Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652 [?]], LE CADVCÉE D’ESTAT, FAISANT VOIR PAR LA RAISON & par l’Histoire, I. Que nous ne pouuons point esperer de Paix pendant que la Reyne sera dans le Conseil. II. Que l’entrée du Conseil est interdite à la Reyne par les Loix de l’Estat. III. Que la Reyne est obligée de se retirer en son appanage, pour les ses seuls interests, & pour son honneur IIII. Qu’on ne peut point dire que Mazarin est chassé pendant que la Reyne sera dans le Conseil, & que pour cette raison le Roy est obligée de faire retirer la Reyne. V. Que les tendresses de fils ne doiuent point faire aucune impression dans l’esprit du Roy, pour l’obliger à retenir sa Mere dans le Conseil; si sa presence y est contraire au repos de l’Estat. VI. Et que, si la Reyne ayme son fils, elle doit consentir à cette retraitte, sans aucune resistance. , françaisRéférence RIM : M0_617. Cote locale : B_16_30.
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LE
CADVCÉE
D’ESTAT,
FAISANT VOIR PAR LA RAISON
& par l’Histoire,

I. Que nous ne pouuons point esperer de Paix pendant
que la Reyne sera dans le Conseil.

II. Que l’entrée du Conseil est interdite à la Reyne
par les Loix de l’Estat.

III. Que la Reyne est obligée de se retirer en son appanage,
pour les ses seuls interests, & pour son honneur

IIII. Qu’on ne peut point dire que Mazarin est chassé
pendant que la Reyne sera dans le Conseil, & que
pour cette raison le Roy est obligée de faire retirer
la Reyne.

V. Que les tendresses de fils ne doiuent point faire
aucune impression dans l’esprit du Roy, pour l’obliger
à retenir sa Mere dans le Conseil ; si sa presence
y est contraire au repos de l’Estat.

VI. Et que, si la Reyne ayme son fils, elle doit consentir
à cette retraitte, sans aucune resistance.

A. PARIS,
Cez PIERRE LE MVET, pres la porte S. Iacques.

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TRANCHONS hardiment le mot, dont le
silence couste tant de conuulsions à la Politique
du temps ; & ne reculons plus d’enfanter
vne pensée que tous les Sages ont conceu
depuis la naissance des troubles : Faut-il qu’vne lasche
apprehension de nous voir exposez au mépris de
quelques petits mercenaires, nous fasse étouffer de
si genereux sentimens ? Et que pour nous conseruer
la liberté de paroistre impunément dans le commerce
de toute sorte de monde, nous captiuons vne sincerité,
qui n’a iamais esté dans les fers, que souz le
regne des Tyrans ?

Ie sçay bien que c’est à nous, d’obeïr aveuglément :
mais ie sçay bien aussi que c’est aux Puissances,
de commander auec Iustice ; & que cette soumission
que nous deuons à leurs ordres, ne leur est deuë qu’à
condition qu’ils la meriteront par la bonté de leur
gouuernement. Lors que Pharamond fut esleué sur
vn bouclier, suiuant la Coustume que les Francs
gardoient à tous les establissemens de leurs nouueaux
Monarques ; On ne manqua pas de luy dire selon ce
que Froissard en rapporte, Qu’on ne l’esleuoit sur les testes
des autres, qu’à condition qu’il n’en feroit point les marche-pieds
de sa tyrannie ; & qu’il falloit qu’il crut en suitte
de cette eleuation, qu’en effet on se soumettoit à luy ; mais
que neantmoins il estoit en estat d’estre plus attentiuement
estudié dans tous les desportemens de sa conduitte.

Nos Parlemens, que Bacon Chancelier d’Angleterre,
appelle dans quelqu’vn de ses Ouurages le frein

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de la Tyrannie des Souuerains, sont en effet soumis
à l’independance de nos Roys : Mais de croire que ce
soit auec cét aveuglement pretendu, que les mauuais
fauoris voudroiẽt exiger de leur conduitte, pour la
verification de toutes les Declarations Royalles, ie
pense que cela ne se peut sans extrauager ; puis qu’il
n’est point d’assez ignorant qui ne sçache que nos
Cours Souueraines peuuent examiner les Declarations
des Roys sans aucune desobeyssance ; & que cette
ancienne expression, dont elles se sont seruies dans
des Arrests portez dans cette conioncture. LA COVR
A ORDONNÉ QV’ELLE N’OBTEMPERERA
POINT, ne marque que trop, que ces Illustres Senats
ne sont obligez de proceder à la verification de ces
volontez Royalles, qu’à condition qu’elles seront
conformes à la Iustice, & nullement contraires aux
Loix de l’Estat.

 

Arnobe & Lactance, le Maistre & le Disciple ont
sagement remarqué, que le Decalogue n’a point de
loy qui ne compatisse entierement auec toutes celles
de la veritable Politique ; & qu’en cela Dieu mesme
a tesmoigné qu’il n’exigeoit point de soumission à ses
ordres, qui ne fust raisonnable, puis qu’en l’establissement
d’vn Empire qu’il pouuoit auoir rendu despotique
sans ancune tyrannie, il a voulu qu’on peut
asseoir les plus fermes fondements de l’œconomie des
Estats ; & que sans aucune contradiction à ses volontez,
les iustes Souuerains peussent disposer du maniement
de leurs affaires, au gré mesme de tous leurs caprices.

C’est vn tres-mauuais preiugé, que de vouloir que

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l’on obeysse aveuglément quand on commande, dit
Isocrate, parlant à Demonicus. Le Souuerain qui ne
vise qu’à la Iustice, lors qu’il donne ses ordres, ne se
fasche iamais, que lors que l’on ne le considere point
auec plaisir : Et c’est vne complaisance digne d’vn
Monarque, que celle de voir qu’on ne se soumet à ses
ordres, qu’apres auoir reconnu par vn examen préalable,
qu’ils sont les écoulements de sa Bonté, & les
effets de sa Iustice : Il n’y a que les Tyrans qui veulent
des obeyssances aueugles, parce que leurs commandements
ne sont iamais raisonnables, & qu’ils
exigent pour l’ordinaire, ce qu’on ne leur accorderoit
iamais, à moins qu’on ne le considerât point.

