Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, CONTENANT Le Combat du Faux-bourg S. Antoine. L’Escarmouche de l’Hostel de Ville. L’Vnion enfumée. La Paille. Le Desespoir du Cardinal. Et le grabuge de la Cour. Miseremini mei, saltem vos amici mei, quia manus Domini terigit me. QUATRIESME PARTIE. , français, latin, italienRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_4.
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Le Mercure de la Cour, contenant
la trahison des Mazarins
brassée dans la ville de
Paris, &c.

Response du sieur F.

MA foy i’en viens de songer vn bon tout
à l’heure, faites autre chose : vous sçauez
que Monsieur le Cardinal de Rets,
est ennemy irreconciliable du Prince,
sans luy il seroit Fondeur, mais il ayme encore
mieux que vous subsistiez, que le Prince vienne
à bout de ses entreprises : faites courir le bruit que le
Roy vous veut esloigner, mais qu’il se veut seruir
dudit Cardinal de Rets en vostre place, vous verrez
comme le Prince accordera tout ce que nous
demanderons, & vous vous rappatrierez auec luy,
car il aimera mieux auoir à faire à vous qu’à luy,
c’est à faire à se tenir sur ses gardes.

Maz. Vous auez frappé au but, & c’est bien aussi
mon auis, il y faut trauailler.

Monsieur B. vous n’auez encore rien dit.

Le sieur B. Ie ne dis mot, mais ie n’en pense pas
moins : c’est vne piece que vous ioüerez au Coadjuteur,
qui est plus fin que vous. Prenez garde

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qu’en pensant tromper vous ne soyez trompé vous
mesme.

 

Alors qu’ils discouroient ainsi, l’on vint demander
de la part du Roy les sieurs Barb. & le Bor. qui
prirent congé pour conferer auec les Deputez de S.
Denis, & laisserent le Cardinal auec les sieurs F. &
B. qui continua son discours ainsi.

Maz. Qu’entendez-vous par là, qu’en pensant
tromper que ie seray trompé.

Le sieur B. Monsieur, puis que nous sommes
seuls, ie m’en vais vous expliquer l’enigme, mais
que cela soit dit inter priuuatos parietes, Vous sçauez
quel zele Monsieur F. & moy auons tousiours tesmoigné
pour vostre seruice, & comme nous vous
parlons franchement, vous n’auez pas sujet de vous
deffier de nous pour nostre fidelité, elle vous est
assez connuë, & moins d’entrer en jalousie pour la
place que vous remplissez.

Les plus grands ennemis que Vostre Eminence
a dans la France, ne sont pas les Princes, comme
elle se persuade, au contraire, vous en auez plus icy
aupres du Roy qu’en tout le reste du Royaume :
ceux-là mesme qui vous assistent tous les iours de
leurs conseils, & qui trauaillent aux affaires de l’Estat,
sont vos plus grands ennemis.

Maz. Ie vous prie donc les nommer, car ie n’en
sçache point : Helas, ie puis bien dire comme Dauid,
Multiplicati sunt qui oderunt me inique.

Le sieur B. Vous auez trois grands ennemis que
vous pensez estre vos amis, qui sont Messieurs Bar.

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& le Bor. qui viennent de sortir d’icy, & Monsieur
le C. de Rets, & ces gens-là sans armes vous destruiront
bien plustost que les Princes. Premierement,
vous ne doutez pas que Monsieur le C. de Rets
n’aspire à vostre place, pour estre Ministre, il est du
bois de quoy on les fait.

 

Maz. Ho, ho, ie luy en empescheray bien, car
il ne viendra à la Cour que le moins que ie pourray,
s’il parloit souuent au Roy, i’aurois sujet d’auoir
peur, car obiectum mouet potentiam, mais pendant
que la Reine aura quelque credit pres du Roy son
fils, ie n’ay pas sujet d’apprehender.

Monsieur, croyez c’est celuy des trois que ie
croy qui l’emporteroit le plustost : Monsieur Bar.
est encore plus fin que vous ; il vous donneroit quarante-cinq
& bisque au jeu de la fourberie, & vous
gagneroit. Ne voyez-vous pas que c’est luy qui
arreste le torrent impetueux de la sedition, il a plus
de malice au bout de son doigt, que vous n’en
auez par tout le corps. Monsieur S. est vn faux borgne :
vous sçauez ce qu’il a fait en Allemagne,
il se ioüoit de toutes ses enseignes à Biere, de tous
ces grands Colosses qui n’ont de l’esprit que sur
les doigts : Il a trompé toute l’Europe pour empescher
la paix. Croyez-vous que c’est pour vos
beaux yeux que ces gens-là se donnent tant de peine,
& que c’est pour vous maintenir, tant s’en faut,
c’est pour vous debusquer : car dans toutes ces occasions
icy, ils font voir au Roy que vous n’estes
qu’vne beste, & qu’ils ont plus d’esprit que vous,

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puis qu’on n’oseroit rien entreprendre sans leur
auis, & dont on s’est tousiours bien trouué. Vous
ne seruez icy que comme vn o en chiffre, vous
pouuez bien prier Dieu que la guerre dure, car la
paix estant faite, le Roy dégagé de son honneur,
qui le porte à vous maintenir, s’ennuyroit de
vous, & ayant reconnu ces trois testes plus spirituelles
que la vostre, en choisiroit sans doute vne
pour le soulager dans le gouuernement des affaires.
Ainsi l’on vous chasseroit comme vn peteux
d’Eglise, car le Roy augmente tous les iours en
esprit & sagesse, & à la fin verra bien que les Frondeurs
n’ont pas tant de tort que vous leur en donnez.

