Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LA TVTELLE DES ROYS MINEVRS EN FRANCE. Auec les Reflexions Politiques sur le Gouuernement de l’Estat, de chaque Roy Mineur. PREMIEREMENT. Que tous les Roys qui ont esté dans la Minorité, ont eu des Tuteurs iusqu’à l’aage de 25. ans, soit par choix ou par vsurpation, mais tousiours par necessité. II. Que Charles V. n’a reglé la Maiorité à 14. ans, que pour changer de Regents, & non pas pour abolir la Regence. III. Que la Reyne contreuient formellement à la Constitution de ce sage Roy, & à la Loy Salique, faisant vn tort irreparable à l’Authorité Royale. IV. Quelle ne tient le pouuoir qu’elle a que par vsurpation, & le veut maintenir par la force des armes du Roy, desquelles fait mauuais vsage, & est tenuë d’en rendre compte à l’Estat. V. Qu’enfin il s’ensuit que sa Puissance est tyrannique, puis qu’elle subsiste contre toute sorte de Loix, & que toute la France est obligée de s’y opposer, pour l’interest de la Couronne. , françaisRéférence RIM : M0_3901. Cote locale : B_3_2.
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LA TVTELLE
DES ROYS MINEVRS
EN FRANCE.

Auec les Reflexions Politiques sur le Gouuernement de
l’Estat, de chaque Roy Mineur.

PREMIEREMENT.

Que tous les Roys qui ont esté dans la Minorité, ont
eu des Tuteurs iusqu’à l’aage de 25. ans, soit par choix
ou par vsurpation, mais tousiours par necessité.

II.

Que Charles V. n’a reglé la Maiorité à 14. ans,
que pour changer de Regents, & non pas pour abolir
la Regence.

III.

Que la Reyne contreuient formellement à la
Constitution de ce sage Roy, & à la Loy Salique,
faisant vn tort irreparable à l’Authorité Royale.

IV.

Quelle ne tient le pouuoir qu’elle a que par
vsurpation, & le veut maintenir par la force des armes
du Roy, desquelles fait mauuais vsage, &
est tenuë d’en rendre compte à l’Estat.

V.

Qu’enfin il s’ensuit que sa Puissance est tyrannique,
puis qu’elle subsiste contre toute sorte de
Loix, & que toute la France est obligée de s’y opposer,
pour l’interest de la Couronne.

M. DC. LII

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LA TVTELLE DES ROYS
Mineurs en France, Auec des Reflexions
Politiques sur le Gouuernement
de l’Estat, de chaque Roy Mineur.

C’est vn ordre qui vient de la nature
que le plus foible soit soustenu par
le plus fort, iusqu’à ce qu’ayant pris
vn iuste accroissement, il puisse tout seul se
defendre contre tout ce qui est capable de
luy nuire. Vne plante delicate est facilement
abatuë, on l’appuye de quelque tronc
sec & ferme, afin d’empescher sa cheute :
mais depuis quelle s’est accruë en vn gros
Arbre, & quelle a esleué sa cime bien auant
dans les Airs, elle se soustient vigoureusement
d’elle mesme contre les plus rudes attaques
des vents, & de tous autres efforts,
n’ayant plus besoin d’vn appuy qui est desormais
plus foible quelle.

Parmy les animaux, & particulierement
entre les hommes, nous remarquons à tout
moment, comme le plus foible s’appuye naturellement

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du plus fort : d’où naissent comme
de leur source naturelle, les amitiez, les
alliances, & la Souueraineté : De là ie pense
qu’il est tres-facile de conclure que le droit
de regner est naturel, entre les hommes, &
qu’ils ne peuuent subsister en societé ciuile
sans quelque espece de commandements.

 

Si nous venons du particulier au general
nous remarquerons dans la Politique que
les petits Estats & les moindres Souuerainetez
ne subsistent & ne s’accroissent que par
les attachements qu’ils ont aux grands Empires ;
aussi ne manquent-ils pas de rechercher
auec grand soin leur appuy, & leurs secours
quant ils se voyent exposez aux violences
d’vn plus puissant, ou bien quand ils
pretendent de faire quelque progrez, & de
prolonger leurs limites par le moyen de
quelque confederation.

Les Roys qui sont au dessus de tout cela,
& qui sont les maistres de tous les autres, ne
laissent pas en de certaines conionctures
d’auoir besoin de leurs suiets, qui bien qu’ils
soient moindres en dignité, ont quelquefois
beaucoup de belles parties qui les rend
comme Superieurs de leur Souuerain.

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Ces hommes choisis, où nez pour soutenir
les autres, ont souuent besoin d’estre
soutenus eux mesmes. C’est pourquoy il a
fallu des Regens a leurs Minoritez, & des
Tuteurs à leurs Majorités commencées il
leur en a fallu mesme pendant leurs absences
où leurs maladies, non pas tant à eux qu’à
l’Estat, & au Sceptre, pour le maniment desquels
on à tousiours eu besoin des plus forts
& des plus vertueux. Souuent on a donné a
ces ieunes Princes des Ministres choisis
pour leurs excellentes qualitez & capacité
au fait de la Politique, qui ont conduit les
affaires de leurs Royaume auec beaucoup de
prudence, & de sagesse beaucoup ont vsurpé
ce rang par ambition, & la necessité indispensable
de Tuteurs ou Regens dans
leur bas aage, a rendu quelque fois cette
vsurpation tolerable : Quoy que tousiours
iniuste & illegitime.

Toutefois il en a tousiours fallu a nos
Roys Mineurs, du moins iusqu’à l’aage de
25. ans, & aux faineants durant toute leur
vie. La premiere & la seconde race ne souffre
point de difficulté pour la durée de la
Regence où tutelle des Souuerains, l’on

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sçait bien qu’elle ne cessoit point qu’à l’aage
de 22. ans, & qu’on leur donnoit vn Ministre
d’Estat iusqu’à l’aage de 25. qui si entretenoit
quelquefois bien plus long temps
quand à cét aage ils n’estoient point encore
capables de gouuerner par eux mesmes.

 

Il n’y a que depuis la declaration de
Charles V. qui a reglé la Majorité des Roys
a 14. ans, qu’il faut sçauoir si les Roys n’ont
plus esté gouuernés par les Regents, & s’ils
ont gouuerné par eux mesme depuis cét âge
sans auoir besoin de leur assistance. Il n’y
a aucun exemple qui nous apprenne que cela
ait esté iamais, si nous en exceptons le Sage
Salomon a qui la science de Regner fut
donnée a cét âge par vne grace toute particuliere
de Dieu, qui la refusée a tous les autres
peut estre à cause que ce premier en
auoit abusé, & que ceux-cy n’auroient pas
sceu s’en seruir auec plus dauantage.

Cette incapacité de commander est vne
preuue assez forte, pour demonstrer auec
toute sorte d’euidence ce que nous pretendons,
outre que ç’a esté tousiours le
suiet qui a fait donner à nos Roys des
Regents, dés Tuteurs & des Ministres

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Car puis qu’ils ne sont point encore capables
de nous gouuerner, il sensuit par
vne necessité absoluë, qu’il faut que quelque
autre qui en soit capable, ou qui s’imagine
de l’estre dauantage, se soit tousjours
ingeré dans le maniment des affaires
de la Monarchie. Neantmoins comme l’Histoire,
donne encore beaucoup de iour à
cette verité, il ne faut que lire ce que i’en
rapporte cy apres, pour n’en plus douter, &
conclure que tous les Roys qui ont esté dans
la Minorité ont eu des Tuteurs iusqu’à l’aage
de 25. ans, soit par choix ou par vsurpation ;
mais tousiours par necessité.

Depuis que la trop longue domination
des Regents, eût souuent donné lieu à des
vsurpations iniques de l’authorité Royale, &
qu’outre le pernicieux exemple qui donnoit
sujet aux entreprises des plus hardis & audacieux,
les desordres, les troubles & les factions
eurent souuent diuisé ce mal-heureux Royaume,
on cõmença à reconnoistre qu’vn pouuoir
si long-temps continué à vne seule personne,
traisnoit aprés soy de trop dãgereuses suittes :
mais iusqu’à Charles le Sage, personne ne s’étoit
encor hazardé d’y apporter quelque remede,

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ce Prince fut le premier qui voulu
pouruoir à cét abus, & pour ne le point entreprendre
inutilement, il consulta toute la
Politique, les Loix, le Droict & les Coustumes,
pour s’en tenir à ce qu’il en iugeroit de
meilleur, & l’authoriser dans vn temps auquel
personne n’eust osé contrarier ouuertement
vn statut si equitable.

 

Il reconnut sagement que la Regence estoit
vn mal necessaire : mais qu’il falloit du moins
abreger, à faute de le pouuoir tout à fait détruire,
& enfin pour le rendre encor beaucoup
moindre, qu’il falloit le partager pour
le moins à deux differentes personnes, afin que
le peu de temps que chacun tiendroit cette
authorité souueraine, ne donna pas le loisir
aux esprits ambitieux de s’en preualoir, pour
la retenir contre toute sorte de Iustice, le plus
long-temps qu’il leur estoit possible. Cette
iuste moderation apportée à ce pouuoir excessif,
partoit de l’esprit d’vn Sage, elle ne
pouuoit estre que trop legitime, & le partage
auec tant d’égalité, ne le pouuoit faire accuser
d’aucun defaut de la part de la chose, ny
d’aucun manquement de son costé.