 

Vn beau visage qui n’a pas de defauts, ne craint
point le regard fixe : Scipion l’Africain ne prenoit
point plaisir qu’on abaissat sa veuë pendant qu’on
estoit en sa presence : Et Cezar ne pouuoit souffrir
qu’on le regardast fixement, par ce qu’on ne pouuoit
leuer les yeux, sans voir qu’il estoit chauue. La belle
responce que fit le grand Drusus à l’Architecte qui
luy proposoit l’oeconomie d’vne maison, dõt il pourroit
regarder dans toutes les maisons voisines, sans
que pas vn voisin pust regarder dans la sienne : Tu ne
desobligerois pas mal, dit-il, mes mauuaises inclinations, si
tu pouuois pratiquer cette impunité dans leur exercice : non,
non, ne me donne pas encor cette dificulté à combattre : si tu
veux m’obliger ; bastis moy vne maison, ou tout le monde
me puisse voir, & d’où ie ne puisse voir personne,

Auguste defendoit à Mecenas, & à Agrippa de ne
luy contredire iamais, lors qu’ils le verroient sans passion,
Mais si ie m’emportois quelquefois, disoit il,
oublies le respect, & me traittes d’égal, ie ne suis Empereur

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que pendant que i’agis auec Iustice ; dés que ie
m’emporte à quelque conduitte contraire à ce deuoir
des Souuerains, rangés moy par vostre desobeyssance,
Dion Cassie fait des merueilles sur ce sujet.

 

Mais ne me suis ie pas égaré ? vn peu de Patience
mon Lecteur, ie m’en vay reprendre le fil de mon
discours, pour vous contenter pleinement sur le sujet
que ie propose. Comme ie dois parler hardiment,
il a fallu faire voir que ie le puis, sans perdre le respect :
Ie dois beaucoup à mes Souuerains, mais ie dois encor
d’auantage à tout l’Estat : Cet interest public, est
vne raison independante, qui ne releue que d’elle-mesme :
tout luy doit faire ioug, & les Subjets & les
Souuerains, les vns & les autres par vne égalité de
deuoir, parce que tout doit estre également subordonné
au bien de l’Estat. Apres ce fondement qui
ne peut estre ébranle que par les Perturbateurs publics ;
i’entre hardiment & respectueusement, comme
ie dois, dans les preuues de ma premiere proposition,
& ie dis,

I. Que nous ne pouuons point esperer de Paix,
pendant que la Reyne sera dans le Conseil. Ne criez
point Partialistes ; mais écoutez la raison, qui vous
fermera la bouche, si vous n’estes plus attachez à vostre
passion, qu’aux interests de l’Estat.

Nous ne pouuons iamais esperer cette Paix domestique
tant desirée, à moins qu’on ne r’appelle l’vnion
& l’intelligence dans la Maison Royalle ; & que
ces mal heureux Schismes d’Estat qui la diuisent,
ne soient reünis, par le traitté d’vn parfait accommodement,
que le soubçon & la defiance ne mettent
plus desormais en danger d’estre rompu : la verité de

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cette proposition n’est pas moins euidente, que celle
des premiers principes, puis que dans la confession
de tous les Politiques du monde il n’est que la seule
mes-intelligence de la Maison Royale qui puisse estre
capable de fomenter vne guerre ciuile.

 

D’esperer cette reunion pendant que la Rey ne sera
dans le Conseil, ou aupres de S. M. ie pense que cela
ne se peut pas, & qu’il n’est point de sage Politique
qui n’en tombe d’accord auec moy, s’il veut escouter
les raisons & les probabilitez, qui ne permettent
seulement pas qu’on y contredise.

La Revnion de la Maison Royale ne peut estre esperée
que de la desvnion de ceux qui la diuisent ; lesquels
estant interessez à fomenter ce schisme d’Estat
par la seule necessité de se maintenir dans vne fortune
qu’ils n’ont bastie que de ses debris ; ne manqueront
iamais d’y former toutes les oppositions, que
leur ambition leur inspirera pour en destruire toutes
les esperances ; Et pour faire en sorte que ces illustres
escoulemens du Sang de nos Roys ne puissent iamais
se remettre en vne intelligence, qui ruineroit infailliblement
toutes leurs intrigues, parce qu’elle ne
leur laisseroit plus de pretexte dont ils peussent seulement
colorer l’apparence de leurs peruerses intentions.

Est-il personne qui ne sçache que la diuision de la
Maison Royale est vn effet de la passion & des intrigues
de la Reyne, ou des principaux arboutans de son
party, lesquels prejugeant fort raisonnablement que
l’intelligence de nos Princes auec sa Majesté seroit
entierement mortelle à leurs caballes, ne manquent
pas d’abuser de la presence du jeune Majeur dont ils

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se sont emparez contre toutes les loix de l’Estat, pour
surprendre la simplicité de son aage, auec les idees
dont ils la preoccupent meschamment contre l’innocence
de ses Princes ; & pour le resoudre de s’opiniastrer
à leur perte, par la fausse necessité de soustenir son
Throsne contre les secousses pretenduës de leurs attentats.

 

Ie ne dis que ce que tout le monde sçait ; & ce que
la Reyne & son Conseil ont fait assez hautement esclater
par les calomnies, par les declarations, & par
les libelles diffamatoires qu’ils ont publiquement fait
publier sous le nom innocent de sa Majesté, contre
les déportemens irreprochables de ses Princes ; Et s’il
estoit encor quelque simple qui pût aucunement
douter de cette mauuaise intention de la Reyne & de
son Conseil, ie le voudrois prier de s’en aller en Cour
pour estre tesmoin des sentimens honteux qu’on in
spire à S. M. & pour y voir vn déreiglement qui n’est
peut-estre point connu de l’Histoire, à moins qu’on
n’en aille rechercher vn entier parallelle dans les Annalles
de Catherine de Medicis, laquelle suiuant les
maximes des Tyrans n’empruntoit les maximes de
son gouuernement que de la diuision, Diuide vt regnes.

S’il est donc vray, comme l’experience ne nous
monstre que trop, que la Reyne ne sçauroit faire subsister
son party que sur la diuision de la Maison Royale ;
Pouuons nous esperer aucune sorte de paix pendant
qu’elle aura quelque authorité dans le conseil ?
Et n’auons-nous pas toutes les raisons de craindre que
nos malheurs ne seront point de moins longue duree,
que sa faueur aupres de sa Majesté.

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Poussons encor plus fortement cette verité, & sans
nous amuser à des raisonnemẽs qui ne pourroient peut
estre point estre compris de tout le monde, voyons
sans passiõ, qu’elle est la source & la cause de cette guerre
domestique, afin de iuger en suitte des moyens qu’õ
doit obseruer pour l’establissement d’vne parfaite paix.

L’opiniastreté de la Reine à soustenir le principal
coriphée de son party ; & la constante resolution de M.
les Princes, à le renuerser, sont sans doute les deux principalles
racines de nos maux, & les sources intarissables
de toutes les calamités qui ont innondé depuis
quelque temps sur la tranquillité publique. La resolution
de M. les Princes, est iustifiée, & l’opiniastreté de
la Reyne est condamnée par les Declarations du Roy,
qui sont les loix de l’Estat : celle-cy choque, & ceux-là
fauorisent les inclinations generalles de tous les peuples.
Ces deux contradictions diuersement appuyées,
l’vne par le droit, & l’autre par le seul caprice d’vne
femme, nous font entrégorger dans des dissentions
domestiques ; Et parce que la Reyne veut ce que les
loix ne permettent pas, nous languissons apres les esperances
d’vne paix, qui ne nous sera donnée que lors
que cette Princesse ne sera point assez forte pour la detourner.