 

Maz. Ie ne doute pas de ce que vous dites, mais
quand ie n’auray plus affaire d’eux, ie les enuoyeray
bien dormir. Nous auons toutes sortes de
moyens en Italie pour nous deffaire du monde, cependant
qui tenet teneat possessio valet, les premiers
ont tousiours l’auantage. Les François cherchent
la faueur, ils adoreroient le Diable s’il estoit Ministre.

Le sieur B. Il est vray qu’ils sont de ces idolatres
du temps de Moyse, ils adorent le veau d’or :
car sous esperance de faire leurs affaires, ils vous
font l’obenigna, mais si la fortune vous auoit tourné
le dos, ils vous chiroient sur le nez.

Maz. C’est la mode de la Cour, s’empare qui
peut, mais iusqu’à present ie n’ay pas sujet de me
plaindre de ma fortune. I’ay vne grosse armée à

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ma deuotion, le Mareschal de Turenne m’a promis
de vanger le sablon d’Estampes, il doit passer
cette nuit la riuiere pour les aller réueiller à sainct
Cloud. Comme il le contoit ainsi, vn Courier le
vint auertir que l’armée des Princes décampoit, &
qu’elle tiroit vers Paris, lequel il renuoya promptement
pour auertir le Mareschal de Turenne de
les suiure, de les combatre & de les defaire ; sont
bien des choses, respondit le Courier, toutefois ie
m’en retourne prestement luy porter ce mandement.
Sur l’auis qu’eut le Cardinal qu’ils tiroient
vers Paris, il enuoya en diligence vn autre Courier
au Mareschal de l’Hospital & au Preuost des Marchands,
pour donner les ordres aux portes de ne
les point receuoir en cas qu’ils s’y voulussent refugier,
ce qui se ménagea si adroitement que le lendemain
le Prince se voyant poursuiui du Mareschal
de Turenne, voulant faire entrer son bagage dans
Paris pour desbarasser son armée, fut arresté à la
porte S. Antoine, & cependant les troupes dudit
Mareschal l’attaquerent dés le Faux-bourg S. Laurens
auec grande chaleur, neantmoins se voyant
trahy & reduit à l’extremité, il enuoya Monsieur
le Duc de Beaufort pour ménager cette affaire, &
cependant soustint vaillamment l’attaque des Mazarins.
Pendant tout ce tintamare Monsieur le
Duc de Beaufort fut crier dans les ruës, hé bien
Messieurs, voila Monsieur le Prince aux mains,
qui expose sa vie pour vostre liberté, voila Monsieur
de Beaufort que vous auez tousiours tant chery,

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qui fait le mesme ; c’est à vous aussi bien qu’à
nous qu’on en veut, ne le voulez-vous point secourir :
aussi-tost quelques volontaires prirent les
armes, & sortirent par la porte sainct Antoine, &
l’on laissa passer le bagage. Monsieur le Prince reprit
courage & se resolut de se bien deffendre dans
ledit Faux-bourg, & pour cét effet fit dresser vne
batterie de huict pieces de canon proche la hale,
qui arresterent l’effort de nos Mazarins : car l’ayant
fait couurir de sa Caualerie, le Regiment de Picardie
& de la Marine estans venus pour les repousser,
il fit fendre sa Caualerie & tirer le canon sur eux,
chargé de quartouches, qui fit grand effet, auec
beaucoup de fuzeliers qu’il auoit mis en embuscade
dans les maisons, qui firent grand feu, si bien
que n’ayant pas trouué ce qu’ils cherchoient, ils
s’en retournerent tres-mal contens : mesme le sieur
de sainct Megrin s’estant auancé auec les Cheuaux
legers & Gensd’armes du Roy, fut tué, & ses Caualiers
faisans volte-face, passerent sur le ventre
à quelques Compagnies du Regiment des Gardes,
qui estoient derriere eux pour les soustenir.

 

Pendant ce rude choc, qui se commença dés
le matin, le Cardinal Mazarin qui ne voulut pas
perdre vne si belle occasion, mena le Roy à Charonne
dans vn pauillon esleué, pour luy faire voir
ce beau spectacle, & entendant le canon tirer, luy
dit, Sire, voila vostre canon qui en émouche bien,
mais le Roy s’estant enquis si c’estoit son canon,
quelqu’vn luy dit que c’estoit celuy des Princes, &

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que le sien n’estoit pas encore prest, dequoy le
Cardinal fut bien estonné. Enfin il auoit aposté
des gens pour venir dire au Roy de temps en temps
que les Princes estoient deffaits, qu’ils ne battoient
plus que d’vne aisle, & qu’il entreroit sur le soir
dans sa bonne Ville de Paris victorieux auec le
Cardinal Mazarin, que mesme Messieurs les Ducs
de Nemours & de la Rochefoucaut estoient blessez
à mort : mais sur le soir voyant tant de morts
& blessez que l’on rapportoit, & particulierement
S. Megrin & Manzini, il vit bien qu’il y auoit du
mal entendu, ioint que le Cardinal ayant veu tirer
de la Bastille le canon, & luy ayant dit, & bien,
Sire, voila la Bastille qui les accommode tout de
rosty, vn autre luy vint dire, que ledit canon auoit
tué six Caualiers de son armée, & de plus qu’il
estoit sorti forces Bourgeois qui faisoient grand
feu. Dequoy le Cardinal Mazarin palissant de
frayeur, dit au Roy & à ceux qui estoient aupres
de luy, tirons nos chausses, nous ne sommes pas
bien icy, & prirent leur route vers S. Denis. Le
Cardinal disoit en s’enfuyant, la mesche est découuerte,
nous n’auons pas bien ioüé nostre farce.
Mais estant arriuez à S. Denis, on leur dit que Mademoiselle
auoit fait rage, qu’elle estoit allée pendant
le combat trouuer le Preuost des Marchands,
& qu’elle l’auoit menacé, s’il ne donnoit ordre
aux portes pour la retraite de l’armée des Princes,
ce qu’il n’auoit osé refuser ; qu’elle estoit allée mesme
dans la Bastille, & qu’elle auoit animé le Bourgeois

