux, furent heureusement

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pacifiée par la prudence du Roy, & du Regent
qui estoit Iacques Duc de Bourbon frere
de la Reyne, auec laquelle il partageoit
tout le Gouuernement de l’Estat. Depuis
ayant Chastié les reuoltés de Paris & de
quelques autres Villes rebelles, ce ieune
Prince maintient son Royaume en vne profonde
paix ; laissant à la posterité vn illustre
document qu’vn Royaume diuisé est moins
qu’vne seule maison en paix.

 

Reflexions sur la vie de Charles Sixiesme.

L’Authorité egalement partagée, &
changée de main a diuers temps selon
la constitution de Charles le Sage, Roy veritablement
Politique, ne nous aprend que
trop par le bon ordre qui en est prouenu
combien Religieusement cette loy deuoit
estre obseruée, & sans doute elle seroit encore
auiourd’huy dans sa vigueur, si l’ambition
trop dereglée des femmes, ne l’auoit
presque aneantie, la necessité & le besoin
qu’on en aura doit causer son retablissement.

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XIV.

CHARLES HVICTIESME.

Charles Huictiéme estoit fils de Louys
Onziéme, & de Charlotte de Sauoye.
L’ambition & l’auarice de ses Oncles, plutost
que la foiblesse de son corps, ou l’imbecilité
de son esprit, fit prolonger sa Minorité
par de là le terme de quatorze ans, ce Prince
n’ayant esté declaré Maieur, qu’apres dix-huict
ans passez. Cependant Anne de France
sa sœur Duchesse de Beaujeu, eut en main
toute l’authorité de commander, tant comme
Gouuernante de la personne du Roy,
que comme Regente du Royaume. Il fut
Sacré à Rheims auec vne pompe du tout extraordinaire,
comme par vn presage asseuré
de sa Grandeur future. Il tint les Estats Generaux
à Tours, & dissipa les Ligues des
Princes contre la Regente, auec la mesme
facilité qu’il les auoit veus naistre. Le Duc
de Bretagne n’esprouua pas vn meilleur sort
dans sa reuolte, que le Duc d’Orleans dans

-- 55 --

sa retraitte de Paris. L’vn est priué pour vn
temps de son Estat, & l’autre esloigné de la
presence de la Cour, & tous deux décheus
des bonnes graces du Roy ; Lequel par vne si
sage institution, deuint en peu de temps vn
des grands Princes, qui ayent iamais esté en
cette Monarchie ; & auquel en verité, rien
n’a semblé manquer qu’vne plus longue
vie.

 

Reflexions sur la vie de Charles Huictiéme.

LE temps de cette Minorité ne fut pas
plus heureux que les autres. Ou l’ambition
se mesle, le desordre & la confusion la
suiuent inseparablement. Vne seule femme
esloigne tous les Princes d’aupres du Monarque,
& aliene toutes les bonnes volontez
qu’il pourroit auoir pour eux. De là viennent
les factions & les guerres Ciuiles, qui
de ce temps-là n’apporterent pas peu de
troubles dans cét Estat, & si le Monarque
eust suiuy tous les violents Conseils qu’on
luy donnoit, il eust porté ses affaires à de
dangereuses extremitez : mais le pardon
qu’il donna au Duc d’Orleans, apres l’auoir
pris prisonnier, remit le calme en France,

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qu’vne femme auoit troublé inconsiderement.

 

XV.

CHARLES NEVFIESME.

Charles Neufiéme n’acquit de Henry Second,
& de Catherine de Medicis. Il
succeda au Royaume à son frere aisné, François
Second du nom. Durant sa Minorité, la
Reyne sa Mere fut declarée Regẽte du Royaume,
par les Estats Generaux tenus à Orleans.
Il commença son Regne par l’elargissement
de Louys Prince de Condé hors
de la prison, où il estoit arresté. Cette action
de douceur fut suiuie d’vn exemple remarquable
de Iustice, en la personne de quelques
Seigneurs liguez contre le seruice du
Roy. Mais le regne de ce ieune Prince, qui
promettoit vn siecle d’vnion & de paix, fut
miserablement diuisé en deux factiõs, d’Huguenots,
& de Catholiques, des Princes, de
la Maison de Guise, contre l’Amiral, qui diuiserent
la France d’elle mesme, & la mirent
en proye à ses propres enfans. Ce fut alors

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que l’on vit en France, le Pere armé contre
le fils, les freres entre eux, & les proches l’vn
contre l’autre. Siecle d’horreur & de confusion !
où l’on ne discerne plus le parent d’auec
vn Estanger, ny vn meschant homme
d’auec vn homme vertueux. L’extremité de
ce malheur alla iusqu’au poinct, que ce desordre
ne peut estre appaisé que par vn autre.
Il est remarquable que les Lettres de la Majorité
du Roy, furent verifiées au Parlement
de Roüen, contre la Coustume & la pretention
de celuy de Paris, qui se dit estre le Parlement
des Pairs, & du Roy mesme.