Fondons la dessus vn raisonnement qui soit à l’espreuue :
tandis que la Reyne sera puissante dans le Conseil
du Roy, il ne faut point douter que son party, qui
est celuy de la diuision, ne sera iamais en estat de donner
du nez à terre, & qu’elle aura tousiours le pouuoir
de le faire subsister, ou tacitement ou ouuertement,

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malgré les attaques de ceux qui s’efforceront de le faire
tomber dans le precipice. La raison en est euidente :
Car si la Reine n’est point esloigné du Conseil & de la
presence de sa Maiesté, il est fort probable qu’elle sera
toûiours la dispẽsatrice de ses faueurs, & que suiuant les
airres de ses premieres resolutiõs, elle couuera tousiours
vn dessein secret de faire restablir son party à la décadence
duquel elle n’aura consenti, que parce qu’elle aura
manqué de forces pour l’appuyer inuinciblement.

 

Si la Reyne ne doit iamais manquer de bonne volonté
pour le restablissement de ceux de sa faction ; & si ses
intrigues ne doiuent iamais tarir pour tâcher de les remettre
sur pied, lors quel occasion s’en presentera ; peut-on
establir les esperances d’aucune paix, sur des fondemens
qui soient tant soit peu raisonnables ? Et n’est-ce
pas auec toute sorte de raison que i’asseure, que pendant
que cette Princesse sera dans le Conseil, nous ne pouuons
point esperer le retour de cette intelligence de la
maison Royalle, qui doit donner le repos à la France,
& la tranquilité generalle à tous ses peuples.

Il faut encor encherir sur ce raisonnement par vn troisiesme,
que i’emprunteray du genie de cette Princesse,
& de l’attachement prodigieux qu’elle a témoigné, pour
soustenir l’establissement de son fauory. Quoy, serions-nous
bien assez simples que de croire, quelque apparence
mesme que nous en eussions, qu’apres auoir ébrãlé
toute la France, pour asseoir auec quelque sorte de
fermeté l’effroyable fortune de cét insolent Ministre, la
Reyne fut assez genereuse, pour ne se ressentir iamais de
l’affront pretendu d’auoir esté forcée d abandonner du

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moins apparamment vne protection signalée par tant
d entreprises. Croirions nous bien que ceux qui le luy
auroit arraché des mains, peussent iamais rentrer dans
ses affections auec aucune sorte de sincerité ; & qu’elle
fut capable d’estouffer les sentimens de vengeance, qui
luy en seroient infailliblement inspirés, & par les premiers
complices de ses desseins, & par les suggestions
plus pressentes de sa propre ambition.

 

C’est vne maxime trop receuë & trop generallement
aprouuée de tous les sages du monde, que les femmes
en general, mais sur tout celles d’Espagne, s’opiniastrent
d’autant plus fortement à la protection de ceux
qu’elles ayment, que plus on les veut contraindre de
s’en deporter ; & que la violence qu’on fait à leurs affections,
est le moyen le plus infaillible de les eschauffer
plus que iamais, pour en redoubler les tendresses ou
innocentes ou criminelles en leur faueur. Quand Chilperic
voulut esteindre les feux de Fredegonde qui
declaroit vn peu trop ouuertement ses affections pour
Landry de la Tour, il s’y consomma ; & ce malheureux
Roy nous aprit, par la funeste experience de ce qu’il en
ressentit luy mesme, que lors qu’on veut violanter les
inclinations d’vne femme on les redouble ; & que lors
que leurs feux ne sont point libres, ils bruslent auec
plus de force.

Brunehaut protestoit qu’on luy eut plustost arraché
le cœur, que l’affection qu’elle auoit pour vn certain
nommé Proclaide Lombart de Nation ; En effet elle
s’opiniastra si bien a le proteger, que la perte de dix
Roys de France luy cousta beaucoup moins que celle
de ce faquin : Constance femme de Robert fit plus hautement

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triompher cette passion de femme, en faueur
d’vn certain Foulques de mesme nom que son oncle le
Duc d’Anjou ; lequel estant trauersé par le sieur de
Beauuais fauory du Roy, obligea cette violante Princesse
de le deffaire de son Conpetiteur fut-il entre les
bras de sa Majesté. Ceux qui sçauent l’histoire de France,
sçauent que ce Beauuais fut poignardé par la Reyne
mesme en la presence de son Roy, & que la passion luy
fit oublier le respect qu’elle deuoit à son mary & à son
souuerain, pour luy faire donner vn plus beau tesmoignage
de l’affection qu’elle auoit pour son fauory.

 

Nos peres n’ont ils pas esté les tesmoings d’vne semblable
passion, que Catherine de Medicis fit éclater en
faueur d’vn Gondy, Florentin, Clerc d’vn Commissaire
des viures au Camp d’Amiens, du depuis par sa faueur
Conte de Rets, & puis en fin Mareschal de France : N’est
ce pas par les intriques de ce faquin esleué de la poussiere,
que cette seditieuse Princesse fomenta les diuisions
de l’Estat ? N’est ce pas pour ne demordre iamais de la
protection de cet infame, qu’elle entreprit de perdre
les Princes du Sang, mais sur tout Anthoine Roy de
Nauarre & Louys de Bourbon son frere Prince de
Condé, le premier tué au siege de Roüen & l’autre à la
bataille de larnac ? N’est ce pas par la sollicitation de ce
maquereau quelle fit faire vne pomme de senteurs empoisonnée,
par vn certain nommé Maistre René proche
parent de ce Gondy, pour l’enuoyer au Prince de
Condé, qui sans doute s’y fut laissé surprendre si son
Chirurgien nommé le Gros ne luy eut arrachée promptement
des mains : le respect m’empesche de parler
de Marie de Medicis, mais puis que tout le monde sçait

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ce que ie veux dire, & qu’outre cela tous les exemples
que i’ay cité sont tous empruntés de l’histoire des
Reynes de France ; ie puis dire sans deroger à l’honneur
de la Reyne, dont i’ay tousiours cru que les affections
estoient innocentes, qu’il est impossible de les luy arracher
par la force, & qu’elle les cõseruera tousiours auec
plus d’opiniastreté, pour en faire esclater les effets à la
premiere occasion ; si nous n’auons assez de force pour
luy en oster les moyens, & pour la faire sortir du Conseil
de sa Maiesté.