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à sortir, & qu’en suite l’armée des Princes
auoit deffilé par Paris. Ce qu’entendant le Cardinal
Mazarin, s’escria, traditor Parigi poiche non a voluto
riceuere il tuo Re & la mia persona, io te mandaro la
guerra & la fame. Ce fut vne grande desolation
dans la Cour de tant de morts qu’on amenoit, l’vn
pleuroit son fils, l’autre son neueu, quelques Dames
se desesperoient de la mort de leurs maris. Le
Cardinal Mazarin fut embrasser son neueu Manzini,
qui estoit blessé de deux coups, en luy disant
ces paroles Italiennes, Oi me il mio core [1 mot ill.] la mia
fortuna la tua disgracia mi fa piangere.

 

Luy ayant dit ces mots il le fit panser, & puis se
retira fort triste auec le sieur F. auquel il conta ses
doleances en ces termes.

Verba iniquorum præualuerunt super nos. Psal. 64.
Messieurs les Frondeurs l’ont emporté sur nous, ne
suis-je pas mal-heureux d’auoir si bien concerté
vne affaire & n’en pas venir à bout ? Helas, ie
croyois bien de la façon qu’on me l’auoit fait entendre,
que nous entrerions ce iourd’huy dans Paris,
& ce fut en vain à la nouuelle que le Gouuerneur
m’en enuoya, que ie chantay ce beau Psalme,
Lætatus sum in his quæ dicta sunt mihi in domum
Domini ibimus. Helas, ie voy bien que le Roy n’est
pas maistre à son logis, cy est bien le charbonnier,
assurément que nous sommes vendus de tous les
costez.

Le sieur F. Monsieur, souuenez-vous qu’on
vous veut plus de mal à Paris qu’on ne vous fait

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accroire, & quand vous y seriez entré tout victorieux,
ie n’aurois pas respondu de vostre peau, vous
imaginez-vous pour auoir vne vingtaine ou vne
trentaine au plus de familles dans Paris à vostre deuotion,
venir à bout du reste. Ie sçay bien que ce
sont tous notables & gens de credit, mais le peuple
est plus fort qu’eux, & sans doute contraindra
le Parlement & la Ville à l’Vnion, & puis vous serez
dans de beaux draps blancs. Le Cardinal Mazarin
tout interdit, s’en alla reposer, & le sieur F.
se retira.

 

Pendant quelques iours ce n’estoit que deüil à
la Cour, on ne faisoit plus comme à l’ordinaire,
on n’entendoit autre chose que des gens demander,
comment se porte Monsieur le Marquis,
Monsieur le Comte, Monsieur le Baron, & d’autres
respondoient : Monsieur le Marquis est mort
ce matin, Monsieur le Comte a eu la jambe coupée,
Monsieur le Baron en sera quite pour vn bras ;
vne autre disoit Madame la Marquise est au desespoir
de son mary, elle proteste que si Manzinia
la charge, d’espouser le moindre Gentil-homme,
pour le tuer. Enfin quelques iours se passerent de
la sorte dans la Cour.

Mais ce fut bien autre chose quand on leur rapporta
ce qui s’estoit passé à l’Hostel de Ville, on
deffendit à celuy qui en apportoit la nouuelle, de
parler au Roy, & pour cét effet fut introduit dans
la chambre du Cardinal Mazarin, lequel estant
entré auec vn bouchon de paille sur son chapeau,

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quelques-vns se prirent à rire, pensant qu’il eut
fait cela par bouffonnerie : Mais s’en estant apperceu,
il leur dit, Messieurs il n’y a pas à rire pour
tout le monde. Le sieur B. luy demanda s’il alloit
au marché aux Cheuaux, il luy respondit que la
mode estoit changée, pour ce que les bestes n’en
portoient plus ; mais que c’estoit maintenant les
hommes, & qu’il n’auoit qu’à aller dans Paris
sans vn bouchon de Paille, qu’il verroit comme on
le bouchonneroit.

 

Le Card. prit la parole, en disant treve de raillerie,
dites nous vn peu ce que cela veut dire, ledit
paillard luy respondit, il faut que ie vous dise
ce qui arriua hier dans Paris pour en sçauoir le sujet.
Il commença son discours de cette sorte.

