Anonyme [1649], LE TI ΘEION DE LA MALADIE DE L’ESTAT. Piece docte & curieuse. , françaisRéférence RIM : M0_3775. Cote locale : A_7_56.
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LE
TI OEION
DE LA MALADIE
DE L’ESTAT

Piece docte & curieuse.

A PARIS,
Chez la Veufve THEOD. PEPINGVÉ, & EST.
MAVCROY, ruë de la Harpe, vis à vis
la ruë des Mathurins.

M. DC. XLIX.

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LE
TI OEION
DE LA MALADIE
DE L’ESTAT.

C’est vn erreur du vulgaire, d’estimer que le
mal en toute son estenduë soit la seule priuation
du bien. Il y a des maux qui ont
vn estre reel & positif, lequel est communiqué
par leur forme, & reside dans le mesme sujet
où se trouue le bien auec lequel ils sont incompatibles.
Ie ne parle point icy du peché, ny des vices,
qui sont des veritables maux de l’ame, & impriment
en elle des qualitez vicieuses, ou mauuaises
habitudes, distinguées par ordre dans la Morale,
& ayans tous comme les vertus qui leur sont contraires,
leur genre, leur difference, & leur espece.
Mais sans sortir hors des termes & des limites du sujet
que ie me suis propose, ie puis asseurer que les
maux qui affligent maintenant la pauure France, &
qui se sont espandus par tout le Royaume cõme vn
fleuue qui s’est enflé, & ayant rompu ses digues a
rauage toute la campagne ; outre la perte de nos

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biens, nous ont fait ressentir tout ce que la douleur,
la violence, & la cruauté peuuent faire souffrir à des
mal-heureux, ou à des coupables. Hypocrate dans
ses Epidemies parlant des maladies populaires dit,
qu’il y a en elles quelque chose de diuin, qui surpasse
la connoissance ordinaire du Medecin, & se trouue
le plus souuent au dessus de tous les remedes. C’est
le Ti Oeion que les Interpretes ont si diuersement
expliqué, & que les plus sçauans ont entrepris d’exposer.
Selon le sens & la doctrine de ce grand homme
i’ay bien voulu mettre ici les diuers sentimens
de quelques vns sur ce sujet, & tirer de leurs Commentaires
des lumieres pour descouurir la source
de nos maux, & en suite monstrer la methode
pour procurer leur guerison, en proposant les remedes.

 

Les vns disent, qu’és maladies populaires il y a
quelque chose de diuin, parce que Dieu en est specialement
l’autheur, & que pour ce sujet on les met
au nombre de ses fleaux, dont il chastie les peuples
pour des pechez enormes, par lesquels ils ont
attiré sur eux la rigueur de ses chastimens, &
allume le feu de ses plus espouantables vengeances.

Ceux-cy pour fortifier cette exposition alleguent
trois sortes de preuues ; à sçauoir, authoritez,
raisons, & exemples, le tout tiré de l’Escriture
saincte.

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Dieu, disent ils, comme le premier estre est la
source eternelle, d’où deriue toutes les creatures,
c’est ce vaste Ocean duquel sourdent toutes choses,
& comme les fleuues prennent leur origine de la
mer, & apres auoir serpenté quelque temps sur la
terre, luy vont rendre hõmage & se r’allient à leur
source ; de mesme tous les estres partent de la main
de Dieu comme de la premiere cause, & s’vnissent
& attachent à luy comme à leur derniere fin ; par
l’estenduë infinie de sa puissance il embrasse tout, &
sa prouidence dispose du bien & du mal, selon les ordres
de sa sagesse ; car pour celuy de coulpe, il
le permet pour en tirer sa gloire en manifestant sa
misericorde, ou sa iustice : & pour celuy de peine, il
s’en dit luy-mesme l’autheur, non est malum in ciuitate
quod non fecerit dominus, & s’est reserué comme
en propre cette partie de la Iustice, qui ordonne le
chastiment & la vengeance. De plus, il n’appartient
qu’à Dieu d’estendre ses vengeances, & de punir
vniuersellement, parce qu’il est l’estre vniuersel
de toutes choses. Or qui ne void que par les maladies
populaires, Dieu punit & chastie non seulement
les criminels, mais qu’il y enuelope des innocens,
comme lors qu’il fit mourir par le glaiue de l’Ange,
ou par la peste dans vn seul iour plusieurs milliers des
Israëlites pour le seul peché de Dauid leur Roy, d’où
il resulte clairemẽt, que dans les maladies populaires
il y a quelque chose de diuin, Ti Oeion. I’approuue veritablement