 

Ainsi qu’on arme contre le sujet de sa protection,
qu’on s efforce de le soustraire a ses yeux ; qu’on renuerse
sa fortune ; qu’on proscriue sa teste ; qu’on le fasse
sortir de l’Estat ; tous ces efforts ne seruent qu’à la faire
opiniastrer dans ses affections ; & tout le party quelque
puissant qu’il soit ne pourra iamais se vanter d’auoir destruit
le Mazarin, à moins que la Reyne n’ayt quitté le
Conseil du Roy pour se retirer dans son apanage ; &
qu’elle ne soit reduite en estat par cette retraitte, de ne
le pouuoir plus seruir qu’auec vne passion infeconde &
des desirs sterilles sans aucun effect : Mais pour conclure
en faueur de ma proposition, c’est adire pour asseurer
qu’on ne peut point esperer la paix, mesmes apres l’éloignement
du C. M. si toute fois la Reyne reste dans le
Conseil, ne me suffit il pas de dire qu’on force les inclinations
d’vne femme, d’vne Reyne & d’vne Espagnole.
II. Mais quel tort fera-ton à la Reine quand on l’esloignera du
Conseil de sa Maiesté ? puis que la raison, puis
que la passion, puis que les loix de l’Estat, ne luy permettent
point d’y retenir aucun rang & qu’elle ne peut
y demeurer que par les suggestions de ceux qui la flatent

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sans la connoistre, & qui la veullent esleuer sans
aucune aprehension de sa cheute.

 

Le dessein de Pharamond premier Roy de France
dans sa loy Salique, ne fut autre que d’oster la succession
du trone à la femme, & d’empescher que le sceptre
Francois ne tombat point en guenoüille ; parce que
l’incapacité naturelle qu’il voyoit dans le sexe pour le
maniment des affaires d’Estat, ne luy permit point de
consentir à ce foible de toutes les autres Monarchies,
où l’on voit que les femelles, au defaut des masles peuuent
estre les heritieres de leurs couronnes.

Si c’est donc l’incapacité qui seruit de motif à Pharamond
pour rauir la succession du trone à la femme, il
ne faut point douter que ce grand Monarque & premier
legislateur des Francois pretendit par la mesme
loy, que l’Estat, dont on luy auoit deferé le maniment,
ne seroit point gouuerné par la participation du Conseil
ou de la cõduite de la femme ; autrement ne se fut il pas
manifestement contredit ; & s’il eut iugé quelque capacité
dans le sexe pour entrer dans le Conseil d’Estat,
n’est ce pas sans aucun fondement raisonnable, qu’il
l’eust frustré de la succession. Ainsi puis que c’est par le
motif de l’incapacité qu’il ne voulut point que la femme
heritast, c’est aussi par le mesme qu’il luy deffendit
l’entrée dans le conseil, & qu’il ne permit pas qu’elle
y peut seulement esperer vne voix pour auoir quelque
part dans le gouuernement de l’Estat.

Ce raisonnement est à l’épreuue, mais lors que l’authorité
l’appuye, il n’est seulement pas suportable qu’on
entreprenne d’y contredire. Nous lisons dans l’histoire
de François I. qu’auant qu’il s’acheminast à la conqueste

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de Milan, l’année qu’il fut pris deuant Pauie, il auoit
laissé la Regence de l’Estat entre les mains de Loüise de
Sauoye sa mere : Ce choix d’vne femme pour l’administration
des affaires publiques, choqua tellement les esprits
des plus grands du Royaume, & de Messieurs du
Parlement de Paris, qu’ils offrirent la Regence à Charles
Duc de Vendosme premier Prince du Sang ; auec
promesse qu’ils la luy feroiẽt cõfirmer par l’assẽblée des
Estats Generaux qu’ils feroient conuoquer pour cét effet :
la modestie de ce Prince fut cause, que les Estats
n’entreprirent point de choquer la volonté du Roy,
touchant le choix de sa mere pour la Regẽce de l’Estat :
ils se contenterent de la mettre dans la dépendance de
beaucoup de Conseillers dont ils l’enuironnerent, & de
n’obeïr iamais à pas vn de ses Ordres, à moins qu’il ne
fut appuyé du consentemẽt general de tous ces assistãs.

 

Lors qu’Anne de France fille de Louys XI. & femme
de Pierre de Bourbon Seigneur de Beau-ieu fut
nommé par le Roy son pere pour regenter la Minorité
de Charles VIII. son frere, les Estats generaux assemblés
à Tours nonobstant cette derniere volonté du
Roy, ordonnerent sagement, qu’Anne n’auroit d’autre
pouuoir, que celuy de gouuerner la ieunesse du Roy
son frere pour la conduite particuliere de ses actions ;
mais que toute la direction des affaires publiques seroit
au Conseil d’Estat composé des Princes du Sang & des
principaux Officiers de la Couronne.

La principale raison, outre celle que i’ay des-ja touchée
cy dessus pour laquelle Constance femme de Robert
s’emporta iusqu’a poignarder Vincẽt de Beauuais
en la presence de sa Maiesté, c’est parce que ce fauory

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s’estoit tousiours oposé au dessein que la Reyne auoit
d’entrer dans le Conseil, & qu’il faisoit entendre au
Roy son mary, que ny la bien seance, ny les loix de l’Estat
ne le permettoient point. Quoy qu’il en soit du
motif de ce fauory qui ne parloit peut estre pas moins
par passion que par iugement il n’est que trop constant,
que tous les troubles que nous auons iamais eus dans
l’Estat sont presque tous prouenus du conseil des femmes ;
& que pour obuier à cette fatalle necessité de complaire
aux inclinations qui sont tous les conseils d’vne
femme dans les affaires publiques ; les Roys de la Chine
out accoustumé de n’espouser iamais que des filles de
basse naissance & de les faire entretenir dans vne perpetuelle
ignorance des affaires d’Estat, pour empescher
la passion qu’elles pourroient peut estre auoir de s’y
vouloir entremettre : les Republiques me plaisent en
ce point : car vne femme de quelque [2 lettres ill.]ofé qu’elle soit n’a
non plus de part dans le conseil des affaires publique
que dans l’œconomie des saisons de l’année & de vray
n’est-ce pas choquer le dessein de Dieu que de dõner le
cõmandement à celle qu’il n’a fait que pour le seruage.

 

Mais suposons contre l’euidence mesme que la Reyne
est la plus capable du monde : donnons luy autant de
conduite que tous les plus grands hommes d’Estat ; fermons
les yeux à toutes les cõnoissances que nous auons
de sa foiblesse, & nous imaginons que ses qualitez sont
estonnantes pour le manimẽt des affaires d’Estat : N’importe,
nonobstant cela l’entrée du Conseil ne luy est
pas permise, & c’est empescher vne authorité qui n’est
point legitime entre ses mains, que de pretendre
desormais auoir aucune part dans le gouuernement.

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Elle a quitté la Regence pour laisser son fils Maieur
dans l’exercice entier de son authorité. Ce pouuoir
qu’elle auoit de gouuerner l’Estat en qualité de Tutrice,
luy a esté retranché par la Declaration de
Charles V. qui a trouué moins d’inconuenient à faire
declarer vn enfant Maieur à 14 ans ; qu’à laisser
vne authorité Souueraine entre les mains d’vne Regente,
qui ne s’en seruoit que pour l’establissement
de la tyrannie de son fauory.