Il fit donc vne Declaration authentique de

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cette Loy, qui fut receuë en France, & reconnuë
pour tres iudicieuse, & tres vtile à
l’Estat, & aux Roys Mineurs, qu’il fit emanciper
à l’aage de 14. ans, en ayant donné l’exemple
en la personne de son fils Charles, le
bien aymé.

 

Ainsi la Regence fut diuisée iustement
comme elle le deuoit estre, c’est à dire en deux
parties égales, dont la premiere fut plutost
vne Regence sur la personne Royale, qu’il est
question d’éleuer & de former par vne education
qui supplée aux defauts de l’aage, en luy
donnant les premieres leçons de la conduite
que doit auoir vn bon Prince, ce qui se doit
faire depuis l’aage de sept ans, iusqu’à celuy de
quatorze.

L’autre partie de la Regence semble plutost
regarder la conduite de l’Estat, de laquelle
on doit donner la connoissance au ieune
Majeur, qui est desia censé, capable de ce
commencement de regner, & de mettre en
pratique les bons enseignements que le premier
Regent commis à son education, luy a
deu donner pendant le temps de son pouuoir
sur la personne de sa Majesté. Cette premiere
Regence conuient assez bien aux meres, qui

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ont vne affection naturelle, à éleuer leur enfans
auec toutes les tendresses, & les mignardises,
qui sont deuë à ce premier aage.

 

Mais la seconde Regence ne leur fut iamais
attribuée, que par vne manifeste iniustice ;
attendu l’incapacité du Sexe, à s’acquitter de
ce haut employ, qui n’est propre que de la
plus sage, & la plus noble teste du Royaume,
tant pour instruire le Roy, par de iudicieuses
maximes, que pour le porter à de genereuses
actions, dont la Noblesse est comme la source
feconde, & inepuisable.

Mais la fin principale de cette belle égalité,
& de ce partage de la Regence, où se portoit
toute l’intention de ce sage Politique, estoit
les bornes qu’il vouloit mettre au pouuoir des
Regents, afin de donner vne puissante bride à
la forte ambition de tous ceux, qui n’est que
trop charmante, pour corrompre leur plus seuere
equité. C’estoit là sans doute tout le but
de Charles, qui auoit tres sagement reconnu,
que sans cette Loy, qui seruiroit comme de
frain à l’ambitieuse auidité de regner, les
Roys Pupilles & Mineurs seroient encor exposez
aux mesmes vsurpations, qui leurs auoient

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esté si preiudiciables par le passé, il ne vouloit
donc plus que la domination d’vn seul Regent
fust de si longue durée, il falloit la retrancher,
& la borner à l’an 14. & ne point
souffrir qu’elle s’estendit dauantage au preiudice
du Prince, dont la Majorité & le ieune
âge donne la licence d’oser tout, & la facilité
d’executer ce qu’on a entrepris.

 

Quelqu’vn ne manquera pas de m’opposer
que tousiours la Regẽce finit à la 14. année, suiuant
la Constitution de Charles V. mais que
cela n’empesche pas que la mesme personne
ne prenne le soin des affaires de l’Estat, sous
vn autre titre dependamment du Roy qui est
censé, agir par luy mesme à cause de sa Majorité.
Ainsi que fit Catherine de Medicis, laquelle
aprés sa Regence, se fit nommer la surintendante
des affaires du Roy, & encor auiourd’huy
la Reyne mere du Roy, qui a pris
la qualité de Chef du Conseil de sa Majesté.

Que l’ambition a d’ingenieuses malices,
pour seruir de pretextes à ses vastes desseins ;
est-il possible que l’on se soit persuadé, que cela
se peut sans infraction de la Loy de la Majorité ;
à la quelle on croit auoir suffisamment satisfait,

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en faisant changer de nom au pouuoir
qu’on veut vsurper ; & cependant on fasse passer
ce sage Legislateur pour vn impertinent,
& pour vn homme de vetilles. Car enfin, la
Reyne s’imagine donc que ce Sage n’a point
eu d’autre but, que de changer le nom de Regent
en celuy de Chef du Conseil, & quil
n’a point pretendu abreger son pouuoir au
profit du Mineur auquel on le rauit, en luy
ostant toute la connoissance des affaires. Voila
vne haute Politique pour vn grand Roy, ou
vne belle imposture pour appuyer vn dessein,
noblement ambitieux. L’indignation de tous
ceux qui auront le sens commun, vangera assez
ce Sage Prince, du trop indigne traittement
que l’on fait à sa prudence toute
Royale.

 

Mais il faut que la Reyne auouë quelle contreuient
formellement à la constitution de
ce grand Monarque, & quelle ne peut justifier
son procedé quelle ne le rende encore
plus criminel, soit en voulant ainsi destruire
les Loix les plus fondamentales de cét Estat,
soit en voulant maintenir son injuste domination
par la violence du fer & du feu à la
desolation entiere de la miserable France.

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Que ce Royaume infortuné auoit de
grands sujets d’exclure les Femmes de son
Gouuernement, la Loy celebre qu’il porta
contre elles dés sa naissance, n’estoit qu’vn
veritable pressentiment des maux & des rauages
qu’elles y deuoient vn jour apporter. Helas !
qui auroit jamais creu que la Reyne se
fust portée à cette extremité de rigueur à l’encontre
de ceux qui ont autrefois tant fait de
vœux en sa faueur, sa domination ne sembloit
nous promettre que d’heureux jours,
chacun contribuoit à l’enuie à la faire regner
dans l’esperance d’vn sort meilleur que sa
feinte douceur nous promettoit ! O que nous
auons esté bien trompez dans nos attentes, &
que nous auons espreuué de seuerité de celle
que nous tenions souuerainement bonne.
Celle que nous treuuions si juste a violé ce
que nous auions de plus sacré : Apres cela faites
fondement sur la vertu des Femmes.

La Reyne n’a pas seulement enfraint cette
Declaration authentique de Charles, elle
s’est prise à la Loy Salique, qu’elle a foulée
aux pieds, ce que pas vn de nos Roys n’a jamais
osé faire, ne luy a rien cousté à executer.
Ie pense qu’elle a fait gloire en cela de les surpasser,

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mais cét auantage ne luy sera pas beaucoup
honnorable, quand la posterité dira,
qu’elle a voulu passer les limites d’vne Femme
moderée, & qu’elle a sacrifie toute sa vertu
à sa vanité.

 

Elle n’a pas sans doute meurement consideré
le tort qu’elle se fait en perdant sa renommée,
celuy qu’elle fait à son Fils, dont
elle vsurpe l’authorité, & sert d’exemple au
premier, qui n’aura pas moins d’ambition
quelle, sans prendre garde qu’elle le rend incapable
de regner, quelquefois par la mauuaise
Education qu’elle luy donne : Enfin, elle
n’a point regardé le tort irreparable qu’elle
fait à l’Estat, dont le Sceptre est prés de tomber
en Quenoüille, authorisant ce desordre
toute la premiere. Vne autre du mesme sexe
n’ayant pas moins de droit qu’elle, à pretendre
le Gouuernement, que la Reyne retient
pardeuers elle, en dépit de toutes les Loix, qui
sont absolument contraires à toutes ses pratiques ;
Mais venons au point de la difficulté,
la Reyne pretend de retenir l’authorité d’vn
jeune Majeur, qui luy auoit esté accordée par
la seule faueur des Grands, pour la minorité.
Car le Roy defunt luy auoit mis de fort estroites

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bornes dans sont Testament, elle s’y veut
maintenir apres le temps expiré de sa Regence.
S. A. A. pretend que ce rang luy est deu :
Sur cette pretension il est criminel ; La Reyne
l’est donc aussi en retenant cette place : Car
quelles raisons peut-elle donner pour conuaincre
S. A. R. de quelque crime. Elle dira
peut-estre qu’il se veut attribuer tout le pouuoir
en France pendant le jeune âge du Roy ;
Mais elle-mesme l’a vsurpé ? Et que sçait-elle
si nous n’aymons point la domination Françoise
dauantage que l’Espagnolle, elle est
bien plus naturelle à la Nation, & plus conforme
à ses anciennes Coustumes : Et puis
n’est-il pas fils de France, & n’a-il pas tout interest
à la conseruation d’vn bien qu’elle dissipe,
d’vne Couronne qu’elle expose, & d’vn
Roy quelle esleue au gré de ses passions, &
dans la hayne de ses Subjets, qui sont tres-innocens
du mal qui se commet, & qui en
portent tout le chastiment. Ne seroit-il pas
beaucoup meilleur que S. A. R. eust le pouuoir
qu’elle retient, Que personne en France
ne luy pourroit disputer, & qu’il maintiendroit
sans troubles & sans desordres, que de
le voir entre les mains d’vne Femme accompagné

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de tant de maux & de dissentions ciuiles :
Tous les veritables zelateurs du seruice
du Roy & du bien de l’Estat seront icy de mon
Party.