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cette exposition, quoi que i’aye de la peine
à croire qu’elle soit conforme au sentiment d’Hypocrate.
Les Medecins ne sont pas si bons Theologiens,
& pour l’ordinaire(du moins on le dit) ne
se trouuent pas beaucoup chargez de deuotion, ou
de Religion, selon cette definition ; Medicus est animal
incombustibile propter religionem, & peut estre quelques-vns
de ceux-cy attribuent, non point à Dieu,
mais aux astres, le Ti Oeion des maladies populaires,
& sans s’esleuer iusques à la premiere cause s’arrestent
aux secondes, & disent, que le Ciel par la lumiere,
par le mouuement, ou mesme par quelque secrete
influence, fait impression sur nos corps, altere nos
humeurs, & que l’air qui de tous les elemens est le
plus mobile & le plus susceptible des bonnes ou
mauuaises qualitez, se gaste & se corrompt par haut
& par bas : par la chaleur du Soleil, & par la conjonction
de certaines planetes, comme de Mars, & de
Saturne, ou bien par les exhalaisons mauuaises qui
sont attirées des lieux infects, lesquelles sont puis
apres rejettées en bas par le moyen des vents, & portent
l’infection & la mort à tous ceux qui respirent
cét air mauuais & infect. Sans s’arrester à la recherche
d’autres preuues, ceux-cy soustiennent leur exposition
par l’experience, cette sage & parfaite Maistresse,
vsus est rerum Magister, disent-ils, qui nous
monstre que toutes les maladies populaires sont causées
par l’infection de l’air precedées de quelques

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mauuaises exhalaisons : & alleguent, que le diuin Hypocrate
garentit toute la Grece d’vne horrible peste,
ayant fait dest ourner les vents qui portoient l’infection
auec l’air, & s’acquit délors ce tiltre de Sauueur
de la Grece.

 

Voulez-vous encore vne autre exposition, il s’en
trouue qui disent que le Ti Oeion, qu’Hipocrate reconnoist
és maladies populaires, n’est autre chose
sinon qu’elles sont beaucoup plus difficiles à guerir
qu’à connoistre, encore bien qu’il ait quelque chose
de caché qui soit au dessus des regles de l’art, & des
remedes ordinaires ; c’est pourquoy on a inuenté
d’extraordinaires, & composé des alexiterions, alexipharmacons,
dans lesquels entrent toute sorte de
simples racines, herbes, fleurs, feuilles, bois, semences,
& vne Kyrielle d’autre drogues, que vous trouuerez
tout au long dans l’Antidotaire, en la description
de la Theriaque d’Andromachus.

Enfin pour la bonne bouche, ie vous ay reserué
la plus subtile exposition, & qui vous rendra estonnez
quand vous lirez que Ti Oeion, signifie en ce texte
d’Hypocrate quelque chose de malin, voire de diabolique :
& à cette exposition rien n’y manque, ny
raisons, ny authoritez ; car disent ceux qui l’ont proposée,
les plus graues Autheurs appellẽt diuin tout ce
qui excelle en grandeur, soit bon ou mauuais, & pour
cette cause les demons estoient appellez dieux, dit
vn Ancien, dij vocantur licet natura sint Dæmones.

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Venons maintenant à nostre sujet, & disons que
toutes ces interpretations, depuis la premiere iusques
à la derniere, inclusiue, peuuent estre receuës,
& s’accordent toutes au sujet de la maladie que nous
traitons.

 

Il y a donc en cette maladie populaire, ou de l’Estat
vn Ti Oeion, quelque chose de diuin. Premierement,
selon l’ordre de nos expositeurs, entant que
Dieu en est l’Autheur, & que la main de sa Iustice se
fait sentir appesantie sur les profanes & les meschans.
Dieu, pouuons nous dire, a voulu chastier nos crimes
en nous faisant sentir les coups de ses iustes vengeances.
Il s’est seruy de la trop grande facilité de
nos Roys, ou de leur imbecillité pour nous punir :
il a permis, selon ses iugemens profonds & cachez,
mais iustes & equitables, que nous eussions de mauuais
Ministres d’Estat qui ayent exercé toutes sortes
d’extorsions, de cruautez & de tyrannies sur le peuple.
Mais aussi les cris de ce mesme peuple, chastié
& humilié, sont montez iusques au Ciel. Dieu a veu
son affliction (pour vser des termes de l’Escriture)
il a oüy les cris qu’ils ont iettez, à cause de leurs exacteurs,
& a connu leurs douleurs, pourtant il est
descendu de son throsne pour le deliurer, & frapper
ses ennemis des playes d’Egypte.