Vous sçauez la resolution qui fut prise de tenir
l’Assemblée à l’Hostel de Ville, pour resoudre
si on receuroit le Roy & V. E. ou si on concluroit
l’Vnion auec les Princes, nous auions assez
bien concerté l’affaire pour reussir à vostre auantage,
& pour vous gagner des voix. Car le Preuost
des Marchans auoit enuoyé ordre aux Quarteniers,
pour auoir des Dixiniers de chaque quartier,
soixante Bourgeois nommez dans chacun de
leur roolle, lesquels Dixiniers deuoient nommer
particulierement ceux qui auoient charge de iustice
ou autres, & specialement les Curez des
Paroisses, afin que de ce nombre on peust choisir
ceux qui vous pouuoient estre affectionnez, soit
par obligation, soit par consideration de leurs

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charges, ou du seruice du Roy, parce qu’on leur
fait entendre qu’il y va de l’authorité de S. M. de
vous conseruer. Cela n’auoit pas mal reussi, car
par ce moyen il se trouua beaucoup plus de Mazarins
que de Frondeurs. Neantmoins si peu qu’il y
en auoit estoient bien resolus à se deffendre, & se
voyant en presence de Son Altesse Royale & de
Messieurs les Princes, tesmoignerent beaucoup de
resolution : si bien que le Mareschal de l’Hospital
voyant bien qu’il n’y trouueroit pas son compte, se
resolut de faire remettre l’assemblée, sçachant bien
que les delais dans ce rencontre vous sont auantageux.
Pour cét effet, il auoit fait auertir vn Trompette,
qui vint dans la place de Greve, enuiron vne
heure apres l’assemblée, qui donna plusieurs fanfares
à la Mazarine, mais il fut contraint de se taire,
car plusieurs Mariniers ayant appris qu’il venoit de
la Cour, le menacerent de le ietter dans la riuiere.
Il demanda à parler au Mareschal de l’Hospital,
auquel il donna vne Lettre de Cachet, que ledit
sieur Mareschal leut tout haut en presence de l’assemblée,
elle portoit remise à huictaine. Cette lecture
causa vn bourdonnement effroyable par ceux
qui n’estoient pas contens de cette remise. Il y en
eut mesme vn qui se leua, & cria tout haut, ie croy
que Mazarin nous iouë au Romestec, car voicy
encore autre piece de son triche, & qui ne voit pas
que cela est fait à la main, comme vn pot de
terre.

 

Enfin Monsieur le Prince voyant qu’on ne vouloit

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pas passer plus outre, s’escria en colere : Ie voy
bien que pendant que le Cardinal Mazarin sera en
France, on y manquera point de fourbe, adieu
Messieurs, faites tout ce que vous voudrez, mais si
mal vous en arriue, ne vous en prenez pas à moy.
Ainsi Son Altesse Royale & Messieurs les Princes,
se retirerent sans rien faire. Alors la populace qui
n’attendoit rien moins que l’Vnion, ayant enuironné
leur carosse, demanderent si elle estoit concluë,
& ayant respondu que non, il y eut bien du
bruit au logis : I’aurois voulu que vous eussiez esté
là, vous auriez veu beau jeu, tout le monde se mit
à crier aux armes, tuë, assomme, brusle, il y auoit
mesme vne compagnie de Bourgeois qu’ils auoient
fait venir pour les garder, qui prit son congé de
bonne heure, & bien luy en prit : car en vn moment
on entendit vne descharge de mousquets, de fusils,
de carabines, & vne gresle de pierres contre l’Hostel
de Ville, auec vn si grand bruit qu’on n’eut pas
entendu Dieu tonner. On commença à crier qu’il
falloit brusler les Mazarins qui estoient dedans :
aussi-tost dit, aussi-tost fait, le bois n’y estoit pas
épargné, car les fagots des marchands estoient sur
le port, & chacun s’en donnoit de main en main,
tant qu’il s’en fit vn tas de la hauteur de la porte,
en suitte on cria à la paille, & aussi-tost on vit de
beaux brandons allumez, chacun auoit sa torche à
la main, comme si c’eust esté vne procession. Enfin
voila le feu à toutes les portes, iugez de la posture
de ces pauures miserables qui estoient dedans.

 

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Maz. Et le Mareschal de l’Hospital & Messieurs
de Ville qui estoient dedans, n’auoient-ils pas des
gens pour les garder & des munitions pour se deffendre.

Le Cour. C’est le diable, ils n’auoient pour toutes
munitions que des confitures, pour des gens, ils
en auoient enuiron quatre-vingts, qui ménageoient
leur poudre, & faisoient de temps en temps
leur descharge sur le peuple, en mettant tousiours
quelques-vns sur le carreau, mais cela ne les faisoit
qu’opiniastrer, Mazarin s’escria, o balorde di Gouernatore
vn Palazzo d’vna Cita come Parigi sensa
monitione di guerra. S’ils auoient eu de la munition,
ils m’auroient tout extermine cette canaille, & tous
ces crieurs de point de Mazarin, s’il vient icy ie luy
chanteray bien sa gamme.

Bref Monsieur, pour vous acheuer mon discours,
le feu estant à toutes les portes, ceux qui estoient
dedans ménagerent leurs descharges pour gagner
insqu’à la nuit, à la faueur de laquelle ils esperoient
de se sauuer, mais la fureur du peuple redoublant
de moment en moment, c’estoit à qui chercheroit
vn azile pour se sauuer, car dés que les portes furent
bruslées & les poudres vsées, nos Renards enfumez
sortirent du terrier, & se voyans poursuiuis
par tant de levriers, les vns montoient sur les goutieres,
comme les matous, pour gagner de maison
en maison, mais toutes les maisons des enuirons
estoient occupées de sentinelles. Les autres se barricadoient
dans les chambres. Enfin bien leur en