 

Dira-t’elle qu’elle est Mere du Roy, & que
cette qualité la doit maintenir dans le rang
qu’elle occupe : Helas ! que sous ce nom, la
France a eu de trauerses & de dangereux symptomes.
Ysabeau de Bauiere estoit la Mere du
Roy Charles VII. elle fit des-heriter pourtant
ce legitime heritier de la Couronne qui
estoit son fils, & fit passer le Sceptre en des
mains estrangeres, au prejudice de celuy dont
elle estoit pourtant la Mere ; mais la plus injuste
qui fut jamais : Et sans aller chercher Brunehaut
qui fit mourir dix Testes-couronnées
qu’elle auoit mises au monde, & tout cela
pour son horrible ambition de regner. Nostre
Histoire ne soupçonne-elle pas Catherine
de Medicis d’auoir fait mourir ses enfans
l’vn apres l’autre, pour se conseruer plus longtemps
l’authorité.

Le tiltre de Mere de Roy n’est point tout
ce qu’il faut auoir, pour meriter le Gouuernement
de la Monarchie Françoise, il faudroit
encore qu’elle fust la Mere de tous les

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Subjets, qu’il faut traiter comme enfans & en
creatures libres, non pas en esclaues, en bestes
sauuages, & en loups-garous qu’on poursuit
auec des armes, & que l’on presse de si
prés que quelques-vns s’acculent, & comme
des Sangliers furieux déchirent à belles dents
tout ce à quoy ils peuuent s’attacher, d’autres
plus doux se voyans reduits au desespoir
d’en eschapper, jettent des larmes sur les
maux qu’ils endurent, & pleurent amerement
leur sort fatal, duquel leur innocence
ne les peut preseruer.

 

Vn homme par son jugement, éuiteroit
en gouuernant ces funestes extremitez ; mais
la passion d’vne Femme est aueugle, elle ne
les voit pas, elle ne les éuite point, Elle veut regner
quoy qu’il couste, & parce qu’on s’y
oppose on est criminel, cette tyrannie est
insupportable.


Mais S. A. R. n’est il pas l’Oncle du Roy,
n’est-il pas Fils de France, n’est-il pas le plus
proche du sang Royal : N’est-il pas assez moderé,
assez juste, assez puissant : Enfin assez
digne & assez capable pour tenir le timon des
affaires de la France, & pour maintenir mieux
que la Reyne l’authorité Royale : Tout le

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monde en est d’accord auec moy, toutes les
Loix du Royaume sont pour luy, il n’y a que
la Reyne qui luy est contraire : Elle en veut
donc à tous, elle en veut à la Iustice, elle veut
abolir toutes les Loix & les plus religieuses
Coustumes de France : Cela ne s’appelle il
point estre criminel d’Estat, & ennemy du
repos & du salut de tout le monde.

 

Toutes les Femmes qui ont voulu vsurper
le droit de commander aux Peuples, ont toûjours
esté la cause de la destruction des Empires,
où du moins ont causé d’effroyables desordres
dans ces Monarchies.

La Reyne d’Assyrie qui regna l’espace de
42. ans sous l’habit d’vn homme, qui couuroit
son sexe & son vsurpation, diuisa tout l’Orient
en des factions innombrables : Elle rauagea
en suite l’Ethiopie, & les Indes qui
jouissant pour lors d’vne ferme tranquillité,
n’auoient garde de s’imaginer qu’vne Femme
en deust interrompre le cours. Cette
ambitieuse Semiramis pour continuër longtemps
son vsurpation, fit esleuer son fils dans
les delices & dans les voluptez, pour le rendre
tout à fait incapable de regner par luy-mesme ;
Elle reüssit en ce dessein, puis qu’elle

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en fit vn homme sans courage, & sans capacité
aucune, de manier le Sceptre d’vn si
redoutable Empire, elle en fit vn lâche à ses
dépens, ayant receu le coup mortel de ce fils
dénaturé, qui suiuant les mauuaises inclinations
que sa Mere luy auoit fait prendre, la
paya des soins qu’elle auoit pris de son Education
& de sa conduite ; & vescut depuis
dans cette bassesse & dans cette oysiueté,
dans la quelle cette ambitieuse l’auoit fait éleuer
à son mal-heur & pour sa perte.

 

Tous ses Successeurs à son imitation demeurerent
dans vne vie molle & honteuse,
jusqu’à ce qu’elle fut méprisable à tout le
monde, qui ne pouuant plus tollerer leurs
infamies, les priuerent du Sceptre & de la
vie. Semiramis fut la premiere cause de la
cheute de ce prodigieux Empire, tant il est
vray que les Femmes ambitieuses ne sont
nées que pour la decadence & la ruïne des
Monarchies.

Et sans sortir hors de chez nous, n’auons-nous
pas veu nostre Monarchie destruite par
la lasche ambition & par l’animosité obstinée
d’vne Reyne assez ennemie de son propre fils,
pour le des-heriter de sa legitime Succession,

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luy arracher la Couronne de dessus sa teste, luy
oster le Sceptre des mains, en faueur d’vne
Puissance estrangere & ennemie. Apres cela,
quelle confiance peut-on auoir à vne femme,
à qui la perte de son fils n’est rien au prix de
contenter son ambition & sa fureur. Cette
Mere cruëlle ne se contenta pas d’auoir osté
à Charles le Dauphin son heritage, elle voulut
pour satisfaire à sa passion effrenée, faire
voir à toute la France son ancien Ennemy, receuoir
la Couronne & la Royauté : Action
qu’elle produisit au milieu de Paris à la plus
grande honte des François ; mais encore plus
à leur mal-heur, puis qu’ils virent en suite les
Anglois desoler toutes leurs terres, & n’épargner
aucun endroit de ce Royaume, où ils ne
portassent le fer & le feu, si bien qu’il cousta
presque tout le sang des Peuples, sans le
pouuoir esteindre. Et tout ce rauage arriua
par les meschancetez espouuentables d’Ysabeau
de Bauiere, & pour la hayne irreconciliable
qu’elle eut pour son fils, & pour son
Royaume.

 

Vne infinité de pareilles qui sont autant
d’exemples d’horreur à la posterité, fourniroient
assez de crimes pour en composer vn

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composer vn gros Volume ; mais celles-là
suffiront pour toutes les autres, & leur Histoire
est assez capable de nous monstrer quelle
tyrannie est celle d’vne Femme qui domine,
combien le gouuernement en est injuste,
quelle diligence & quel soin l’on doit apporter
à preuenir les mal-heurs qu’il cause, &
combien enfin la memoire de leurs crimes
doit estre odieuse aux Estats bien policez, puis
qu’ils n’ont point d’establissement si ferme,
que l’ambition d’vne Femme n’ebranle, point
de richesses si immenses qu’elle ne dissipe,
point de si florissantes Prouinces qu’elle ne
ruine, & point d’auantages si considerables
qu’elle n’aneantisse, les horribles Factions qui
de tout temps sont prouenuës de cette source
mal-heureuse, les desolations deplorables
qui se sont epanduës en tous les coins du
monde, par le moyen des Femmes ambitieuses,
sont des mouuements trop funestes de leur
fureur qui n’a point de bornes, depuis que
leur passiona pris vne fois le dessus de leur raison,
qui n’est tousiours que trop foible pour
resister à tant de violence. L’Estat mesme du
Peuple de Dieu n’a point esté exempt de ces
furies, les injustes persuasions de [illisible]ezabel perdirent

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son Mary, ses Estats, & la plus grande
partie de ses Subjets qui en furent exterminez,
& le juste vengeur des crimes de toutes
les creatures, ayant eu en auersion les pernicieux
conseils de cette malicieuse Reyne, voulut
que son corps fust deuoré par des chiens,
quelle reçeust vn chastiment pareil au peché
qu’elle auoit voulu commettre.

 

Bien qu’on loüe Zenobie de son inuincible
courage & de son obstination à faire teste
à toutes les forces de l’Empire Romain : Toute
sa conduite pourtant jointe à sa valeur extraordinaire
dans ce sexe, ne seruit qu’à perdre
les Palmireniens, & à luy oster la vie à elle
mesme, pour monstrer que la plus haute
Politique d’vne Femme n’est tousiours que
tres-pernicieuse à l’Estat, où elle s’ingere de
vouloir commander. Sa plus grande Puissance
n’estant tousiours qu’abaissemens &
que foiblesse : Raison que Pharamond apporta
dans l’institution de la Loy Salique.

Cependant la Reyne s’opiniastre à soustenir
vn pouuoir qu’elle ne tient plus que par
vsurpation dans nostre Estat : Elle employe le
fer & le feu, & toute la violence de ses plus
fortes passions, pour maintenir la resolution

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qu’elle a prise de perdre plutost tout, que de relascher
le moins du monde. Si elle ignore l’obligation
qu’elle a d’en rendre compte, vn jour
la Loy luy apprendra que toute personne qui
se charge du bien d’vn Mineur luy est comptable ;
outre que les Estats du Royaume ont le
pouuoir de luy demander raison de tant de
maluersations qui se commettent sous son authorité,
qui ne fut jamais donnée à personne,
que sous condition de procurer au Public tout
le bien possible, & qui deuient illegitime deslors
qu’elle est toute employée à la ruyne &
au saccagement de ceux sur lesquels elle est
establie.