Il faut donc necessairement en suitte de cette loy
que la Reyne se déporte entierement de l’exercice
de son authorité ; & qu’elle quitte le conseil du Roy
où sa presence peut donner sujet de former toute
sorte de soupçon, puis qu’on void qu elle s’opiniastre
d’y demeurer, quelque forcée qu’elle soit d’en
sortir par cette Declaration de Charles V. qui est
vne loy d’Estat ; & qui n’a esté portée par son Legislateur,
que pour luy oster auec la Regence, l’exercice
de toute sorte d’authorité.

Quand la Reyne considerera ce raisonement, elle
ne songera plus à sa passion. Et si elle veut qu’on ne
croye point qu’elle a dessein de bastir vne tyrannie
toute nouuelle, il faut qu’elle se rende vn peu plus
complaisante à l’authorité des Loix ; & que pour témoigner
a tout l’Estat que ses intentions sont innocentes,
quelque sinistre interpretatiõ qu’on leur ait
dõnée, elle fasse voir par vne prõpte retraite hors du
Cõseil, qu’elle n’ayme rien tant que le biẽ de l’Estat.

III. Si la Reyne est obligée de sortir du Cõseil pour
se rendre vn peu plus differẽte au respect qu’elle doit
aux loix de l’Estat ; elle est encor plus obligée de se

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retirer promptement dans son appanage par le seul
motif qu’elle doit emprunter, & de ses interests &
de son honneur.

 

Il ne faut point douter que quiconque la verra
encor dans le Conseil ou à la Cour apres l’esloignement
du C. Maz. aura toute sorte de sujet de croire
qu’elle n’y veut rester qu’à dessein d’y faire éclater à
son tẽps, les sinistres effets de quelque mauuaise intention :
Et sur cette croyance, quoy que peut-estre
iniuste, qu’vn chacun fomentera dans son esprit selon
ses idées, on ne la regardera desormais qu’auec
des yeux d’auersion, qui luy rangregerõt encor plus
mortellemẽt les déplaisirs d’vne protection auortée
à la honte de son autorité, que plus elle se vera forcée
d’en digerer patiemmẽt les funestes atteintes, parce
qu’elle ne sera point en état de s’en pouuoir ressẽtir.

Charle-Quint vn des plus illustres ayeux, ne
quitta l’espée Imperiale & le Sceptre d’Espagne
pour se retirer dans la solitude auec les Moines de
Saint Hierome, que parce qu’il ne pouuoit digerer
l’affront d’auoir honteusement fuy deuant
Maurice Duc de Saxe, lors mesme qu’auec toutes
ses forces il le vouloit ranger à la raison ; & d’auoir
mal-heureusement fait échoüer vne armée de cent
mille combatants deuant les murailles de Mets,
que François de Lorraine Duc de Guise deffendit
victorieusement auec vne poignée de Braues, qui
s’y estoient iettez auec luy pour la sauuer, & la memoire
de ces deux affronts maistrisa tellement cét
esprit ambitieux, qu’elle ne luy permit pas de souffrir
la presence de ceux qui ne manqueroiẽt pas de

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la luy reprocher mesme parleur silence, l’obligeant
par vn superbe mespris que toutes les instances du
monde n’ont point connu depuis Diocletian, de
fausser tout ce qu’il auoit de grandeurs, pour se retirer
dans vne solitude, où personne ne fut en estat
de luy mettre deuant les yeux les funestes euenements
de deux entreprises qui venoient fraischement
d’auorter à la confusion de ses desseins, & à la
honte de toutes ses precedentes victoires.

 

A-t’il iamais esté d’entreprise plus hardie que celle
que la Reyne a fait éclater pour soustenir la fortune
du Cardinal Mazarin, malgré les oppositions
de tout cét Estat ? N’a t’elle point declaré toutes les
passions les plus vigoureuses dont vne femme peut
estre capable pour faire reüssir cette protectiõ. Toutes
les loix s’y sont opposées ; tous les Princes du Sãg
luy ont resisté ; toutes les Cours souueraines ont proscrit
la teste de son Fauory ; tous les peuples se sont
liguez vnanimement pour en depescher le monde :
Cependant nonobstant toutes ces conspirations de
tous les corps de l’Estat qu’elle a veu former contre
son dessein, elle n’en a iamais demordu, iusqu’à ce
qu’elle a esté contrainte par sa seule & visible impuissance
de l’abandonner.

Certainament il me semble qu’apres vn si prodigieux
engagement d’authorité ; & qu’apres des passions
si honteusement combatuës par tout l’Estat, il
faut auoir plus de front que l’ordinaire des femmes,
pour ne ranger point d’vn si honteux succés en présence
de ceux à la barbe desquels elle a pretendu de
le faire glorieusement triompher. Et si la Reyne

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veut deferer aux aduis de ceux qui ne la haïssent
qu’en apparence, au preiudice de ceux qui la haïssent
en effect, puis qu’ils ne l’esclairent que de leurs
Phainomenes pour la conduire au precipice ; elle espargnera
ce cruel exercice à sa vertu, & ne se mettra
point en estat d’estre contrainte de digerer vn si
mortel déplaisir, en presence mesme de ceux, qui
n’ont esté obligez de le luy causer, que pour ne trahir
point le deuoir qui les oblige plus inuiolablement
d’espouser tous les interests de l’Estat. Outre
qu’elle pourra faire passer cette retraite pour vn
coup d’imitation de la vertu d’vn de ses plus illustres
ayeuls ; & que la déguisant de cette belle apparence,
elle se contentera du moins du pretexte de ne s’estre
point retirée que parce qu’elle l’aura voulu.

 

Au reste, il ne faut point douter que c’est l’vnique
moyen que ses plus veritables amis puissent inspirer
à la Reyne, pour se restablir dans l’estime de sa premiere
vertu, dont il faut que ie confesse malgré l’idée
contraire que i’en ay, qu’elle ait beaucoup décheuë
depuis que par vn aueuglement digne de toutes
nos compassions elle a prostitué ses faueurs au
plus indigne de tous les hommes, & à l’vnique objet
de toutes les auersions de l’Estat ! Et c’est par le
moyen de cette retraite en son appanage qu’elle fermera
la bouche à la médisance, & à l’imposture &
qu’elle obligera tous les sensez de croire, que reconnoissant
enfin l’indignité de son attachement pour
la protection du plus mortel ennemy de l’Estat ; elle
voudra mesme renoncer à la honte de son souuenir,
tesmoignant par son propre esloignement qu’elle

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ne veut seulement pas qu’on la croye capable de pouuoir
en aucune façon trauailler à son restablissement.