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prit d’auoir des Curez & des Prestres pour se confesser :
on n’entendoit que des In manus tuas Domine,
&c. Libera me Domine, &c beaucoup se frappoient
la poitrine, disant, Mea culpa, mea culpa,
mea maxima culpa. Enfin ils ressembloient aux matelots,
qui ne prient Dieu que dans la tempeste.
Quelques-vns qui ne se sentoient point tachez du
Mazarinisme voulurent sortir, sautant la barricade,
mais ils furent iettez sur le carreau, car on ne connoissoit
plus personne, tant la confusion estoit
grande. Vn laquais sauua Monsieur nostre Gouuerneur,
tout ainsi qu’Enée sauua son Pere Anchise
de l’embrazement de Troye, car il le porta sur
ses épaules, disant que c’estoit son Maistre, luy
ayant changé de nom & d’habits, & fait oster son
Ordre du Saint Esprit. Vn Conseiller m’a iuré qu’il
fut enfourné l’espace d’vne heure & demie, & qu’il
entendit deux ou trois fois prononcer l’Arrest de sa
mort par Messieurs du Parlement de la Greve. Vn
autre se sauua habillé en Meusnier, tant y a peu de
difference d’vn Conseiller à vn Meusnier, l’vn &
l’autre ne viuant que de la mousture des sacs qu’on
leur porte. Et le S. D. que vous connoissez bien, se
sauua en drille, ayant donné tout ce qu’il auoit d’argent
& ses habits, pour vn meschant habit & vn
mousqueton, criant luy-mesme qu’il falloit assommer
les Mazarins, & faisant le blessé à la jambe
dont il boittoit. Enfin chacun se sauua comme il
pût, car deslors que ces coquins entrerent il n’y
auoit plus de quartier, il n’y auoit que ceux qui

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auoient le plus d’argent qui se sauuerent, & on
remarqua qu’il n’y eut que des Frondeurs de
tuez, & pas vn Mazarin. Beaucoup de Curez y
furent mal-traitez, & plusieurs mesmes qui n’estoient
pas Curez y deuinrent curez, car ils ne
remporterent pas vne maille. Monsieur de Beaufort
sur le minuit y vint mettre le hola, & plusieurs
échaperent, Sub vmbra alarum suarum,
comme le Preuost des Marchands, &c. Bref
l’Hostel de Ville fut mise à sac, toutes les confitures
furent desconfites, & tous les meubles pillez.
Dés le commencement de ce tintamare, ie
passois par là, mais vne bonne femme m’ayant
arresté, & me disant à l’oreille, pourquoy ie n’auois
point de paille sur mon chapeau, veu que
tout le monde en auoit pris pour reconnoistre
les Mazarins, m’aduertissant que ie ne passasse
pas à la Greve sans cela, ie la remerciay, & m’en
allay chez vn Chandelier, où i’en pris vne poignée
pour m’en faire vn Cordon. Ie reconnu
bien que ce que m’auoit dit cette bonne femme
estoit vray, car ce iour-là tout le monde en portoit,
& le lendemain quelqu’vn de mes amis
m’en fit voir l’ordonnance en vers François, qui
contenoit ces mots.

 

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Ordonnance de la Fronde pour prendre
la Paille.

 


Tous les Presidens de la Fronde,
Pour distinguer les Mazarins,
Ont commandé que tout le monde
De Paille prendroient quelques brins.

 

 


Hommes, garçons, femmes & filles,
Nobles, marchans, gens de mestiers,
Princes, aussi bien que les drilles,
En porteront tous des premiers.

 

 


Et si quelque sot se mutine,
Refusant la Paille porter,
Qu’on le frotte à la Mazarine,
Afin qu’on n’en puisse douter.

 

Il y en eut mesme ce iour de bien estrillez,
pour n’auoir pas de Paille : Mais ie m’en estois
garny de bonne-heure. Le iour suiuant, qui
estoit iour de marché, iamais le marché aux
Cheuaux ne fut si bon, & n’y auoit iamais eu
tant de beste à vendre. Car tous les Cheuaux,
tant de ceux qui alloient pour achepter, que de
ceux qui alloient pour vendre, estoient bouchonnez
de Paille ; les hommes, les maquignons,
les palfreniers, les mules, les asnes estoient
tous chargez de Paille, & i’y pensé auoir querelle
contre vn Maquignon, qui vouloit achepter
mon Cheual malgré moy, parce qu’il auoit

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vn Bouquet de Paille : mais ie luy dis plusieurs
fois, que mon Cheual ny moy n’estions pas
Mazarins. Enfin la Paille estoit si recommandable,
qu’on ne se seruoit plus que de Paille,
faute de grains, car il y en auoit fort peu : c’est ce
qui fit escrire à vn certain Poëte ce Dixain, parlant
de Vostre Eminence.

 

 


Au Diable soit ce grand Paillart,
Qui nous a reduit à la Paille
Apres auoir volé la Taille,
Et Taillon iusques au dernier liart :
Mais si durant nostre misere
Le pourceau faisant bonne chere,
S’est rendu gras à nous piller,
N’est-il pas temps qu’il restituë,
Qu’on se despesche, & qu’on le tuë ;
Nous portons Paille à le brusler.

 

C’est ce qui fit dire à Dame Anne, qui rencontra
sa Commere au Marché. Hé bien ma
Commere, c’est à ce cou qu’on va determiné
Marazin, ô Ian on ny épargne rien, tout y va,
la Paille & le blé, y fau qui saute, Monsieu de
Biofort doi mené aujord’huy lé Bourgeoi à S.
Deny pour l’attrapé. Ie me donne au Guicbe,
si ie ny va auec mon couperet, & si i’atrape ce
ribau, par ma foüoy le ly couperé son Iaquemar.
La Commere luy respondit, Tou biau, tou biau,
n’alon pa si vite, ie me souuien bien de la Chapele,
où ces Guiebbes de Marazin en on tan assommé.