 

Afin qu’elle ne se figure point que cela
soit sans exemples, l’Histoire nous en fournira
d’estrangers & de domestiques. L’ambitieuse
Imperatrice Irene qui auoit eu toute
l’authorité de l’Empire d’Orient durant
la ieunesse de Nicephore, eut bien tant de
vanité que de pretendre à l’Empire de tout
le monde, au preiudice de ce ieune Empereur,
n’ayant point d’autre moyen d’y paruenir
que l’authorité absoluë qu’elle possedoit
auec trop d’iniustice, & au preiudice
de son propre fils, à qui elle appartenoit legitimement.

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Pour venir à bout de son dessein
elle enuoye des Ambassadeurs a Charlemagne
qui triomphoit pour lors dans l’Europe
par les conquestes iournalieres qu’il y
faisoit, ces enuoyez prattiquoient secretement
le Mariage de l’Imperatrice auec ce
Prince, à condition qu’elle luy remettoit
entre les mains l’Empire d’Orient, qu’il deuoit ioindre
a celuy d’Occident, qu’il tenoit
pour lors autant de son Espée & de sa vertu
que de sa Royale naissance, sur le poinct que
l’affaire s’alloit conclure Nicephore en est
auerty, il reconnoit auec estonnement la
mauuaise volonté de sa Mere luy demande
vn compte exact de la mauuaise administration
qu’elle auoit faite de son Empire pendant
son ieune aage, & l’ayant fait raser la
confina pour le reste de ses iours dans vn
Cloistre sauuant ainsi sa Couronne, que sa
mere luy alloit oster de dessus la teste.

 

Personne n’ignore le Compte exact que
Lothaire fit rendre a Brunehault sa propre
tante, laquelle il ne laissa pas de condamner
au dernier supplice pour les maux & les desordres
qu’elle auoit causez dans tous les endroits
de son Royaume.

-- 25 --

Mais dans vn temps où il ne se trouue
personne capable d’exiger cette Iustice, n’a
t’on pas tousiours veu qu’elle a esté demãdée
par vn souleuement general de tous les peuples,
quand ils se sont veus reduits à l’extremité.
Ie sçay bien que ces mouuements des
suiets sont des crimes enuers leurs Souuerains,
& des fautes d’Estat qui sont tousiours
punissables selon la rigueur des loix, mais
lors que le mauuais gouuernement, & l’oppresion
trop visible les y contraint, ce sont
des fatales suittes des manquements de ceux
qui gouuernent, dont ils sont les premiers
coupables, ainsi quand ils s’obstinent à les
chastier, & que les suiets demandent iustice
de leurs dereglement, il ny a plus de forme
d’Estat, ce n’est plus qu’vne miserable confusion
ou les plus forts sont les plus authorisez
quelques fautes qu’ils commettent a
cause qu’il ny a plus de iustice, & que chacun
se la veut faire soy mesme.

Pour obuier à des malheurs si preiudiciables
à l’authorité du Souuerain qui doit
estre inuiolable, & au bien public qui doit
estre la regle de toutes les actions des Princes
& des suiets, il faut quelque fois que tout

-- 26 --

le monde s’interesse à la conseruation des
droits de l’Estat, qu’il maintienne l’authorité
entre les mains de celuy à qui elle doit
estre afin qu’il ne manque iamais de iuge qui
regle tous les differents qui en prouiennent,
& de vangeur qui fasse iustice aux malheureux
peuples affligés par l’ambition maudite
des vsurpations, dont il faut vne punition
exemplaire : autrement dequoy seruiroient
les loix fondamentales si elles
estoient enfraintes impunement, à quoy
bon tant de belles & de si iustes constitutions
d’Estat, si au lieu de rien establir pour
son bien, elles n’auoient pas mesme la force
de détourner vne infinité de malheurs que
leur infraction auroit causée. Les Loix seroient
trop fatales aux Estats à ce prix, & il seroit
desormais plus necessaire de les détruire
que d’en faire ; Remede aussi violent que le
mal est capable de faire perir egalement les
Estats, & renuerser toute la societé ciuile.

 

Il faut donc que chacun examine en conscience
& dans vn esprit de paix & de concorde
ce qui est de meilleur dans l’Estat present
des affaires de la France, & pour le
maintien de l’authorité Royale, & pour le

-- 27 --

repos des peuples languissants, qu’apres l’auoir
reconnu il l’embrasse vigoureusement
sans interest, & sans passion, les loix, les
coustumes, les longues guerres que les femmes
ont fait naistre en France, & les bons
desseins de ceux qui voudront y apporter
du remede, luy feront assez connoistre ce
qu’il est obligé de suiure, quel party il doit
embrasser, & ce qu’il doit faire pour l’accomplissement
d’vn si parfait ouurage qui
est la paix generale si necessaire au Roy
pour rafermir son authorité, & pour remplir
les coffres de son Espargne epuisez par
les guerres ciuiles, à la Reyne pour le repos
de sa conscience, aux grands du Royaume
pour se remettre en estat de tenir leur rang
auec honneur en France, & enfin à tous les
peuples pour estre deliurez de leurs miseres,
& se remettre de leurs pertes immenses qui
leur feront autrement abandonner les
champs sans culture si l’on ne les laisse quelque
peu respirer en tranquillité.

 

-- 28 --

REMARQVES
NE CESSAIRES SVR LA
Minorité des Roys de France.

I.

LA Minorité des Roys est cette suspension
de leur Authorité, lors qu’ils sont
encor en vn âge incapable de vaquer au
Gouuerment des affaires publiques. Elle
commence au iour du trépas de leur Pere,
& finit à l’entrée de l’an quatorziéme de leur
âge, suiuant l’Ordonnance du Roy Charles
V. verifiée en Parlement de Paris, en l’année
mil trois cent soixante & quinze.

II.

En la premiere race de nos Roys, les Cadets
partageoient également le Royaume
auec leur Aisné, & ils prenoient tous indifferemment
la qualité de Roys de France ;
bien qu’ils ne le fussent que d’Orleans ou de
Bourgongne, d’Austrasie ou de Soissons. Il
s’est trouué mesme des Bastards, lesquels au
defaut des enfans legitimes, ont succedé au
Royaume de leur Pere.

-- 29 --

TABLE DE TOVS LES NOMS
des Roys Mineurs en France.

I. Thibaut Gontaire & Clodoalde.

II. Childebert.

III. Clotaire Second.

IV. Theodebert & Thierry.

V. Sigebert, Childebert, Corbe & Meroüée.

VI. Clouis Second.

VII. Charles le Simple.

VIII. Louis d’Outremer.

IX. Philippe Premier.

X. Philippe Second, dit Auguste.

XI. Sainct Louis.

XII. Iean Premier.

XIII. Charles Sixiéme.

XIV. Charles Huictiéme.

XV. Charles Neufiéme.

XVI. Louis Treizieme.

XVII. Louis Quatorziéme.

-- 30 --

LES ROYS MINEVRS
EN FRANCE.

I.

THIBAVLT, GONTAIRE,
ET CLODOALDE.

Thibaut, Gontaire & Clodoalde
estoient, fils de Clodamire Roy
d’Orleans, & petits fils du Grand
Clouis, & de la Reyne Clotilde. Ils furent
éleuez sous la Tutelle de leur Grand-Mere,
apres la mort de leur Pere Cladomire, tué
en guerre par Gondemar Roy de Bourgongne.
Mais la cruelle ambition de Childebert
& de Clotaire Roy de Paris & de Soissons,
les priua bien-tost ensemblement du Royaume
& de la vie Ces oncles denaturez ayant
attirez en leur Palais ces trois ieune Princes,
sous couleur de se diuertir auec eux à la chasse,
ils les retinrent, & en leur place ils enuoyerent
à la Regente vn Ciseau & vn poignard.
Elle qui connût aussi-tost leur dessein

-- 31 --

pernicieux de ses enfans contre la vie
de ses petits fils, preferant à leur égard vne
mort honneste à vne vie méprisable, répondit
toute en colere, Aussi tost morts que Moynes.
A cette réponse, Clotaire possedé d’vn
esprit de fureur, prend Thibaut l’aisné de
ces ieunes Princes, & l’ayant porté par terre,
le perça aussi tost de son espée. Le Petit
Gontaire qui estoit le second arrousé du
sang de son frere, se iette aux genoux de son
Oncle Childebert, luy demandant la vie, &
il l’eust obtenuë sans doute, n’eust esté que
Clotaire furieux & escumant de rage, le menaça
de les percer tous deux d’vn mesme
coup. Ainsi il luy liura cruellement cette innocente
victime, qu’il sacrifia luy mesme à
sa fureur. Il fut aussi tost egorgé par cét Oncle
denaturé sur le corps encore souspirant
de son frere Le troisiéme échappa de leurs
mains, & quittant la Cour auec le monde,
embrassa l’estat Ecclesiastique, où il reussit
si parfaitement, que d’vn Roy il fit vn Saint,
& c’est le sainct Cloud que nous honnorons
aupres de Paris. Exemple fameux à la posterité
de l’ambition des Oncles, & du malheur des Neueux.

 

-- 32 --

Reflexions sur la vie de Thibaut, Gontaire
& Clodoalde.