 

Ie ne veux exiger que ce seul coup de generosité,
de l’esprit de la Reyne, pour la remettre entierement
dans le cœur des peuples ; & pour faire confesser à ceux
qui sont les plus irreconciliables ennemis de sa conduite,
que ce n’a esté que par la seule raison de la simplicité
de son sexe, qu’elle s’est opiniastrée pendant vn
si long-temps à la protection de celuy que les artifices
ne luy laissoient point connoistre, & de la deffence du
quel elle s’est deportée depuis qu’elle a reconnu que
ses desseins estoient entierement contraires à l’apparence
de ces belles intentions.

IV. Mais si la Reyne est obligée de se retirer en son
apanage par le motif de ses interests particuliers, le
Roy n’est pas encore moins obligé de l’y faire retirer
pour l’establissement d’vne parfaite paix. Voila mon
raisonnement que ie soûmets de bon cœur à la censure
de tous ceux qui le lirõt auec vn esprit des-interessé.

Pour affermir vne paix dans le iugement de tous les
sensez, & pour conuaincre tous les soupçons les plus
raisonnables qui pourroient encore faire douter de sa
sincerité ; il faut qu’on ait sujet de croire que l’obstacle
en est entierement osté ; & que celuy qui l’empeschoit
par ses intrigues, n’est plus en posture de la pouuoir
trauerser, ny par soy-mesme immediatement, ny par
l’entremise de ceux que l’interest particulier auoit deuoüez
à la conseruation de sa fortune : Il me semble que
cette proposition n’est pas trop desraisonnable, passons
outre.

Il ne faut pas dire que le C. Mazarin a esté la cause de

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toutes les tempestes & de tous les orages qui ont malheureusement
creué sur le calme de cet Estat ; & que
c’est à luy seul qu’on peut reprocher tous les desordres,
qui sont venus trauerser nostre repos depuis le commencement
de ces guerres ciuilles ; puis qu’il n’est personne
qui n’en soit entierement conuaincu, & qui ne
conçoiue outre cela, que l’affermissement d’vne solide
paix depend de la sincerite du bannissement de Mazarin.
le me flatte encor que cette proposition ne reçoit
point de replique.

 

Cela estant presuposé ie raisonne sans crainte d’aucune
contradiction ; s’il est vray que pour l’establissement
d’vne parfaite paix, il faut necessairement oster le seul
obstacle, qui la peut autant troubler par sa presence,
que par les aprehensions de son retour ; il est donc vray
qu’il faut asseurer le bannissement du C. M. sans aucune
aparence de retour, puis que dans la verité de nostre
presuposition, le C. M. est le seul empeschement
de la paix. Cela ne conteste point.

Est-il maintenant possible d’esloigner le C. M. &
d’oster toutes les esperances ou plustost toutes les aparences
de son prochain restablissent, pendant que ceux
qui sont interessez à le procurer seront dans le credit
& dans la faueur ; & que leur authorité, bien loing d’estre
diminuée par ce bannissement, sera plustost redoublée
pour esperer les occasions d’en reparer l’affront :
le pense que cela ne se doit pas esperer que des mal-auisés :
car enfin il n’est point d’honneste homme qui
ne puisse iuger sans temerité, que le Cardinal Mazarin
ayant du moins sujet de ne desesperer point de
son restablissement pendant que les arboutans de
son party seront dans le Conseil, on a tousiours assez de

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raison pour croire, que la paix n’est pas bien cimentée
& qu’elle ne peut estre assise que sur de tres foibles
fondements. Tellement que pour mettre sa sincerité
à l’espreuue de toute sorte de mesfiance qui soit tant
soit peu raisonnable, il est absolument necessaire, qu’on
esloigne du Conseil, ceux dont l authorité peut estre capable
d’y fomenter quelque puissante brigue, pour le
restablissement du Mazarin.

 

N’escoutons point la passion, pour iuger sainement
dans vne affaire de la plus haute consequence qui fut iamais.
N’est-il pas vray qu’il n’y a que la Reine qui s’est
ouuertemẽt & puissammẽt declarée pour la protection
de ce fauory : N’est-il pas vray qu’en suitte de cette Declaration
de son authorité, quelques vns des principaux
de l’Estat, ont épousé sa passion, & que le dessein d’éleuer
leurs fortunes particulieres, par la lasche complaisance
qu’ils ont eu pour celuy de ce restablissement leur
a fait mespriser les nobles motifs qu’ils eussent plus gereusement
empruntés des interests de l’Estat, s’il ne se fussent
fermé les yeux, pour ne les ouurir qu’à leur ambitiõ.

S’il est donc vray, comme tout le monde voit que le
parti Mazarin ne subsiste que par la faueur de la Reine :
Il est encor vrai que ce parti ne peut iamais donner du
nez à terre, pendant qu’elle subsistera ; & ie defie tous les
plus suffisans, quelques bien armez qu’il soient de raison
de pouuoir iamais faire conceuoir ; que le Mazarin est
décheu du faiste de ses grandeurs, si la Reine qui l’y
éleué n’est point reduite à l’impuissance de l’y pouuoir
faire remonter par son propre éloignement.

Cela presuposé, ie raisonne de la sorte ; si le Roy
veut donner vne veritable paix à l’Estat, comme personne
ne doute point qu’il n’y soit obligé, il faut qu’il

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mette la sincerité du banissement de Mazarin à l’espreuue
de toute sorte de soupçon, parce que si l’on peut iuger
qu’il n’est chassé que par vne complaisance de
quelque temps, on ne iouïra iamis de la paix, que comme
d’vn bien trompeur, de la possession duquel on se
defiera, comme n’estant que fort foiblement estably.

 

De mettre la sincerité du banissement de Mazarin,
à l’éspreuue de toute sorte de soupçon ; cela se peut-il
pendant que la Reyne sera dans le Conseil ; & pendant
que cette Princesse, qui n’en abandonne la protection,
qu’aparemment & par force, sera en estat de pouuoir
brasser quelque plus fort dessein pour la faire reueiller à
son occasion ? Il n’est point d’homme de sens qui se le
puisse imaginer, & par mesme raison ie conclus, que le
Roy pour donner la paix à son Estat, est obligé d’asseurer
la sincerité du banissement de Mazarin, par l’esloignement
de la Reyne dans son apanage.

V. Les fausses compassions ne manqueront pas de
faire valoir leur ieu en cette rencontre, & ceux qui voudront
desguiser d’vn beau pretexte, le despit de se voir
descheus, de leurs esperances, affecteront sans doute
vne fausse pitié, pour faire conceuoir quelque indignité
pretenduë, dans l’esloignement de la Reyne que ie
propose pour la seule marque de l’establissent d’vne
parfaite paix.

Quoy ? diront ces faux genereux, peut-on sans vne
tyrannie qui n’a point d’exemple, violanter les tendresses
d’vn fils, iusqu’à luy vouloir rauir, par vn pretexte d’Estat,
la presence d’vne mere ? peut-on en faire sans
cruauté, l’instrument de sa disgrace, & le principal autheur
de son esloignement.