 

Reflexions sur la vie de Charles Neufiéme.

CE Regne fut remply de perfidies, d’abominations
& de malheurs épouuantables.
Vne femme qui auoit pour deuise, &
pour toute maxime, diuise afin que tu regne,
l’ayant pratiquée exactement tout le temps
de sa vie, sema la discorde & la diuision dans
ce miserable Estat, pour plus de cinquante
ans, les meurtres, les assassignats, les perfidies,
les empoisonnemens, & toutes les laschetez
imaginables, furent les degrez par
où la maudite ambition monta sur le Trône,

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pour y faire eclatter de plus haut ses iniustices,
sans misericorde faisant sentir tout
ce qu’vne femme a de fureur, quand elle a
toute l’authorité.

 

XVI.

LOVIS TREIZIESME.

Louys Treiziéme fut fils de Henry Quatriéme,
surnommé le Grand, & de Marie
de Medicis. Il n’acquit auec le siecle auquel
il apporta le bon-heur & la paix. La Tutelle
de sa Minorité, & la Regence du Royaume
fut deferée à la Reyne sa Mere, par le
consentement vniuersel de tous les Ordres
du Royaume, & confirmée en suite par le
Conseil, & par le Parlement. Peu apres le
Sacre du Roy à Rheims, on traitta de son
mariage auec Anne d’Austriche Infãte d’Espagne,
qui fut celebré cinq ans apres en la
ville de Bourdeaux, & consommé depuis à
Paris. En suite la punition de quelques Seigneurs
coupables, aussi bien que l’aduancement
à la Cour des personnes de condition
& de merite, acquirent au ieune Roy le surnom

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de Iuste, qu’il a soustenu glorieusemẽt
durant tout le cours de sa vie, par l’équité
de ses armes, & par sa probité de vie au
temps de la paix. La Ligue des Princes vnis
contre l’authorité de la Regente, & pour le
droit du Mineur, ne fit que demãder l’obseruation
des Loix du Royaume : mais n’ayant
pû l’obtenir, elle trauailla en vain à vne
affaire si importante. Ce Prince a donné depuis
à la France vn siecle de Triomphes & de
Victoires, qui ne la rendent pas seulement
inuincible à ses ennemis : mais qui la font
encore formidable à elle mesme.

 

Reflexions sur la vie de Louys Treiziéme.

LA Regente auoit l’ame bonne & sans
dissimulation : mais elle auoit vne merueilleuse
enuie de regner, telle qu’elle se trouue
naturellement dans ce Sexe. Elle estoit
accompagnée de la plus grande foiblesse du
monde. Comme l’on peut iuger par la folle
creance qu’elle auoit aux Deuins & Astrologues.
Les pernicieux Conseils de Conchine
& de sa femme, qui a busant de la facilité de
cette bonne Princesse s’estoient rendus les
Maistres de tout l’Estat, alloient allumer vn

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incendie effroyable en France, si le Roy mesme
encor ieune Maieur, n’eust preuenu ce
malheureux dessein, en faisant tuer celuy
qui en estoit l’autheur principal, & n’eust
esloigné la Reyne de ses Conseils, luy ostant
vn faict trop pesant à la foiblesse du Sexe,
qui n’entre iamais dans le maniment des affaires
d’Estat, qu’à la ruine du Monarque, &
de la Monarchie.

 

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Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LA TVTELLE DES ROYS MINEVRS EN FRANCE. Auec les Reflexions Politiques sur le Gouuernement de l’Estat, de chaque Roy Mineur. PREMIEREMENT. Que tous les Roys qui ont esté dans la Minorité, ont eu des Tuteurs iusqu’à l’aage de 25. ans, soit par choix ou par vsurpation, mais tousiours par necessité. II. Que Charles V. n’a reglé la Maiorité à 14. ans, que pour changer de Regents, & non pas pour abolir la Regence. III. Que la Reyne contreuient formellement à la Constitution de ce sage Roy, & à la Loy Salique, faisant vn tort irreparable à l’Authorité Royale. IV. Quelle ne tient le pouuoir qu’elle a que par vsurpation, & le veut maintenir par la force des armes du Roy, desquelles fait mauuais vsage, & est tenuë d’en rendre compte à l’Estat. V. Qu’enfin il s’ensuit que sa Puissance est tyrannique, puis qu’elle subsiste contre toute sorte de Loix, & que toute la France est obligée de s’y opposer, pour l’interest de la Couronne. , françaisRéférence RIM : M0_3901. Cote locale : B_3_2.