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Ie laissay ainsi cajoller ces deux bonnes
Dames, & m’en allay disner chez vn Conseiller
Frondeur de mes amis, il m’entretint de tout ce
qui s’estoit passé à l’Hostel de Ville, comme ie
vous ay dit, & pour entrée de table il me fit voir
les Status des Cheualiers de la Paille, qui chantoient
ainsi.

 

Statuts des Cheualiers de la Paille.

 


Tous les Cheualiers de la Paille
Estans receus sont auertis
D’exterminer cette canaille
De Mazarins grands & petits.

 

 


De croire que son Eminence
Est le veritable Ante-christ,
Que c’est vertu, non pas offense,
D’auoir la teste du proscript.

 

 


Contre luy d’vn Arrest fort iuste
Demander l’execution,
Sur qui nostre Monarque Auguste
A fait sa Declaration.

 

 


Abjurer le Mazarinisme
Qui s’est dans la Cour introduit,
Comme vne erreur, ou comme vn schisme,
Qui beaucoup d’esprits a seduit.

 

 


Que le Coadjuteur qui lorgne
Pour estre Ministre d’Estat,
Aussi bien que Seruien le borgne

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Est de la Fronde vn apostat.

 

 


Et que son Altesse Royale
N’a point d’autre but que la Paix,
Et que le Cardinal d’estalle
Hors de la France pour iamais.

 

 


Crians, viue le Roy de France,
Viue les Princes de Bourbon,
Point de Iule, point d’Eminence,
Iamais Cardinal ny fut bon.

 

 


Quand ils seront à la tauerne,
Ils boiront tous à la santé
Du Prince, & que le Diable berne
Iules & sa posterité.

 

Le bon Conseiller m’ayant fait lecture de ses
vers, ie les estimé par complaisance, & ne voulus
pas les contredire, de crainte qu’il ne me
donnast pour disner que ce mets, dont ie n’auois
pas grand besoin, estant affamé comme
vn chasseur, mais ayant remply mon ventre de
viande plus solide, & ayant beu la santé des
Princes, ie commençay à dire mon sentiment,
& tiré de ma pochette quelques vers, qui seruoient
de response pour le papier des Mazarins,
à la paille des Frondeurs : ils estoient ainsi, si
bien il me souuient.

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Response des Mazarins aux Frondeurs.

 


Cessez Frondeurs de nous poursuiure
Auec vostre Paille, & sçachez

Que ce papier doit faire vn liure
Pour escrire tous vos pechez.

 

 


Vous ferez vn iour penitence,
Et tout ainsi qu’vn criminel,
Vous y lirez vostre sentence,
Dont il n’y aura point d’appel.

 

 


Cette paille nous fait entendre
Gens de Paris, pauures badauts,
Que les Princes vous veulent vendre,
Ainsi que l’on fait des cheuaux.

 

 


Ville rebelle, ingrate terre,
Quand ton Prince te vient sommer
D’esteindre les feux de la guerre,
Tu prens paille pour l’allumer.

 

D’abord il rougit de colere, & me dit que
c’estoit vn Mazarin qui auoit fait cela, & que
Paris souhaittoit le Roy auec passion, mais qu’il
ne vouloit point de Mazarin : ie ne luy contestay
pas dauantage là dessus, car ie n’aurois pas
esté le plus fort.

Maz. Ces Conseillers-là me font bien de la
peine, mais si i’en puis venir à bout ie leur abbaisseray
bien le caquet. Monsieur le Garde des
Seaux suruint sur ce discours, ce qui obligea Mazarin

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à congedier ledit Courrier, & ledit Sieur
Garde des Seaux luy parla de la sorte.

 

Monsieur, les Seaux que vous m’auez fait
donner sont bien lourds, il n’y a point de porteur
d’eau dans Paris qui en ait de si pezans, i’ay
sans cesse les oreilles rompuës par les Deputez,
& ne sçay plus que leur respondre, ie leur ay
donné tous les tours & destours que vous m’auiez
dit, mais à present ils ne veulent plus rien
écouter, ils demandent leur congé, ou qu’on
leur accorde vostre esloignement : voyez ce que
nous ferons.

Maz. Il faut leur faire promettre par le Roy
qu’il m’esloignera, mais afin qu’il ne nous prenne
pas au mot, il faut que sa majesté leur demande
encor d’autres Deputez de la part des Princes
pour trauailler à la paix : c’est vn vray moyen
pour gagner encor du temps, & leur faire écrire
cette resolution au Parlement. Ie sçay bien que
les Princes n’en enuoyront point, mais c’est toûjours
pour les mettre en leur tort, & tirer les affaires
de long.

Le Garde des Seaux. Monsieur, nous ferons
tout ce que vous voudrez, mais ils sont aussi fins
que nous, ils verront bien qu’on se mocque
d’eux.

Maz. Il n’importe, nous sommes les plus
forts, nous ne les craignons pas.