En second lieu, nous pouuons dire qu’il y a
Ti Oeion, quelque chose de diuin, en la maladie de
l’Estat, entant que le Ciel par ses influences inspire

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ce souleuement general au cœur des peuples. Non
ie ne feins point de dire qu’il y a quelque bonne
ou mauuaise constellation qui cause toutes ces
guerres ciuiles que l’on voit allumées presque en
tous les Royaumes de l’Europe. Chaque effet, selon
les maximes de la Physique, doit auoir vne cause
proportionnée : de sorte que s’il est vniuersel ou
d’vne grande estenduë, la cause ne peut estre que
generale. Or qui ne voit que cette guerre suscitée
par tout contre les mauuais Ministres d’Estat, n’est
pas vn effet du mescontement de quelque particulier,
ny de quelques villes seulement, ou de quelques
Prouinces, mais generalement de tout vn
Royaume, & que ce n’est pas la France seule qui
combat aujourd’huy pour sa liberté, mais vne bonne
partie de l’Orient, de l’Occident & du Septentrion.
Naples, la Catalogne, & l’Angleterre ont
deuancé : la France est entourée de tous costez, &
comme enclauée dans ces pays, iugez du reste.

 

Disons en troisiesme lieu, qu’il y a en la maladie
de l’Estat quelque chose de diuin, Ti Oeion, c’est à
dire, de caché, qui est au delà de la connoissance
du vulgaire & des remedes communs, qu’on y a iusques
icy apportez. Voulez-vous voir rien de plus
caché que la trahison. Veritablement c’est elle que
nous deuons craindre plus que la force de nos ennemis,
tant de traistres qu’on soupçonne, & qu’on
descouure mesmes tous les iours, l’intelligence &
la cabale secrete de ceux qui font semblant d’estre

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de nostre party auec les ennemis, nos conseils aussi-tost
sçeus de l’ennemy que conceus, aussi-tost diuulguez
qu’arrestez, tout cela est le plus fascheux, &
le Ti Oeion de la maladie. Aussi n’est-il rien qui mette
plus en peine le Medecin, que lors que la maladie
se cache, occulti non est curatio morbi, ou quand quelque
mauuais accident destruit tout ce qu’il auoit
disposé pour la guerison. Et c’est ce qui me fait conclure,
que nostre maladie a quelque chose de malin,
Ti Oeion, ou si vous voulez de diabolique. Virgile
appelle l’auarice de ce Roy qui tua le ieune Polidore,
cadet des enfans de Priam, pour se saisir des thresors
que la Reyne Hecuba mit entre ses mains, pour
conseruer à son fils vne saincte & sacrée faim d’or
quid non mortalia pectora cogis
Auri sacra fames.
Le Poëte par ce mot de sacra, sacrée, veut dire execrable ;
car il n’est vice de plus odieux, dit Aristote,
que l’auarice. Et ie vous prie, qu’est-ce qui afflige
plus nostre Estat que l’insatiable cupidité de ceux qui
en ont vsurpé le gouuernement. Est il rien de plus
abominable que l’auarice des Partisans, & la sourcilleuse
ambitiõ de leur Chef, qui s’estant emparé de
l’authorité Royale, veut abbattre sous ses pieds tout
ce qui peut faire ombre à sa grandeur ? Son orgueil
n’est-il pas diabolique. Et quelle epithete donnerez
vous plus conuenable que celle là aux paroles
qu’on a trouuées escrites dãs vne Lettre interceptée.
Il faut, dit-il, regler pour vne bonne fois l’authorité

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& la iuridiction de ces gens de chicanne pour commencer vn
nouueau regne, dont la gloire & la ioye ne soient iamais interrompuë.
O tempora, ô mores Senatus hoc intelligit viuit, &
adhuc viuit designat ad necem, vnumquemque nostrum ad mortem
duci te iampridem Mazarine oportebat.