LA foiblesse d’vne femme donna lieu à
cette vsurpation, les ayant irritez par
sa seuerité obstinée, si elle eust pû souffrir
vn Conseil bien estably pour la direction
des Estats de ces Pupilles, ou qu’elle eust esté
assez Politique pour leur en choisir vn elle
mesme, elle eust preuenu toute cette violence,
d’autant que par ce moyen ces Oncles
n’eussent osé entreprendre sur les biens & la
vie de leurs Neueux, ayant des gens en teste
capables de leurs resister, & auroient esté
obligez par cette bonne conduite, de rendre
de bons offices à ces Mineurs, du moins par
maxime d’Estat, ou s’ils auoient esté assez
temeraires pour faire quelque chose à leur
preiudice, ils eussent rencontré beaucoup
plus de d’oppositions dans des hommes sages
& vigoureux, que non pas dans le foible
esprit d’vne Regente.

-- 33 --

II.

CHILDEBERT.

Childebert fut fils de Sigebert Roy
d’Austrasie, & de la Reyne Brunehaut.
Son pere Sigebert ayant esté cruellement
assasiné au siege de Tournay par les artifices
de Fredegonde, il fut preserué du peril
par la conduite de sa Mere, laquelle le fit
descendre de nuict des murailles de Paris,
dans vne Corbeille d’osier entre les mains
de Gondebaut son allié, qui luy fut fidele,
iusqu’au poinct de luy conseruer son Estat
& sa vie. Dés-là s’estant fait couronner à
Mets, comme Roy d’Austrasie, il arme aussi-tost
contre Chilperic & Fredegonde, les
meurtriers de son pere auec vn succez aussi
peu heureux, que sa cause estoit iuste. Il fut
plus heureux a vanger la mort de son Oncle
Chilperic, tué par Fredegonde, la reduisant
au poinct, ou de reconnoistre Gondebaut,
qui se portoit pour fils du Grand Clotaire,
comme successeur du Royaume, en la
place de Clotaire second son fils, ou de luy

-- 34 --

ceder le Royaume d’Orleans, dont il auoit
esté fait heritier par le Testament de Gontran
son Oncle. Il ne suruesquit gueres à ses
Conquestes, estant mort peu de temps apres
qu’il fut declaré Maieur, laissant à tous vn
iuste doute s’il estoit mort de regret ou de
poison, & s’il estoit plutost opprimé par le
courage de Fredegonde, que par la malice
de Brunehaut.

 

Reflexions sur la vie de Chilperic.

C’est l’ordinaire d’vne femme qui regne,
de recourir bien tost à la fureur
& aux artifices malicieux, parce que la Politique
luy manque tousiours, la raison est,
qu’elle est naturellement foible d’esprit, &
qu’il faut qu’elle appelle bien tost la passion
à son secours, laquelle outre qu’elle est aueugle
d’elle mesme, elle obscurcit encor le peu
de raison qui preside dans ce Sexe, de maniere
que n’ayant plus de discernement du
bien & du mal, elle mesle l’vn auec l’autre
par vne estrange confusion, ainsi que Brunehaut,
qui s’est trouuée quelquefois bonne,
& le plus souuent tres meschante, ou
bien, si l’esprit feminin reconnoit encor ce

-- 35 --

qui est bon & iuste ; pour ne sçauoir pas les
voyes & le chemin qu’il faut tenir pour y
arriuer, il employe & met en vsage toutes
les ruses & toutes les malices pour arriuer à
sa fin comme Fredegonde, & tout cela aux
dépens des Couronnes des Roys Mineurs,
de leurs propres enfans, des grands du Royaume
& des peuples, qui estant suiets à leur
domination deuiennent esclaues de leurs caprices.

 

III.

CLOTAIRE SECOND.

Clotaire second nasquit de Chilperic
& de Fredegonde. Son berceau fut
couronné doublement, en ce qu’il gaigna
vne fameuse victoire estant encore dans les
langes, & a la mammelle de sa Mere. Elle le
portoit ainsi en teste de ses escadrons armés,
contre Childebert le Fils de Brunehaut qui
par vne mesme atteinte osoit bien attaquer
la vie du Fils & l’honneur de la Mere. Mais
l’innocence de l’vn & la conduite de l’autre,
les reduisent bien-tost au point de demander
eux mesmes la paix, qu’ils auoient reiettée

-- 36 --

& d’aduoüer pour parent celuy qu’ils ne
vouloient point reconnoistre auoir pour
amy. Ce Prince fut eleu en partie sous la sage
conduite de Gontran son oncle Roy
d’Orleans, & en partie sous les soins de sa
Mere Fredegonde à laquelle il est incertain,
s’il deuoit plus d’amour que de haine, & s’il
luy estoit plus sensiblement obligé de l’auoir
mis au monde, que iustement offensé
d’en auoir osté Chilperil son Pere, dont il
tenoit le Royaume & la vie.

 

Reflexions sur la vie de Clotaire Second.

LA bonne conduitte de Gontran Roy
d’Orleans, qui gouuerna en paix les
dix premieres années de la minorité de
Clotaire, fait assez voir l’auantage du commandement
des hommes par dessus celuy
des femmes, car Fredegonde n’eut pas plutost
vsurpé ce pouuoir par son ambition
dereglée, qu’il fallut le maintenir par la
guerre, au grand preiudice du repos de l’Estat,
& au mecontentement de tout le monde,
qui sçauoit bien quelle n’auoit en teste
que la vangeance contre Brunehaut qu’elle
vouloit executer au depends mesme de tout

-- 37 --

le Royaume qu’elle exposoit pour cette passion.
Malheureuse fo blesse qui n’est iamais
appuyée que par des méchancetés execrables.

 

IV.

THEODEBERT ET
THIERRY.

Theodebert & Thierry furent Fils de
Childebert Roy d’Austrasie & de
Falembe. Apres la mort de leur Pere la Reyne
Brunehaut fut leur Tutrice, & diuisa entre-eux
les deux Royaumes d’Austrasie &
de Bourgongne, que Childebert auoit seul
possedés. Ces deux freres sous la conduite &
par le conseil de leur ayeule, firent vne guerre
irreconsiliable à Fredegonde & a Clotaire
second Roy de Paris, voulant punir l’vne
du meurtre de leur grand Oncle le Roy
Chilperic & declarer l’autre fils illegitime
de Fredegonde, & ainsi incapable de la succession
du Royaume de France. Mais cette
femme artificieuse racheta la vexation quelle
craignoit de ces deux Princes par la cession

-- 38 --

qu’elle leur fit d’vne partie des Royaumes
d’Orleans, & de Soissons. Depuis encore
tandis que Theodebert regnoit paisiblement
à Mets, & Tierry en Bourgongne,
Fredegonde & Brunehaut abusans de la Minorité
de leurs enfans, se firent vne guerre
d’autant plus cruelle, que l’vne combatoit
pour l’honneur, & l’autre pour la vie. Aussi
dans la suite de tant d’euenemens, dont leur
vie fut embarassée, l’ambition de l’vne ne
peut estre dignement punie que de sa ruine,
& la cruauté de l’autre iustement vengée
que de sa mort & la malice de toutes les
deux, suiuie de la desolation entiere de leurs
Royaumes.

 

Reflexions sur la vie Theodebert & Thierry.

Cette Histoire me semble le plus naif
tableau de la cruauté des femmes qui
represente assez bien leur pernicieuse conduitte.
De si effroyables manquements se
presentant si souuent aux yeux des François,
deuoient bien leur auoir fait trouuer dequoy
les corriger, car ie ne sçays comment
il est possibles qu’ils se soient tousiours deffendus
des vsurpations des plus puissants du

-- 39 --

monde, & qu’ils n’ont pû se garentir de
celles des femmes ambitieuses, ils font teste
à la valeur, & mesprisent des lachetés qui
leur sont plus preiudiciables.

 

V.

SIGEBERT, CHILDEBERT
CORBE ET MEROVEE.

Sigebert, Childebert Corbe & Merouée
estoit fils de Tierry, Roy de Bourgongne
& d’Austrasie qui les eut de diuerses
femmes, & par vn exemple remarquable à
la posterité dans la premiere race de nos
Roys, ils luy succederent en ses Royaumes,
bien qu’ils fussent nés de mariage illegitimes.
Encore auiourd’huy en Portugal, en
Sauoyé & dans tous les Estats qui sont Fiefs
de l’Empire, cela se pratique. Ils furent esleues
sous la conduite de Brunehaut leur bisayeules
apres la mort de leur pere Thierry,
tué, en guerre par Clotaire second Roy de
Paris. Mais peu apres par vn exemple de
lascheté qui treuue peu de pareils dans l’Histoire,
ils furent trahis par leurs Maires Varnier

-- 40 --

& Albon, & liurés auec leur bisayeule
la Reyne Brunehaut à l’ancien ennemy de
leur maison, le Roy Clotaire ; lequel n’ayant
point encore du tout satisfait à sa colere
d’auoir fait supplier indignement la Reyne
Brunehaut, il porta encore sa rage iusqu’au
point de les priuer eux mesme du Royaume
& de la vie.

 

Reflexions sur la vie de Sigebert, Childebert
Corbe & Merouée.