Le Garde des Seaux. Ouy, mais le mal empire

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tous les iours, à la fin on n’y pourra plus remedier.
En disant cela vn Courier vint auertir S.
E. que l’Archiduc Leopold auançoit pour les
Princes, à grandes iournées. Le Cardinal Mazarin
dit tout haut, il faut sortir d’icy & nous en
aller demain ou apres, à Pontoise. Cependant
Monsieur le Garde des Seaux amusez tousiours
nos Deputez de cette esperance, & le iour que
nous partirons, vous leur direz que le Roy ne
peut leur rendre response, pour l’affliction qu’il
a de mon neueu Manzini, & qu’ils viennent à
Pontoise pour la receuoir, s’ils insistent à n’y pas
aller, comme ie n’en doute point ; vous leur direz
de la part du Roy, de l’attendre à S. Denis
iusqu’au lendemain midy que le Roy leur enuoyera,
cependant ie m’en vay voir mon Neueu
qui est à l’agonie. Le Cardinal se separa d’eux
& alla voir Manzini dans sa chambre, où il rencontra
les Chirurgiens qui le pensoient ; & Sa
Majesté qui faisoit de la charpie pour sa playe : il
l’embrassa d’abord en luy disant, courage, mon
Neueu, si vous en reschapez vous serez des successeurs
de Montmorency, voyez comme le
plus grand Roy du monde met la main à vostre
guerison : si vous auiez les escroüelles vous seriez
bien-tost gueri : disposez-vous à quitter ce
lieu funeste, puis que les Parisiens nous veulent
tant de mal. I’ay donné ordre de vous faire porter
demain dans vn brancard à Pontoise, auec

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des Chirurgiens, qui auront soin de vostre personne.

 

Manzini. Mon Oncle, ce n’est pas ma playe
qui m’afflige, mais c’est qu’on a dit au Roy qu’estant
reuenu du combat sans estre blessé, i’auois
prié vn Caualier de donner vn coup de pistolet
dans le ventre de mon cheual, de crainte que Sa
Majesté ne me reprochast que ie n’y estois pas
allé, & que le Caualier m’auroit frappé au lieu
du cheual, cela me met au desespoir.

Maz. Mon Neueu, ne vous affligez point de
cela, i’empescheray bien que le Roy aye cette
croyance ; sçauez-vous pas que tout le monde
nous en veut, mais ie sçay bien que le Roy ne
croira pas ces imposteurs-là quand ie luy auray
parlé : ils eurent encore quelques autres discours
ensemble, & puis ayant esté pensé, le Cardinal se
retira incontinent apres Sa Majesté, pour le laisser
reposer.

Le lendemain le Cardinal tira ses chausses,
car le Roy s’en alla à Pontoise, & l’armée décampa
pour aller du costé de Senlis : ainsi nos
Deputez furent leurez, car le Garde des Seaux
leur dit, attendez-moy sous l’orme : Le Roy
vous enuoyera sa response icy. Neantmoins par
respect ils voulurent attendre, quoy que les
Princes auec beaucoup de Bourgeois sortirent de
Paris pour les aller querir ; & de fait on leur en
fit instance, mais ils voulurent tenir leur parole.

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Le mesme iour le Cardinal ne fut pas plustost
arriué à Pontoise, qu’il vit mourir son cher Neueu
Manzini : Ie croy que iamais le Cardinal n’auoit
pleure que ce iour-là, mais il pleuroit comme
vn veau, tant il estoit inconsolable, car le
Roy mesme ne s’en pouuoit consoler, & pour
marque de sa faueur on luy mit cette Epitaphe.

 


Cy gist Manizn le miserable,
Grace à Monseigneur de Condé,
Il auroit esté Connestable,
Si la mort eut vn peu tardé.

 

Quelqu’vn pour l’acheuer de peindre luy donna
encor vn mauuais presage de cette perte, luy racontant
que le Mareschal d’Ancre perdit sa fille
peu de temps auparauant sa mort.

Le lendemain iour d’assemblée, Messieurs les
Deputez écriuirent au Parlement vne lettre, par
laquelle ils mandoient qu’ils auoient receu à minuit
vne lettre du Roy, pour aller trouuer Sa
Majesté à Pontoise, ce qui allarma tellement
Messieurs les Princes & les Bourgeois qu’on cessa
l’assemblée & on courut aux armes. Monsieur
le Prince y mena vne partie de son armée & trois
ou quatre cens Bourgeois volontaires qui le suiuirent.
Son Altesse Royale mesme y voulut aller
en personne, ce fut cette fois là qu’ils reuinrent,
ayant reconnu la trahison de Mazarin : mais
comme dit le Prouerbe, à trompeur, trompeur
& demy : maintenant qu’il y a vn nombre assez

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notable de Presidens & de Conseillers, on luy en
va bien ioüer d’vn autre. On pousse viuement
contre luy les deux iours ensuiuant, tant qu’il
fut donné vn Arrest authentique, toutes les
Chambres assemblées, par lequel on declare le
Roy prisonnier du Mazarin, commandement
aux Officiers & Capitaines des Gardes de ramener
Sa Majesté, & qu’ils en respondront & leur
posterité. Son Altesse Royale declarée Lieutenant
de l’Estat & Couronne, Monsieur le Prince
General des armées sous les ordres de Sadite
Altesse, laquelle emploiroit au nom du Roy
tous les moyens qu’elle croiroit iustes & legitimes
pour deliurer la personne de Sa Majesté, &
chasser Mazarin hors du Royaume, & que Lettre
Circulaire seroit écrite à tous les Parlemens
& Villes du Royaume de faire le semblable.