 

De tout ce que nous venons de dire touchant la maladie
de l’Estat, dans laquelle nous auons reconnu quelque chose
de diuin, parce que Dieu en est l’Autheur, & que le Ciel par
ses influences occultes a meu les peuples à prendre les armes
pour recouurer leur liberté : & d’autant que les trahisons la
rendent dangereuse, comme sa violence & sa malignité la
font detestable, ie tire ce prognostic, à sçauuoir, I. Que
Dieu sera l’Autheur de nostre deliurance, comme il l’a esté
de nostre chastiment. Il est si bon & si sage, qu’il ne permet
le mal que pour en tirer vn grand bien. Cette guerre produira
vne bonne paix, ces troubles & ces remuëmens nous
mettront dans le repos ; & comme disent les Iurisconsultes,
ex malis moribus nascuntur bonæ leges. De toutes ces extorsions,
violences, & tyrannies naistra vn nouueau regne,
doux, & paisible, affermy par les loix, & la force des armes,
& heureux par toutes sortes de prosperitez.

2. Le Ciel versant des influences fauorables pour les peuples,
& malignes pour les tyrans, nous pouuons dire que
leur effet sera infaillible, & que nous verrons dans peu de
iours la France deuenir autant heureuse sous vn nouueau
gouuernement, qu’elle a esté malheureuse sous l’administration
violente & tyrannique du Mazarin.

3. Bien que les trahisons soient dangereuses, & que nos
maux se soient iusques icy irritez contre les remedes, neantmoins
l’effet des premieres ne tombera que sur la teste des
traistres : Vne mine éuentée ne peut nuire ; tous les iours nous
découurons ceux qui sont de la cabale du Mazarin : Ceux
qui sont de son party sont ou connus, ou soupçonnez, la plus
part mesme n’y sont entrez qu’à regret, & n’y demeurent
que par contrainte. Si nous tesmoignons vne forte resolution
à vaincre, ou à mourir, vous verrez toutes ses troupes

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s’éuanoüir, ses soldats se venir joindre auec les nostres, d’abord
qu’ils auront perdu l’esperance du butin : Vne armée ne
peut subsister long-temps sans payement, l’argent est les
nerfs de la guerre ; & comment voulez-vous que quelques
chetifs villages fournissent à la despense, & au luxe de celuy
qui a englouty toutes les richesses du Royaume.

 

4. La malignité ou la violence de la maladie ne peuuent
estre ensemble auec la longueur ; icy doit auoir lieu le raisonnement
de cét esprit fort que Cicer on fait ainsi parler au liuret
de la fin des meschans : Le sage, dit-il, n’a que faire de
craindre pour aucun mal qui lui puisse arriuer, s’il est violent
il sera de fort peu de durée, & s’il est long à peine se fera
il sentir.

Venons maintenant aux remedes, qui doiuent estre beaucoup
en nombre, differens en espece, & tous proportionnez,
& contraires aux causes de nostre mal.

Nos crimes ont attiré l’ire de Dieu sur nous, & ont allumé
le feu de ses vengeances ; pour oster l’effet faisons cesser la
cause en luy opposant la saincteté, ou la repentance, esteignons
par nos larmes, ou du moins arrestons les progrez de
cét incendie. Si nous sommes humiliez, Dieu sera cesser ses
chastimens, il tournera son courroux contre ceux qui ont
esté les instrumens de nos souffrances, & comme vn pere satisfait
iettera dãs le feu les verges, dont il a chastié ses enfans.

Le Ciel jette des influences malignes contre les tyrans, &
fauorables pour ceux qui aiment le bien public, & leur Patrie ;
suiuons ses mouuemens, & souuenons nous qu’il n’est
rien de si doux, que de mourir pour sa Patrie, pour son Roy,
& pour sa liberté.

Les trahisons nous font le plus de peine, recherchons les
traistres, & ostons-les du milieu de nous. C’est vne cruauté
que pardonner à ces infames, c’est trahir sa Patrie, & se faire
mourir soy mesme que de leur laisser la vie.

Enfin le mal est violent, opposons la force à la force, la
generosité à l’obstination, la constance au desespoir, & Dieu
nous rendra plus que vainqueurs.

FIN.

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