Voila le malheur que cause vne femme
ambitieusement enragée elle ayme
mieux tout perdre que de prendre de
bonnes resolutions qui ne flattent point assez
son humeur passionnée, il faut tout perdre
pour regner selon les caprices, la vie des
Roys & le salut des Estats ne luy sont rien
au prix de ses obstinations, mais tousiours
elle treuue chastiment pareil à ses crimes qui
la conduisent infailliblement a vne fin malheureuse,
ce qui est de plus fascheux, c’est
qu’elle ny arriue qu’apres la perte de beaucoup
de personnes.

-- 41 --

VI.

CLOVIS SECOND.

CLOVIS second, fut fils de Dagobert &
de Nantilde. Par vn exemple remarquable
en la succession de nos Roys, il fut
preferé à son aisné dans le droit de succeder au
Royaume de France, soit par la raison de son
merite, ou par l’inclination de son Pere qui
le prefera en ce choix à Sigebert, auquel il
donna la Couronne d’Austrasie. Apres la mort
de Dagobert, le jeune Clouis fut esleué sous
les soins de sa mere Nantilde, declarée Regente
par le Testament de son Mary. Aussi
son plus grand soin & son premier Eloge fut
de maintenir ces deux Freres en vnion & en
paix dans vne si grande inégalité de fortune,
& dans vne si notable disproportion de volontez.
Ce Prince regna auec beaucoup de
douceur, n’ayant au surplus rien laissé de memorable,
sinon de n’auoir rien laissé de soy
qui fust digne de memoire.

-- 42 --

Reflexions sur la vie de Clouis second.

Celle-cy seroit assez loüable si elle ne s’estoit
fait voir dénaturée par vn exemple
de seuerité inouye, auparauant aussi-bien
qu’apres elle. Cette Femme dans la prodigieuse
auidité qu’elle auoit de gouuerner l’Estat,
fit chastrer ses autres enfans qui s’y vouloient
opposer. Furieuse foiblesse d’vn esprit
noblement ambitieux, qui veut regner en
dépit de la Nature, qui luy a refusé toutes les
qualitez & tous les auantages pour vn si glorieux
employ, afin de faire voir qu’elle ne luy
a point donné l’estre à cette intention.

VII.

CHARLES LE SIMPLE.

Charles le Simple, fut fils de Louys second,
dit le Begue, & de Adelaïde ou
Alix. Il nasquit apres la mort de son Pere, &
fut salüé des François, comme leur Roy mesme,
dés deuant le jour de sa naissance. Sa Minorité
fut fort trauersée par l’ambition des
Regens, qui vsurperent en France l’autorité

-- 43 --

Souueraine de commander. Louys & Carloman
ses freres Bastards diuiserent premierement
l’Estat par leurs brigues. Apres leur
mort, Charles le Gros fut couronné Roy de
France par les Estats. Eudes Roy de Bourgogne
en suite choisy par le Testament du feu
Roy, & par les Estats comme Regent du
Royaume durant cette Minorité. Il l’a fit durer
iusqu’à vingt & deux ans, dans de si estranges
confusions d’affaires, qu’elles ne peurent
estre démeslées dans tout le regne du Simple ;
& ne permirent pas qu’il fust jamais paisible
possesseur de son Royaume, ayant esté tousjours
aussi mal-heureux en son regne que dans
sa Minorité.

 

Reflexions sur la vie de Charles le Simple.

LE déreglement des Regentes auec impunité,
donna de la hardiesse aux Princes
qui furent appellez au maniment des affaires,
d’empieter sur l’authorité Royale, & comme
ils auoient vn peu plus de conduite que ces furies,
ils porterent aussi leur ambition plus ouuertement
jusqu’à la Royauté. Les Femmes
qui les auoient precedés auoient donné lieu à
cette temerité qui ne faisoit que suiure les

-- 44 --

voyes que ces ambitieuses leur auoient si bien
tracées.

 

VIII.

LOVIS D’OVLTRE-MER.

LOVIS surnommé d’Oultre-Mer, nasquit
de Charles le Simple, & d’Ogine
fille d’Edoüard Roy d’Angleterre. Cette Princesse
ayant sceu que son Mary auoit esté surpris
& arresté prisonnier à S. Quentin, par Hebert
Comte de Vermandois, son allié & son
subjet ; & que Raoul Duc de Bourgogne
auoit esté proclamé Roy de France en sa place :
Elle prit aussi-tost son fils Louys encore
fort jeune, & auec luy se retira seurement en
Angleterre vers son frere Aldestan, lequel y
regnoit alors, cedant ainsi au mal-heur de sa
fortune & à la force de ses Ennemis. Mais enfin
tous ces troubles estans heureusement dissipez,
elle fut rappellée en France par les Estats
neuf ans apres qu’elle en estoit sortie, & son
fils restably en suite dans le thrône de son Pere,
lequel estoit mort durant sa prison, plutost
du sentiment de sa misere que de la violence

-- 45 --

d’aucune maladie. Ce fils succeda au Royaume
de son Pere, auec autant de mal-heur &
aussi peu de vertu.

 

Reflexions sur la vie de Louys d’Oultre-Mer.

LA Regence eut si peu de credit en cette
Reyne, qu’elle n’eut point le pouuoir de
faire comme les autres : Elle fait pourtant assez
juger qu’elle n’auroit pas mieux gouuerné,
ayant eu neuf ans vn pouuoir absolu sur
son fils, sans luy auoir donné aucune Education
digne d’vn grand Monarque. Voilà par
où elles commencent à mal gouuerner ; car de
la mauuaise instruction de leurs enfans & de
l’incapacité qu’elles fomentent dans l’esprit
de ces jeunes Princes, vient la necessité qu’on
a de quelqu’vn qui prenne le soin de ses affaires,
desquelles elles se saisissent, aussi-tost courant
où leur ambition les appelle, & non pas
leur propre merite.

IX.

PHILIPPE PREMIER.

Philippe premier fut fils de Henry premier,
& de Anne fille de Georges l’Esclauon

-- 46 --

Roy des Russiens. Son Pere le fit couronner
Roy de France dés son viuant, suiuant
la coustume de ce temps-là, estant alors seulement
âgé de sept ans ; & pour dresser sa jeunesse
à tous les exercices des Lettres & des Armes,
il luy donna pour Tuteur & Regent du
Royaume, Baudoüin Comte de Flandres.
Ce Prince suruescut de fort peu le couronnement
de son fils, lequel il hasta à cause de son
indisposition, & apres sa mort suiuant son
ordre, Baudoüin prit le gouuernement de
l’Estat auec la conduite du jeune Roy. Cette
Minorité fut fort heureuse, & n’ayant eu à
combattre que quelques Gascons reuoltez,
elle se passa fort doucement par la sage moderation
du Regent, lequel auec la faueur de
tous les Princes & Seigneurs François conduisit
son Pupille jusqu’à l’âge de quinze ans, où
il luy laissa en terre son Royaume paisible
temporellement, tandis qu’il alla joüir de
de celle qui est dans le Ciel eternelle & bienheureuse.
Il fut vniuersellement regretté d’vn
chacun, ayant laissé vn exemple illustre d’vn
bon Tuteur, de Roy, & d’vn sage Regent du
Royaume.

 

-- 47 --

Reflexions sur la vie de Philippes Premier.

Voylà vn exemple assez fameux de la
bonne conduite & de la legitime Education
d’vn Roy de France, qui deuoit seruir
à toute la posterité dans l’establissement de la
Regence, pour le bon ordre du Royaume.

X.

PHILIPPES SECOND
DIT AVGVSTE.

Philippe second surnommé Auguste, fut
fils de Louys septiesme, dit le jeune, &
d’Adelle fille de Thibaut Comte de Champagne.
Il fut sacré & couronné à Rheims du
viuant de son Pere, dans vne celebrité si Auguste
qu’il en a retenu le nom. Il y adjousta depuis
celle de Conquerant & de Victorieux,
pour les heureux succés de ses armes contre
les Infideles de la Terre-Sainte, que contre
les ennemis de l’Estat, en Angleterre & en
Flandres. Sa Minorité qui fut sagement gouuernée
par Adele sa Mere, & par son Oncle
Guillaume Archeuesque de Rheims, il commença

-- 48 --

heureusement par le reglement Ciuil
& Politique de son Royaume. Il bannit de
la Cour, le jeu, & la comedie, & n’admist auprés
de soy que des hommes capables & vertueux.
Il s’associa en sa jeunesse de Richard
Duc de Guyenne, auec lequel il fit depuis le
voyage de la Terre-Sainte, & passa auec luy
dans vn âge plus auancé d’vne confidence extrême
à vne irreconciliable amitié. Prince
autant recommendable pour auoir esté condescendant
en toutes choses à sa Mere pendant
sa Minorité, comme pour auoir commandé
absolument aux Estrangers & aux
François durant son regne. Par tout heureux,
horsmis en sa Maison.

 

Reflexions sur la vie de Phillippe II. dit Auguste.

CE partage de l’authorité qui fut entre la
Mere & l’Oncle pendant le jeune âge de
ce Prince, & cette concorde & vnion de volontez
au seruice du Roy & de l’Estat, est vn
prodige de moderation admirable dans l’vn
& dans l’autre, qui a depuis esté desire en de
pareilles conjonctures ; mais qui ne s’est pourtant
pas pû rencontrer de nostre temps, c’est
vn miracle qu’vne femme forte, & son merite
est d’vn prix inestimable.