 

Cét Arrest fut vne bascule au Cardinal Mazarin :
neantmoins sur la nouuelle qu’on en porta
à la Cour, quelques Mazarins n’en sirent que rire,
demandans au Courier si le Duc d’Orleans
estoit Roy de Paris, qui leur respondit, il est autant
Roy de Paris, que le Cardinal est Roy de
France. La bouffonnerie du Cardinal recommença
son jeu à l’aspect du Courier, disant en
presence du Roy, hé bien, nos rebelles ont-ils
fait vn nouueau Roy, à quoy le Courier respondit ;
ils ne pretendent pas de faire vn nouueau
Roy, mais bien vn nouueau Ministre. Le Roy

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leur en fera peindre, repliqua Mazarin, c’est ainsi
qui les demandent, respondit le Courier, car
vous estes trop animé pour leur profit. Apres ce
discours le Cardinal luy prit la lettre adressante
au Roy du President de M. dans laquelle estoit
la copie de l’Arrest, l’vne & l’autre furent leuës
tout haut deuant le Roy, elle ne manqua pas de
commentaires, car chacun se mit à y gloser, pour
pour y trouuer le mot pour rire, mais apres la
lecture, le Cardinal ne dit autre chose, ô bien,
quand nous aurons deffait l’Archiduc nous irons
remercier le Parlement & Messieurs les Bourgeois
de Paris : cependant quelque mine que fit
le Cardinal, il auoit le martel en teste, ce qui l’obligea
à se retirer auec le sieur F.

 

Il fit plusieurs reflexions sur la teneur de cét
Arrest, & se mit à dire, comment ceux qui tenoient
mon party n’ont donc pas esté les plus
forts.

Le sieur F. Monsieur, ils se sont souuenus de
l’Hostel de Ville, ils n’ont pas voulu faire les fols
dauantage.

Le Card. Il n’importe, tant que le Roy aura
des troupes en campagne & des Villes pour
se retirer, ie tiendray bon, il ne se faut iamais
dépiter contre les outrages d’autruy, il n’est rien
tel que d’auoir du courage, car comme dit Seneque,
Magnam foriunam magnus animus decet
iniurias & offensiones superne despicere indignus Cæsaris

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iræ, s’en fascher ce seroit se rendre coupable.

 

Le sieur F. Il est vray, mais il est bon d’y
pouruoir, car quelquesfois l’innocent patit pour
pour le coupable : cependant considerez qu’on
ne veut plus vous receuoir nulle-part, Roüen a
declaré qu’ils ne receuroient ny Mazarin ny troupes,
mais seulement le Roy & sa Cour : Dijon a
fait le mesme, & plusieurs autres Villes : Chartres
vient de refuser le Grand Conseil. Enfin
vous estes la marote des Parlemens, vous vous
estes ioüé d’eux, & maintenant ils se ioüent de
vous. Ce n’est pas le tout, encore on dit qu’ils ont
tint vne autre assemblée, où ils ont trauaillé à
trouuer le fonds de cinquante mille escus pour
vostre teste, & l’ont assigné sur le reuenu des
boües, & sur vostre Bibliotheque, tellement
que le mesme iour plusieurs ne demandoient
que où est-ce, & s’ils consignent cette somme
entre les mains de quelques notables Bourgeois,
vous estes fricassé. Ma foy ie vous conseillerois
de tirer païs, i’entens icy murmurer de tous costez
contre vous, & particulierement les Gensd’armes
du Roy ne vous veulent pas de bien, ils
sont bien gens à faire vn coup, car on dit ordinairement,
il est hardi comme vn Gendarme.
Faites comme vn certain, que le feu Roy auoit
commandé d’estre pendu, il s’absenta pour quelque

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temps, & reuint sous vn autre nom dans la
faueur du Roy plus que iamais. Si on leue des
troupes dans Paris, comme l’on dit, & que l’Archiduc
force Monsieur le Mareschal de Turenne,
vous nous allez tous perdre.

 

Fata viam iuuenam.

C’est ce qui obligea le sieur F. à se taire, &
s’excusa seulement en disant, que c’estoit l’apprehension
qu’il auoit de voir perir Son Eminence,
pour laquelle il auoit tousiours eu grand
zele.

Cependant on trauaille à Paris fort & ferme
pour perdre le Cardinal Mazarin, on y
employe le verd & le sec. On donne tout pouuoir
à Son Altesse Royale de disposer des deniers,
de faire ouurir les Greniers à sel pour distribuer
le sel à meilleur prix : desia cette somme
de cinquante mille escus fait ouurir les
oreilles à plusieurs, & s’en trouue beaucoup

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qui voudroient auoir fait le coup, mais fort
peu pour l’entreprendre. Vn Poëte fit ces
vers pour donner auertissement au Cardinal
Mazarin.

 

 


Retire-toy, si tu es sage,
Pauure insensé de Mazarin,
Car voicy sans doute vn presage
Qui te menasse de ta fin.

 

 


La Fortune de toy se ioüe,
Elle retire ses faueurs,
Mettant ta teste sur la boüe,
Il faut dire, adieu les grandeurs.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LE MERCVRE DE LA COVR, CONTENANT Le Combat du Faux-bourg S. Antoine. L’Escarmouche de l’Hostel de Ville. L’Vnion enfumée. La Paille. Le Desespoir du Cardinal. Et le grabuge de la Cour. Miseremini mei, saltem vos amici mei, quia manus Domini terigit me. QUATRIESME PARTIE. , français, latin, italienRéférence RIM : M0_2452. Cote locale : B_18_4.