Anonyme [1652], LA DECLARATION DV CARDINAL MAZARIN ENVOYES A SON ALTESSE ROYALLE, A NOS SEIGNEVR LES PRINCES, & à Messieurs du Parlement, par vn Courier Extraordinaire, , françaisRéférence RIM : M0_895. Cote locale : B_12_19.
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LA DECLARATION
DV
CARDINAL
MAZARIN ENVOYES A SON ALTESSE ROYALLE,
A NOS SEIGNEVR LES PRINCES,
& à Messieurs du Parlement, par vn Courier
Extraordinaire,

A PARIS,
Chez Louys du Sol, demeurant au Palays.

M. DC. LII.

Auec Permission de son Altesse Royalle.

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LA DECLARATION DV CARDINAL
Mazarin, enuoyes à son Altesse Royalle, à nos
Seigneur les Princes, & à Messieur du Parlement,
par vn Courier extraordinaire, Sur les execrable Crimes
qu’il à commis contre Dieu, contre le Roy, & contre
luy-mesme.

C’EN est fait Messeigneur, mes execrables
crimes m’ont enfin rendu la Terre
& le Ciel ennemis, & si la vengeance des
hommes tourmente incessamment mon corps, la
haine de Dieu & son inimitié irreconciliable affligent
encore bien dauantage mon esprit. Tout est
en desordre & en confusion chez moy, & ie n’ay
pas en mon ame vne seule partie qui soit saine,
tout est pourry & cicatricé. Que mes apprehensions
m’espouuentent ! les fureurs me bourellent
à toute heure, & le bruit du tonnerre qui gronde
contre moy de tous costez, me fait craindre que
bien-tost mon corps ne soit liuré aux corbeaux, &
aux loups, afin de seruir d’vn exemple memorable
à la posterité.

I’entends sans cesse à mes oreilles mille plaintes
publiques, on m’appelle par tout le Tyran de la
France. Ceux-mesmes qui adorent le vice, me nõment
auec horreur le meurtrier d’innocens, le deserteur
des Estats, le faux Polytique, qui mets tout
en vsage pour m’agrandir à la ruine des peuples.

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Les moins accoustumez à mesdire, publient raisonnablement
que ie suis le fleau des orphelins,
l’oppression de tous les Sujets du Royaume, &
qu’auec beaucoup d’audace & d’artifice ie me suis
enrichy des thresors de la France : Qu’homme du
monde ne fut iamais plus criminel en toutes sortes
que ie le suis, que pour me faire commander
auec tyrannie, l’enfer mesme m’a donné des leçons,
& m’ayant fait rauir le pouuoir de mon Prince,
m’a enfin rendu impunément le possesseur des
biens & de la liberté de tous ses Sujets.

 

Voila, voila, François, les vrais discours des peuples
que i’ay soûmis à mes violẽce, & à mes cruautez,
ils n’ont plus maintenant la dureté des pierres,
ny l’insensibilité des arbres ; & ce n’est pas me calomnier
que de me dire tant d’iniures, puis que
i’aduouë que mes crimes sont encore plus grands
que leurs reproches. Mais à quoy bon confesser
cette verité, si ie n’ay point d’enuie de m’en repentir ?

Il est iuste neantmoins que si Dieu ne me donne
des graces pour me conuertir, en estant indigne,
qu’en tous cas, ie des-abuse beaucoup de
monde, qui m’ont peut-estre creu dans les nations
estrangeres, aussi bon & vertueux Cardinal, que
ie suis meschant & abominable. Pour descouurir
donc mes tromperies & mes inuentions diaboliques,
ie dis en public mes crimes, ie les confesse,
& i’en fais vne amende honorable à vous, mon
Dieu, & tout nud en chemise, ayant la corde au

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col, & la torche à la main. Voicy de quelle sorte
ie m’en accuse, & i’en dis ma faute, & ma tres-griefue
faute.

 

Il ne faut pas, sur peine de peché mortel, que
personne viuante m’excuse, puis que ie suis non
seulement coulpable des pechez cy-dessus declarez,
mais encore de tous ceux qui suiuent, & que
ie vay déduire.

I’ay trahy le Roy d’Espagne, dont ie suis Sujet,
& ma Patrie consequemment ; puis pour mettre à
couuert mon crime, & ma vie, ie me suis refugié
en France : encore que depuis la mort de LOVYS
XIII. d’heureuse memoire, les Princes, les grands
Seigneurs, & les Officiers de France eussent protesté
de ne plus souffrir qu’aucun particulier s’esleuãt
sur les espaules du Roy, comme auoit fait le
Cardinal de Richelieu, à l’oppression de tout le
monde, sous ce nouueau nom de Ministre d’Estat.
Neantmoins ie n’ay pas laissé de m’estre installé
dans ce nouueau ministere : Ce n’est pas par ma
naissance, ny par aucun notable seruice que i’aye
rendu à l’Estat, ny par mon merite que ie suis paruenu
à cette haute dignité, puis qu’on sçait bien
que ie suis Italien d’origine, & de tres-basse extraction,
ayant esté valet en diuers endroits à Rome,
où i’ay seruy dans les plus abominables desbauches
de ce pays-là. Mon artificieux esprit pleût
au defunct Cardinal, où ie me poussay auprés de
luy, par mes fourbes & plaisanteries, qui firent
qu’il m’auança pour luy seruir d’espion, & de ministere