-- 49 --

XI.

SAINCT LOVIS.

Sainct Louys fut fils de Louys huitiesme
& de Blanche de Castille. La pieté
& la vertu de ce ieune Prince, furent deslors
les presages asseurés du bonheur de son regne.
La douceur de sa minorité qui se passa
sous la conduite de la Reyne blanche sa mere,
fut vn preiugé certain de la paix qui deuoit
estre durable en toute sa vie. Apres son
Couronnement à Rheins, la Reyne qui auoit
fait confirmer sa Regence par les Estats Generaux,
s’opposa courageusement aux Princes
liguez qui s’efforçoient de la troubler, &
les ayant premierement separés l’vn de l’autre
par le Conseil, elle les deffit encore plus
vigoureusement par la force de ses armes.
Déja le ieune Roy receut l’hommage du
Duché de Bretagne qui luy fut rendu par
Pierre de Dreux surnommé pour ce suiet
Maucler : si apres auoir fait vne visite generale
des villes principales de son Royaume,
en laquelle il receut par tout les hommages

-- 50 --

& les vœus de ses suiets, ou il retint dans le
deuoir les peuples sousmis ou il reduisit les
reuoltés a son obeyssance. Ensuite il introduisit
la pieté auec la paix en son Royaume
& y fit florir par tout la Iustice auec l’abondance,
auec tant de douceur de moderation
& de sage conduite dans cét âge, que toutes
ses vertus ensemblement vnies luy firent
deslors meriter la qualité de sainct.

 

Reflexions sur la vie de sainct Louys.

IL seroit difficile de blasmer l’ambition de
cette Regente, puis qu’elle estoit si bien
appuyée de la pieté, elle est pourtant accusée
d’auoir excedé en ses desseins, mais le
reüssi qu’elle en a eu l’excuse beaucoup, outre
qu’elle auoit vne conduitte saintement genereuse,
& que si elle affectoit de regner elle
s’estudioit par tous moyens de s’en rendre
capable. C’est auoir assez fait pour le sexe
d’auoir fait vn Roy sainct, par ses bonnes
instructions.

-- 51 --

XII.

IEAN PREMIER.

Iean premier nasquit de Louys dixiesme
surnommé Hutin & de la Reyne Constance
qu’il laissa enceinte a sa mort. Toute
la France estoit en attente & en desir de receuoir
vn Roy, lors que la Reyne accoucha
d’vn fils posthume qui fut surnommé Iean
au Baptesme. Mais cette ioye fut bien-tost
interrompuë par la mort de ce ieune Prince,
lequel n’ayant vescu que huict iours, ne
treuue presque point de nom ny de place
dans l’Histoire. Il fut pourtant enterrée à S.
Denis auec toute la pompe que l’on â coustume
de garder aux funerailles des Roys, &
par sa mort son oncle Philippes dit le Long,
changea la qualité de Regent qu’il portoit
en celle de Roy de France qui luy estoit legitimement
acquise par le droit de sa naissance.

Reflexions sur la vie de Iean Premier.

LA minorité de ce Roy fut la plus heureuse,
puis qu’il deuint tout d’vn coup

-- 52 --

Majeur, & fut mis en possession d’vn heritage
que les factions des ambitieux ne luy
peuuent iamais faire perdre.

 

XIII.

CHARLES SIXIESME.

Charles sixiesme fut fils de Charles cinquiesme
dit le Sage, & de Iean ne fille de
Pierre Duc de Bourbon. Sa Minorité fut
fort trauersée par l’ambition de ses oncles
qui se porterent pour Regens en France l’vn
apres l’autre ou tous ensemble. Louys Duc
d’Anjou, Iean Duc du Berry, Philippe Duc
de Bourgongne, causerent en ce siecle d’estranges
brouilleries dans l’Estat, par leur
intelligence & par leurs querelles particulieres.
Ils s’accorderent pourtant tous a faire
Sacrer & Couronner le Roy a Rheims aussi-tost
apres le deceds de son pere & a donner
la charge de Connestable a Oliuier de Clisson
vn des Heros de ce siecle, choisi pour cét
employ par le feu Roy dans son Testament.
En ce temps, les troubles de Flandres bien
moins à craindre que les emotions ciuiles
des Princes entre eux, furent heureusement

-- 53 --

pacifiée par la prudence du Roy, & du Regent
qui estoit Iacques Duc de Bourbon frere
de la Reyne, auec laquelle il partageoit
tout le Gouuernement de l’Estat. Depuis
ayant Chastié les reuoltés de Paris & de
quelques autres Villes rebelles, ce ieune
Prince maintient son Royaume en vne profonde
paix ; laissant à la posterité vn illustre
document qu’vn Royaume diuisé est moins
qu’vne seule maison en paix.

 

Reflexions sur la vie de Charles Sixiesme.

L’Authorité egalement partagée, &
changée de main a diuers temps selon
la constitution de Charles le Sage, Roy veritablement
Politique, ne nous aprend que
trop par le bon ordre qui en est prouenu
combien Religieusement cette loy deuoit
estre obseruée, & sans doute elle seroit encore
auiourd’huy dans sa vigueur, si l’ambition
trop dereglée des femmes, ne l’auoit
presque aneantie, la necessité & le besoin
qu’on en aura doit causer son retablissement.

-- 54 --

XIV.

CHARLES HVICTIESME.

Charles Huictiéme estoit fils de Louys
Onziéme, & de Charlotte de Sauoye.
L’ambition & l’auarice de ses Oncles, plutost
que la foiblesse de son corps, ou l’imbecilité
de son esprit, fit prolonger sa Minorité
par de là le terme de quatorze ans, ce Prince
n’ayant esté declaré Maieur, qu’apres dix-huict
ans passez. Cependant Anne de France
sa sœur Duchesse de Beaujeu, eut en main
toute l’authorité de commander, tant comme
Gouuernante de la personne du Roy,
que comme Regente du Royaume. Il fut
Sacré à Rheims auec vne pompe du tout extraordinaire,
comme par vn presage asseuré
de sa Grandeur future. Il tint les Estats Generaux
à Tours, & dissipa les Ligues des
Princes contre la Regente, auec la mesme
facilité qu’il les auoit veus naistre. Le Duc
de Bretagne n’esprouua pas vn meilleur sort
dans sa reuolte, que le Duc d’Orleans dans

-- 55 --

sa retraitte de Paris. L’vn est priué pour vn
temps de son Estat, & l’autre esloigné de la
presence de la Cour, & tous deux décheus
des bonnes graces du Roy ; Lequel par vne si
sage institution, deuint en peu de temps vn
des grands Princes, qui ayent iamais esté en
cette Monarchie ; & auquel en verité, rien
n’a semblé manquer qu’vne plus longue
vie.

 

Reflexions sur la vie de Charles Huictiéme.

LE temps de cette Minorité ne fut pas
plus heureux que les autres. Ou l’ambition
se mesle, le desordre & la confusion la
suiuent inseparablement. Vne seule femme
esloigne tous les Princes d’aupres du Monarque,
& aliene toutes les bonnes volontez
qu’il pourroit auoir pour eux. De là viennent
les factions & les guerres Ciuiles, qui
de ce temps-là n’apporterent pas peu de
troubles dans cét Estat, & si le Monarque
eust suiuy tous les violents Conseils qu’on
luy donnoit, il eust porté ses affaires à de
dangereuses extremitez : mais le pardon
qu’il donna au Duc d’Orleans, apres l’auoir
pris prisonnier, remit le calme en France,

-- 56 --

qu’vne femme auoit troublé inconsiderement.

 

XV.

CHARLES NEVFIESME.

Charles Neufiéme n’acquit de Henry Second,
& de Catherine de Medicis. Il
succeda au Royaume à son frere aisné, François
Second du nom. Durant sa Minorité, la
Reyne sa Mere fut declarée Regẽte du Royaume,
par les Estats Generaux tenus à Orleans.
Il commença son Regne par l’elargissement
de Louys Prince de Condé hors
de la prison, où il estoit arresté. Cette action
de douceur fut suiuie d’vn exemple remarquable
de Iustice, en la personne de quelques
Seigneurs liguez contre le seruice du
Roy. Mais le regne de ce ieune Prince, qui
promettoit vn siecle d’vnion & de paix, fut
miserablement diuisé en deux factiõs, d’Huguenots,
& de Catholiques, des Princes, de
la Maison de Guise, contre l’Amiral, qui diuiserent
la France d’elle mesme, & la mirent
en proye à ses propres enfans. Ce fut alors

-- 57 --

que l’on vit en France, le Pere armé contre
le fils, les freres entre eux, & les proches l’vn
contre l’autre. Siecle d’horreur & de confusion !
où l’on ne discerne plus le parent d’auec
vn Estanger, ny vn meschant homme
d’auec vn homme vertueux. L’extremité de
ce malheur alla iusqu’au poinct, que ce desordre
ne peut estre appaisé que par vn autre.
Il est remarquable que les Lettres de la Majorité
du Roy, furent verifiées au Parlement
de Roüen, contre la Coustume & la pretention
de celuy de Paris, qui se dit estre le Parlement
des Pairs, & du Roy mesme.