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Parlez parlez plus sinceremment, faux zelateurs
d’vne compassion affectée : ne faites pas tant les sensibles
à l’iniustice pretenduë d’vn esloignement qui ne
vous deplaist que parce que vous y estes interessez : On
ne pretend point que le Roy chasse sa mere, mais qu’il
la prie de se retirer en son apanage, pour l’establissement
de leurs communs interests ; & pour l’affermissement
de la tranquillité de ses peuples : est-ce forcer les
inclinations d’vn fils, que de luy conseiller vn detachement
politique qui seul peut remettre ses affaires sur
pied, & rasseurer son trone, desia beaucoup esbranlé
par tant de secousses d’Estat ? Est-ce violer des tendresses
que de vouloir obtenir d’vne mere, par la part qu’elle
doit prendre dans les interests de son fils, qu’elle se
retire pour quelque temps de sa presence ; afin de donner
sujet de croire à tous ses sujets par cette retraite,
qu’ils n’ont point de plus sincere dessein tous deux, que
de rapeller le calme & la tranquillité dans l’Estat ?
Au reste ie cõfesse bien auec vous, que le Roy est beaucoup
obligé à sa mere : mais si ie vous dis qu’il l’est encor
dauantage à son Estat, ie pense que vous ne me contredirez
point à moins que vous n’ignoriés que les interests
publics sõt tousiours preferables aux particuliers,
quelques pressants qu’ils soient ; & que mesme il n’est
point de parenté que le Roy ne doiue faire passer par la
rigueur des loix, si toutefois il s’y voit obligé par les necessitez
de l’Estat.

Iunius Brutus Premier Consul Romain, & le veritable
Fondateur de la Republique, fit foüeter & decapiter
ses enfans apres les auoir conuaincus du crime qu’ils
brassoient secrettement pour le restablissemẽt des Tarquins :

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la seuerité de Manlius Torquatus, qui fit mourir
son fils triomphãt, pour chastier vne desobeissance,
d’Estat, fait trop d’esclat dans l’Histoire Romaine, pour
n’estre point sçeüe de tout le monde Neron dans vne
des cinq premieres années de son Empire, c’est à dire
dans le modelle & la regle de tous les beaux Gouuernemens,
respondit à Agripine qui luy demandoit vne
importãte faueur pour vn de ses Courtisans, que la qualité
de mere ne luy deuoit pas faire oublier qu’elle
estoit sa subjete ; & que si pour estre mere, elle pretendoit
exiger de luy, qu’il obeït aueuglement à toutes ses
demandes, il falloit donc qu’il se despoüillât du titre
d’Empereur, qui ne releuoit point d’vne mere, pour ne
se conseruer que celuy de son fils.

 

Laissons l’histoire Romaine pour nous arrester en
celle de France, où nous trouuerons de quoy contenter
les plus curieux, sur le sujet que nous auons maintenant
entre les mains. Philippe Auguste, vn des plus
irreprochables de tous nos Roys, & le moins descrié
pour la conduite de sa vie, apres auoir vainement interessé
ses tendresses, pour rompre le commerce qui
estoit entre Alix sa mere, & Henry Conte de Blois, gendre
de Louys le Ieune Roy de France, fut enfin obligé
par les raisons d’Estat qui sont tousiours les independants
d’y pouruoir par l’emprisonnement de ce Conte
& par l’esloignement de sa mere, qu’il fit retirer pour
quelque mois dans Orleans. La mort du Connestable
de S. Paul premier Prince du Sang dans l’histoire de
Louys XI. ne marque que trop que les souuerains
sont plus obligez à leur Estat qu’à leur sang ; & qu’ils ne
sont point obligés de reconnoistre leurs parens, quelques

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proches qu’ils soient ; à moins qu’ils ne se tiennent
aussi bien que les moindres subiets, dans l’exacte obseruation
de toutes les loix de leur Monarchie. Si la Malheureuse
Isabeau de Bauiere eust suruescu à la desolation
de l’Estat qu’elle causa par sa haine, Charles le Victorieux
son fils, protesta qu’il eust vengé les interests
de la France en sa personne, ou que du moins à tout
rompre, on n’eut iamais emporté sur luy, pour sa mere
propre, que la seule grace de sa vie.

 

Ne reueillons pas le funeste souuenir de ce qui s’est
passé en la personne de Marie de Medicis, pendant le
regne de Louys le Iuste. Tous ces exemples passés ne
nous conuainquent que trop, qu’vn souuerain en matiere
d’Estat doit fouler aux pieds toutes ces foiblesses
suportables en des affaires particulieres ; & que l’attachement
qu’il doit auoir pour tout ce qui concerne le bien
public, ne luy permet pas de se laisser attendrir par ces
fausses compassions, qui sont les escueils les plus ordinaires
de la constance des peres ou des enfans.

Les Ephores de Sparte rauirent autrefois le sceptre de
Lacedemone à vn Roy, qui s’estoit laissé gagner par les
larmes de sa mere, pour ne chastier point exemplairement
vn criminel manifestement conuaincu d’auoir
esté d’intelligence auec les Thebains. Mais est il rien
de semblable à ce que l’histoire de Hongrie nous raporte
de Louys second son Roy : lequel ayant apris par
quelques vns de ses principaux Conseillers d’Estat, que
la Reyne sa mere brassoit des desseins secrets auec le
Transiluain pour luy liurer quelques places importantes
dans la Hongrie ; entreprit luy mesme du moins aparemment
de luy faire son procés : & pour cet effet ayant

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assemblé les Estats generaux dans cinq Eglises, il y voulut
presider luy mesme, la couronne en teste, la robe de
pourpre sur le dos, & le sceptre à la main. Ces dispositions
aparentes du iugement horrible, que ce Roy sembloit
deuoir porter, faisoit déja trembler les plus fermes
& fendre de compassion les cœurs les plus endurcis &
les plus interessés à ce grand chastiment, lors que descendant
de son throsne, despoüillant sa robe de pourpre,
& mettant le sceptre & la couronne sur sa premiere
marche, il protesta hautement & auec l’effroy de tous
les assistans qu’il renonçoit à la qualité de Roy, pour
se rendre le soliciteur de sa mere ; qu’il ne pouuoit ny ne
deuoit sauuer, apres l’euidence de son crime, que par
ses seules supplications. Les Estats estonnés, s’esleuant
d’abord tout d’vn consentement, s’ecrierent tous d’vne
voix que le crime de la mere n’estoit pas assez grand
pour meriter cette satisfaction ; & luy remettant la Couronne
sur la teste, le sceptre à la main, & la robe de
pourpre sur le dos, le supplierent tres humblement
de se rassoir sur son trosne, pour prononcer vn Arrest
de iustification. Ie pense qu’on ne manquera pas de
trouuer des censeurs à la mode, qui glozeront à leur
aise sur cette conduite : pour moy ie ne l’examine point :
mais ie suis bien asseuré que Paul loue Euesque de
Come sur les Alphes & vn des plus grands politiques
de son temps donne cette matiere au torrent ordinaire
de son eloquence auec des admirations qu’il ne peut
pas exprimer, & finit son sentiment par ces paroles
emphatiques. Tantum Hungari Iustitiam, Eloquentius
vix vnquam expresserim quam admiratione filentii.