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à ses intrigues particulieres. Apres la mort
de cette Eminence, le Roy me donna son authorité ;
& depuis ce temps-là, l’on n’a point connu
d’autre puissance à la Cour, & dans les affaires du
dedans & du dehors que la mienne, au grand scandale
de la Maison Royale, mesme de toute la France,
& à la risée de toutes les nations estrangeres.
Lors que ie me fus long-temps repeu du sang des
pauures sujets du Royaume, ie bannis, & ie fis emprisonner
sans sujet ny sans aucune forme de Iustice
les Princes, les Officiers de France, ceux du Parlement
de Paris, & les plus fideles Seruiteurs du
Roy. I’ay fait mourir le President Barillon par
poison, faisant passer pour crime la trop grande
affection qu’il auoit pour le seruice de sa Majesté
& le bien de l’Estat. I’ay mis dedans les fers vingt-cinq
mille prisonniers pour les Tailles, & de ce
grand nombre il en est mort six mille de faim dans
les prisons, depuis six ans que ie regis l’Empire. I’ay
fait beaucoup plus de maux, que si les ennemis
eussent entrez vainqueurs & à main armée dans
l’Estat. Enfin pour faire reüssir mes meschantes entreprises,
ie ne me suis seruy que de traistres, que
de voleurs, & que d’athées ; & il est vray que ie n’ay
pris la conduite du Roy, que pour le maistriser, &
le gouuerner à ma mode. I’ay de telle sorte agy à
la Cour, que les Vertus ont esté surmontées par les
vices. I’ay inuenté les jeus & les berlans. I’ay vaincu
la pudeur des Dames par des charmes magiques,
& il s’est fait plus de rapts pendant mon ministere,

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& depuis que ie gouuerne l’Estat, que
le Royaume n’ẽ auoit veu depuis plus de cent ans.

 

Pour auoir moyen de voler impunément les Finances,
ie fis rehausser les Tailles & les Aydes, &
les fis leuer par des compagnies de Fuzeliers, que
l’on peut dire autant de demons. Helas ! que i’ay
tiré d’emolumens des os & des moüelles du peuple
qui gemis il y a si long temps seus le joug de
ma cruelle seruitude. I’ay ruiné, & renuersé toute
la Iustice, empeschant qu’on ne la rendist à mes
associez les Partisans. I’ay, pour tout dire, pillé
tout l’argent de la France, recuisant sa Majesté à
vne extréme indigence, & en suitte tous les Sujets
à vne mandicité deplorable, & pire que la mort.

I’ay fait mourir de faim & de necessité toutes les
Armées, qui n’ont touché depuis cinq ans qu’vne
ou deux monstres par an ; & i’aduouë que c’est ce
qui a fait perir plus de six vingts mille soldats, qui
sont morts plus par la misere que par le fer des ennemis.
Ie ne puis pas dénier d’auoir fait transporter
à Venise, & en autres lieux d’Italie, plusieurs
millions, soit par lettres de change, soit en especes
ou en pierreries, sous pretexte de leuer vne armée
nauale, pour aller conquerir Piombino & Portolongone.
De quelles damnables maximes ne me
suis ie point seruy pour dissiper nos Armées quãd
elles ont esté victorieuses, & sur le point de faire
de notables progrez ? Ne le peut on pas remarquer
deux fois en Catalogne, au siege de Lerida,
à la surprise de Courtray, & aux affaires de Naples

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que i’ay laissé déperir à dessein de ruiner Monsieur
le Duc de Guyse ?

 

Tant y a que i’ay fait des meschancetez si horribles,
que cét Auguste Senat de Paris, ayant horreur
de mes cruautez, a pris le parti des peuples
ruinez, & d’vn coup de foudre a mis mes desseins
en poussiere. I’ay beau à me vouloir garantir pat
l’armée, dont i’ay enuie d’affamer Paris ; cela est
inutile, & ie connois bien que les armes ne peuuent
pas dissiper mes craintes, puis qu’il est vray
que ie ne suis plus qu’vn object d’horreur, d’impieté,
& de brigandage. Ie commence d’en auoir
contrition : Mon Dieu, ayez pitié de moy, & faites
que vostre Iustice cede à vostre misericorde. I’apperçoy,
mon Iesus, que la discorde anime les demons
contre moy pour me liurer au Diable, &
qu’ayant fait encore plus de forfait que ie n’aduouë,
ie suis indigne du Paradis : Toutesfois, mon
Sauueur, puis que vos bontez surpassent tous mes
delits, ie vous conjure par vos graces sublimes de
me pardonner, & de ne permettre pas qu’vn meschant
homme de Cardinal que ie suis, aille du
Louure loger dans l’enfer. Mon ame est de trop
grand prix, placez la dans le Ciel, s’il vous plaist ;
pour mon corps, ie le liure à la rigueur de la Iustice
humaine, sçachant bien que les vrais François
ne souhaitent que ma mort, pour assouuir leur
haine, & leur vengeance.

FIN.

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