 

Reflexions sur la vie de Charles Neufiéme.

CE Regne fut remply de perfidies, d’abominations
& de malheurs épouuantables.
Vne femme qui auoit pour deuise, &
pour toute maxime, diuise afin que tu regne,
l’ayant pratiquée exactement tout le temps
de sa vie, sema la discorde & la diuision dans
ce miserable Estat, pour plus de cinquante
ans, les meurtres, les assassignats, les perfidies,
les empoisonnemens, & toutes les laschetez
imaginables, furent les degrez par
où la maudite ambition monta sur le Trône,

-- 58 --

pour y faire eclatter de plus haut ses iniustices,
sans misericorde faisant sentir tout
ce qu’vne femme a de fureur, quand elle a
toute l’authorité.

 

XVI.

LOVIS TREIZIESME.

Louys Treiziéme fut fils de Henry Quatriéme,
surnommé le Grand, & de Marie
de Medicis. Il n’acquit auec le siecle auquel
il apporta le bon-heur & la paix. La Tutelle
de sa Minorité, & la Regence du Royaume
fut deferée à la Reyne sa Mere, par le
consentement vniuersel de tous les Ordres
du Royaume, & confirmée en suite par le
Conseil, & par le Parlement. Peu apres le
Sacre du Roy à Rheims, on traitta de son
mariage auec Anne d’Austriche Infãte d’Espagne,
qui fut celebré cinq ans apres en la
ville de Bourdeaux, & consommé depuis à
Paris. En suite la punition de quelques Seigneurs
coupables, aussi bien que l’aduancement
à la Cour des personnes de condition
& de merite, acquirent au ieune Roy le surnom

-- 59 --

de Iuste, qu’il a soustenu glorieusemẽt
durant tout le cours de sa vie, par l’équité
de ses armes, & par sa probité de vie au
temps de la paix. La Ligue des Princes vnis
contre l’authorité de la Regente, & pour le
droit du Mineur, ne fit que demãder l’obseruation
des Loix du Royaume : mais n’ayant
pû l’obtenir, elle trauailla en vain à vne
affaire si importante. Ce Prince a donné depuis
à la France vn siecle de Triomphes & de
Victoires, qui ne la rendent pas seulement
inuincible à ses ennemis : mais qui la font
encore formidable à elle mesme.

 

Reflexions sur la vie de Louys Treiziéme.

LA Regente auoit l’ame bonne & sans
dissimulation : mais elle auoit vne merueilleuse
enuie de regner, telle qu’elle se trouue
naturellement dans ce Sexe. Elle estoit
accompagnée de la plus grande foiblesse du
monde. Comme l’on peut iuger par la folle
creance qu’elle auoit aux Deuins & Astrologues.
Les pernicieux Conseils de Conchine
& de sa femme, qui a busant de la facilité de
cette bonne Princesse s’estoient rendus les
Maistres de tout l’Estat, alloient allumer vn

-- 60 --

incendie effroyable en France, si le Roy mesme
encor ieune Maieur, n’eust preuenu ce
malheureux dessein, en faisant tuer celuy
qui en estoit l’autheur principal, & n’eust
esloigné la Reyne de ses Conseils, luy ostant
vn faict trop pesant à la foiblesse du Sexe,
qui n’entre iamais dans le maniment des affaires
d’Estat, qu’à la ruine du Monarque, &
de la Monarchie.

 

DISCOVRS AV LECTEVR,
sur le Regne de Louys XIV.

Amy Lecteur, ie vous donne ce Regne
beaucoup plus estendu que tous les
autres, parce qu’il est tres-important de sçauoir
tout ce qui se passe de nostre temps à la
memoire glorieuse de nostre jeune Majeur. Il
est vray que les commencemens de sa Minorité
ont esté tres-heureux, c’est ce qui m’auoit
porté à encherir par dessus tous les autres, &
de loüer excessiuement la belle Education du
Prince, la bonne conduite de l’Estat par les
Princes & les Ministres, & le sage gouuernement

-- 61 --

de Monsieur de Villeroy sur la personne
& le jeune âge de nostre Monarque.

 

Mais il m’a bien fallu changer de resolution
dans la confusion & le renuersement general
d’vn si bel ordre, qui sembloit deuoir
durer tousiours. I’auois pris vn grand vol auec
beaucoup de satisfaction. Ie voudrois estre en
estat de le continuër, ce que ie ferois sans doute,
si les choses auoient suiuy de mesme pied
& sans interruption. Helas ! j’apprehende que
de long temps ie ne puisse retreuuer la tramontane
que j’ay perduë, & que le fil de mon
histoire ne soit rompu pour jamais, par les
mal-heureuses menées qui se prattiquent auec
tant de violence, qu’on en oseroit plus dire à
present la verité, de peur d’en choquer ceux-mesme
qui font veritablement tous les malheurs,
ou de donner tant d’horreur à la posterité,
qu’elle soit mal receuë dans l’esprit des
Sages & du vulgaire.

Quoy qu’il en puisse arriuer, ie parleray
tousiours comme ils feront, & ie diray tousjours
mes sentimens auec tant de sincerite &
de franchise, que si j’en suis desapprouué par
ceux qui ne veulent pas qu’on mette au jour
leurs manquemens : I’auray du moins cét aduantage

-- 62 --

de n’auoir point failly le premier, où
plutost d’auoir dit librement qu’ils n’ont rien
fait qui vaille.

 

I’ay donc traitté d’vne autre sorte la suitte
de ce Regne de Louys XIV. & ie me suis
accommodé aux changemens de la Cour
qui ont esté si frequens & si fascheux pour
nous, ie ne les deguise point, car il est bien
permis de loüer excessiuement les bonnes
choses, mais non pas de diminuer les mauuaises ;
d’autant que ce qui est mal ne peut
iamais passer pour vn bien tant petit puisse
t’il estre.

Mon sentiment est appuyé de cette raison
que les loüanges excessiues aux bonnes
actions sont tousiours vn moyen capable
d’exciter à de meilleures & de plus illustres.
Au contraires des mauuaises qu’on ne peut
iamais adoucir qu’en trompant l’esprit de
celuy qui les commet, & c’est la que ie mets
toute la flatterie.

Ie ne seray iamais lasche à ce point d’approuuer
ce que la raison condamne tacitement,
ie le publieray tousiours tout haut,
& feray vne veritable deduction quoy que
bien differente de la premiere, de tout ce qui

-- 63 --

s’est passé depuis la Majorité & tout ce qui
se doit passer cy apres d’vne façon d’escrire que
tu trouueras incorruptible.

 

Ie te prie, Mon cher Lecteur, d’examiner
le tout sans preoccupation d’esprit : Si tu
me vois tout changé sur la fin de ce Panegyrique,
de ce que j’estois au commencement,
ne t’en estonne point : Regarde seulement
les changemens de l’Estat, & pour lors
tu auoueras auec moy, que j’ay raison de
n’estre plus moy-mesme.

Tu verras pourtant toute cette suite dans
la plus naïfue representation de tout ce qui
s’est passé, & si tu me demandes par quelle
Politique tout cela se gouuerne, ie te diray
hardiment que c’est faute d’y en auoir. Si
bien que quand ie me plaindray du mauuais
Gouuernement, ie le feray voir à mesme
temps, & tu t’en pourras bien ressouuenir
toy-mesme, afin qu’on sçache que ce
n’est pas sans raison que ie regrette le temps
passe, & que ie donne de l’apprehension de
l’auenir.

Ne cherche point dans cét Escrit, combien
nos maux dureront encore, ie te le declare
en cet article : Ce sera, Mon cher Lecteur,

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jusques à ce que le Roy prenne connoissance
des maluersations de ceux qui le gouuernent
& qui ruinent son Estat, que les
ayant bien reconnus, il les chastiera de
leurs volontez passionnées, & viendra enfin
à regner comme vn alcion sur les eaux dans
vn grand calme, apres vne effroyable tempeste.

 

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Section précédent(e)


Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LA TVTELLE DES ROYS MINEVRS EN FRANCE. Auec les Reflexions Politiques sur le Gouuernement de l’Estat, de chaque Roy Mineur. PREMIEREMENT. Que tous les Roys qui ont esté dans la Minorité, ont eu des Tuteurs iusqu’à l’aage de 25. ans, soit par choix ou par vsurpation, mais tousiours par necessité. II. Que Charles V. n’a reglé la Maiorité à 14. ans, que pour changer de Regents, & non pas pour abolir la Regence. III. Que la Reyne contreuient formellement à la Constitution de ce sage Roy, & à la Loy Salique, faisant vn tort irreparable à l’Authorité Royale. IV. Quelle ne tient le pouuoir qu’elle a que par vsurpation, & le veut maintenir par la force des armes du Roy, desquelles fait mauuais vsage, & est tenuë d’en rendre compte à l’Estat. V. Qu’enfin il s’ensuit que sa Puissance est tyrannique, puis qu’elle subsiste contre toute sorte de Loix, & que toute la France est obligée de s’y opposer, pour l’interest de la Couronne. , françaisRéférence RIM : M0_3901. Cote locale : B_3_2.