 

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Tous ces exemples & tous ces raisonnemens font
voir, que les interests de cet Estat sont les Souuerains
dans les esprits des Roys ; & que si le repos de l’Estat
depend d’vne contradiction à ses tendresses les plus
naturelles, pour quelqu’vn de ses proches, il n’en merite
pas le gouuernement s’il ne roidit sa vertu pour
affronter ces inclinations, ausquelles il ne sçauroit se
rendre complaisant qu’au preiudice de la tranquillité
des peuples, dont il est le Pere.

Ainsi pour reuenir à la preuue de ma proposition,
je soustiens hardiment que ces tendresses de fils ne
doiuent estre que de foibles obstacles dans l’esprit du
Roy, pour empescher l’esloignement de la Reyne, si
toutes fois il est rendu necessaire par les necessitez de
l’Estat ; Et que ce seroit errer dans le plus important
principe de la Royauté, que de proposer la douceur
de quelques sentiments particuliers, à l’obligation
indispensable que tous les Souuerains ont, de ne dependre
iamais que des seuls interests publics.

VI. Mais si la Reyne veut ouurir les yeux, elle ne
reconnoistra que trop, que les interests de son fils l’obligent
à cet esloignement ; & que si les progrez de
son Estat sont les obiets de son ambition, comme ie
pense, qu’il n’en faut point douter, elle doit consentir
à cette retraitte, sans y former aucune resistance.

Ne voit-elle pas que les grands efforts qu’elle a déja
faits pour le restablissement de son Mazarin, ont
plutost esbranlé le tronc, qu’elles n’ont affermy la
fortune de ce fatal Ministre, & que son opiniastreté
pour faire reüssir sa protection, n’a seruy qu’à mettre

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l’authorité souueraine en compromis ; qu’à faire entrer
les peuples dans la reflection, & dans vne dangereuse
connoissance de leurs forces, qu’à leur faire voir
que la puissance Royalle n’est qu’vn effet, ou plutost
vne soumission de leur obeyssance aueugle ; qu’à donner
occasion à mille remuëmens, dont le calme coustera
peut-estre vne infinité de conuulsions à l’Estat,
& qu’apres tout, elle n’a rien gangné que le seul déplaisir
d’auoir perdu les tendresses de toute la France,
qu’elle possedoit auec tant de bon-heur ; pour conseruer
les affections d’vn coquin, dont les artifices Italiens
ont meschamment surpris la simplicité de son
sexe, pour en abuser auec plus de triomphe.

 

Cette reflection me fait croire qu’elle iettera plus
serieusement les yeux sur l’Estat present des affaires
de cette Monarchie ; & que voyant le Trosne de son
fils prodigieusement esbranlé par ses menées, ou par
les intrigues de ceux qui se sont préualus de son authorité ;
Elle entrera dans des sentiments plus dignes
de l’honneur qu’elle a d’estre la Mere des Roys de
France, pour considerer auec tous les sensez, que la
complaisance, mesme pour les inclinations generales
de tous les peuples, est vne vertu de Souuerain, &
est tousiours plus expedient de fleschir que de rompre ;
Mais lors principalement que les peuples se sont
generalement declarez pour quelque dessein, qui ne
choque point les Loix de l’Estat.

Ne sçait-elle pas que l’opiniastreté de la Reyne
d’Angleterre a renuersé son tronc ; & qu’vn attachement
honteux qu’elle a eu pour vn Milor Germain,

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mal-gré l’auersion contraire de tous ses peuples a causé
la desolation tragique que nos Nepueus representerons
sur leurs Theatres, comme vne belle fiction
de nos Esprits, pour laquelle ils ne pourront auoir de
creance, parce qu’ils n’en verront point d’exemples
dans les Annales des siecles passez.

 

Les Souuerains n’ont d’authorité qu’autant que
les peuples leur en donnent : ils ne sont independans,
que parce que les Subjets se sont volontairement soumis
au ioug de leur independance ; & qu’ils ont cru
que pour establir vne Economie dans la Police, il falloit
en choisir vn, & le pouruoir d’vne authorité qui
fust sur la conduitte de tout le public. Le ioug des
Roys n’est pas vne conqueste de leur pouuoir, mais
vn pur effet de nostre soumission, & lors que nous
auons captiué nos libertez souz le pouuoir de cette
seruitude Royale, nous n’auons iamais pretendu nous
priuer du iuste droict que nous auons d’en exiger Iustice.

L’impuissance de la Reyne pour le restablissement
de son fauory, luy fera sans doute enuisager vn peu
plus fixement ces illustres veritez ; Et lors qu’elle connoistra
par l’experience du peu qu’elle peut, qu’elle
ne peut rien, si nous ne nous soumettons volontairement
à ce qu’elle veut, elle fera de necessité, vertu ; &
leuera le soubçon de toute sorte de desseins secrets
pour le restablissement du Cardinal Mazarin, par cette
retraitte tant desirée, que tous les peuples attendent
pour la marque d’vne veritable Paix.

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Nous auons du moins sujet d’esperer que la peur
de broüiller encor plus dangereusemen, les affaires
de son fils, sera le motif le plus pressant qui l’a fera
consentir à cette retraitte, & que pour conuaincre la
France qu’elle s’est opiniastrée à la protection du C.
Mazarin, que sur de fausses idées, elle fera voir par
vn mépris genereux du maniment de toute sorte d’afaires,
qu’élle ne pretend seulement pas pouuoir
estre soubçonnée de trauailler en aucune façon
pour le restablissement de la fortune du C. Mazarin.

FIN.

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Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652 [?]], LE CADVCÉE D’ESTAT, FAISANT VOIR PAR LA RAISON & par l’Histoire, I. Que nous ne pouuons point esperer de Paix pendant que la Reyne sera dans le Conseil. II. Que l’entrée du Conseil est interdite à la Reyne par les Loix de l’Estat. III. Que la Reyne est obligée de se retirer en son appanage, pour les ses seuls interests, & pour son honneur IIII. Qu’on ne peut point dire que Mazarin est chassé pendant que la Reyne sera dans le Conseil, & que pour cette raison le Roy est obligée de faire retirer la Reyne. V. Que les tendresses de fils ne doiuent point faire aucune impression dans l’esprit du Roy, pour l’obliger à retenir sa Mere dans le Conseil; si sa presence y est contraire au repos de l’Estat. VI. Et que, si la Reyne ayme son fils, elle doit consentir à cette retraitte, sans aucune resistance. , françaisRéférence RIM : M0_617. Cote locale : B_16_30.